Librairie Beauchemin, Limitée (Laurent-Olivier Davidp. 90-93).

jean-baptiste dumouchel


M. Dumouchel naquit à Sandwich, province d’Ontario, en 1784, et vint dans le Bas-Canada, à l’âge de onze ans. Après quelques années passées au collège de Montréal, il entra, comme commis, chez M. Alexis Berthelot, marchand de Sainte-Geneviève. Vers l’année 1810, il ouvrit un magasin à Saint-Benoît, et épousa Mlle  Marie-Victoire Félix, sœur du curé de cette paroisse.

M. Dumouchel était un de ces anciens Canadiens, au caractère franc, aux manières polies, à l’hospitalité proverbiale, dont nos campagnes devraient conserver aussi longtemps que possible le souvenir et les traditions. Il était connu et respecté, dans le Nord, comme les Drolet, les Franchère et les Cartier dans le Sud. Sa maison était moins bruyante que celles de ces riches marchands de la rivière Chambly, mais elle était aussi remarquable par l’hospitalité qu’on y recevait, et son commerce, quoique moins étendu, était aussi prospère et plus sûr. Il fut accablé de charges publiques, et parvint au grade de major dans la milice, sous le lieutenant-colonel Nicolet-Lambert Dumont, seigneur des Mille-Isles.

Les faveurs du pouvoir ne l’empêchèrent pas de devenir l’un des plus ardents et des plus distingués patriotes du comté des Deux-Montagnes. Beau-frère de M. Girouard, ami des Papineau, des Viger, des Morin et des Labrie, il fut aussi l’un des plus dévoués partisans de ces grands citoyens dans leur lutte énergique en faveur de la liberté. Il fut un de ceux qui, n’ayant à gagner, mais tout à perdre dans l’agitation populaire, donnèrent la preuve la plus éclatante de leur sincérité par des sacrifices continuels.

Lorsque le gouvernement se décida à sévir contre les patriotes qui avaient pris part aux assemblées publiques, en leur enlevant les positions qu’ils occupaient dans la milice et dans la magistrature, il fut l’une des premières victimes des bureaucrates.

Il vint un moment où un certain nombre de patriotes zélés crurent prudent de conseiller à leurs amis et au peuple de ne pas sortir des voies constitutionnelles pour se lancer dans celles de l’insurrection. De ce nombre fut l’un des fils de M. Dumouchel, devenu plus tard sénateur. Mais M. Dumouchel, pas plus que le Dr Chénier, ne voulut prêter l’oreille à ces conseils inspirés par l’amitié et la prudence, et, comme le héros de Saint-Eustache, il crut que la résistance aux mandats d’arrestation était possible, que, dans tous les cas elle était devenue une nécessité, un devoir même.

Après le désastre de Saint-Eustache, c’est chez lui que les chefs patriotes de Saint-Benoît se réunirent pour conseiller à leurs partisans de se soumettre et aviser aux moyens d’échapper eux-mêmes à la vengeance des bureaucrates.

M. Dumouchel s’enfuit, mais il fut trahi, à quelques milles de Saint-Benoît, par un individu qu’il avait protégé, et livré aux soldats de Colborne, qui l’amenèrent, les mains liées derrière le dos, à Montréal, et l’incarcérèrent dans la vieille prison.

Il fut bientôt rejoint par ses deux fils, Hercule et Camille, qu’on arrêta à la Mission des Sauvages, dans une cabane où ils s’étaient cachés, par M. Girouard, le Dr Masson, M. Damien Masson, etc.

M. Dumouchel supporta patiemment les ennuis et les privations de la prison. Il se mit de grâce au régime du pain et de l’eau et encouragea ses compagnons à en faire autant.

Lorsque le colonel Simpson fut envoyé par lord Durham auprès des prisonniers pour leur annoncer que, si quelques-uns d’entre eux consentaient à signer un document par lequel ils se reconnaissaient coupables de haute trahison, tous les autres prisonniers seraient amnistiés, M. Dumouchel se montra disposé à signer ce document. Cette nouvelle preuve de dévouement et de générosité émut profondément les autres prisonniers. Le Dr Masson ne se montra pas moins généreux ; il empêcha M. Dumouchel de signer en lui disant :

— Vous êtes père de famille, déjà vieux, ne vous sacrifiez pas. Pour moi, je suis jeune, que lord Durham fasse de moi ce qu’il voudra. Peu m’importe, j’aurai du moins sauvé le reste de mes compatriotes de l’exil et de l’échafaud.

M. Dumouchel ayant été mis en liberté, retourna à Saint-Benoît au milieu de parents et d’amis nombreux qui manifestèrent de mille manières touchantes le bonheur qu’ils avaient de le revoir.

Inutile de peindre les scènes émouvantes qui se passaient dans les familles, quand, après des mois d’angoisses, après avoir entendu dire mille fois que tous les prisonniers devaient être fusillés ou envoyés à l’échafaud, on voyait reparaître un mari, un père ou un frère chéri.

Mais les joies du retour n’empêchèrent pas le chagrin d’entrer dans l’âme de M. Dumouchel, quand il contempla les ruines de ses propriétés et calcula l’étendue des pertes qu’il avait subies. Il se remit au travail ; mais, affaibli par les privations et les ennuis de la prison, il ne retrouva plus son énergie d’autrefois. Ses forces disparurent graduellement, malgré les soins et les tendresses d’une famille qui le chérissait profondément, et il mourut en 1844.