Librairie Beauchemin, Limitée (Laurent-Olivier Davidp. 43-45).

BATAILLE DE MOORE’S CORNER


Après le désastre de Saint-Charles, Côté, Rodier, Duvernay, Bouchette, le Dr  Beaudrault, le Dr  Kimber et plusieurs autres, se dirigeant vers Swanton, rencontrèrent, sur la baie de Missisquoi, Papineau et O’Callaghan. On délibéra sur la situation et on fut d’opinion qu’il fallait lutter tant que le Nord ne serait pas soumis, et organiser sur le sol américain, une expédition.

Un homme se chargea de retourner au Canada pour enrôler des patriotes, pendant que ceux de Swanton et des environs feraient des préparatifs. Cet homme était un riche cultivateur de Saint-Valentin ; on l’appelait « Gagnon l’habitant. » Son patriotisme, son intelligence et son courage étaient connus de tout le monde. Son offre fut acceptée ; il parcourut les villages canadiens situés près de la frontière, et ranima tellement le courage et les espérances de ses compatriotes, qu’il se trouvait, au bout de quelques jours, à la tête d’une cinquantaine de braves.

Il part à la tête de cette vaillante cohorte, traverse à la Pointe-à-la-Mule à la faveur de la nuit, et se dirige vers la frontière. Trois corps de gardes lui barrent le chemin ; il leur échappe par la ruse et l’audace. À un certain endroit, une sentinelle le couche en joue ; il lui enlève son fusil, le brise et lui en jette les morceaux à la figure. La troupe arrive à Swanton, où elle est accueillie avec enthousiasme par les Canadiens réfugiés et par les Américains, qui faisaient en cet endroit tout ce qu’ils pouvaient pour aider l’insurrection. Jusqu’aux dames américaines qui, s’étant mises de la partie, avaient fait des souscriptions, organisé des démonstrations en faveur des insurgés, distribué même des drapeaux qu’elles avaient fabriqués et brodés de leurs propres mains. Il n’en fallait pas plus pour porter jusqu’à son comble l’enthousiasme chez des hommes déjà si bien disposés.

L’armée d’invasion se compta ; elle se composait de 70 à 80 hommes. Papineau avait dit à ces patriotes qu’ils trouveraient à Saint-Césaire un camp considérable, sous le commandement de Nelson, le vainqueur de Saint-Denis.

Malhiot, un brave et hardi jeune homme, joli et grand garçon, qui venait de Saint-Pierre-les-Becquets, fut nommé général ; Gagnon agissait comme son aide-de-camp, et les autres officiers étaient : Bouchette, Duvernay, Rodier et Beaudreault.

Bouchette avait le commandement de l’avant-garde, qui se composait de 10 hommes. Les patriotes avaient deux canons. Le 6, ils franchirent la frontière sans être molestés et prirent le chemin du Canada. À trois quarts de mille environ de la frontière, à Moore’s Corner, près de l’endroit où les chemins de Swanton et de Saint-Armand se croisent, ils aperçurent, rangés en ordre de bataille, sur une éminence, quatre cents volontaires qui les attendaient.

La lutte était impossible, mais les patriotes ne voulurent pas reculer sans avoir combattu. Les volontaires avaient l’avantage du nombre, de l’armement et surtout de la position ; ils tiraient à bout portant sur les patriotes, qui étaient obligés de s’approcher et de s’exposer pour les atteindre. Les insurgés se battirent avec courage pendant quelque temps, mais ils s’aperçurent bientôt que la lutte était ridicule, et, pour ne pas être cernés, ils reprirent le chemin des États-Unis.

Julien Gagnon, au premier rang tout le temps, reçut deux blessures ; il put fuir en s’appuyant sur les bras de deux amis. Un jeune, Patenaude, cousin de M. Bourassa, député de Saint-Jean, fut tué ; un nommé Constant Cartier fut blessé. M. Bouchette, qui avait reçu une balle à travers le pied, fut fait prisonnier dans la maison de M. Moore, où on l’avait transporté.

Les patriotes réfugiés aux États-Unis furent sensibles à cet échec, qui permettait aux autorités militaires de concentrer toutes leurs forces dans le Nord. En effet, quelques jours après, avaient lieu la bataille de Saint-Eustache et le sac de Saint-Benoît.