Les Pastorales de Longus/Préface du traducteur

Traduction par Paul-Louis Courier.
Merlin (p. v-xii).

PRÉFACE
DU TRADUCTEUR.



La version faite par Amyot des Pastorales de Longus, bien que remplie d’agrément, comme tout le monde sait, est incomplète et inexacte ; non qu’il ait eu dessein de s’écarter en rien du texte de l’auteur, mais c’est que d’abord il n’eut point l’ouvrage grec entier, dont il n’y avoit en ce temps-là que des copies fort mutilées. Car tous les anciens manuscrits de Longus ont des lacunes et des fautes considérables, et ce n’est que depuis peu qu’en en comparant plusieurs, on est parvenu à suppléer l’un par l’autre, et à donner de cet auteur un texte lisible. Puis, Amyot, lorsqu’il entreprit cette traduction, qui fut de ses premiers ouvrages, n’étoit pas aussi habile qu’il le devint dans la suite, et cela se voit en beaucoup d’endroits où il ne rend point le sens de l’auteur, par-tout assez clair et facile, faute de l’avoir entendu. Il y a aussi des passages qu’il a entendus et n’a point voulu traduire. Enfin, il a fait ce travail avec une grande négligence, et tombe à tous coups dans des fautes que le moindre degré d’attention lui eût épargnées. De sorte qu’à vrai dire, il s’en faut de beaucoup qu’Amyot n’ait donné en françois le roman de Longus ; car ce qu’il en a omis exprès, ou pour ne l’avoir point trouvé dans son manuscrit, avec ce qu’il a mal rendu par erreur ou autrement, fait en somme plus de la moitié du texte de l’auteur, dont sa version ne représente que certaines parties, des phrases, des morceaux bien traduits parmi beaucoup de contre-sens, et quelques passages rendus avec tant de grace et de précision, qu’il ne se peut rien de mieux. Aussi s’est-on appliqué à conserver avec soin dans cette nouvelle traduction jusqu’aux moindres traits d’Amyot conformes à l’original, en suppléant le reste d’après le texte tel que nous l’avons aujourd’hui, et il semble que c’étoit là tout ce qui se pouvoit faire. Car de vouloir dire en d’autres termes ce qu’il avoit si heureusement exprimé dans sa traduction, cela n’eût pas été raisonnable, non plus que d’y respecter ces longues traînées de langage, comme dit Montaigne, dans lesquelles croyant développer la pensée de son auteur, car il n’eut jamais d’autre but, il dit quelquefois tout le contraire, ou même ne dit rien du tout. Si quelques personnes toutefois n’approuvent pas qu’on ose toucher à cette version, depuis si long-temps admirée comme un modèle de grace et de naïveté, on les prie de considérer que telle qu’Amyot l’a donnée, personne ne la lit maintenant. Le Longus d’Amyot imprimé une seule fois, il y a plus de deux siècles, n’a reparu depuis qu’avec une foule de corrections, et des pages entières de suppléments, ouvrage des nouveaux éditeurs qui, pour en remplir les lacunes et remédier aux contre-sens les plus palpables d’Amyot, se sont aidés comme ils ont pu d’une foible version latine, et ainsi ont fait quelque chose qui n’est ni Longus ni Amyot. C’est là ce qu’on lit aujourd’hui. Le projet n’est donc pas nouveau de retoucher la version d’Amyot ; et si on le passe à ceux-là qui n’ont pu avoir nulle idée de l’original, en fera-t-on un crime à quelqu’un qui, voyant les fautes d’Amyot changées plutôt que corrigées par ses éditeurs, aura entrepris de rétablir dans cette traduction, avec le vrai sens de l’auteur, les belles et naïves expressions de son interprète ? Un ouvrage, une composition, une œuvre créée ne se peut finir ni retoucher que par celui qui l’a conçue ; mais il n’en va pas ainsi d’une traduction, quelque belle qu’elle soit ; et cette Vénus qu’Apelle laissa imparfaite, on auroit pu la terminer, si c’eût été une copie, et la corriger même d’après l’original.

Nous ne savons rien de l’auteur de ce petit roman : son nom même n’est pas bien connu. On le trouve diversement écrit en tête des vieux exemplaires, et il n’en est fait nulle mention dans les notices que Suidas et Photius nous ont laissées de beaucoup d’anciens écrivains : silence d’autant plus surprenant, qu’ils n’ont pas négligé de nommer de froids imitateurs de Longus, tels qu’Achilles Tatius et Xénophon d’Éphèse. Ceux-ci contrefaisant son style, copiant toutes ses phrases et ses façons de dire, témoignent assez en quelle estime il étoit de leur temps. On n’imite guère que ce qui est généralement approuvé. Nicétas Eugénianus, dont l’ouvrage se trouve dans quelques bibliothèques, n’a presque fait que mettre en vers la prose de Longus. Mais le plus malheureux de tous ceux qui ont tenté de s’approprier son langage et ses expressions, c’est Eumathius, l’auteur du roman des Amours d’Ismène et d’Isménias. Quant à Héliodore, ce qu’il a de commun avec notre auteur se réduit à quelques traits qu’ils ont pu puiser aux mêmes sources, et ne suffit pas pour prouver que l’un d’eux ait imité l’autre. Quoi qu’il en soit, on voit que le style de Longus a servi de modèle à la plupart de ceux qui ont écrit en grec de ces sortes de fables que nous appelons romans. Il avoit lui-même imité d’autres écrivains plus anciens. On ne peut douter qu’il n’ait pris des poëtes érotiques, qui étoient en nombre infini, et de la nouvelle comédie, ainsi qu’on l’appeloit, la disposition de son sujet, et beaucoup de détails, dont même quelques uns se reconnoissent encore dans les fragments de Ménandre et des autres comiques. Il a su choisir avec goût et unir habilement tous ces matériaux, pour en composer un récit où la grace de l’expression et la naïveté des peintures se font admirer dans l’extrême simplicité du sujet. Aussi aura-t-on peine à croire qu’un tel ouvrage ait pu paroître au milieu de la barbarie du siècle de Théodose, ou même plus tard, comme quelques savants l’ont conjecturé.