LES PARIAHS.

Croira-t-on qu’il existe dans le monde un pays où une partie de la population est née pour l’avilissement, et vouée pour la vie au plus souverain mépris par le reste de ses compatriotes ? Telle est cependant la vérité : ce pays est l’Inde, et cette race est celle des Pariahs. Comme tout est image dans la religion de Brahma, et comme les usages civils sont fondés sur des préceptes religieux, la distribution des Indiens en castes doit reproduire une allégorie. Ainsi la croyance qui fait sortir les Pariahs et en général toute la caste des Sudras des pieds du dieu, indique assez une servilité et les emplois humilians auxquels les attache une irrévocable destinée, le hasard de la naissance. Ces Sudras forment une caste très-nombreuse, qui se subdivise à l’infini, suivant la condition à laquelle chaque individu est appelé ; et, à quelques exceptions près, c’est toujours la profession de sa tribu. L’Inde seule conserve ce phénomène des mœurs antiques qui ne permet à personne d’abandonner la profession de son père.

Les Pariahs vivent hors des villes, se nourrissent de rats, de souris et d’insectes, et en général de tout ce qu’il y a de plus immonde. L’aversion qu’ils inspirent est telle, que tout individu, soit mahométan, soit hindou, se croirait souillé, s’il communiquait avec eux. Le Pariah écorche les animaux morts, tanne leur peau, se nourrit de leur chair, nettoie les égouts et transporte les immondices ; il fait aussi le métier de cordonnier, de sellier, etc., etc.

Quelle affreuse existence que la sienne !!! L’entrée des temples lui est interdite, ainsi que celle des marchés publics ; il ne saurait, sans encourir les peines les plus sévères, paraître dans le quartier des Brahmes ; il doit fuir leur vue ; le vase qu’il a touché n’est plus bon qu’à être brisé s’il est de terre, et fondu s’il est de métal. Doit-on s’étonner après cela si, dans un tel état d’abrutissement et d’esclavage, le Pariah vit au milieu de tous les vices, si son aspect est repoussant, si l’Européen lui-même éprouve une sorte de répugnance à se faire servir par lui ?

Dans l’île de Ceylan, comme dans tout le reste de l’Inde, les Pariahs habitent des huttes construites en feuilles de cocotier ; malheur à celui qui oserait couvrir sa chaumière de tuiles ! il serait de suite lapidé par le reste de la population. Les femmes de cette caste n’oseraient pas non plus se couvrir le sein devant des étrangers ; le moindre linge dont elles s’envelopperaient leur serait sinon arraché (car on aurait horreur de toucher ce qu’elles portent), mais leur attirerait la vengeance publique. Voilà ce qui existe dans une contrée civilisée où les puissances européennes gouvernent depuis si long-temps ; rien cependant ne peut changer cet état de choses, et l’essayer serait mettre en danger la tranquillité même du pays. Le Pariah, malheureusement pour l’humanité, sera toujours Pariah ; c’est là le résultat de la force sociale dans cette partie du monde.

Le comte de Noé, pair de France.