Les Pantins des boulevards, ou bordels de Thalie/04-2

Poulet-Malassis (1 et 2p. 5-39).

LES PANTINS
DES BOULEVARDS


QUATRIÈME CONFESSION




THÉÂTRE DES GRANDS DANSEURS DU ROI.


le compère mathieu.

Enfin, me voici donc sur les planches ignobles des baladins du théâtre de Nicolet. C’est ici que je vais avoir besoin de toute mon attention. Quelle infâme revue je vais faire, et que d’horreurs vont se débiter ! Mais déjà je vois arriver la foule de ces histrions sans délicatesse, directeur et directrice en tête. Allons, voyons, et interrogeons au hasard.

(À Nicolet.)

À tout seigneur, tout honneur ! Vieux fouailleur, ta vie doit former une collection rare de sottises, de luxure, d’avarice et de bêtise ; car, depuis que ton père, à la sueur de son front, t’a ménagé une brillante fortune en jouant du tympanon dans les guinguettes de Paris, malgré ta lésinerie, tu n’as pas laissé que de sacrifier au plaisir.

nicolet.

Et maintenant plus que jamais, quoique mes facultés soient bien épuisées. Je ne fouts plus, à la vérité, parce que c’est pour moi de toute impossibilité ; mais la vue d’un con me fait encore plaisir, et la jouissance de dix écus que ma femme met par chaque matinée dans ma pochette, pour lui laisser sans trouble la direction du ménage, m’en procure l’agrément.

le compère mathieu.

Comment ! vieux juif, dix écus pour tes menus plaisirs ?…

nicolet.

Pour mon tabac et pour le cotillon, sans compter les sommes énormes que j’ai prodiguées à Rivière[1], à Sophie Forest[2] et à mille autres.

le compère mathieu.

Et sans doute que, par représailles, ta femme saigne abondamment la recette pour assouvir les irruptions de son tempérament ? Je veux te donner l’humiliation d’entendre de sa propre bouche le récit de ses fredaines. (À madame Nicolet.) Avancez, fausse prude, bégueule consommée, et régalez-nous de l’aveu de vos aimables folies. Qu’avez-vous fait de votre charmant abbé Robineau de Beaunoir[3] ?

madame nicolet.

Ah ! je suis outrée contre lui ! Le scélérat ! le traître ! il ne me le met plus ! Non content de m’avoir extorqué tout ce qu’il a pu, il brave mon ressentiment, en foutant avec la première gueuse qu’il enrichit de mes dépouilles.

nicolet.

Comment ! madame, ce n’était pas assez pour vous de me faire cocu avec ce foutu gredin, vous lui donniez mon argent ! Ah ! voilà, par exemple, ce que je ne vous pardonnerai jamais !

madame nicolet.

Oui, mon cher époux ; dans ces temps délicieux où vous vous amusiez à foutrailler vos petites guenons de danseuses, l’abbé, charmant à cette époque précieuse, vous en plantait sur la tête, et, je vous l’avouerai, je ne fus jamais aussi bien foutue que par lui.

nicolet.

Comment ! et moi donc ?

madame nicolet.

Vous, pauvre imbécile, pouvez-vous entrer en comparaison avec l’abbé, vous qui ne bandez qu’à l’aide d’une poignée de verges ? Et vous bandez encore Dieu sait comment : vingt fois j’en ai fait avec vous la plus désagréable épreuve. Mais l’abbé ! ah ! mon cher mari, voilà ce qu’on peut appeler le fouteur par excellence. Tenez, de grâce ! faites attention à mon récit, et plaignez-moi de ne plus ressentir le plaisir voluptueux de ses ardentes caresses.

nicolet.

Ah ! parbleu ! c’en est trop ! Quoi ! il faut encore que j’écoute ce détail atroce ! Eh ! n’est-ce pas assez de vous avoir épousée par les ordres de ce coquin de Sartines, pour ménager ma fortune, et avec lequel vous ajoutiez à mon déshonneur ! N’est-ce pas assez de vous avoir pardonné vos fouteries avec Lenoir, autre scélérat de lieutenant de police, avec Maillot, sans encore essuyer la bordée de votre honteux commerce !

madame nicolet.

Eh bien ! n’allez-vous pas encore faire l’enfant, comme si vous ne deviez pas être fait à tous ces petits détails !

le compère mathieu.

Allons ! allons ! croyez-moi, gros bougre, avalez doucement la pilule en faveur de l’habitude.

madame nicolet.

Oui, je me plairai toujours à m’entretenir de ce charmant abbé. Tout monstre, tout roué qu’il est, je le regrette et le regretterai toujours. C’est en vain que je me suis prostituée depuis sa perte pour pouvoir rencontrer son pareil : je suis encore à le trouver. Il fout comme un dieu, il branle comme un archange, et son doigt divin, ce doigt major qu’il emploie avec tant de célérité, tant de grâce, a toujours causé dans mes sens un ravissement inexprimable. Hercule et Priape même m’eussent causé moins de plaisir !

nicolet.

Vous en parlez, madame, comme si vous éprouviez même en ce moment cette fouterie délicieuse.

madame nicolet.

Vous l’avez dit, je brûle de foutre ; mais apprenez ce que vous avez ignoré jusqu’à ce moment. C’est dans ce pavillon que j’avais loué à Belleville, sous le prétexte de ma santé, et dont l’entrée vous était interdite, que je passai avec l’abbé les plus chers instants ; là, notre unique occupation était de foutre. Ah ! mon cher mari, vous vous seriez extasié en voyant mon cher Beaunoir, sous le costume d’un abbé voluptueux, glisser son index libertin dans mon clitoris, et baiser avec ivresse toutes les parties de mon corps. Tous les feux de l’amour étaient dans ses yeux. Je le pinçais, je le mordais amoureusement, et lorsque par son moyen j’avais bien et dûment déchargé, je le branlais alors par reconnaissance. Des torrents de foutre inondaient le théâtre de nos caresses lubriques, et nous nagions l’un et l’autre dans une mer de délices.

nicolet. Vous êtes une grande coquine ; mais je ne veux pas être en reste avec vous. Apprenez à votre tour que si vous m’avez orné la tête de cornes aussi bien conditionnées, que, de mon côté, je n’existe que pour foutre, que je consacre tous les instants où je promène ma massive oisiveté à prendre les fesses des gourgandines de mon spectacle, que je ne cesserai le cours de mes orgies qu’en rendant à la terre le vil fardeau de mon individu, dussiez-vous en crever de dépit !

Oui, je foutrai sans nuls égards,
En osant braver vos regards,
Et la brune et la blonde,
Et depuis le soir au matin,
Auprès du con de ma putain,
Foutant par ci,
Branlant par là,
Pour ce je suis au monde.

Or, chacun de notre côté
Recherchant la félicité
Dans ce si beau délire,
Que le foutre en épais bouillons,
Signale à jamais mes couillons !
Foutons par ci,
Branlons par là,
Oui, Priape m’inspire.

le compère mathieu.

On ne peut nier que vous soyez deux époux bien dignes l’un de l’autre : on peut juger du bercail par les pasteurs. Ainsi donc, vous, madame Nicolet, qui affichez maintenant la réforme, vous ne foutez plus faute d’amants, et votre gros pourceau d’Épicure forme le serment de mourir dans la peau d’un sale débauché ! Je vous félicite l’un et l’autre de votre conduite ; mais, avant de vous retirer, profitez de mes conseils, ou tout au moins daignez les entendre.

Air : Une fille de village.

Vieil apôtre de Luxure,
Sale et dégoûtant mortel,
Ne montre plus ta figure
Au cloaque et au bordel :
Il est temps que la prudence
Vienne éclairer tous tes pas.
Eh quoi ! la concupiscence
Te suivra-t-elle au trépas ?

Pour vous, trop zélée fouteuse,
Retenez ce que j’ai dit :
Que l’on pouvait être heureuse
Sans courir après un vit.
Laissez donc à la jeunesse
Ces plaisirs purs et charmants :
Vieille infernale bougresse
Doit renoncer aux amants.

Mais quel groupe se présente ? Mayeur, Talon, Ribié, Forest cadette ! Voilà pour cette fois l’honneur du putanisme, les plus fermes appuis du coquinisme. Encore Langlois ! Honneur à la bande joyeuse ! Commençons par le chef des gredins du rempart, fripon avéré, escroc décidé, lâche et vil baladin. C’est toi, Ribié, que j’interpelle de me répondre.

ribié.

Parbleu ! mon cher compère, je ne me serais pas mieux désigné : il faut que vous me connaissiez prodigieusement pour me peindre si naturellement ; mais ajoutez à mon éloge pompeux que je suis encore le plus fameux des libertins, que toutes les jouissances sont de mon ressort, et qu’il n’est sorte de fouterie que je n’aie mise en usage.

le compère mathieu.

Je m’en rapporte à toi. On assure même que ta coutume favorite est de faire de ta femme un Ganymède.

ribié.

Et ne faut-il pas que je la prenne par quelque part ! Ignorez-vous, mon cher compère, qu’à l’époque de mon mariage avec la demoiselle Lacour, fatigué de courir la prétantaine avec elle, d’opérateurs en opérateurs, rongés de vérole l’un et l’autre, nous prîmes le parti de recourir aux pilules antivénériennes ? Elles firent sur moi le plus merveilleux effet ; mais il n’en fut pas de même d’elle, et je fus obligé de me contenter de la sodomiser, puisque je ne pouvais plus jouir de son con. Bientôt je me dégoûtai d’elle, et je foutis quelques courtisanes de la capitale, au nombre desquelles je citerai Blondi, Dargent et Colombe, du Théâtre-Italien. Après avoir consommé plusieurs exécrables banqueroutes, je fus obligé de vider le pays, et de partir pour l’Amérique. J’emportais avec moi l’espérance que le trajet me délivrerait de ma compagne ; mais le sort ne m’a pas donné cette faveur.

le compère mathieu.

Quoi ! malgré ses excès, ses débauches, elle existe encore ?

ribié.

Hélas ! oui, pour mes péchés. C’est elle que j’accuse en partie de mes sottises. Elle a le plus contribué à ma réputation d’escroc ; et si je compte autant de créanciers que j’ai à peu près de connaissances, c’est à ses déréglements honteux que je dois cet avantage.

le compère mathieu.

Et votre café du Temple.

ribié.

Fondu avec l’argent des dupes qui m’avaient procuré cet établissement. Je compte repartir pour l’Amérique avec Mayeur, Talon et Varennes. Attendez-vous à mon retour à de nouvelles prouesses ; à moins qu’une bourrasque n’ensevelisse dans l’onde l’énorme amas de mes crimes et de mes monstruosités.

le compère mathieu.

Mais pourquoi avoir escroqué cette pauvre Beaulieu qui vous aimait tant ?

ribié.

Parce que l’argent d’une sotte putain doit être le patrimoine des gens d’esprit. D’ailleurs c’est là ma sphère : foutre et escroquer sont mes seules délices.

Ture, lure, lure et flon, flon,
Chacun a son ton, son allure.

le compère mathieu.

Mais avant d’être mariée, votre femme ne raccrochait-elle pas ? C’est son titre à la gloire, dit-on. Cela serait-il bien possible ?

ribié.

Eh ! sans doute, je la pris au bordel ; mais ne la regardez pas pour cela comme une Messaline. Madame valait monsieur, et pour me servir de l’expression des halles, c’était à proprement parler, le mariage de Saint-Sauveur.

le compère mathieu.

Et vous vous en vantez ?

ribié.

Eh ! pourquoi non ? Chacun dans ce bas-monde est fils de ses œuvres. Eh ! n’était-il pas naturel qu’un vaurien s’unît avec une gredine ? La pelle et les sabots étaient du même bois !

le compère mathieu.

Ribié, moule de coquin,
Fripon lâche et vrai gredin,
Courez toujours la coquine,
Tant qu’à la fin votre pine
Ait le plus fâcheux destin,

C’est bien, c’est bien,
Cela ne me blesse en rien,
Et que votre femme fouteuse,
Soit toujours gueuse (bis).

De tant de charmants pantins,
De coureuses, de catins,
Soyez toujours le modèle,
Et que d’une vie si belle,
À la Grève soit la fin !
C’est bien, c’est bien,
Cela ne me blesse en rien :
Le ciel à cela vous destine,
Pour votre ruine (bis).

(À Mayeur.)

Voilà notre petit étourneau. Eh bien, Mayeur, comment va la fouterie ?

mayeur.

À l’ordinaire. Ma chère Gavaudan, toujours aussi folle et aussi éprise de moi que jamais, y vit toujours en commerce réglé. Elle reçoit la pension que le baron de Phorbe[4] assigna sur son cul, (le plus joli cul de toute la terre), et moi je la mange.

le compère mathieu.

Bon ; maquerotin tout comme un autre !

mayeur.

Eh ! pourquoi pas ? Pourquoi dérogerais-je aux mœurs de mes confrères ? Chacun vit de son métier.

le compère mathieu.

C’est une charmante fouteuse que cette Gavaudan.

mayeur.

De trois sœurs qu’elles sont, c’est la plus coquine. Aussi fait-elle de moi un squelette ambulant. Ce n’est pas une petite corvée que de contenter les désirs lascifs de cette aimable débauchée ; et si elle ne m’accordait pas plusieurs adjoints, je n’en viendrais jamais à bout.

le compère mathieu.

C’est-à-dire qu’elle se prostitue à tous venants beau jeu.

mayeur.

Eh ! vivrions-nous sans cela !

le compère mathieu.

Lui fais-tu toujours des couplets ?

mayeur.

Oui, avec mon teinturier. Tenez, voici ses étrennes :

Dans ce jour où l’année commence,
Reçois par ci, reçois par là,
Gavaudan, que le foutre encense,
Mes vœux par ci, mes vœux par là ;
Sois toujours aimable coquine,
Et chacun te chantera.

Fouts bien par ci, fouts bien par là,
Le ciel te forma pour la pine ;
Fouts bien par ci, fouts bien par là,
C’est le vrai bonheur que cela !

Lorsque ta main leste chatouille
Mon vit par ci, mon vit par là,
Oui, je sens se gonfler ma couille,
Ah ! quel feu brûlant que cela !
Le foutre m’embrase et dévore
Ce vit brûlant que tu branlas
Souvent par ci, souvent par là.
Dieu ! quel plaisir ; j’y suis encore !
Foutons par ci, foutons par là,
Mourons tous deux comme cela.

le compère mathieu.

J’aime à t’entendre, Mayeur ; il est vrai que je te distingue de l’assemblage de coquins avec lequel tu es assimilé. Fouts, mon ami, fouts toujours, mais que ce soit sans bassesse. On peut foutre, on le doit même ; mais il faut être honnête homme.

(À Forest cadette.)

Eh bien ! jeune ingénue, quel est le tenant ?

forest cadette.

Ah ! depuis que je ne fustige plus le postérieur étique de Bertin (des parties casuelles), je fouts tantôt avec mes camarades, tantôt je me branle avec mes sœurs ; mais, au fait, je m’ennuie. De temps à autre, Nicolet se fait tâter les bonnes grâces : cela me dispense des amendes, mais c’est un polacre.

le compère mathieu.

Eh quoi ! ce Bertin, après avoir foutu votre sœur, s’est rabattu sur vous ? Ce jeanfoutre-là s’est donc promis de foutre toutes les femmes du taudion de Nicolet ?

forest cadette.

Ne croyez pas qu’il me l’ait jamais mis. Comme je viens de vous le dire, j’étais réservée à l’honneur de le faire bander, en le fustigeant de la bonne manière. Il est incroyable avec quel délicieux plaisir je lui administrais le fouet. Ses grimaces et ses contorsions de satyre me faisaient rire aux larmes. J’en étais quelquefois fatiguée, mais ses écus me dédommageaient.

le compère mathieu.

Ta sœur aînée vaquait-elle à la même occupation ?

forest cadette.

Eh ! pourquoi non ? C’est la passion du monsieur : il faut contenter ceux qui nous paient ; mais, à l’égard de ma confession, tenez, voilà l’ami de mon cœur. (Montrant Talon.) Nous ferons d’une pierre deux coups. C’est mon fouteur actuel, pour qui je me sens le plus de prédilection. Écoutez-le parler avec son ton doucereux, son air emprunté. Ah ! c’est un gaillard qui pince du jarret.

le compère mathieu.

C’est un maussade adorateur que ce Talon ; n’importe, entendons-le. Eh bien, hypocrite, qu’est devenu votre frère ?

talon.

Après avoir frisé la corde, il a fait fortune, et moi je cours après.

le compère mathieu.

Mais, cependant avec vos appointements, vous devez être à votre aise.

talon.

Eh ! sans doute cela serait ainsi, si le bordel ne m’emportait pas le plus beau, le plus solide de mon revenu.

le compère mathieu.

Comment ! à votre âge, vous payez pour foutre une femme ?

talon.

C’est la vérité ; mais que voulez-vous ? J’ai des goûts si particuliers, des passions si extraordinaires, qu’il faut bien que je sois prêt à la cadence du pouce, si je veux me satisfaire ; je vous avoue même, mon cher compère, que je serais absolument blasé sur l’excès des jouissances, si le raffinement que j’apporte dans la fouterie ne me faisait recouvrer quelques pouces de vit de plus.

le compère mathieu.

Sans doute, votre ancienne fouterie, cette demoiselle Lafrance, qui passait pour une virtuose dans l’art de foutre, vous a, à cet égard, donné de fortes notions ?

talon.

C’est à elle que je dois mon expérience. Avec quelle satisfaction j’ai foutu cette femme lubrique et sensuelle ! Elle semble n’y pas toucher ; mais, entre deux draps, ah ! compère Mathieu, c’est le foutre qui circule dans ses veines : chute de reins admirable, croupe divine, fesses grosses et faites au tour ! Je bande chaque fois que j’y songe, et je crois, en bonne conscience, que cela doit m’être bien permis. Quant au demeurant de ma confession, que puis-je vous dire de plus, sinon que je fouts quand je peux, et que je ressemble de tous points à l’honorable cohorte que vous venez d’entendre.

le compère mathieu.

Et vous faites bien. Tenez, mon cher Talon, voici de la morale !

Le plus beau cul de la terre,
Sitôt qu’il me fait bander,
Croyez que je le préfère,
Qu’on me le voit demander.
Lorsqu’une sacrée garce

Fout d’une étrange façon,
Je dédaigne cette farce,
Et je plante là son con.

Vous tenez de l’enculage :
Être bougre ne vaut rien ;
C’est un triste personnage.
Dans le con est le vrai bien.
Abjurez donc la culotte,
Et soyez bien convaincu
Que les charmes d’une motte
Valent mieux que ceux d’un cul.

Mais restez et aidez-moi à donner audience au reste de votre sequelle. Quel est ce flandrin dont la mine si pâlotte ressemble à un malade d’amour ?

talon.

C’est Branchu, qui, suivant la mode actuelle, fait le coup de pistolet : il en a été pour un bras cassé. Pourquoi n’est-il pas plus adroit à amorcer son arme qu’à foutre sa femme ?

le compère mathieu.

Sa femme ? N’est-ce pas cette coquine qui vivait avec de Moite, chanteur de café, et le plus méprisable gredin des musicos des boulevards ?

talon.

Directement, et ce n’est encore que son huitième amoureux en date.

le compère mathieu.

Et cette jeune élégante ?

talon.

Langlois, la plus charmante, la plus fine et la plus aguerrie de nos coquines.

langlois.

Un instant, mon cher camarade, un instant ; je n’ai pas besoin d’interprète, et je me réserve la gloire de me faire connaître. Oui, mon cher compère Mathieu, je suis le coryphée de la bande des fouteuses à Nicolet, et je vous puis protester, en bonne conscience, que je suis la plus ardente sectatrice des plaisirs de l’amour, que c’est la seule divinité que j’encense, et que la fouterie a tant d’attraits pour moi, que son ascendant est irrésistible. Je ne veux, je ne désire qu’un vit ferme et de grosseur proportionnée à la gaîne que je lui destine. Si vous le voulez, faites-en l’épreuve : je suis à votre service.

le compère mathieu.

Bien obligé ! Je me passerai bien d’une pareille aubaine ; et pour vous le prouver, je passe à d’autres. Quel est ce visage de cocu ? Comment te nomme-t-on ?

boulanger.

Boulanger.

le compère mathieu.

Quoi ! tu serais le fils de cette femme que tu conduisais jadis par les rues, en vendant du fil et des rubans ?

boulanger.

Moi-même.

le compère mathieu.

Tu es donc aussi le mari de cette infâme tribade qui, couturière, rue de Bourbon, sacrifiait tout à l’exercice de la pantoufle, et se faisait une gloire infinie de renchérir sur les Souke, les Arnoux et tant d’autres coquines, les plus déterminées branleuses de la capitale ?

boulanger.

Eh ! c’est encore moi !

le compère mathieu.

Hélas ! pauvre bougre, je te plains.

boulanger.

Eh ! pourquoi ? Ma femme est une coquine, je le sais et m’en console avec d’autres. Qu’elle se branle si telle est sa marotte ; moi, je me fais branler, et dans le meilleur des modes possibles. Comme vous le voyez, tout est au mieux.

le compère mathieu.

Ta philosophie est agréable : ce devrait être celle de tous les hommes. Quel est cet efflanqué dont la mine bourgeonnée annonce un ivrogne, ou, ce qui serait encore pis pour lui, un vérolé ?

boulanger.

C’est Monvel, un échappé de la pétaudière des associés, un cancre, un vilain ancien maquereau de la halle neuve, et maintenant presque un pestiféré.

le compère mathieu.

Il en a bien la mine… Et quelle est cette évaporée qui l’accompagne ? Ou je me connais peu en femmes, ou c’est une fouteuse.

la demoiselle donion[5].

Tu ne te trompes pas, compère ; oui, je ressemble en tout point à ma mère, coquine s’il en fut ; et pour t’en donner des preuves, c’est que je fous avec le premier venu ; mais Destival est mon héros. Ah ! ma foi ! vive ce fouteur pour une joute amoureuse ! Épaules carrées, jarrets tendus, ah ! c’est un homme divin pour le coït : il est infatigable sur cet article ; ah ! oui, c’est un trésor !

le compère mathieu.

Et ce vieux Rodrigue qui paraît bouder dans un coin ?

la demoiselle donion.

C’est Richer, le père adoptif du jeune et petit Hercule, de qui je convoite le pucelage, et qui, grâce au ciel, me le donnera, ou je mourrai à la peine. Ah ! foutu compère, c’est que c’est une jouissance que le pucelage d’un adolescent ferme et vigoureux. L’eau m’en vient à la bouche, dans l’attente d’un plaisir aussi délectable.

le compère mathieu.

C’est ce que je vous souhaite, au nom de la bienheureuse sainte fouterie. Où donc est le grand vit sec de Constantin ? Pourquoi ne songe-t-il pas à son devoir ?

la demoiselle donion.

Il est en commission pour son gros benêt de directeur. Après avoir coopéré à sa fortune, il fait maintenant le pied de veau auprès de lui.

le compère mathieu.

C’est la ressource des plats… Au dernier les bons ! Notre cher Guillaumon ! car le reste de cette crapule ne vaut pas la peine d’être cité. Eh bien ! Guillaumon !

guillaumon.

Toujours le même, aimant les femmes et le vin : voilà les charmes de ma vie. Vous savez comme je me suis élevé de la poussière des coulisses au grade éminent de comédien ? Je m’en trouve bien. Je jouis de la vie, et je suis toujours heureux, sans ambition.

le compère mathieu.

Fous-tu journellement Émilie Rousseau ?

guillaumon.

C’est mon passe-temps le plus cher ; et cette coquine est bien faite pour inspirer du plaisir et pour en recevoir : c’est le chef-d’œuvre des grâces.

le compère mathieu.

Et l’exemple des garces. Mais brisons là. Allons, fameux débauchés, prostituées, coquines, recevez en général le petit mot d’avis.

Chers amis de la bouteille,
Vous, détestables gredins,
Qui croyez que c’est merveille
De bien branler des putains,
Dans ce bordel, où la corde
Fut le principal bonheur,
Non, point de miséricorde,
Pour des fripons sans honneur.

Sophie, aimable branleuse,
Jouez toujours du cotillon ;
Vous fûtes toujours heureuse,
Prêtant votre joli con ;
À ce con je rends hommage,
Et toujours je vous prédis
Que votre plus bel ouvrage
Est de bien branler un vit.

Ribié, ennoblis la scène
Par l’horreur et les forfaits ;
Talon, branle Melpomène,

Mayeur, ajoute à ces faits.
De votre naissance obscure,
Conservez toujours le ton,
Pour outrager la nature,
Ne quittez jamais le con.


  1. Maintenant danseuse à Londres.
  2. Qui quitta Nicolet pour Bertin, des Parties casuelles.
  3. Robineau de Beaunoir était abbé sans abbaye, puisqu’il était marié ; il ne portait la culotte que pour pouvoir posséder la place qu’il occupait de sous-bibliothécaire de la bibliothèque du roi.
  4. Gentilhomme d’honneur de Monsieur, frère du roi.
  5. Fille du répétiteur des ballets, l’un des fameux cocus des boulevards.

notes de wikisource modifier

  1. Note de wikisource : Pour la référence à la Clé du caveau, cf. Charles Malo, Les Chansons d’autrefois, vieux chants populaires de nos pères, Google