Les Pères de l’Église/Tome 4/Fragment des Hypotyposes (saint Clément)


Hypotyposes (fragment)
Texte établi par M. de GenoudeSapia (Tome quatrièmep. 449-476).


FRAGMENT DES HYPOTYPOSES.


CHAPITRE PREMIER.


Les recherches de la philosophie ou de la théologie doivent avoir pour but d’arriver à quelque chose de certain.


Les philosophes de la haute antiquité n’arrivaient point à l’incertitude et au doute, encore moins les Chrétiens qui ont embrassé la philosophie véritable, et auxquels l’Écriture impose l’obligation de chercher et d’examiner, afin de découvrir où est la vérité. Mais les philosophes modernes de la Grèce, emportés par le désir de la vaine gloire, n’aboutissent, dans leurs éternelles discussions, qu’à une stérile loquacité. Contemplez, au contraire, la philosophie barbare. Repoussant, dès l’origine, tout esprit de contention, « cherchez, dit-elle, et vous trouverez ; frappez, et l’on vous ouvrira ; demandez, et il vous sera donné. » Or, le discours qui procède par interrogations et par réponses frappe, si je ne me trompe, à la porte de la vérité au moyen de l’investigation et de l’examen. La barrière qui faisait obstacle à l’esprit est elle tombée, alors s’engendre la contemplation scientifique. Oui, la porte s’ouvre devant ceux qui frappent avec ces dispositions. Oui, Dieu récompense, par le don sacré de la connaissance et de la compréhension auxquelles ils aspirent, les hommes qui l’interrogent ainsi sur les Écritures. Leur intelligence s’illumine des lumières qui résultent de l’examen. Impossible, en effet, de trouver sans chercher ; de chercher sans examiner ; d’examiner sans écarter les ombres et les voiles, afin que l’investigation mette en évidence l’objet de ses recherches ; impossible enfin de s’appliquer à de scrupuleuses investigations sans recevoir le prix de ses efforts, c’est-à-dire la connaissance de la vérité qui motivait l’examen. Ainsi donc, à celui qui cherche, de trouver ; mais aussi à celui qui est préalablement convaincu qu’il ne sait pas, de chercher ! Conduit par un tendre et saint désir vers la beauté, il la cherche avec amour, sans contestations jalouses, fermant son cœur aux suggestions de la vaine gloire, interrogeant, répondant, et pesant avec attention les arguments qui lui sont donnés. Cette marche méthodique est rigoureusement nécessaire, non pas seulement dans l’étude des saintes Écritures, mais même dans les connaissances les plus vulgaires, afin que la découverte aboutisse à quelque résultat dont l’utilité soit incontestable. Renvoyons à un autre théâtre et aux oreilles de la multitude ces hommes de bruit et de vanité dont la bouche ne connaît qu’un flux de paroles digne des places publiques. Tel n’est pas le disciple et l’ami de la vérité. Pacifique, et totalement dégagé de lui-même dans les recherches qui ont pour résultat la démonstration scientifique, il n’apporte à la compréhension de la vérité d’autre passion que le désir de la connaître.


CHAPITRE II.


Premier moyen d’arriver à la certitude ; définir les noms et les choses.


Point de méthode plus sûre et plus lumineuse au début d’un pareil enseignement, que de définir le mot sur lequel porte la discussion, et cela en termes si clairs, que tous ceux qui parlent la même langue en conçoivent une idée nette et distincte. Le mot blitry[1], par exemple, vide de sens, entre-t-il dans le domaine de la démonstration ? Non sans doute. Voilà pourquoi, ni le philosophe, ni l’orateur, ni le juge, ni aucun plaideur ne cherche à l’expliquer ou à le définir. Ils savent que ce mot ne représente aucune idée. Mais les esprits philosophiques cherchent la démonstration comme quelque chose de subsistant et de réel. Quelle que soit la question en litige, il convient de rattacher le discours à un principe, placé en dehors de la controverse, et sur lequel s’entendent généralement les hommes de la même langue et de la même nation. Il devient alors comme un point de départ. Cela posé, on examinera s’il existe ou non avec l’idée qu’on y attache communément. Son existence est-elle constatée ? On examinera soigneusement quelle est sa nature, et s’il ne renferme rien de plus que la définition dans laquelle on le circonscrit. Il ne suffit point de dire en termes généraux, sur la question litigieuse, ce qui passe par la tête, car l’adversaire a de son côté le même privilége. Mais il faut appuyer par des preuves la proposition avancée. Que si le jugement des deux champions prenait pour point d’appui un principe, également contesté, la discussion se prolongerait indéfinement, sans pouvoir être amenée à une démonstration. Si, au contraire, un principe avoué de tous vient étayer une proposition douteuse, il devra être le principe constitutif de la doctrine. Il faut que toute proposition repose sur une définition hors de controverse, et manifeste pour tous ceux qui partagent cette délibération, puisqu’elle est destinée à servir de principe à la thèse, et à mettre dans son jour la démonstration de la vérité que l’on cherche. Supposons, par exemple, que le mot sur lequel nous discutons soit le soleil. Les Stoïciens le définissent « un flambeau alimenté par les eaux de la mer et doué d’intelligence ; » mais cette définition, qui a besoin d’une autre démonstration pour constater si elle est légitime, n’est-elle pas plus obscure que le mot lui-même ? Il vaut donc mieux dire, en termes communs et intelligibles, qu’on appelle du nom de soleil l’astre le plus brillant de tous ceux qui parcourent le Ciel. Cette proposition me paraît plus digne de foi, plus claire, et plus généralement reconnue.


CHAPITRE III.


Le second moyen, c’est la démonstration. — Différence entre la démonstration et le syllogisme.


De même tous les hommes s’accorderont à dire que la démonstration, est conforme à la raison quand elle confirme le point douteux et débattu par les principes qui sont avoués et tenus pour certains. Comme la démonstration, la foi et la connaissance, la prénotion est double ; l’une est scientifique et durable, l’autre appartient à l’espérance uniquement. On appelle véritablement démonstration celle qui engendre dans l’âme du disciple la foi scientifique ; les autres ne sont que conjectures et opinions. Il en va de même de l’homme. L’homme véritable est celui qui possède le sens commun, les autres tiennent du sauvage et de la brute. C’est ce qui a fait dire au poëte comique : « Gracieux animal que l’homme, jusqu’à ce qu’il devienne homme véritable. » On peut en dire autant du bœuf, du cheval, du chien, à proportion de la vigueur ou de la faiblesse de l’animal. N’envisageant que la perfection du genre, nous nous arrêtons aux qualités les plus excellentes. Ainsi, par médecin, nous comprenons un homme auquel ne manque aucune des facultés médicales ; par Gnostique, un homme abondamment pourvu de la connaissance scientifique. L’indication diffère du syllogisme, en ce qu’elle ne représente que l’objet signifié et se confond avec lui. Ainsi la grossesse est l’attestation qu’une femme n’est plus vierge. Dans le syllogisme, au contraire, la proposition, quoique unique, se combine d’indications multiples. Ainsi, que Python ait trahi Byzance, la culpabilité résulte d’arguments nombreux. Conclure d’après les aveux de l’adversaire, c’est former un syllogisme ; conclure d’après des principes reconnus pour vrais, c’est démontrer. À ce titre, la démonstration renferme un double avantage ; ici, parce qu’elle s’appuie sur des principes incontestables pour prouver le point litigieux ; là, parce qu’elle tire une conclusion légitime et d’accord avec ces principes. Que le principe n’existe pas, c’est-à-dire que de prémisses erronées[2] vous tiriez une conséquence bien déduite, au lieu d’avoir établi la démonstration, vous n’avez fait qu’un syllogisme. Encore un coup, le syllogisme consiste uniquement à tirer une conclusion légitime et d’accord avec les prémisses. Au contraire, avez-vous rendu sensible et incontestable chaque proposition précédente, vous n’avez plus seulement raisonné par voie de syllogisme ; vous avez démontré pleinement. Conclure[3], ainsi que l’indique le mot grec, n’est pas autre chose que mener à terme le discours. Le terme de chaque discussion c’est le point débattu, qui prend aussi le nom de conclusion. La proposition simple et première n’est pas encore le syllogisme. Celui-ci se compose de trois parties au moins ; les deux premières sont prises comme lemmes ;[4] la troisième comme conséquence.

Ou bien toutes les parties ont besoin d’être démontrées, ou bien certaines parties portent avec elles-mêmes leur démonstration. Le premier principe est-il vrai ? En demandant la démonstration de chaque démonstration on s’engage dans l’infini, sans pouvoir arriver à une démonstration satisfaisante. Est-ce le second ? les choses qui portent avec elles-mêmes leur démonstration serviront de base aux démonstrations subséquentes. Tous les philosophes conviennent que les principes originels sont partout inaccessibles à la démonstration. Par conséquent, si une démonstration existe, la nécessité veut absolument qu’il y ait quelque chose d’antérieur qui entraîne, par sa propre vertu, l’assentiment de la foi. On le nomme principe originel, indémontrable. Toute démonstration se ramène donc à une foi qui n’est pas susceptible de démonstration. Cependant, il existe encore, après les sources qui jaillissent de la foi, d’autres principes de démonstration d’où naît l’évidence, telles que les relations des sens et les perceptions de l’entendement. Les objets qui tombent sous nos sens sont simples et indécomposables. Ceux que perçoit notre intelligence sont simples, rationnels, et primitifs. Les conceptions qui naissent de ces deux voies, quoique composées, n’en sont pas moins évidentes, croyables, et plus rationnelles. L’intelligence, noble privilége que l’homme tient de sa nature, a donc pour fonction de juger de ce qui convient ou de ce qui répugne. Par conséquent, la discussion a-t-elle été disposée de telle sorte que les propositions que l’on croit déjà confirment et appuient de leur autorité celles que l’on ne croit pas encore ? Là, dirons-nous, réside l’essence de la démonstration.

Il y a deux espèces de foi et de démonstration, ainsi que nous l’avons établi : l’une se contente de persuader l’âme de l’auditeur ; l’autre engendre la connaissance. Prenez pour point de départ les objets qui sont évidents pour les sens et pour l’esprit ; puis tirez-en une conclusion légitime : vous avez démontré dans toute la rigueur du mot. Restez-vous dans le champ de l’opinion humaine, au lieu de vous élever aux premiers principes, c’est-à-dire vous enfermez-vous dans les objets qui ne sont évidents ni pour les sens ni pour l’esprit, si vos conclusions sont légitimement déduites, vous avez pu établir des syllogismes rigoureux ; mais la démonstration scientifique, jamais. Vos conséquences sont-elles fausses et arbitraires, vous n’avez pas même raisonné. La démonstration est différente de l’analyse. Chacune des prépositions à démontrer se démontre par d’autres propositions qui ont déjà reçu elles-mêmes une démonstration précédente, jusqu’à ce que l’on remonte, de degré en degré, aux principes qui portent en eux l’assentiment de la foi ou aux objets qui sont évidents pour nos organes et pour notre esprit. Telle est l’analyse. La démonstration, au contraire, consiste à descendre du premier principe à travers toutes les propositions intermédiaires jusqu’à la question en litige. Nous dirons donc à l’homme, qui possède la faculté de la démonstration : Attachez-vous principalement à établir la vérité de vos principes ; laissez de côté les mots ; qu’on les appelle axiômes, propositions, ou lemmes. De même, donnez le plus grand soin à la justesse de la conclusion par rapport à ce qui précède. Là encore, que les noms ne soient rien pour vous. Qu’importe qu’on la nomme discours concluant, conséquence, ou conclusion syllogistique. Quiconque essaie de démontrer, doit observer scrupuleusement ces deux points, établir des propositions qui soient vraies ; tirer, conformément à ces deux propositions, une conclusion que plusieurs philosophes appellent Épiphora, parce qu’elle est amenée, dans toute question, par les propositions précédentes pour affirmer le point qui était débattu. Dans toute question, quelle que soit la matière que l’on examine, il faut nécessairement des propositions différentes, mais dont la nature convienne cependant à la matière que l’on débat : la question débattue doit entrer elle-même dans le raisonnement. Il convient de choisir, pour base de la discussion, des principes sûrs, appropriés à l’état de la question et placés en dehors de toute controverse. La raison en est bien simple. Si vous prenez des propositions qui n’aillent pas au point litigieux, jamais vous ne découvrirez la vérité, puisque le problème tout entier, et ce que l’on nomme l’état de la question, vous échappe. Dans toutes les discussions, il y a donc des données connues d’avance et qui, entraînant avec elles l’assentiment de la foi, sont crues sans le secours de la démonstration. Elles doivent jouer un double rôle, point de départ dans la controverse, et critérium dans ce que l’on pense avoir découvert.


CHAPITRE IV.


Il faut, dans la solution de toute controverse, commencer par définir la chose qui est en question, pour éviter l’obscurité qui souvent se rencontre dans les mots.


Toute question se résout par une connaissance préexistante. Il faut donc savoir que la connaissance préexiste à une question, de quelque nature qu’elle soit. Tantôt on connaît uniquement la source d’un objet, quoique l’on en ignore les fonctions ; ainsi de la pierre ou de l’animal, par exemple, dont les opérations nous échappent ; tantôt nous ignorons les affections, les propriétés ou, pour le dire en un mot, un des points qui caractérisent cette essence ; tantôt enfin, nous connaissons quelqu’une de ces propriétés, affections ou qualités semblables, les désirs et les affections de l’âme, par exemple ; mais l’essence, nous l’ignorons et la cherchons. Dans beaucoup de circonstances, l’esprit, après avoir soumis chacun de ces points à ses perceptions, examine à laquelle des essences peuvent s’appliquer ces diverses qualités. Nous n’abordons la question qu’après avoir embrassé, par notre esprit, l’essence et les propriétés de l’être. Il en est quelques-uns cependant dont les affections nous sont inconnues, quoique nous connaissions tout à la fois leurs propriétés et leur essence.

Voici donc la méthode à suivre pour arriver à la découverte. Il faut commencer par connaître à fond l’état de la question ; car il arrive plus d’une fois que les formes du style sont trompeuses, portent le trouble dans l’intelligence et y répandent assez de ténèbres pour qu’elle ne puisse plus distinguer de quelle nature est l’objet en litige. Ainsi, par exemple, le fœtus renfermé dans la matrice est-il, ou n’est-il pas un animal ? Sachant ce qu’il faut entendre par animal, ce qu’il faut entendre par un fœtus renfermé dans la matrice, nous examinons si les notions d’animal conviennent exactement au fœtus que renferme la matrice ; c’est-à-dire si la substance qui y est contenue est susceptible de remuer et de sentir. Dès que l’essence est connue, on procède à l’examen des propriétés et des affections. Il faut donc, à l’origine de la discussion, demander à celui qui propose le point douteux : Qu’appelez-vous animal ? Pratique nécessaire principalement quand le mot s’applique à des usages différents ; alors on examinera soigneusement si le doute provient de la double signification du mot, ou si tous en ont une idée claire et distincte. Si l’adversaire vous répond qu’il entend par animal ce qui se développe et se nourrit, nous lui demanderons de nouveau : Inscrivez-vous les plantes au nombre des animaux ? S’il accorde ce point, il faudra lui montrer à quelle espèce appartient, selon nous, le fœtus enfermé dans la matrice. Platon, en effet, range parmi les animaux les plantes elles-mêmes, parce que, dit-il, elles participent uniquement à la troisième espèce d’âme, à l’âme concupiscible. Aristote est d’avis qu’elles participent à la fois à l’âme végétative et sensitive ; mais il ne veut pas leur donner le nom d’animaux, qualité qu’il réserve exclusivement à l’être doué de la seconde âme sensitive. Quant aux Stoïciens, ils n’appellent point âme la faculté végétative. Celui qui a posé la question vient-il à nier que les plantes soient des animaux, nous lui prouverons qu’il se place en contradiction avec lui-même. Car, en définissant, d’une part, l’animal comme un être qui se nourrit et se développe, et de l’autre, en déclarant que la plante n’est point un animal, qu’a-t-il fait autre chose que de dire : L’être qui se développe et se nourrit est un animal et n’est pas un animal ? Qu’il s’explique donc ! Quel est son but ? Veut-il nous apprendre que le fœtus, enfermé dans la matrice, s’y développe et s’y nourrit ? ou bien veut-il prouver qu’il participe au mouvement ou à la faculté concupiscible ? En effet, d’après l’avis de Platon, la plante est animée ; elle est un véritable animal. Suivant Aristote, au contraire, la plante, quoique animée, n’est pas encore un animal, parce qu’il lui manque la sensation. L’animal est donc, dans son opinion, une essence animée, douée de la faculté de sentir. Interrogez les Stoïciens, au contraire : la plante, vous diront-ils, n’est ni animée, ni un animal ; car l’animal est une essence animée. Si donc l’animal est un être animé, et que l’âme soit douée naturellement de la faculté de sentir, il est évident que l’être animé est doué de la faculté de sentir. Eh bien ! dirons-nous à celui qui a soulevé le débat, continuez-vous d’appeler animal ce qui est enfermé dans la matrice, par la raison qu’il y prend nourriture et accroissement ? Dès lors vous avez votre réponse. Ce n’est pas là ce que je demande, répliquera-t-il peut-être ; je veux savoir si le fœtus, enfermé dans la matrice, a la faculté de sentir ou de se mouvoir par quelque désir ou appétit. Comme il ne reste plus d’équivoque dans les termes, il ne s’agit plus que d’examiner ouvertement la question.

L’adversaire est-il muet aux demandes qui lui sont adressées ? Refuse-t-il obstinément de déclarer ce qu’il entend par les mots qu’il emploie, ou bien à quel être il attache le nom d’animal quand il propose la question, et cela pour nous contraindre à diviser ? la preuve nous est acquise que c’est un esprit ami de la contention et des disputes. Il y a deux manières de débattre une question : la première procède par interrogations et par réponses ; la seconde se jette dans les détails, qu’elle parcourt de point en point. Notre adversaire décline-t-il la première de ces méthodes ? Qu’il nous écoute, poursuivant la question dans toutes ses ramifications diverses ; puis, quand nous aurons achevé, il pourra traiter à son tour tous les points qui intéressent la matière. S’il s’efforce d’interrompre la discussion par des interrogations, il fournira la preuve évidente qu’il ne veut rien entendre. Mais je suppose qu’il aime mieux répondre. Demandons-lui, avant tout : À quel être donnez-vous le nom d’animal ? Quand il se sera expliqué là-dessus, demandons-lui de nouveau : Qu’entendez-vous par le fœtus enfermé dans la matrice ? Est-ce un être dont les membres sont formés, et qui est déjà un animal vivant ? Est-ce simplement la semence de l’homme déposée dans le sein de la femme ? Est-ce un de ces êtres où les parties qui le composent sont encore à l’état rudimentaire, masse à peine ébauchée, que la médecine nomme embryon ? Quand il se sera encore expliqué là-dessus, il faudra conclure et faire jaillir la lumière dans la question proposée. S’il veut que nous discutions sans qu’il nous réponde, adressons-lui ces mots : « Puisque vous n’avez pas consenti à nous dire dans quel sens vous prenez la question que vous avez établie, sans quoi je ne discuterais pas la signification, mais j’irais sur le champ au fond de la proposition elle-même, sachez-le, vous avez agi à peu près comme si vous aviez demandé : Le chien est-il un animal ? J’avais droit de vous demander, dans ce cas : De quel chien parlez-vous ? Il y a le chien de terre, le chien de mer, le chien, constellation du ciel, le chien philosophe, Diogène, par exemple, et une infinité d’autres chiens. Sur lequel me questionnez-vous ? Sur tous, ou sur l’un d’eux ? Je ne puis le deviner. Expliquez-vous donc ouvertement. Sur quoi porte votre question, puisque vous serez obligé de le faire quand je vous aurai répondu ? Si vous vous réfugiez dans une chicane de mots, il est évident que le mot fœtus n’est ni un animal, ni une plante, mais bien un nom, un son, un corps, un être, quelque chose, tout au monde enfin, plutôt qu’un animal. Était-ce là le but de votre question ? J’y ai répondu. La signification renfermée dans ce mot de fœtus n’est pas davantage un animal ; c’est une substance incorporelle : il faut l’appeler une chose, une conception de l’esprit, tout au monde, plutôt qu’un animal. La nature des diverses significations du mot animal est quelque chose qui diffère totalement de la nature de l’animal, point essentiel de la question. L’autre côté de la question, c’est donc quelle est la nature de l’animal ? Dans ce cas, je raisonne ainsi : Si vous appelez animal ce qui est susceptible de sentir et de se mouvoir en vertu du désir, l’animal n’est pas simplement ce qui peut sentir et se mouvoir ; car il peut aussi dormir, ou ne pas sentir, dans l’absence des objets sensibles. Or, la faculté de se mouvoir par le désir, a été donnée par la nature comme la marque distinctive à laquelle on reconnaît l’animal. De là les considérations suivantes : Le fœtus, enfermé dans la matrice, est-il incapable de mouvement et de sensation ? Premier point à débattre. Second point : le fœtus, enfermé dans la matrice, peut-il quelquefois sentir et se nourrir sans l’impulsion du désir ? Ici point de contestation : la chose parle d’elle-même. Or, vous nous demandiez si le fœtus est déjà un être vivant, ou s’il n’est encore qu’une plante ? Nous avons défini le mot animal, pour ne pas laisser d’ambiguité dans le discours. Puis, quand nous eûmes découvert que, doué de sensation et de mouvement, cet être ne différait en rien de l’animal, nous l’avons distingué des êtres qui lui ressemblent ou qui l’avoisinent, en disant qu’il y a une différence entre l’être qui ne possède encore qu’en puissance les facultés du mouvement et de la sensation, mais qui les possédera un jour, et l’être qui est déjà tout cela en action. Dans l’être lui-même, autre est la faculté déjà agissante, autre la faculté qui peut agir, mais qui se repose ou qui sommeille. Et c’est là précisément le point que l’on demandait. Car, de ce que le fœtus se nourrit, il ne suit pas que ce soit un animal vivant, à moins qu’on ne veuille se ranger parmi ceux qui négligent les essences pour ne s’attacher qu’aux accidents. »

Partout où il y a ce qu’on appelle découverte, arrive aussi la démonstration, c’est-à-dire une succession de raisonnements qui manifestent une chose par d’autres choses. Le disciple doit avouer et connaître les arguments par lesquels on rend sensible le point de la question. Le premier de tous les moyens probants est l’évidence des sens et de l’esprit : la première démonstration se compose de tous ces éléments. Celle qui se forme des éléments de la première conclut à son tour par quelque chose de différent, mais sans être moins digne de foi que la précédente ; elle ne peut cependant être nommée la première, puisque la conclusion ne découle pas des premières propositions. Les différences, qui peuvent surgir dans les points litigieux étaient au nombre de trois. Nous avons montré quelle était la première, je veux dire le cas où l’essence étant connue, on ignore quelqu’une de ses propriétés ou de ses affections. La seconde différence que l’on peut rencontrer dans les discussions, c’est que les propriétés et les affections nous étant connues, nous ignorions l’essence, comme, par exemple : Dans le corps de l’homme où la partie dirigeante de l’âme a-t-elle son siége ?


CHAPITRE V.


Exemple de démonstration dans la maxime des sceptiques : Suspendez votre jugement.


La démonstration suit la même marche dans la question que voici : D’après quelques philosophes, un animal ne peut pas renfermer des principes multiples. Plusieurs principes de même nature, non sans doute, nous l’accordons sans peine ; mais des principes de nature différente, il n’y a là rien qui répugne à la raison. Prenons pour exemple la maxime chère aux Pyrrhoniens, cette suspension de jugement qui détruit toute certitude et ne laisse rien subsister. Si elle applique à elle-même son principe, il est clair qu’elle commence par s’infirmer, et se décréditer. De deux choses l’une, ou elle donne quelque chose comme véritable, et alors il ne faut pas suspendre son jugement sur toutes choses ; ou bien elle continue donc d’affirmer qu’il n’y a rien de vrai, et alors il est manifeste qu’elle-même commence par ne pas dire la vérité. Point de milieu, ou elle dit la vérité, ou elle se trompe. Si elle dit la vérité, elle accorde malgré elle qu’il y a quelque chose de vrai. Si elle ne dit pas la vérité, elle laisse entières et subsistantes les vérités qu’elle voulait anéantir. En effet, du moment que la maxime qui prétendait étouffer les vérités est convaincue de mensonge, les vérités qu’elle voulait étouffer reprennent leur vie et leur éclat à peu près comme un songe extravagant manifeste l’extravagance de tous les songes. En se détruisant elle-même, elle vivifie tout le reste. En deux mots, si elle est véritable, elle débutera par elle-même ; elle ne suspendra pas son jugement sur un objet étranger ; elle commencera par douter de soi. Ensuite, si elle a foi à l’existence de l’homme ; si elle a foi à sa propre suspension de jugement, il est clair qu’elle ne suspend pas son jugement. Comment d’ailleurs répondre à l’interrogation ? Il est clair que quand le sceptique répond, il ne s’abstient pas. Et pourtant, écoutez-le : Je suspends mon jugement, dit-il. En suivant ce raisonnement, si nous étions condamnés à ne prononcer sur quoi que ce soit, il faudrait suspendre d’abord notre jugement sur la suspension de jugement elle-même. Faut-il y ajouter foi ? Faut-il y refuser notre assentiment ? Nous laisserions la décision incertaine. Il y a mieux ; si ce principe : Il n’y a pas de vérité connue, est véritable, il est destructif de toute vérité. Si, au contraire, la vérité de ce principe est douteuse, elle atteste par là même qu’il est possible de connaître la vérité, puisqu’elle semble donner un premier démenti à cette suspension de jugement. Si la détermination du jugement est une inclination au dogme, ou, d’après une autre définition, une inclination qui lie plusieurs dogmes entre eux réciproquement et entre les apparences, le tout dans le but de bien régler sa vie ; si le dogme est une compréhension embrassée par la raison ; si la compréhension est une manière d’être et un acquiescement de l’âme, non-seulement les philosophes, qui font profession de suspendre leurs jugements, mais les dogmatiques eux-mêmes, ont coutume de s’abstenir quelque temps dans certaines occurrences, soit à cause de la faiblesse de l’esprit humain, soit parce que la matière est obscure, soit parce que les raisons paraissent se balancer de part et d’autre.


CHAPITRE VI.


Genre, espèce, différence. — Leur usage dans les définitions.


Avant de définir, de démontrer et de diviser, ayez soin d’établir de combien de manières peut se prendre la question à débattre : il faut traiter des homonymes, distinguer les synonymes, et les classer exactement d’après leurs significations. Il s’agira d’examiner ensuite si la chose proposée appartient à la classe des objets considérés relativement aux autres, ou si elle est prise en elle-même et dans son essence. Puis viendront ces demandes : Existe-t-elle ? Qui est-elle ? Quelles sont ses modifications ? Ou bien encore : Existe-t-elle ? Qui est-elle ? Pourquoi existe-t-elle ? Mais la connaissance de ce qui est particulier, de ce qui est général, de ce qui est antérieur, de ce qui diffère, et des divisions, contribue singulièrement à éclairer la controverse. L’induction amène l’universalité et la définition. Les divisions conduisent à l’espèce, à l’individualité. La discussion, qui traite de combien de manières se prend la chose litigieuse, nous conduit à sa signification propre ; le doute produit les différences relatives d’objets à objets, et les démonstrations ; il fortifie d’ailleurs la discussion et ses conséquences : la science et la vérité sont le résultat combiné de ces divers éléments.

Le résumé général de la division s’appelle définition ; car la définition se place soit avant, soit après la division ; avant, quand elle a été accordée ou seulement proposée ; après, quand elle a été démontrée, et que de ces éléments partiels se tire, par les sensations, une conclusion générale. La sensation est le principe de l’induction, de même que l’universalité en est la fin. L’induction ne montre point ce qu’est une chose : son existence ou sa non-existence, voilà son domaine. La division, au contraire, montre ce qu’est l’objet. La définition, comme la division, enseigne quelle en est l’essence et la nature : elles ne s’occupent point de son existence. La démonstration remplit trois offices ; existence, nature, raison de la chose mise en question. Quelques définitions renferment aussi la cause. Comme la science n’est produite qu’au moment où nous connaissons la cause, et qu’il y a quatre causes, la matière, le moteur, la forme, le but, il y aura quatre espèces de définitions. Il faut donc prendre en premier lieu le genre qui renferme tous les êtres de la généralité la plus élevée, puis les différences qui s’en rapprochent le plus. L’accumulation des différences, en divisant et subdivisant graduellement, sert à compléter l’essence ou la définition de l’objet. Toutefois il n’est pas nécessaire d’exprimer toutes les différences de chaque objet : on peut se borner à celles qui constituent les espèces. L’analyse et la synthèse géométriques ressemblent à la division et à la définition de la dialectique. De la division nous remontons aux êtres qui sont plus simples et plus élevés. Nous divisons le genre de l’être litigieux en ses espèces principales. Prenons pour exemple l’homme. Animal est le genre. Nous le décomposons en ses deux espèces, c’est-à-dire en mortel et immortel. Et ainsi, subdivisant toujours en espèces plus simples les genres qui paraissent composés, nous approchons du point que nous cherchons, et qui n’est plus susceptible de se diviser. En effet, après avoir divisé le genre animal en mortel et immortel, puis le mortel en terrestre et aquatique, puis le terrestre en volant avec des ailes ou marchant avec des pieds, et ainsi de suite, jusqu’à l’espèce la plus voisine de l’objet cherché, et qui même le comprend, nous arriverons par ces décompositions successives à l’espèce la plus simple qui ne renferme plus rien autre chose que l’objet lui-même sur lequel porte la discussion. Nous divisons encore ce qui marche avec des pieds en raisonnable et irraisonnable. Puis, de toutes ces espèces différentes qui résultent de la division, nous choisissons les qualités qui conviennent plus immédiatement à l’homme, nous les rassemblons en corps de raisonnement, et nous définissons l’homme un animal mortel, terrestre, qui marche sur deux pieds, et doué d’intelligence. De là vient que la division joue le rôle de la matière, en préparant pour la définition la simplicité du nom ; la définition, au contraire, qui compose, édifie, et manifeste la connaissance de ce qui est, représente l’artisan et le Créateur. Ce ne sont pas là les définitions des choses ni des idées, mais des substances dont notre esprit a la notion universelle. Nous appelons discours interprétatif la manifestation de ces notions. Parmi les différentes divisions, l’une partage en espèces la substance divisée, tel que le genre ; l’autre la décompose en ses parties, tel que le tout ; la troisième, en ses accidents ou modifications. La division du tout en ses parties est envisagée le plus souvent dans les rapports de grandeur. Celle qui interroge les accidents ne peut jamais être expliquée tout entière, puisqu’il faut nécessairement que chaque être possède la même essence. Voilà pourquoi ces deux divisions n’ont aucune autorité. La seule qui soit légitime, c’est celle qui partage le genre en espèces, celle qui donne son caractère à l’identité renfermée dans le genre et à la diversité dans ses différences particulières. L’espèce est toujours envisagée dans quelqu’une de ses parties, mais sans que la partie de quelque chose puisse à son tour devenir l’espèce. Ainsi, par exemple, la main est une partie de l’homme, mais n’est pas une espèce. Le genre, au contraire, réside au fond de l’espèce. La qualité d’animal est commune à l’homme et au bœuf tout à la fois. Le tout, au contraire, ne réside pas dans ses parties. L’homme n’est pas tout entier dans ses pieds. L’espèce vaut donc mieux que la partie. Tout ce que l’on dit du genre, on le dira aussi de l’espèce. Il sera bon d’envisager le genre en deux espèces, sinon en trois. Les espèces divisées, à partir du genre, reçoivent leur caractère de l’identité et de la différence. Celles qui continuent de se diviser se caractérisent par les significations générales. En effet, ou bien chaque espèce est une substance, comme lorsque nous disons : Parmi les êtres, les uns sont corporels, les autres incorporels ; ou bien, il s’agit de quantité, de relation, de lieu, de temps, d’action, et de manière d’être affecté.

Tout ce que l’on connaît à fond et clairement, on pourra en donner la définition ; de même, quiconque est impuissant à comprendre ou à définir quoique ce soit par le langage, n’aura jamais la connaissance de cet objet. De l’ignorance de la définition arrivent beaucoup de raisonnements embarrassés et captieux. En effet, si celui qui connaît une chose en a l’idée et la connaissance au fond de son entendement ; s’il peut produire au-dehors, par le langage, ce qu’il renferme en lui-même ; si l’explication de sa pensée est la définition, il est donc nécessaire que l’homme, qui a la connaissance d’un objet, puisse en donner la définition. La différence qui joue le rôle du signe s’emploie aussi dans la définition. Par conséquent, cette circonstance, qui a la faculté de rire, ajoutée à la définition de l’homme, complète la définition : animal intelligent, mortel, terrestre, marchant sur deux pieds, doué de la faculté de rire. Les attributs qui s’ajoutent par différence sont les signes des choses particulières, mais n’indiquent pas la nature des choses elles-mêmes. La différence, on s’accorde à le reconnaître, rendant à l’individu sa qualité propre, celle qui le distingue spécialement des autres êtres, et sur laquelle les avis sont unanimes, il est nécessaire que dans les définitions on prenne le genre comme quelque chose de principal et de subsistant. Dans les longues définitions, la série des espèces est de dix ; dans les courtes, les espèces principales choisies parmi les espèces voisines, indiquent l’essence et la nature de l’objet. La plus courte de toutes doit toujours se composer de trois parties, le genre et les deux espèces les plus indispensables. On ne réduit la définition que pour abréger. Nous disons donc : L’homme est un animal qui a la faculté de rire. Puis, il faut prendre l’accident principal de l’objet défini, ou son attribut particulier, ou sa fonction spéciale, ou quelque chose de cette nature. Conséquemment, la définition ne devant pas exposer l’essence de la chose, ne peut en saisir exactement la nature. Mais que fait-elle ? Elle en manifeste l’existence par ses espèces principales, et arrive pour ainsi dire à l’essence par la qualité.


CHAPITRE VII.


Raisons de douter ou de suspendre son jugement.


Deux raisons principales motivent la suspension du jugement. La première se tire de l’inconsistance et des fluctuations de l’esprit humain, dont la nature semble condamnée ou à se mettre en dissidence avec les autres, ou à ne pas se ressembler à elle-même. La seconde réside dans la différence qui caractérise les choses. Car, ne pouvant ni croire tous les objets que nous voyons à cause de leurs répugnances réciproques, ni refuser notre assentiment à tous, parce que cette proposition : Il ne faut rien croire, faisant partie du tout, se trouve par là même infirmée ; ni croire certaine chose en refusant notre assentiment à certaine autre, à cause de l’égalité des motifs qui militent des deux côtés, nous sommes amenés à suspendre notre détermination. Des deux causes principales en vertu desquelles nous retardons l’acte de la détermination, l’instabilité de la pensée, engendre le dissentiment. Celui-ci est la cause immédiate qui suspend notre choix. De là vient que la vie est pleine de tribunaux, de délibérations, et de choix arrêtés entre ce que l’on appelle les biens et les maux : témoignages non équivoques d’un esprit incertain, et dont la faiblesse chancelle dans les choses qui se combattent et se repoussent. De là vient encore que les bibliothèques sont remplies de livres qui se contredisent. De là ces écoles, et ces discussions toutes retentissantes des clameurs de ceux qui professent des dogmes opposés et qui se persuadent qu’ils ont la vérité pour eux.


CHAPITRE VIII.


Par quelle méthode on peut ramener à certaines catégories soit les noms, soit les choses.


Il y a trois choses à considérer dans les mots : d’abord les noms qui représentent nos conceptions premières, et, par voie de conséquence, celles qui sont sous nos yeux ; en second lieu, les conceptions qui rappellent et reproduisent les objets qui sont sous nos yeux. C’est ce qui fait que les pensées sont les mêmes chez tous les hommes, parce que les objets présents leur impriment à toutes la même forme et le même type. Il n’en va point ainsi des noms, à cause de la diversité des langues. Troisièmement enfin, il faut faire attention aux choses présentes qui éveillent en nous les pensées. La grammaire ramène les noms à vingt-quatre éléments généraux[5]. Il faut, en effet, que les éléments soient limités et circonscrits, puisque les objets particuliers, à cause de leur infinité, échappent à la science. Le caractère de la science, c’est de s’appuyer sur des propositions universelles et générales. Voilà pourquoi les propositions particulières sont ramenées aux propositions universelles et générales. L’exploration philosophique s’attache aux conceptions de l’entendement et aux substances présentes. Comme le nombre de ces substances isolées et particulières s’étend à l’infini, on a aussi inventé pour elles quelques éléments primordiaux auxquels on ramène l’objet cherché quel qu’il soit. Paraît-il entrer dans l’un ou dans plusieurs de ces éléments ? Nous affirmons qu’il existe. Se refuse-t-il à ces combinaisons ? Nous déclarons qu’il n’existe pas. Dans le langage humain, ou, les mots ont une connexion les uns avec les autres, ou ils se produisent sans liaison. Ils le lient quand on dit l’homme court, l’homme triomphe. Ils se produisent sans liaison comme dans l’exemple suivant, homme, bœuf, court, triomphe[6]. Il n’y a là rien qui forme un discours suivi ni ordonné par rapport à la vérité ou à l’erreur. Des mots qui n’ont ensemble aucune connexion, ceux-là désignent l’essence ; ceux-ci la qualité, les uns la quantité, les autres la relation, d’autres le lieu, d’autres le temps, d’autres la situation, d’autres la possession, d’autres l’activité, d’autres une affection quelconque. Tels sont les éléments des êtres corporels et subordonnés aux principes. La raison peut les contempler. Mais les substances immatérielles ne peuvent être saisies que par les plus sublimes spéculations de l’esprit. Des substances renfermées dans les dix catégories les unes sont dites essentielles, comme les neuf prédicaments ; les autres relatives à quelque autre objet. D’autre part, des substances renfermées dans les dix catégories, les unes sont synonymes, telles que bœuf et homme, en tant qu’animal. Sont synonymes les deux choses comprises sous un nom commun, animal par exemple, et dont l’appréciation ou la définition est la même ; c’est-à-dire, une essence animée. Les hétéronymes consistent en des noms divers à l’occasion du même sujet, tels que anabasis[7] et katabasis[8], car la route est la même, qu’il faille monter ou descendre. Il y a une autre classe d’hétéronymes : cheval et noir, par exemple. Ici tout diffère, appellation et appréciation : le sujet d’ailleurs n’est pas le même. Aussi est-il à propos d’appeler ces mots étrangers l’un à l’autre, plutôt qu’hétéronymes. Les polyonymes sont ceux qui, sous une désignation différente, renferment la même définition, tels que épée, glaive, poignard. Les dénominatifs reçoivent leur nom d’un autre nom, comme courage venant de courageux. Parmi les homonymes les uns emploient la même appellation par un effet du hasard, comme Ajax de Locres, Ajax de Salamine ; les autres s’en servent à dessein. Dans cette dernière catégorie, les uns procèdent par ressemblance, homme par exemple exprimant tout à la fois et l’être qui vit et la représentation par la peinture ; les autres procèdent par analogie et par rapport, comme le pied du mont Ida, et le pied de l’homme, parce que le pied est la partie inférieure. D’autres se déterminent par l’action qui est produite ; comme le pied d’un vaisseau, parce qu’il met en mouvement le navire ; le pied de l’homme, parce qu’il est l’instrument de la locomotion. On appelle encore homonymes les choses qui sont employées par le même homme et concourent à la même fin ; ainsi livre et scalpel médical, parce que le médecin se sert de l’un et de l’autre pour l’exercice de son art.


CHAPITRE IX.


Des genres divers.


Parmi les causes, les unes sont dites procatarctiques, ou occasionnelles ; les autres synectiques, ou efficientes ; les autres auxiliaires ; les autres, sine quâ non. La cause procatarctique est celle qui développe, mais occasionnellement, un effet quelconque. Ainsi par exemple, l’aspect de beauté éveille les feux du désir dans le cœur de l’incontinent ; elle produit une affection érotique, mais qui n’a rien de nécessité. La cause synectique, que la synonymie grecque appelle aussi autotêlês, c’est-dire qui produit complètement son effet sans le concours d’une autre cause, a lieu quand elle est efficiente par elle-même. On donnera ensuite au disciple des exemples de ces différentes causes. Le père est la cause occasionnelle de l’enseignement ; le maître en est la cause efficiente ; l’esprit de celui qui apprend, la cause auxiliaire ; et enfin le temps joue le rôle de cause sine quâ non. On appelle proprement du nom de cause ce qui est apte à produire quelque effet. Ainsi, le fer est apte à couper, non-seulement lorsqu’il coupe, mais encore lorsqu’il ne coupe pas. Ainsi l’expression parectique, c’est-à-dire, habile à faire, signifie tout à la fois ce qui opère, et ce qui n’opère pas encore, mais qui a cependant la vertu d’opérer.

Suivant les uns, les causes viennent des corps ; suivant d’autres, des choses incorporelles. Quelques autres n’accordent qu’à la matière proprement dite le nom de cause ; s’ils appellent de ce nom ce qui n’a pas de corps, ajoutent-ils, ce n’est que par un abus de langage et pour rendre raison d’un effet. Écoutez ceux-là. Tout est changé. Il n’y a de causes véritables que les substances immatérielles. Ce n’est que par un abus de langage que l’on peut regarder les corps comme des causes. Prenons pour exemple l’incision, qui, étant une opération, est par là même quelque chose d’immatériel agissant à la fois comme cause sur les deux corps, sur l’épée qui coupe, ce qui est une opération, et quelque chose d’immatériel sur l’objet coupé, afin qu’il soit coupé. La cause agit sous trois aspects différents : Ici, par exemple, le statuaire, taillant le bloc de marbre ; là, ce dont il est cause, c’est-à-dire l’exécution d’une statue ; en troisième lieu, le marbre employé : le marbre est une sorte de cause de la statue. Devenir et être coupé, qui sont les causes de leurs effets, étant des opérations, sont des choses incorporelles. Voilà pourquoi elles produisent les catégories, ou bien les paroles, pour emprunter les locutions de Cléanthe et d’Archidème. Disons mieux ! les unes seront appelées causes des catégories, telles que, il est coupé, dont le cas est être coupé[9] ; les autres seront les causes des axiômes, comme, par exemple, un navire est construit, dont le cas est encore, construire un navire. Pour Aristote, il nomme appellation tout ce qui appartient à l’espèce suivante, maison, temple, brûlure, incision. Que le cas soit incorporel, le point est hors de doute. Voilà pourquoi le sophisme se résout ainsi : le mot que vous prononcez passe par votre bouche, cela est vrai, mais il est question de maison ; or, vous prétendez que la maison passe par votre bouche, cela est faux. Nous ne parlons point de la maison, qui est un amas de pierres, mais du cas grammatical de la maison, envisagé comme chose immatérielle. L’architecte édifie dans notre langage, par rapport à ce qui sera. Ainsi encore nous disons qu’un manteau est tissé, car ce qui agit indique un effet. Ce qui agit n’est pas cause ici, ni cause ailleurs à des titres divers : il est cause du manteau et de la maison. Il est causé que la chose est faite ; par la même raison il est cause efficiente de l’effet. La cause efficiente et la cause en vertu de laquelle une chose existe sont une seule et même cause. Toute cause qui est en même temps efficiente se confond avec la cause en vertu de laquelle une chose existe ; mais de ce qu’une chose existe en vertu de telle autre, il ne s’en suit pas absolument que ce soit une cause efficiente.

En effet, bien des choses concourent de loin à une fin quelconque, sans être pour cela des causes réelles. Par exemple, Médée n’aurait pas égorgé ses enfants, si elle n’eût pas été aveuglée par la colère ; elle n’aurait pas été aveuglée par la colère sans le poison de la jalousie ; le poison de la jalousie n’aurait pas travaillé son cœur si elle n’avait pas aimé ; elle n’aurait pas aimé, si Jason n’avait pas fait voile vers Colchos ; Jason n’aurait pas fait voile vers Colchos, si le navire Argo n’avait pas été construit, si le bois n’avait pas été coupé sur les hauteurs du Pélion. Toutes ces circonstances, desquelles résulta l’immolation des enfants de Médée, n’en sont pas cependant la cause déterminante. Médée seule en est la cause. Voilà pourquoi ce qui n’empêche pas n’agit pas. Conséquemment ce qui n’empêche pas est séparé de ce qui a lieu ; tandis que la cause se rapporte à ce qui se fait, d’où il suit que ce qui n’empêche pas ne peut être une cause, et l’effet s’accomplit parce que celui qui peut l’empêcher refuse son assistance. Il y a quatre espèces de causes ; efficiente, c’est le statuaire qui produit la statue ; physique, l’airain dont elle est faite ; formelle, le caractère qu’elle prend ; finale, la gloire du gymnasiarque. L’airain représentant les éléments indispensables pour que la statue ait lieu, est également une cause. Car toute chose, sans le concours de laquelle un effet devient impossible, est nécessairement une cause, sinon absolue et renfermant en elle-même son effet, au moins une cause auxiliaire. Tout ce qui opère produit un effet concurremment avec l’aptitude de l’objet qui le souffre. La cause établit et dispose ; mais chaque objet s’affecte selon ses prédispositions naturelles ; car l’aptitude concourt aussi à l’action et tient la place des éléments indispensables. La cause est donc inefficace sans la coopération de l’aptitude. Néanmoins cette dernière n’est pas une cause, mais seulement un auxiliaire. Toute cause, en effet, porte avec elle l’idée d’action. La terre ne s’est pas faite elle-même : une cause conséquemment ne peut pas être cause d’elle-même. Dire que ce n’est pas le feu, mais le bois, qui cause la brûlure ; que ce n’est pas le glaive mais la chair, qui cause l’incision ; que l’athlète a été vaincu non par les forces de son adversaire, mais par sa propre faiblesse, c’est chose ridicule. La cause qui renferme en elle-même son effet n’a pas besoin de temps : appliquez le cautère sur la peau, il éveillera sur-le-champ la douleur. Quant aux causes occasionnelles ou procatarctiques, les unes ont besoin de temps pour que l’effet parvienne à sa consommation ; les autres n’en ont pas besoin comme dans le cas de quelque fracture. Entendons-nous, cependant. Ces causes sont dites opérant sans intervalle de temps, bien moins parce qu’il ne leur faut pas de temps pour se développer que par ce qu’il leur faut un terme très-court. Ainsi du mot soudain. Il ne signifie pas que l’effet a suivi immédiatement la cause.

Toute cause, en tant que cause, n’est conçue que comme productrice d’un effet et s’exerçant sur quelque chose. Productrice d’un effet, par exemple, c’est l’épée qui coupe ; s’exerçant sur quelque chose, c’est-à-dire, sur un objet convenablement disposé, comme le feu sur le bois ; car la flamme ne brûlera pas le diamant. La cause se rapporte toujours à un autre objet. On ne peut en avoir l’idée que par cette espèce d’affinité avec une autre chose. Il faut donc que deux objets se tiennent réciproquement pour que nous comprenions la cause, en tant que cause. Il en est de même de l’ouvrier, du créateur, du père. Une chose n’est pas cause par rapport à soi-même, pas plus qu’un homme n’est son propre père ; sans quoi le premier deviendrait le second. La cause est active, elle affecte. Ce qui est produit par la cause est dans l’état de passiveté et d’affection. Un même objet en remontant à lui-même, ne peut agir et être affecté en même temps, ni être à la fois père et fils. D’ailleurs, la cause a nécessairement sur l’effet qu’elle produit l’antériorité d’existence. Il faut absolument que l’épée précède la blessure. La même chose, ne peut en tant qu’elle est cause, avoir l’antériorité par rapport à la matière, ni la postériorité en tant qu’elle est l’œuvre d’une cause. Il y a une grande différence entre être et devenir. Ainsi la cause est cause de ce qui devient ; le père est la cause du fils. Il ne se peut pas, en effet, que la même chose, en tant qu’identique, soit et devienne en même temps. Rien n’est donc à soi-même sa propre cause. Les causes ne sont pas causes réciproquement les unes des autres, mais bien les unes pour les autres réciproquement. Ainsi l’affection précédente de la rate n’est pas la cause de la fièvre, mais la cause que la fièvre arrivera ; et la fièvre précédente n’est pas la cause de l’affection splénique, mais la cause que le mal s’augmentera. Ainsi les vertus, par leurs conséquences réciproques, s’enchaînent dans un nœud indissoluble ; ainsi les pierres qui forment une voûte se retiennent mutuellement à leurs places réciproques ; mais elles ne sont pas réciproquement les causes les unes des autres. Le maître et le disciple, dans ce prédicament logique, sont réciproquement l’un à l’autre une cause de progrès. Il arrive quelquefois que les causes sont réciproquement entre elles cause des mêmes choses ; par exemple, lorsque le marchand et le cabaretier sont l’un pour l’autre une cause de gain mutuel. D’autres fois, les causes réagissent l’une sur l’autre, à des titres différents. Telles sont l’épée et la chair : l’épée agit sur la chair pour que celle-ci soit coupée ; la chair sur l’épée, pour que celle-ci coupe. — Il a été dit avec raison : œil pour œil, vie pour vie. En effet, l’agresseur qui a porté à la victime le coup mortel est pour la victime, cause direct de la mort, ou du moins cause que la mort s’en suivra. Mais l’agresseur, blessé à son tour mortellement par sa victime, l’a eu pour cause réciproque, mais d’une façon opposée et à un titre différent. Il a été pour lui une cause de mort. Ce n’est pas la mort qui lui a porté réciproquement le coup mortel ; il est parti du blessé. Il a donc agi sur un autre comme cause ; mais un autre est devenu cause pour lui. L’agresseur est cause par rapport à celui auquel il a causé dommage. La loi, au contraire, qui condamne le malfaiteur au supplice, n’est pas la cause de la violence ou du crime ; elle apporte à l’un justice et vengeance ; à l’autre correction et enseignement. Par conséquent, les causes ne s’engendrent pas mutuellement, elles restent à l’état de simples causes.

On demande en outre si des forces réunies deviennent les causes multiples d’un seul effet. Des hommes qui tirent d’un effort commun sur un navire sont cause, en effet, que le navire avance. Cela est vrai ; mais ils sont cause avec d’autres, à moins que la cause coopérante ne soit la même chose que la cause. Selon l’opinion de quelques autres, quoiqu’il y ait des causes nombreuses, une seule cause est séparément la cause d’un effet unique. Ainsi, par exemple, les vertus qui sont en grand nombre produisent le bonheur qui est unique. Il en va de même de la chaleur et de la souffrance. Bien des causes les produisent. Mais quoi donc ? la variété des vertus, tout ce qui échauffe, tout ce qui produit la douleur, a-t-il une vertu unique ? Est-il bien vrai que la multitude des vertus, une quant au genre, ne produise qu’un effet, c’est-à-dire le bonheur ?

Il est avéré du moins que les causes procatarctiques ou occasionnelles, produisent, quoique multiples, un seul effet, considérées dans leur genre ou dans leur espèce. Dans leur genre : prenez pour exemple toute espèce de maladie, le froid, la consomption, la courbature, l’ivresse, les langueurs de l’estomac. Dans leur espèce, la fièvre. Que quelqu’un exhale une bonne odeur, ce qui est un en soi du côté du genre, bien des causes peuvent y contribuer du côté de l’espèce, telles que l’encens, la rose, le safran, le styrax, la myrrhe et les parfums divers. Mais il y a différence d’odeur à odeur. La rose n’exhalera pas autant de parfum que la myrrhe. Quelquefois la même cause produit des effets opposés, ce qui arrive tantôt par la grandeur et par l’énergie elle-même de la cause, tantôt par les aptitudes ou les dispositions de l’objet affecté. Par une certaine énergie, disons-nous ! ainsi la même corde, selon son degré de tension ou de relâchement, envoie un son grave et aigu. En second lieu, par l’aptitude de l’objet affecté, le miel, par exemple, produit une douce saveur pour l’estomac qui est sain, il paraît amer au malade que travaille la fièvre. Le même vin provoque celui-ci à la colère, il délie la langue et la gaieté de celui-là ; le même rayon de soleil liquéfie la cire et sèche la boue.

Dans le nombre des causes, les unes sont manifestes aux yeux, les autres saisissables par le raisonnement ; celles-ci, obscures ; celles-là, perceptibles par voie de conclusion. Parmi les causes obscures, les unes sont voilées pour un temps : secrètes et mystérieuses, elles apparaissent après un certain intervalle ; les autres sont obscures par leur nature, et restent ensevelies sous des ombres éternelles. Dans cette dernière catégorie, quelques-unes peuvent être perceptibles à l’intelligence. Aussi quelques philosophes leur refusent-ils le nom de causes obscures, puisque le raisonnement parvient à les découvrir par des propositions générales, telles que le parallélisme de deux questions douteuses que pénètre la contemplation. Quelques autres, au contraire, inaccessibles à l’intelligence et inaccessibles à tout jamais, sont dites entièrement obscures. Les unes sont occasionnelles ; les autres, efficientes ; les autres, concomitantes ; les autres, auxiliaires. Celles-ci produisent des effets conformes à la nature ; celles-là, des effets en dissonance avec elle ; les unes, des maladies suivant telle ou telle circonstance ; les autres, des affections à des degrés divers, et en raison de leur intensité ; celles-là dépendent des temps et des occurrences. Détruisez la cause occasionnelle, l’effet subsiste néanmoins. Il n’en est pas de même de la cause synectique ou efficiente : présente, l’effet demeure ; détruite, l’effet disparaît. On appelle encore par synonymie, la cause efficiente, cause accomplissant d’elle-même son effet, parce qu’elle en renferme au fond d’elle-même la raison suffisante. Si une cause de ce genre signifie une opération complète en vertu d’une force intérieure, la cause auxiliaire désigne un ministère et une fonction qui s’exécutent avec une assistance étrangère. Si elle ne fournit aucun secours, elle ne sera pas dite auxiliaire. Au contraire, agit-elle pour une certaine part, elle sera dans une certaine mesure cause de ce qui s’accomplit par elle. La cause est donc auxiliaire, quand l’effet se produit par sa présence, effet manifeste dans une cause manifeste, obscur dans une cause obscure. La cause concomitante rentre dans la catégorie des causes, de même qu’un frère d’armes ou de jeunesse est soldat ou jeune avec un autre. La cause auxiliaire assiste la cause efficiente, pour redoubler l’intensité de son action. La notion de la cause concomitante n’a rien de semblable, puisque certaine chose peut être cause concomitante sans être cause efficiente. On lui donne ce nom parce qu’elle est impuissante à produire d’elle-même un effet ; c’est une cause avec une autre cause. L’auxiliaire diffère de la concomitante, en ce que celle-ci produit un effet concurremment avec ce qui n’en produirait pas, s’il était distinct et isolé ; celle-là, au contraire, incapable de produire lorsqu’elle marche seule, en s’adjoignant à la cause qui produit séparément, augmente l’intensité de son effet. Voulez-vous accroître singulièrement l’énergie de la cause et sa puissance d’action, convertissez une cause occasionnelle en cause auxiliaire.

  1. Diogène Laërte dit, dans la Vie de Zénon, que l’on prend communément le mot de blitry ou blitéry pour exemple de mot vide de sens.
  2. Nous avons suivi, dans ce passage, la correction proposée par Sylburguis et confirmée par un passage d’Aristote sur le syllogisme.
  3. Perainô, achever.
  4. Propositions préliminaires que l’on démontre pour servir de point d’appui à une autre démonstration.
  5. Les vingt-quatre lettres.
  6. Nous avons complété le passage grec de saint Clément par un passage entièrement semblable d’Aristote. Les notes de Potter autorisent cette substitution à un texte visiblement altéré.
  7. Ascension.
  8. Descente.
  9. Texte altéré.