Les Pères de l’Église/Tome 1/Épître aux Philadelphiens (saint Ignace)


ÉPÎTRE AUX PHILADELPHIENS.

Philadelphie était une ville de Lydie, dans l’Asie mineure ; ses habitants avaient eu l’honneur de recevoir saint Ignace dans leurs murs ; ils l’accueillirent avec tout le respect que méritaient sa personne et ses chaînes. En les remerciant, il ne manque pas de leur donner d’importantes leçons. Il veut qu’on reste uni à l’évêque, pour l’être plus sûrement à Jésus-Christ. Ceux qui ne connaissent pas Jésus-Christ sont à ses yeux ces colonnes funéraires, ces tombeaux sur lesquels on ne lit qu’un vain nom. Il montre l’accord parfait entre l’Évangile et les prophètes. « L’Évangile, dit-il, n’est que l’accomplissement des divins oracles : c’est son caractère distinctif. » Il donne aussi de grands éloges aux Philadelphiens dans le salut qu’il leur adresse.


Ignace, surnommé Théophore, à l’Église de Philadelphie, en Asie, cette Église comblée des miséricordes de Dieu le père et de celles de Jésus-Christ notre Seigneur, affermie dans la paix qui vient de Dieu, remplie d’une pieuse et constante allégresse puisée dans la passion du Sauveur, et riche de toutes sortes de grâces par sa résurrection : salut à cette Église, au nom du sang de Jésus-Christ, source d’une joie éternelle et inaltérable, surtout s’il existe une chaste union avec l’évêque, avec les prêtres, avec les diacres, ces ministres établis par l’ordre de Jésus-Christ, qu’il a, d’après sa divine volonté, affermis dans la foi par l’Esprit saint.


Je sais que votre évêque n’est point entré de lui-même, ni par la protection de quelques personnes, dans le saint ministère qui embrasse l’intérêt de tous ; qu’il n’en exerce point les fonctions avec orgueil, mais selon la charité de Dieu le père, et de Jésus-Christ, son fils.

J’ai été frappé de sa modestie. Par son silence, il dit plus que tous les autres avec leurs vains discours. Pour vous, les cordes d’une lyre ne sont pas plus d’accord entre elles que vous ne l’êtes avec lui.

Je le félicite de toute mon âme de ses saintes dispositions envers le Seigneur. Je sais combien elles sont pures et parfaites ; je connais sa douceur inaltérable, exempte de fiel, et conforme en tout à celle du Dieu vivant.

Et vous, enfants de lumière et de vérité, fuyez les divisions et les mauvaises doctrines ; soyez où se trouve le pasteur ; brebis dociles, marchez à sa suite. Il y a des loups en grand nombre qui on su se concilier la confiance. Ils séduisent, par de dangereux attraits, ceux qui courent dans la carrière du Seigneur et les conduisent ensuite en esclaves au gré de leurs caprices.

Mais votre étroite union ne les laissera point pénétrer dans le troupeau.

Éloignez-vous de ces herbes vénéneuses ; ce n’est pas Dieu qui les cultive, et certes il ne les a pas semées.

Grâce à Dieu, je n’ai point trouvé de divisions chez vous, mais peut-être quelques abus à réformer.

Quand on est à Dieu et à Jésus-Christ, on est par là même à l’évêque. Ceux que le repentir fera rentrer dans l’unité de l’Église seront encore à Dieu et puiseront en Jésus-Christ une nouvelle vie.

Ne vous y trompez pas, mes frères, se déclarer pour ceux qui font schisme, c’est renoncer à l’héritage céleste.

Marcher dans les voies d’une doctrine étrangère, c’est se priver des mérites de la passion de Jésus-Christ. Ayez donc soin de n’user que d’une seule Eucharistie. Il n’est qu’une seule chair, qui est celle de notre Seigneur Jésus-Christ ; qu’un seul calice, qui nous unit tous par son sang[1] ; un seul autel, un seul évêque uni au corps des prêtres et des diacres qui nous ont été associés dans le saint ministère.

Agissez toujours en vue de Dieu dans tout ce que vous faites. Mon amour pour vous déborde comme un vase ; c’est cet amour qui me fait travailler avec une ardeur extrême à votre défense et à votre sûreté.

Toutefois je veux que vous sachiez que c’est Jésus-Christ qui vous parle, et non pas moi. Que suis-je ? Mes chaînes ne m’ôtent pas mes imperfections, et je crains plus que jamais. Mais j’espère obtenir de Dieu, par vos prières, tout ce qui me manque pour mériter d’entrer dans l’héritage que m’a préparé sa divine miséricorde. J’ai recours sans cesse à l’Évangile, comme à la chair de Jésus-Christ ; aux apôtres, comme au sénat de l’Église. Aimons aussi les prophètes, parce qu’ils ont eux-mêmes annoncé l’Évangile, parce qu’ils ont espéré en Jésus-Christ, et qu’ils l’ont attendu ; parce qu’ils ont trouvé le salut en lui par la foi.

C’est leur étroite union avec Jésus-Christ qui les a rendus saints, dignes d’amour et d’admiration. Aussi les a-t-il honorés de son témoignage, et comptés parmi ceux qui ont connu l’Évangile, leur espérance, comme il est aussi la nôtre.

Si quelqu’un vous vante le judaïsme, ne l’écoutez pas. Il vaut mieux recevoir le Christianisme de la bouche d’un circoncis, que le judaïsme de la bouche d’un incirconcis.

Mais s’ils ne vous parlent ni l’un ni l’autre de Jésus-Christ, ils sont à mes yeux ces colonnes funéraires, ces tombeaux sur lesquels on ne lit qu’un vain nom. Fuyez leurs dangereux artifices ; fuyez les embûches du prince de ce monde, de peur que ses maximes, en vous plaçant sous son joug, n’étouffent en vous l’esprit de charité. Qu’un même sentiment tienne vos cœurs à jamais unis.

Pour moi, je rends grâce à Dieu de ce que ma conscience ne me fait aucun reproche à votre sujet, et ensuite de ce qu’on ne peut dire, soit en secret, soit en public, que j’aie été à charge à quelqu’un en aucune manière. Je prie aussi le Seigneur de ne pas appeler ma voix en témoignage contre ceux qui l’auraient entendue.

Quelques-uns ont voulu en moi tromper l’homme ; mais on ne trompe pas l’esprit qui vient de Dieu. Cet esprit sait d’où il vient et où il va. Il met à découvert le secret des cœurs.

Lorsque j’étais parmi vous, je criais, je disais à haute voix, et c’était la voix de Dieu : Attachez-vous à l’évêque, aux prêtres et aux diacres. On croyait que je parlais ainsi parce que j’avais été prévenu de la défection de certaines personnes.

Celui pour qui je porte ces chaînes m’est témoin que je ne savais rien. C’est l’Esprit saint lui-même qui parlait, et qui nous dit encore : Ne faites rien sans l’évêque ; conservez votre corps pur, c’est le temple de Dieu ; aimez l’unité, fuyez les divisions ; imitez Jésus-Christ, comme lui-même imitait son père.

J’ai fait tout ce qui dépendait de moi, en faveur de la paix et de l’union. Où vous verrez la division et la haine, vous ne trouverez pas la moindre trace de l’esprit de Dieu.

Dieu pardonne au repentir, il est vrai, mais quand on fait pénitence au sein de l’unité, en revenant à l’évêque. Je me confie en la grâce de Jésus-Christ. J’espère qu’il fera tomber les liens qui retiennent encore quelques-uns d’entre vous.

Je vous conjure donc de ne jamais agir avec un esprit contentieux, mais toujours selon l’esprit de Jésus-Christ.

J’ai entendu des personnes qui disaient : Si je ne trouve point ceci dans les anciennes Écritures, je ne croirai pas à l’Évangile ; et lorsque je leur disais : Cela s’y trouve, ils me répondaient : Ce n’est pas. Mes anciennes Écritures, à moi, c’est Jésus-Christ ; les seules pures et intactes, c’est sa croix, c’est sa mort, c’est sa résurrection, c’est la foi en lui, et c’est par là que je veux me sanctifier avec le secours de vos prières.

Le ministère des prêtres est grand, sans doute ; combien l’est encore plus celui du pontife suprême ! À lui est ouvert le Saint des Saints ; à lui seul sont confiés les secrets de Dieu. Il est la porte du Père par laquelle sont entrés Abraham, Isaac et Jacob, et les prophètes, et les apôtres, et l’Église : tout ici se rapporte à Dieu qui est un.

Ce qui distingue l’Évangile, ce qui lui donne un caractère admirable, c’est qu’il nous montre à découvert Jésus-Christ, venu sur la terre, souffrant, ressuscité. Les prophètes, objets de notre amour, l’avaient seulement annoncé ; l’Évangile n’est autre chose que l’accomplissement de leurs inaltérables oracles. Tout cet ensemble est parfait ; mais, à la foi, il faut joindre la charité.

Maintenant que je connais l’heureux effet de vos prières et de votre amour pour Jésus-Christ, je veux dire le rétablissement de la paix parmi les fidèles d’Antioche, il est bon que je vous dise ce qu’il vous convient de faire, en qualité d’Église de Jésus-Christ : il faut choisir un diacre, chargé de remplir en votre nom les fonctions d’ambassadeur de Dieu, pour se réjouir avec eux de leur retour à la paix et à l’union, et glorifier tous ensemble le saint nom du Seigneur.

Heureux en Jésus-Christ celui qui sera chargé de cette mission ! La gloire en rejaillira sur vous.

Veuillez seulement, et cette ambassade ne vous sera pas plus difficile qu’elle ne l’a été pour d’autres Églises voisines qui ont envoyé, les unes leur évêque, les autres des prêtres, quelques-unes des diacres.

Philon, diacre de Cilicie, qui jouit de l’estime générale, et qui me seconde dans le ministère de la parole, et l’illustre Agathopode, qui m’accompagne depuis la Syrie et qui vient de renoncer aux vanités de la vie, vous rendent témoignage ; et moi je rends grâce à Dieu, en votre nom, de ce que vous les avez reçus, comme je désire que Dieu vous reçoive lui-même un jour.

Puisse la grâce de Jésus-Christ préserver de tout malheur ceux qui les ont accablés d’outrages !

Vos frères de Troade, d’une charité si tendre, vous saluent. Je vous écris de cette ville, par Burrhus, que les fidèles de Smyrne et d’Éphèse m’ont envoyé pour me faire honneur. Puissent-ils être honorés à leur tour par Jésus-Christ lui-même, sur lequel ils fondent tout leur espoir, tant pour l’âme que pour le corps, par leur foi, par leur charité, par leur amour de la paix !

Je vous salue en Jésus-Christ, notre commune espérance[2].

  1. L’Eucharistie et la hiérarchie ecclésiastique sont deux vérités catholiques reconnues avec une force étonnante dans cette épître. Il faut fermer les yeux pour ne pas reconnaître la tradition qui nous les montre si bien établies dès les premiers temps.
  2. Quel langage, et quelles Églises que celles auxquelles saint Ignace s’adresse ! Quand on songe à l’état où étaient les gentils avant leur conversion, et dans quelle corruption de mœurs vivaient la Grèce, l’Égypte, l’Asie mineure, tout l’Orient, on ne peut s’empêcher de reconnaître que ce changement est l’œuvre de Dieu même.