Les Origines du régime féodal
Revue des Deux Mondes, 3e périodetome 4 (p. 551-579).
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LES ORIGINES
DU RÉGIME FEODAL

II.
LE PATRONAGE ET LA FIDÉLITÉ.

Le régime féodal n’a pas été constitué par un acte particulier qui ait une date précise. On chercherait en vain une ordonnance royale ou une charte qui l’ait établi. Il n’a été fondé ni par la conquête d’un peuple étranger, ni par le complot d’une aristocratie. Il s’est formé lentement, insensiblement, en plusieurs siècles : il en faut chercher les racines bien loin dans le passé, et en suivre le lent et continuel accroissement. — Il n’est pas plus d’origine germanique que d’origine gauloise ou romaine; il est né en même temps et pour les mêmes causes chez tous les peuples de l’Europe sans qu’aucun d’eux l’ait emprunté à un autre[1]. Il s’est également épanoui dans l’Aquitaine tout imprégnée d’esprit romain, chez les Bretons, de pure race gallique, chez les Anglo-Saxons, qui avaient asservi une race vaincue, chez les Francs et les Burgondes, qui n’avaient rien asservi, chez les Bavarois, les Alamans et les Saxons, qui étaient restés purement Germains. Ce même régime s’est rencontré chez un grand nombre d’autres peuples hors de l’Europe. Il a existé dans tous les temps, au milieu de toutes les races, sous toutes les latitudes. Il appartient à la nature humaine.

Tous les modes de gouvernement, si nombreux et si divers qu’ils paraissent, peuvent se ramener à trois groupes. Il y a en premier lieu les régimes qui dérivent de la famille  : c’est le clan, c’est la tribu, c’est la confédération des tribus. L’ancien clan gaulois, la tribu arabe, l’antique société perse avant Cyrus, sont des types de ces régimes. Ils ont cela de commun que le lien social s’y forme par la naissance et s’y confond avec le lien de famille. Il y a en second lieu les gouvernemens qui ont pour principe l’association politique ; c’est ce que les Grecs appelaient τὸ ϰοιϰὸν et les Romains respublica, c’est ce que nous appelons aujourd’hui l’état. Ici l’autorité appartient en principe à la communauté ; en fait, elle est déléguée soit à un monarque, soit à un sénat dirigeant, soit à une assemblée populaire et à des magistrats électifs. Le gouvernement revêt ainsi les formes diverses de la monarchie, de l’aristocratie ou de la démocratie. Au fond et sous ces noms différens, on peut reconnaître le même organisme social. La règle commune est que l’individu humain est subordonné à la société, qu’il est soumis à des pouvoirs publics, qu’il obéit à des lois générales, et qu’en retour ces pouvoirs publics et ces lois générales protègent sa vie et sa fortune.

Il y a enfin un troisième régime qui diffère essentiellement des deux autres, et qui d’ailleurs se rencontre presque aussi fréquemment qu’eux dans la longue histoire de l’humanité  : c’est celui où l’homme n’est soumis ni à une autorité publique ni à des lois communes. Il obéit pourtant, car le besoin d’obéissance est au fond de la nature humaine, mais il choisit individuellement celui à qui il veut obéir ; il contracte avec celui-là des obligations étroites, il se fait son serviteur, il se donne à lui tout entier. Ici nul pouvoir qui ait un caractère politique ; on ne connaît ni l’autorité de tous sur chacun, comme dans les démocraties, ni l’autorité d’un seul sur tous, comme dans les monarchies. Le commandement et la sujétion ne dérivent pas d’un principe supérieur et ne sont pas constitués par une loi générale. L’homme s’attache individuellement à l’homme et lui voue une obéissance volontaire. Le lien social est ainsi remplacé par une série de liens personnels.

On se tromperait d’ailleurs beaucoup sur la nature humaine, si l’on supposait que cet attachement puisse être le fruit des plus nobles passions et des sentimens les plus chevaleresques. C’est un intérêt précis et matériel qui fait contracter cette sorte de lien. Le fait primordial qui donne naissance à tout cet ordre de relations est qu’un homme faible ou pauvre s’adresse à un autre homme qui est fort ou riche ; il lui demande ou l’appui de ses armes ou la jouissance de sa terre, et pour obtenir l’un ou l’autre il se soumet volontairement à cet homme. Ainsi se forme un engagement qui oblige l’un à protéger, l’autre à obéir.

Cet engagement a porté différens noms aux différentes époques de l’histoire. On l’a appelé d’abord patronage et clientèle, plus tard mainhour et fidélité, plus tard encore seigneurie et vassalité. Les mots ont changé, l’institution était la même. Il s’agissait toujours de la sujétion personnelle de l’homme à un autre homme.

Cette institution du patronage ou de la fidélité n’est pas propre à une race ou à un siècle, elle est de tous les temps. On la peut suivre à travers le passé, et il serait téméraire d’affirmer qu’elle ne renaîtra jamais dans l’avenir. Elle est en germe dans toutes les sociétés, elle se développe surtout dans les sociétés troublées et mal assises. Sa force est toujours en proportion inverse de celle de l’autorité publique. Tantôt celle-ci refoule le patronage et le rejette dans l’ombre, tantôt c’est le patronage qui sape et qui renverse l’autorité publique.


I. — LE PATRONAGE CHEZ LES GAULOIS, DANS L’EMPIRE ROMAIN, CHEZ LES GERMAINS.


La société gauloise au moment où César l’a connue se trouvait dans un état de transition. Elle n’avait plus le régime du clan, et elle s’efforçait de constituer le régime de l’état; mais cette œuvre était pleine de difficultés. Les classes, les partis, les ambitions personnelles et les intérêts se faisaient partout la guerre. On ne s’entendait pas sur la forme à donner à l’état; les uns voulaient une aristocratie et des institutions républicaines[2], les autres voulaient une royauté démocratique[3], d’autres enfin essayaient à travers mille désordres de concilier la démocratie avec le gouvernement républicain[4]. Au milieu de ces luttes et du désordre, le patronage prit vigueur et faillit devenir l’institution dominante.

On voit en effet dans les Commentaires de César que la cité gauloise, encore mal constituée, était également impuissante à se faire obéir des forts et à protéger les faibles. Or, comme le premier besoin de l’homme est de vivre en paix et en sécurité, il arriva naturellement que le faible, ne se sentant pas protégé par l’autorité publique, chercha ailleurs un appui. Il demanda à un homme la protection que la société ne lui accordait pas. Il s’adressa à l’un des puissans et le supplia de le défendre contre les autres. Il était juste que cette protection se payât; le prix en fut la dépendance. Le protégé se mit sous l’autorité du protecteur. « Pour échapper aux violences des grands, dit César, beaucoup d’hommes se soumettent à la servitude entre les mains d’un de ces grands; celui-ci se fait leur défenseur, mais il a aussi sur eux toute l’autorité qu’un maître a sur des esclaves. »

Cette subordination ne déshonorait pas; l’homme qui s’y soumettait ne perdait rien de sa valeur propre ni de sa dignité personnelle : aussi César ne dit-il pas qu’il devînt précisément esclave; il l’appelle ordinairement du nom de client; Diodore l’appelle un serviteur libre. Cet homme restait en effet vis-à-vis de la société un homme libre, en même temps que vis-à-vis de son patron il devenait un serviteur. Moralement enchaîné à sa personne, il lui devait non-seulement le respect et l’obéissance, mais la fidélité et même le dévoûment. Un contrat d’une étrange puissance l’attachait à son chef. Nourri par lui, vivant avec lui, il partageait sa bonne et sa mauvaise fortune, et il était inséparable de lui dans la vie et dans la mort. Au combat, il devait défendre l’existence de son patron sans songer à la sienne. Une sorte de religion lui interdisait de lui survivre, et les Gaulois disaient à César qu’il n’y avait pas d’exemple qu’un de ces hommes eût refusé de mourir avec celui à qui il « avait voué sa vie. »

Quelques historiens modernes ont supposé qu’un sentiment moral d’une exquise délicatesse, une sorte de point d’honneur chevaleresque inspirait ces dévoûmens. Il nous semble qu’il y a là une illusion. Le désintéressement et le sacrifice étaient choses aussi exceptionnelles dans les anciennes sociétés que dans les nôtres. La fidélité et le dévoûment dont il s’agit ici n’étaient que la conséquence d’un contrat librement débattu entre deux hommes qui avaient besoin l’un de l’autre. L’homme pauvre ou faible avait besoin de nourriture, de vêtemens, de terre, de protection. De son côté, l’homme riche ou puissant qui voulait augmenter sa richesse ou satisfaire ses ambitions avait besoin de grouper autour de lui une troupe de serviteurs ou de soldats. Entre ces deux hommes, une convention en bonne forme était conclue; un serment religieux, plus fort qu’un acte écrit, la sanctionnait. L’un s’engageait à donner protection, nourriture ou terre; l’autre s’engageait à donner foi, service et dévoûment[5].

Par le patronage, l’homme cessait d’être le citoyen d’un état pour devenir a le fidèle » d’un homme ou « son dévoué. » Il n’avait plus aucune relation légale avec la cité. Il ne lui donnait rien, il ne lui demandait rien. Il ne connaissait plus ni impôts publics ni service militaire envers l’état. Il n’avait de redevances et d’obligations militaires qu’à l’égard de son patron. A peine reconnaissait-il la justice de l’état; c’était le patron qui était le plus souvent son juge. Les lois de la cité n’étaient rien pour lui ; sa seule législation était contenue tout entière dans le contrat qui le liait à son patron.

Le patronage était donc essentiellement hostile au régime de l’état; il luttait contre lui dans le temps même où César parut en Gaule. Sans l’intervention romaine, cette lutte se fût prolongée, et nul ne saurait dire lequel des deux systèmes d’institutions l’eût emporté. Il était possible que le patronage et la fidélité prissent le dessus, et la Gaule aurait vu alors s’établir une sorte de régime féodal. Les victoires de César donnèrent aux événemens un autre cours. Le principal résultat de la conquête romaine fut de rejeter dans l’ombre le patronage des chevaliers gaulois : elle fit prévaloir le régime de l’état, sous la double forme de l’association municipale et de la centralisation impériale. Il n’y eut plus d’autre autorité que celle de la curie ou celle de l’empire. Les lois étant assez fortes pour réprimer les grands et protéger les petits, ceux-là ne visèrent plus à s’entourer de cliens, ceux-ci n’eurent plus besoin de chercher des patrons.

Quelques siècles plus tard cependant, et au sein même de l’empire romain, le patronage reparut. L’autorité publique s’était affaiblie; l’ordre intérieur était troublé par les luttes des princes et par les révoltes des bagaudes; l’ordre extérieur l’était par les incursions des barbares. Il y eut alors un retour instinctif des hommes vers le régime de la sujétion personnelle. Les écrivains de ce temps-là décrivent bien le mouvement qui ramenait peu à peu les populations au patronage. « Le pauvre, dit saint Augustin, se met sous la dépendance d’un riche pour obtenir de lui la nourriture et pour vivre en sûreté sous sa protection. » — « Le faible, dit Salvien, se donne à un grand, afin que celui-ci le défende et le protège. » L’homme qui prenait un protecteur devenait un client, c’est-à-dire un serviteur; il se faisait sujet, ainsi que le dit encore Salvien, et se livrait à discrétion. Telles étaient en effet les clauses du contrat tacite qui liait les deux hommes, que l’un appartenait désormais à l’autre. Sidoine Apollinaire parle des cliens qui vivaient dans l’entourage des grands propriétaires du Ve siècle; il les distingue peu des esclaves et nous les montre partageant avec ceux-ci le service du maître.

Il est vrai que la condition de client n’était pas reconnue par les lois. Le droit romain, qui avait été créé par l’état, ne pouvait pas admettre une institution qui était l’opposé de l’état. Il ne connaissait, en dehors des esclaves, que des hommes libres égaux entre eux, c’est-à-dire également citoyens ou également sujets du prince. Il ne voulait d’autre autorité parmi les hommes que l’autorité publique, et il ne pouvait tolérer cette sujétion personnelle d’un particulier à un autre particulier. Le patronage et la clientèle étaient donc, sous l’empire romain, des institutions extra-légales. Non-seulement ils ne s’appuyaient pas sur la législation, ainsi qu’il arriva dans les temps féodaux; mais ils n’existaient même qu’en dépit de la législation. Essentiellement contraires au principe politique de l’état romain, ils étaient considérés comme un élément de désordre. On voit dans les codes les empereurs se plaindre du trouble qu’ils apportaient dans l’administration de la justice et dans la perception des impôts. On y sent que le client, dès qu’il s’était fait le sujet d’un patron, ne se regardait plus comme sujet du prince. Avait-il un procès, il s’adressait à son patron. Il aimait mieux payer le tribut au patron que l’impôt à l’état. Il cessait ainsi d’être directement justiciable de l’empire et directement contribuable. Il échappait, autant qu’il pouvait, à l’autorité publique. Son maître et son protecteur à la fois n’était plus le prince ou le fonctionnaire impérial, c’était le patron.

De son côté, l’état essayait de retenir ses sujets. Les empereurs interdisaient de contracter le lien du patronage. Ils faisaient des lois pour empêcher les habitans des campagnes de se faire les cliens des grands propriétaires. Ils punissaient le patronage comme un crime; ils le frappèrent d’abord d’une amende; puis, la sévérité croissant, ainsi qu’il arrive toujours quand on lutte contre un mal plus fort que soi, ils prononcèrent la confiscation des biens à la fois contre le patron et contre le client[6]. Vaines et impuissantes menaces : le patronage gagnait toujours du terrain. On voyait des villages entiers se donner à un patron, c’est-à-dire constituer déjà quelque chose d’analogue à ce que sera plus tard le village seigneurial. On voyait des propriétaires céder leur titre de propriété et mettre leur terre sous le nom d’un patron, ainsi qu’on verra plus tard l’alleu se changer en fief. On voyait enfin des hommes qui étaient nés libres et qui avaient même le rang de curiales se jeter dans la domesticité des grands, ad potentium domos confugere[7]. Il semble qu’on trouvât à cette époque plus de profit et de sûreté à être le serviteur d’un autre homme qu’à obéir à l’autorité publique. Il y avait une tendance générale à substituer le régime du patronage à celui de l’état, et l’on marchait insensiblement vers les institutions féodales. L’entrée des Germains en Gaule ne pouvait pas avoir pour effet d’arrêter ce mouvement irréfléchi des populations. Le principe et les règles du patronage étaient aussi connus des Germains que des sujets de l’empire. Il était en effet dans les usages de l’ancienne Germanie qu’un guerrier s’attachât à un chef de son choix. Dès ce moment, il cessait d’être un membre de la tribu et devenait un compagnon, un fidèle. La tribu restait en paix ; lui, il cherchait la guerre. La tribu cultivait le sol ; lui, il courait au butin. Il allait combattre, non où la tribu l’envoyait, mais où son chef le conduisait. Il affrontait la mort non pour la patrie, mais pour son chef. Les lois de la tribu n’étaient plus les siennes ; il n’obéissait qu’au chef à qui il s’était donné. Il vivait avec lui, mangeait son pain, recevait de lui le cheval de bataille ou la framée. Il lui devait en retour un dévoûment sans bornes ; il donnait sa vie pour le sauver ou mourait avec lui. Cet attachement volontaire, ce lien tout personnel, ce contrat qui obligeait le chef à nourrir son compagnon et le compagnon à mourir pour son chef, ce n’était pas encore tout le régime féodal, c’en était déjà une partie. C’était la féodalité sans la terre, c’était la féodalité réduite à l’état guerrier, comme le patronage de l’empire romain était la féodalité sans les armes.

On distingue bien dans le livre de Tacite que le régime de la tribu et celui du patronage militaire existaient concurremment en Germanie, non sans se gêner et se troubler l’un l’autre. Chaque homme pouvait choisir entre eux. Il pouvait quitter la tribu pour s’attacher à un chef ; il pouvait quitter ce chef et rentrer dans la tribu L’un et l’autre étaient réputés également légitimes, également honorables, et l’existence du Germain était un va-et-vient de l’un à l’autre. Il semble bien, d’après les descriptions de Tacite, que le régime de la tribu était encore prédominant à son époque, surtout chez les nations qui, comme les Chauques et les Chérusques, menaient une existence paisible. Le régime du patronage et de la bande guerrière n’avait encore sa pleine vigueur que chez les Suèves. Trois siècles plus tard, la situation avait changé. Les guerres et surtout les désordres intérieurs avaient affaibli partout les institutions politiques, et il était arrivé naturellement que les habitudes du patronage avaient pris le dessus. On ne voyait presque plus de tribus ; on trouvait partout des bandes guerrières. Au lien social, presque rompu partout, se substituait le lien de l’obéissance personnelle. Ceux des Germains qui entrèrent en Gaule n’avaient pas d’autre système d’institutions que le patronage militaire. Ils formaient ordinairement de petits groupes qu’on appelait arimanies. Chaque groupe avait son chef ; plusieurs groupes s’unissaient entre eux sous un chef suprême, et c’est ainsi qu’étaient composées la plupart des armées germaniques. Les rapports entre les chefs et les soldats n’étaient pas, ainsi qu’on l’a dit, des rapports d’égalité. L’inférieur était sous la protection et en même temps sous l’autorité du supérieur. Il avait choisi son chef et s’était donné volontairement ; il n’en devait pas moins une obéissance absolue. Il avait toujours le droit de quitter son chef; mais aussi longtemps qu’il restait auprès de lui, il avait des obligations étroites à son égard. Grégoire de Tours parle de la petite troupe du Franc Ragnachaire ; il dit que les soldats étaient « ses leudes[8],» c’est-à-dire des hommes à lui, et qu’il était « leur maître. »


II. — LE PATRONAGE ET LA FIDÉLITÉ AU TEMPS DES MÉROVINGIENS.


L’institution du patronage, qui perçait déjà sous l’empire romain, se développa dans les sociétés qui succédèrent à cet empire. Gaulois et Germains s’en accommodaient également. Le désordre social et l’affaiblissement de l’autorité publique lui étaient favorables. Aussi la langue de l’époque mérovingienne est-elle remplie de termes qui désignaient cette institution. Dans l’idiome germanique, le patronage s’appelait mund, mundeburd, mainbour, et la fidélité s’appelait trust. En latin, on exprimait les mêmes relations par les mots defensio et patrocinium, clientela et fidelitas. On disait du subordonné qu’il était le leude de son chef ou son homme. Ces mots se trouvent à chaque page dans les actes et les formules.

Le principe essentiel de ce patronage et de tout le régime qui en devait découler était qu’un homme se donnait à un autre, homme; c’était un véritable engagement de la personne humaine. On ne saurait dire à quelle époque cet usage a commencé; les exemples que les chroniqueurs en rapportent forment une chaîne continue depuis l’empire romain jusqu’aux temps féodaux. Le poète Fortunatus en parle après Salvien et après Sidoine Apollinaire, Grégoire de Tours après Fortunatus, Frédégaire et les hagiographes après Grégoire de Tours. On ne saurait dire non plus que cet usage fût particulier à une race; les exemples qu’on en a sont aussi nombreux chez les hommes de naissance gauloise que chez les hommes de naissance franque. La clientèle ou fidélité était un refuge ouvert à tous, à l’ecclésiastique comme au laïque, au laboureur comme au guerrier, au petit comme au grand. Tout le monde aussi pouvait être patron. Le droit de patronage n’était le privilège d’aucune race, d’aucune classe; un évêque, un comte, un simple homme libre pouvait l’exercer. Le même homme pouvait être à la fois le client d’un plus puissant que lui et le patron d’un plus faible. L’acte par lequel l’homme se donnait s’appelait commendatio, terme énergique de l’ancienne langue latine que notre mot recommandation traduit fort imparfaitement. Cet acte était toujours volontaire et se concluait sous la forme d’un contrat. Nous avons l’une des formules qui y étaient employées; elle était conçue en ces termes : « Comme il est notoire que je n’ai pas de quoi me nourrir et me vêtir, je me suis adressé à votre charité, et, par un effet de ma volonté libre, je me suis décidé à me placer sous votre mundeburd et à me recommander à vous, afin que vous m’aidiez de nourriture et de vêtement, tandis que moi je vous servirai et mériterai vos dons. Tant que je vivrai, je vous devrai le service et l’obéissance, tout en conservant mon rang d’homme libre; il ne me sera pas loisible de me soustraire à votre autorité; je serai tenu d’être toujours sous votre protection et sous votre puissance[9]. »

Cette formule marque bien la nature de la convention qui liait désormais ces deux hommes; ils l’avaient librement conclue, après mûre réflexion, pour des motifs nettement exprimés, et parce que tous les deux y trouvaient un intérêt égal. L’homme faible ou pauvre faisait franchement l’aveu de sa faiblesse ou de sa pauvreté, il livrait sa personne, il engageait son service et son obéissance; mais ce service et cette obéissance n’étaient que le prix dont il payait les profits qui étaient stipulés pour lui dans ce même contrat. Le patron avait des devoirs envers l’homme qui se donnait à lui. La formule prononçait qu’il devait le nourrir et le vêtir. On se tromperait toutefois, si l’on prenait cette formule à la lettre; par ces termes d’une énergie toute matérielle, elle indiquait l’ensemble des obligations que le chef contractait envers l’inférieur. Ce n’était pas toujours pour être nourri que l’homme se soumettait au patronage. Le plus pressant besoin dans une société si troublée était celui de la sécurité ; le faible cherchait surtout un protecteur. Le patron avait donc l’obligation stricte de défendre en toute occasion et contre tout danger l’homme qui s’était recommandé à lui. Il lui devait la protection de ses armes, s’il était attaqué; celle de sa parole, s’il avait un procès. Un document de cette époque nous apprend en effet que, si le recommandé était appelé en justice pendant une absence de son patron, le jugement devait être suspendu jusqu’à ce que le patron fût de retour. Si le recommandé avait été lésé, le patron devait l’aider à obtenir satisfaction en justice. Avait-il été tué, le patron était tenu de poursuivre sa vengeance, et il en recevait aussi le wehrgeld. Grégoire de Tours donne un curieux exemple de l’application de cette règle : un homme qui était sous le patronage personnel de la reine Brunehaut avait été assassiné; ce fut la reine qui réclama la vengeance, et ce fut elle aussi qui reçut à titre de wehrgeld les biens du meurtrier. Dans un autre chroniqueur, nous voyons un évêque qui s’était recommandé à la reine Imnichilde; appelé un jour en justice, la reine fut obligée de venir le défendre.

A la protection correspondait toujours l’autorité. Le recommandé était dans la dépendance du patron. Son assujettissement se marquait d’ordinaire par une formalité symbolique ; en se recommandant, il courbait la tête et plaçait son cou sous le bras de l’homme qu’il faisait son patron. Il déclarait par là qu’il était désormais soumis à toutes les volontés et, comme dit un chroniqueur, au moindre signe de tête de cet homme. Il confirmait sa promesse par un serment prêté entre les mains du chef. A partir de ce jour, il devenait son serviteur et son sujet; il l’appelait du nom de maître, dominus; il se disait son homme ou son leude. Il ne devait plus avoir d’autre volonté que la sienne, d’autres intérêts que les siens, et, suivant une expression significative qui se répète souvent dans les actes de ce temps-là, il devait « ne regarder qu’à lui et n’espérer qu’en lui. » C’était la dépendance la plus complète qu’on pût imaginer, car l’être humain tout entier y était soumis, et l’âme encore plus que le corps. L’homme à qui son chef commandait un crime devait l’exécuter; comme sa volonté ne lui appartenait pas, il n’était pas non plus regardé comme responsable ; la loi dit formellement : « Il n’est pas coupable celui qui a obéi aux ordres de son patron. »

Il n’échappe à personne que ce patronage pouvait être un principe de hiérarchie et de discipline. L’homme avait envers son chef autant de devoirs, pour le moins, que le sujet peut en avoir envers un prince ou le citoyen envers l’état. Le patronage pouvait donc tenir lieu du lien social. Il différait seulement de celui-ci en ce qu’il était individuel, volontaire, conditionnel; la subordination s’accordait directement d’homme à homme. Le devoir d’obéissance ne découlait pas d’un principe supérieur ou d’une loi générale ; il n’était que l’effet d’une convention. Il ne commençait qu’en vertu d’un contrat, et il cessait le jour où ce contrat était rompu. Il n’était jamais héréditaire; la sujétion du père ne créait aucune obligation pour le fils. Il n’était même pas viager; le supérieur et l’inférieur avaient également le droit d’y renoncer. Il n’était pas fondé sur une idée de la raison ou sur un sentiment de la conscience; il était lié aux intérêts les plus matériels. Il s’établissait dès que deux hommes croyaient avoir un égal avantage à l’établir; il disparaissait dès que l’un de ces deux hommes croyait avoir avantage à le faire cesser.

Il était contraire à l’intérêt de la royauté de laisser grandir un système d’institutions qui était manifestement hostile à l’autorité publique. Aussi voyons-nous que les rois bourguignons et les premiers rois visigoths interdirent le patronage ainsi qu’avaient fait les empereurs[10]. Les rois francs suivirent en général une autre politique. Au lieu de lutter contre le patronage, ils voulurent se servir de lui pour assurer leur propre pouvoir. L’acte qu’ils renouvelèrent le plus fréquemment durant les deux siècles et demi qu’ils régnèrent fut celui par lequel ils recevaient un personnage sous leur protection spéciale et se faisaient ainsi un fidèle. Comme ils furent d’abord très puissans, leur patronage fut fort recherché. Les hommes se recommandaient volontiers à eux, se mettaient « sous leur tutelle, sous leur défense. » On a conservé les formules des diplômes qui attestaient qu’une personne était sous la protection personnelle du prince : u Un tel est venu vers nous, y est-il dit, et nous a demandé qu’il lui fût permis d’entrer dans notre recommandation; nous le recevons et gardons sous la sûreté de notre tutelle. » « Tel homme, est-il dit encore, s’est rendu en notre présence, et, à cause des maux que lui faisaient souffrir les méchans, nous a supplié de le prendre sous la sûreté de notre protection. » Cette sorte de demande était quelquefois adressée aux rois par les faibles; on voit des veuves et des orphelins à qui le patronage royal était accordé; des hommes de toute race et de toute classe pouvaient l’obtenir. En général, c’étaient les hommes des rangs supérieurs de la société qui le sollicitaient, et c’étaient eux aussi, à ce qu’il semble, qui l’obtenaient le plus aisément. On voyait souvent un grand personnage, issu d’une noble famille gallo-romaine et riche propriétaire foncier, ou bien un Franc, chef de guerriers, se rendre au palais en grande pompe, suivi de tous ceux qui dépendaient de lui, et demander au roi de l’accepter parmi ses fidèles. Si le roi l’agréait, il lui remettait un diplôme par lequel il promettait de le protéger, lui, ses biens et ses hommes. « Cet homme, écrivait le prince, a été reçu par nous sous la parole de notre protection ; nous le garantissons désormais, lui, ses hommes, ses terres, contre toute attaque des méchans ; car il est juste que celui qui nous a juré la foi reçoive en retour notre appui. » Ces personnages, liés au roi par la recommandation et le serment, devenaient ses leudes, ses fidèles, ses antrustions. La protection spéciale du roi leur procurait deux avantages principaux. L’un était que, si quelque atteinte était portée à leur personne, le roi devait poursuivre leur vengeance et punir le coupable d’une peine triple. L’autre était qu’ils n’avaient à comparaître en justice que devant le tribunal du roi; il résultait de là que tous les procès du protégé se trouvaient jugés par le protecteur, et l’on peut apprécier la supériorité qu’avait l’antrustion, soit comme défendeur, soit comme demandeur, sur tous ceux qui n’étaient pas comme lui de la truste royale. Enfin la recommandation était ordinairement le moyen le plus sûr d’acquérir une fonction publique, un évêché ou une terre du domaine royal.

On n’obtenait pas ces avantages sans contracter des obligations proportionnelles. L’homme qui se recommandait au roi devait avant tout prêter dans ses mains le serment de trust ou de fidélité. Ce serment était d’autant plus rigoureux que les termes en étaient plus vagues. Par lui, l’homme engageait sa foi, c’est-à-dire sa volonté même et sa conscience. Il faisait l’abandon de sa volonté personnelle pour se soumettre en toutes choses à celui à qui il se dévouait. Il devenait le leude du roi, ce qui signifiait qu’il ne s’appartenait plus à lui-même et qu’il était l’homme du roi. Ces fidèles, ces leudes, ces antrustions dont il est si souvent parlé au temps des Mérovingiens, étaient fort éloignés d’être une classe aristocratique ou une noblesse : ils étaient ceux qui étaient liés au roi par le contrat de patronage; ils étaient donc ce qu’il y avait de plus dépendant, car l’unique règle de leurs relations entre eux et le roi était qu’en retour de sa protection toute spéciale ils devaient lui obéir et le servir sans nulle réserve.

Mais le roi mérovingien n’était pas seul à avoir des fidèles. Le patronage était une institution de droit commun. Tout homme pouvait attacher à soi d’autres hommes, pourvu qu’il fût assez fort pour les protéger ou qu’il eût des terres à leur offrir. Chaque grand propriétaire avait autour de lui, sur son domaine, une cour de cliens. L’homme de guerre avait une troupe de soldats qui, liés à lui par le patronage et recevant de lui la nourriture, la solde ou le butin, partageaient ses amitiés et ses haines, ses convoitises et ses vengeances; les lois des Francs mentionnent ces associations et laissent voir les désordres qu’elles commettaient. Les évêques et les abbés. de monastère avaient aussi leurs fidèles, qui occupaient leurs terres et qui les servaient, qui leur faisaient cortège et combattaient pour eux, qui étaient leurs courtisans et leurs soldats. Les fonctionnaires royaux, les comtes, les ducs, les ministres du palais étaient aussi des hommes dont le patronage était fort recherché. Grégoire de Tours cite un certain Andarchius qui était dans le patronage du duc Lupus. L’auteur de la vie de saint Didier dit que, lorsque ce personnage était trésorier du roi, beaucoup d’évêques et de fonctionnaires « vivaient sous l’aile de sa protection. » Saint Éloi, au début de sa carrière, « était dans le patronage et dans la sujétion » d’un trésorier du roi nommé Abbon. Un duc d’Auvergne nommé Calmilius « avait autour de lui une nombreuse clientèle de jeunes guerriers de noble naissance. » De pareils exemples se rencontrent à chaque page dans les chroniques. Il n’y avait pas un homme quelque peu puissant qui n’eût « des hommes à lui, » ou, suivant l’expression consacrée, « des hommes qui regardaient vers lui. »

Les caractères les plus différens pouvaient avoir des motifs pour s’engager dans les liens du patronage. L’homme paisible voulait seulement avoir un protecteur; il s’attachait à l’abbé d’un monastère, ou, comme on disait alors, à un saint. L’homme sans terre voulait avoir un bénéfice, et il s’attachait à un grand propriétaire. L’ambitieux qui visait aux fonctions publiques se recommandait à un grand dignitaire du palais. Le batailleur se faisait le leude d’un guerrier. Sous toutes ces faces diverses, c’était le même patronage et la même fidélité. Les rapports entre les fidèles et leurs chefs étaient exactement de même nature que ceux qui s’établissaient entre ces chefs et le roi. Les fidèles d’un comte, d’un évêque, d’un guerrier ou d’un grand propriétaire lui devaient l’obéissance et la sujétion. Unis à lui par un pacte et un serment, ils étaient ses serviteurs dévoués; ils l’appelaient des noms de maître et de seigneur; ils se disaient ses cliens, ses leudes, ses hommes, ses vassaux. Ils n’étaient plus régis par les lois communes du pays; ils l’étaient par la volonté de leur chef en vertu du contrat qu’ils avaient fait avec lui. Ils n’étaient plus sujets du roi; s’ils dépendaient encore de lui de quelque façon, ce n’était que par l’intermédiaire de leur chef. Ils n’étaient même plus, à proprement parler, membres de la société politique; s’ils paraissaient encore dans les mails de cantons ou dans les assemblées nationales, ce n’était qu’à la suite de leur chef, pour lui faire cortège et appuyer ses avis. Ce chef était leur unique souverain; il était leur roi et leur loi.

Il y avait donc dès le temps des Mérovingiens tout un ordre social qui était fondé sur l’institution du patronage et de la fidélité. Les hommes y étaient subordonnés hiérarchiquement les uns aux autres et liés entre eux par le pacte de foi ou de sujétion personnelle. Le régime féodal existait dès cette époque avec ses traits caractéristiques et son organisme presque complet; seulement il n’existait pas seul. Le régime de l’état, sous la forme monarchique, subsistait encore avec son administration, sa justice publique, quelques restes d’impôts et des codes de lois communes. Le patronage et la fidélité se faisaient jour au milieu de tout cela, mais ne régnaient pas encore. Légalement c’étaient les institutions monarchiques qui gouvernaient les hommes. La féodalité était encore en dehors de l’ordre régulier. Les lois ne la combattaient plus comme au temps des empereurs; du moins elles ne la consacraient pas encore. Ce vasselage tenait déjà une grande place dans les mœurs, dans les usages, dans les intérêts; il n’en avait encore presque aucune dans le droit public.


III. — POURQUOI LE REGIME FEODAL A PREVALU.


Au commencement du moyen âge, deux systèmes d’institutions étaient en présence. Dans l’un, les hommes obéissaient à une autorité publique, à des lois générales, à une administration commune : c’était la monarchie; dans l’autre, ils obéissaient individuellement l’un à l’autre en vertu d’un pacte personnel et volontaire : c’était la féodalité. La monarchie était encore la plus forte dans les lois; la féodalité commençait à être la plus forte dans les mœurs. La façon dont elles luttaient entre elles est singulière; les hommes ne s’apercevaient pas qu’elles fussent inconciliables : aussi voyait-on les rois travailler pour la féodalité pendant que les seigneurs ne sentaient pas distinctement qu’ils combattaient contre la monarchie. Quoiqu’elles fussent incompatibles, on prétendait les faire vivre ensemble. Ni les rois de la famille de Clovis, ni ceux de la famille de Charlemagne, n’interdirent aux hommes de contracter le lien de vasselage. Ils espérèrent que la chaîne des vassaux continuerait à remonter d’anneau en anneau jusqu’au roi; ils ne virent pas que, si la féodalité pouvait bien laisser subsister le nom de roi, il était impossible qu’elle ne détruisît pas la royauté.

Ces deux régimes se partagèrent et se disputèrent les hommes durant quatre siècles, vivant en concurrence et se dressant sur le même sol. Chacun pouvait librement choisir entre eux et, suivant son intérêt ou son caprice, se porter vers l’un ou vers l’autre. Gaulois et Germains, petits et grands, tous jouissaient à cet égard du même droit. Celui qui avait adopté d’abord l’un des deux avait encore la faculté de revenir à l’autre : de vassal, il pouvait redevenir homme libre; d’homme libre, il pouvait se faire vassal. Le sol passait de même par les deux états; le bénéfice se transformait incessamment en alleu, l’alleu en bénéfice. Il arrivait ainsi que deux gouvernemens de diverse nature, chacun avec ses règles spéciales et sa discipline propre, étendaient leur réseau sur toutes les parties du territoire, se joignant et se heurtant partout, ayant chacun en quelque sorte un pied dans chaque canton, dans chaque famille, dans chaque existence humaine. Cette singularité n’est pas propre à la Gaule; on la trouve dans toutes les sociétés de ce temps-là. Elle se rencontre chez les Visigoths d’Espagne et chez les Anglo-Saxons aussi bien que chez les populations gallo-franques. Du VIIe au IXe siècle, toute l’Europe hésita entre le régime de l’état ou de l’autorité publique et le régime du patronage ou de la féodalité.

D’où vient que ce fut ce dernier qui prévalut à la fin? On ne peut sans doute pas attribuer le cours que prirent les événemens à une volonté nettement exprimée par les populations. On ne voit pas qu’elles se soient concertées, qu’elles aient discuté et mis en balance les avantages des deux régimes, ni qu’elles se soient décidées pour l’un d’eux après mûre délibération; mais ce qui ne se voit pas non plus, c’est que ces événemens se soient produits contrairement à la volonté formelle des populations. L’établissement de la féodalité n’est pas le résultat d’un coup de force, d’un grand acte de violence. Les seigneurs n’étaient pas des conquérans; il y avait parmi eux autant de Gaulois que de Germains. Supposer que ces hommes de toute race, sur tous les points à la fois du territoire, se soient coalisés pour briser la royauté et asservir les peuples, c’est supposer un fait impossible et dont les documens n’ont pas gardé le moindre indice. Ce régime a été le développement naturel et pour ainsi dire l’épanouissement des vieilles institutions de patronage et de fidélité. Il existait en germe dans la Gaule indépendante; il se retrouva dans les derniers siècles de l’empire romain; il prit vigueur après la chute de l’autorité impériale. Les lois romaines l’avaient combattu et traité en ennemi; les lois mérovingiennes cessèrent de le combattre, et les rois le favorisèrent. Pendant plusieurs générations, il marcha de pair avec les institutions monarchiques; à la fin il les renversa et prit l’empire.

Cette victoire ne s’opéra pas d’un seul coup; elle ne fut même pas l’effet d’un grand effort collectif; se figurer qu’un parti tout entier y ait travaillé avec suite et avec entente serait se faire une idée fausse. Elle fut l’œuvre, non d’un parti ni d’une classe, mais d’un nombre incalculable d’hommes qui y travaillèrent isolément. Il y a surtout dans cet événement un caractère singulier : ce ne fut pas une révolution sociale s’imposant aux individus humains, ce fut une révolution accomplie par les individus humains qui s’imposa ensuite à la société. Avant le temps où nous voyons ce régime s’établir dans les lois, il y a déjà plusieurs générations d’hommes qu’il s’est implanté dans presque toutes les existences; il y a deux ou trois siècles que les hommes sont venus l’un après l’autre mettre leurs intérêts, leurs habitudes, leur état d’âme en conformité et en harmonie avec lui. Avant la révolution publique et légale, il s’est produit une multitude innombrable de révolutions personnelles. Les relations de l’homme avec l’homme ont changé insensiblement, et, quand cette transformation de presque tous les rapports individuels a été achevée, le régime féodal s’est trouvé constitué.

Si l’on cherche quelles furent les causes qui déterminèrent chaque homme à se porter vers le patronage et la féodalité, on reconnaît que la principale fut le désordre du temps et l’impuissance des institutions politiques à gouverner les hommes. Il faut nous représenter en effet le trouble extrême dans lequel vécut cette société à partir des invasions germaniques. L’entrée des Germains en Gaule n’avait pas été précisément une conquête, mais elle avait été un immense désordre. Ce flot d’étrangers avides qui s’étaient répandus sur toutes les parties du territoire avait mis la confusion dans les intérêts et les relations sociales en même temps que dans les idées et dans les consciences. Les nouveau-venus n’étaient ni meilleurs ni plus mauvais que les anciens habitans ; seulement ils avaient d’autres vertus et d’autres vices, d’autres habitudes, un autre langage, une autre manière de penser sur presque toutes choses. Ils avaient surtout des intérêts à satisfaire, des convoitises à assouvir. Si ce débordement d’étrangers s’était opéré d’un seul coup et en une fois, la vie sociale aurait bientôt repris son cours régulier; mais cette sorte d’invasion dura quatre siècles. Ce fut une immigration incessante et continue durant quinze générations d’hommes. La sécurité des droits individuels et la régularité des rapports sociaux ne purent tenir contre cette affluence d’intérêts toujours nouveaux, de cupidités toujours renaissantes.

Devant des difficultés de cette nature et de cette persistance, la royauté fut incapable de maintenir l’ordre. Elle manquait autant d’autorité morale que de force matérielle. Le trait caractéristique de la dynastie mérovingienne est de n’avoir jamais été obéie. Un jour qu’une armée avait été honteusement mise en déroute et n’avait su que piller son propre pays, les chefs appelés devant le roi se justifièrent en ces termes : « Que voulez-vous que nous fassions ? Le peuple s’abandonne à toute sorte de vices et tous se complaisent dans le mal; nul ne craint le roi, nul ne respecte les officiers royaux; si quelqu’un de nous veut punir les fautes, on s’insurge. » Une autre fois, le chroniqueur raconte qu’il s’éleva une guerre civile entre des Francs de la ville de Tournai; deux beaux-frères s’étant pris de querelle, eux et leur suite se massacrèrent si bien que des deux troupes il ne resta qu’un seul homme vivant ; les parens des deux hommes en vinrent aux mains à leur tour. Ni les lois, ni la justice, ni l’autorité royale, n’eurent la force de mettre fin à cette querelle; la reine Frédégonde ne vit qu’un moyen de l’étouffer, ce fut d’inviter à un repas ce qu’il restait des deux familles et d’égorger tout. Les chroniques du temps sont pleines de faits semblables. Ici c’est un habitant de Soissons qui à la tête de ses fidèles met le feu à un quartier de la ville; là c’est la troupe d’un évêque qui livre bataille à la troupe d’un laïque. Chaque fois que Frédégaire mentionne la tenue d’un plaid royal, c’est pour raconter la lutte à main armée de deux chefs de bandes en présence du roi, qui ne peut pas les séparer. La faiblesse de cette royauté était manifeste, elle ne pouvait pas assurer la paix publique. On serait tenté de croire que, dans une société où l’autorité publique était annulée et ne garantissait plus les droits individuels, il dut se produire une grande insurrection des classes inférieures, et que ce furent les plus pauvres qui dépouillèrent les plus riches. Il n’y eut pourtant rien de pareil. Les prolétaires ne gagnèrent absolument rien au désordre social; ce furent au contraire les plus riches qui en profitèrent, et ce furent surtout les petits propriétaires qui en furent les victimes. L’événement montra ici que l’autorité publique est encore plus salutaire aux classes inférieures qu’aux classes élevées, et que, si cette autorité vient à disparaître, ce sont les faibles qui souffrent le plus. Il se produisit en effet dans cette anarchie, qui dura plusieurs générations d’hommes, une spoliation incessante, non des riches par les pauvres, mais des pauvres par les riches. Les spoliateurs dont les chroniques parlent si souvent sont indifféremment Francs ou Gaulois, laïques ou ecclésiastiques, mais ils sont toujours des hommes déjà puissans. Grégoire de Tours parle de deux évêques, nommés Cautinus et Bodégisile, qui paraissent être l’un Gaulois et l’autre Germain, et qui étaient tous les deux également âpres à envahir le bien d’autrui. Nul n’était en sûreté dans le voisinage de Cautinus : « il mettait la main sur toutes les terres qui touchaient aux siennes; pour les grands domaines, il se les faisait adjuger en justice; pour les petits, il les prenait de force et contraignait les malheureux propriétaires à lui livrer leurs titres de propriété. » Si telle était la conduite de quelques évêques, jugez celle des laïques. Le même chroniqueur cite un certain Pélagius, habitant de Tours, qui, profitant de l’influence que lui donnait un emploi dans l’administration, « ne cessait de voler, d’envahir les propriétés, de tuer ceux qui lui résistaient[11]. » Une foule d’anecdotes marquent combien il était difficile à la veuve, à l’orphelin, même au petit propriétaire, de conserver son bien. Les actes de cette époque sont remplis de procès pour usurpation de propriété[12].

Il semble que l’occasion eût été belle alors pour les esclaves de s’affranchir. Nombreux comme ils étaient et n’étant pas maintenus sous le joug par les pouvoirs publics, on croirait qu’il leur eût été aisé de sortir de leur servitude. Ils ne l’essayèrent même pas; les insurrections de serfs sont d’une époque bien postérieure. Au temps des rois mérovingiens, non-seulement le nombre des esclaves ne diminua pas, mais il augmenta dans une forte proportion. Les actes de donation et de testament mentionnent de nombreux achats d’esclaves. Il est avéré que beaucoup d’hommes se vendaient volontairement. D’autres étaient enlevés de force et réduits en servitude. Ce n’était pas seulement au nom du droit de la guerre que les hommes étaient ainsi asservis; ce n’étaient pas seulement les rois qui, dans leurs querelles intestines, condamnaient leurs prisonniers à l’esclavage. Il se commettait en outre, journellement et sur tous les points du territoire, une foule de vols de personnes humaines, et il y avait une sorte de brigandage organisé contre la liberté. Nous lisons dans la loi salique : « Si quelqu’un a dérobé un homme libre et l’a vendu,... » et dans la loi des Ripuaires : « Si un homme libre a vendu au-delà des frontières un autre homme libre... » Ainsi, dans cette confusion universelle, ce n’était pas l’esclave qui reprenait sa liberté, c’était l’homme libre qui était à tout moment menacé de tomber dans l’esclavage.

Le fait dominant de cette triste époque, celui qui remplissait toutes les existences et les troublait toutes, c’était l’absence de sécurité. Défendre son bien, sa liberté, sa vie, était la grande affaire, la grande difficulté, la suprême ambition de l’être humain. Pour cela, il ne fallait compter ni sur les rois, ni sur leurs fonctionnaires, ni sur les tribunaux. L’administration et la justice étaient sans force. Il arriva alors ce qui s’était toujours produit et ce qui se produira toujours en pareil cas : le faible, qui ne se sentait pas protégé par les pouvoirs publics, demanda à un fort sa protection et se mit sous sa dépendance. Le patronage fut le refuge de tous ceux qui voulaient vivre en paix. Telle est l’inévitable loi; les inégalités sociales sont ordinairement en proportion inverse de la force de l’autorité publique. Entre le petit et le grand, entre le pauvre et le riche, c’est cette autorité publique qui rétablit l’équilibre. Si elle fait défaut, il est à peu près inévitable que le faible obéisse au fort, que le pauvre se soumette au riche.

Mais pourquoi les faibles ne défendirent-ils plus vaillamment leur indépendance et leurs propriétés? Ils étaient nombreux, la loi leur permettait de s’associer; ils possédaient des armes; pourquoi ne s’opposèrent-ils pas au triomphe des institutions aristocratiques[13]? Cela tient à l’état psychologique de ces générations. A la distance où nous sommes d’elles, nous sommes portés à croire qu’elles étaient fort courageuses; il nous semble que des hommes qui usaient si volontiers du glaive devaient avoir une grande force de caractère, et il ne manque pas d’historiens qui attribuent les désordres de cette époque à une exubérance de l’énergie individuelle. De la lecture des documens contemporains, il ressort une vérité toute contraire. Il s’en faut beaucoup que les chroniqueurs nous représentent ces populations comme fort vaillantes. Ils nous donnent plus d’exemples de lâcheté que de courage. Ils montrent que ces hommes n’allaient à la guerre que malgré eux, qu’ils fuyaient aussitôt qu’ils se voyaient inférieurs en nombre, qu’ils refusaient souvent de combattre, qu’il fallait faire luire à leurs yeux l’espoir du butin pour les décider à courir quelque danger. On ne saurait imaginer un spectacle plus répugnant que celui d’une armée mérovingienne; ce n’est, la plupart du temps, qu’un ramassis de misérables qui pillent, qui brûlent, qui tuent la population inoffensive, même dans leur propre pays, et qui souvent, à la première vue de l’ennemi, se débandent[14]. Ils se révoltent contre leurs chefs quand ceux-ci refusent de les mener au butin, et ils se révoltent encore quand on les conduit contre un adversaire trop nombreux ou trop vaillant. Nulle différence sur ces points-là entre le Franc et le Gaulois; les documens qui les montrent mêlés et confondus dans les armées n’indiquent jamais que l’un fût plus discipliné ou plus brave que l’autre[15]. Les Thuringiens, les Alamans, les Saxons ne valaient pas mieux; ils sont maintes fois représentés implorant lâchement la pitié de l’ennemi. Les descriptions de batailles que nous avons de toute cette époque montrent qu’on luttait de ruse et de fourberie plus souvent que de courage. L’issue d’un combat est presque toujours décidée à première vue; le plus nombreux a tout de suite la victoire ; de l’autre côté, c’est une fuite éperdue. On ne voit pas de ces belles résistances qui honorent la défaite et ramènent quelquefois la fortune. C’est que le vrai courage n’appartient guère aux sociétés troublées; il ne s’allie pas avec la cupidité et les passions égoïstes; il lui faut certaines vertus calmes et désintéressées, et il se peut même que la bravoure guerrière ne soit qu’une des formes extérieures de l’esprit de discipline sociale. L’affaiblissement des caractères est visible dans les documens de ce temps-là. Beaucoup d’intrigues, de violences, de crimes; nulle énergie d’âme; rien de fier ni de noble. L’idée même de la grandeur morale ne semble être conçue par personne. C’est une des époques où la société se montre avec le plus de faiblesse, et l’être humain avec le plus de lâcheté. Chacun a peur. Voyez de quel ton humble on parle au roi[16]; on parle de même au moindre fonctionnaire ou à tout homme plus fort que soi; on appelle cet homme du nom de maître et l’on se qualifie soi-même d’esclave. On signe des actes où il est dit que, ne pouvant se nourrir ni se vêtir, on se livre à la charité d’autrui. On tremble, on se courbe, on ne demande qu’à servir. Ne croyons pas que le trouble social et l’effacement de l’autorité publique aient rendu vigueur à l’âme humaine; elle s’y est au contraire affaissée, amollie, brisée, et elle y a perdu ce qu’il lui restait encore de vertu et d’énergie.

Dans cet universel affaiblissement, dans cette égale absence d’ordre social et de vigueur individuelle, chacun chercha sa sûreté où il put. Le patronage seul offrait un asile sûr, on y courut. Ce qui faisait que cette protection était sûre, c’est qu’on l’achetait : elle n’eût été qu’un vain mot, comme celle que promettaient les lois et l’autorité publique, si le protégé ne l’eût payée d’un prix réel et palpable. Quand un homme se recommandait, c’est-à-dire adoptait un seigneur, c’était toujours pour être protégé; toujours aussi il donnait quelque chose en échange de l’avantage qu’il implorait. Il promettait une redevance, des services; il faisait plus, il donnait sa terre; il livrait sa personne même. De son alleu, il faisait un bénéfice ou un fief; d’homme libre, il devenait vassal, c’est-à-dire serviteur[17]. Plus le sacrifice était grand, plus la protection lui était assurée. Le patron devenait un défenseur intéressé. Comment n’aurait-il pas défendu de son mieux cette terre qui était devenue sa propriété, cet homme qui était devenu son homme? En se livrant, on avait trouvé le meilleur moyen d’être protégé.

Gardons-nous de croire que le joug du patronage ou du séniorat, — ce second terme remplace le premier à partir du VIIIe siècle, — ait été imposé de force aux populations. Ce furent elles qui allèrent au-devant de lui. La lecture des documens et l’observation des faits donnent à penser que le faible rechercha l’appui du fort plus souvent que le fort ne mit de lui-même son autorité sur le faible. Il est surtout incontestable que ce lien s’est établi en vertu d’une multitude de contrats individuels. Chaque homme a pu choisir entre l’indépendance et le vasselage[18]. Les chroniques n’offrent pas un seul exemple d’une province où les hommes aient été réduits à l’état de vassaux par la force. On voit bien qu’ils auraient préféré rester libres et propriétaires : il n’est pas douteux qu’ils n’eussent souhaité la protection sans la dépendance; mais ce fut toujours en vertu d’un acte de volonté personnelle que chacun d’eux, après avoir tout calculé, se fit vassal et sujet. Cette sujétion s’établit par contrat régulier; ce fut un véritable marché par lequel l’un vendait sa protection, l’autre vendait son obéissance.

Le contrat était personnel et n’engageait jamais les héritiers des contractans; il était rompu par la mort de l’une ou de l’autre des deux parties. La liberté du choix reparaissait donc à chaque génération. S’il s’était trouvé depuis le VIe siècle jusqu’au XIe un seul moment où la majorité des hommes eût intérêt à ressaisir sa liberté, elle pouvait la reprendre. Il se trouva au contraire que le désordre alla grandissant de siècle en siècle. Le plus ardent désir des hommes ne fut pas d’être libres, ce fut de vivre en sûreté. Représentons-nous un petit propriétaire de ce temps-là : son champ est assez grand pour lui suffire, il y vivrait à l’aise; mais, isolé qu’il est et mal protégé par l’autorité publique, il ne saurait se défendre contre la violence et la cupidité. Il voit qu’à côté de lui un grand propriétaire, homme riche, bien armé, entouré de nombreux serviteurs, sait repousser les attaques, et que sur ce domaine on laboure et on récolte avec quelque sécurité. Comment ne lui viendrait-il pas à l’esprit que sa petite terre jouira du même calme dès qu’elle fera partie du grand domaine? Il la donne, on la lui rend à titre de bénéfice, il y vit dès lors sans crainte, et, en rendant les redevances ou les services convenus, il peut compter sur sa moisson de chaque année. Si le riche voisin est un monastère, la tentation de se livrer est encore plus forte, car la paix est mieux assurée sur la terre d’église que sur toute autre, et le saint du couvent défend son sol avec autant d’énergie pour le moins que l’homme de guerre. Le petit propriétaire renonce en faveur du saint à son droit de propriété, et, devenu simple bénéficiaire, il jouit et travaille en paix. D’autres sont déterminés par d’autres motifs. La propriété est grevée d’impôts; le riche antrustion ou le monastère a obtenu d’en être exempt, et les chartes prononcent même que cette immunité s’étendra à toutes les terres qu’il acquerra dans la suite; il arrivera alors que le petit propriétaire livrera son champ pour le décharger de l’impôt, il le reprendra en bénéfice, et aimera mieux payer une légère redevance à son seigneur que l’impôt au roi. Un autre a une terre qu’il possède en plein droit d’alleu, mais la loi veut que tout propriétaire soit soldat toute sa vie et à ses frais; or il y a une guerre presque chaque année, et c’est chaque année la ruine du cultivateur : cet homme donnera sa terre et se donnera lui-même à un couvent pour éviter les dangers et surtout les dépenses du service militaire[19].

Voilà pour quels motifs il y eut à chaque génération nouvelle un plus grand nombre d’hommes qui se firent sujets, un plus grand nombre d’alleux qui devinrent bénéfices. A chaque génération s’accrut le danger de rester libre et l’avantage d’être dépendant. Il se fit un mouvement continu et de plus en plus rapide vers la vassalité. L’autorité publique perdant chaque jour du terrain, le patronage en gagna chaque jour. Insensiblement il prit possession de presque toutes les terres et de presque toutes les personnes humaines. Il attirait tout à lui. Ce n’étaient pas seulement les faibles et les pauvres qui s’y réfugiaient, il n’était homme si fort qui pût se flatter d’y échapper, car le puissant rencontrait toujours un plus puissant que soi. Comme les plus petits recherchaient sa protection, il recherchait à son tour celle d’un plus grand. On se recommandait à lui, et il se recommandait à un autre. On était son vassal, et il était vassal. On lui livrait la terre, et il livrait la sienne. On s’était fait bénéficiaire à son égard, et il devenait à son tour un bénéficiaire. Tous les liens de dépendance que d’autres avaient contractés envers lui, il les contractait envers un autre. On l’appelait d’un côté maître et seigneur, et il y avait d’un autre côté un personnage qu’il appelait aussi son maître et son seigneur et dont il se disait l’homme. C’était une chaîne d’engagemens. Le contrat de protection et de fidélité se reproduisait de degré en degré dans toute l’échelle sociale. Entre le roi et le comte, entre le comte et le simple seigneur, entre ce seigeur et celui qu’on appelait « un nourri, » les conditions et les lois du patronage étaient les mêmes, elles avaient toujours pour effet de soustraire l’homme à l’autorité publique et de le soumettre corps et âme à un autre homme.

IV. — DU PATRONAGE ET DE LA FIDÉLITÉ APRÈS CHARLEMAGNE.


Charlemagne releva l’autorité monarchique; il prit le titre d’empereur, il fit revivre les règles administratives de l’empire romain, ses traditions et jusqu’à son langage. Sur un point toutefois il s’écarta de l’ancienne politique de l’empire : au lieu d’interdire le patronage, il l’autorisa formellement. Il en fit une institution régulière et légale; il lui donna place dans ses Capitulaires. Il permit aux hommes libres de se recommander, c’est-à-dire de se mettre en vasselage, de se donner à un seigneur et de lui prêter le serment de foi. Louis le Débonnaire fit comme lui. Charles le Chauve alla plus loin : il exigea que tout homme dans son royaume eût un seigneur et fût vassal. Nous ne pouvons pas croire que ces trois princes fussent assez aveugles pour ne pas voir que cette institution devait un jour briser leur pouvoir; mais ils étaient en présence d’un de ces faits sociaux contre lesquels aucune force ne peut lutter. Il est vrai que Charlemagne mettait au-dessus de l’autorité seigneuriale sa propre autorité. Il voulait que chaque homme libre, en prêtant le serment de foi à celui qu’il faisait son seigneur, prêtât le même serment au roi; mais il y avait là une contradiction. Les obligations de la fidélité étaient tellement rigoureuses, tellement sans limites, elles constituaient une subordination si complète de tout l’être humain, qu’il était moralement impossible d’être à la fois le fidèle d’un seigneur et le fidèle du prince. Il fallait choisir.

Il n’est guère douteux que les classes inférieures n’eussent préféré obéir au prince, si elles se fussent senties suffisamment protégées par lui. Elles n’auraient pas subi l’autorité seigneuriale, si l’autorité monarchique avait pu les soutenir et étendre sa main jusqu’à elles. Charlemagne le savait; aussi répète-t-il maintes fois dans ses Capitulaires qu’il veut protéger les faibles. » Que les veuves, dit-il, que les orphelins, que tous ceux qui sont faibles vivent en paix sous notre défense, et qu’on respecte leurs droits. » Il enjoint aux commissaires impériaux de prendre surtout la défense des pauvres; mais la fréquence même de ses recommandations à cet égard fait douter qu’elles aient été efficaces. De telles instructions ne se rencontrent guère dans les états où les droits des faibles sont réellement respectés.

On se fait facilement illusion sur l’époque de Charlemagne. Comme les générations qui suivirent furent démesurément malheureuses, elles se représentèrent son règne comme un temps de paix intérieure, d’ordre, de prospérité. Qu’on lise les Capitulaires de ce prince, ils sont pleins de traits qui révèlent la misère publique, les souffrances et le mécontentement des populations. Il nous dit lui-même, en son langage officiel, à quels désordres il avait à faire face. « Que les hommes libres, écrit-il, ne soient plus contraints par les comtes à travailler à leurs prés, à faire leurs labeurs ou leurs moissons. » — « Que personne, dit-il ailleurs, ne soit assez hardi pour établir de sa propre autorité des péages nouveaux sur les rivières ou sur les routes. » Des iniquités d’une autre nature se produisaient. « Nous ne voulons pas, dit encore Charlemagne, que les petits propriétaires soient opprimés par les grands; nous ne voulons pas qu’écrasés par la fourberie ou la violence ils soient contraints de vendre ou de donner leurs terres. » En l’année 811, de nombreuses réclamations parvinrent à l’oreille du prince de la part de cette classe d’hommes que la langue du temps appelait les pauvres. Or nous devons bien entendre que ces pauvres n’étaient pas les mêmes hommes qu’on appelle de ce nom dans les sociétés modernes. Au-dessus des esclaves, des colons, des tenanciers, des prolétaires, s’élevaient ces « pauvres, » qui n’étaient autres que les petits propriétaires d’alleux. Ces hommes, qui seraient presque des riches dans nos états démocratiques, étaient réellement des pauvres et des faibles dans la société de ce temps-là. C’étaient eux qui souffraient le plus. Ils n’avaient pas la sécurité du serf que son puissant maître protégeait. Ils étaient quotidiennement menacés dans leur liberté et dans leurs biens. « Ces pauvres crient vers nous, dit Charlemagne; on les dépouille de leurs propriétés : si l’un d’eux refuse de livrer sa terre, on trouve mille moyens de le faire condamner en justice, ou bien on le ruine en le grevant outre mesure des charges militaires, jusqu’à ce qu’on l’oblige bon gré mal gré à vendre ce qu’il a ou même à le donner pour rien. »

L’autorité publique aurait dû défendre ces hommes; mais c’étaient au contraire les dépositaires de l’autorité qui les opprimaient; c’étaient les comtes, les centeniers, les évêques, que ces hommes accusaient de les dépouiller. Charlemagne était réduit à émettre cette singulière prescription : « nous interdisons à nos fonctionnaires d’acheter par des moyens frauduleux les propriétés des pauvres ou de les ravir par force. » Lorsque Louis le Débonnaire, en prenant possession du trône, fit faire une enquête générale, on constata « qu’une incroyable multitude d’hommes avaient été opprimés, spoliés de leur patrimoine, privés de leur liberté. » Ainsi cette monarchie de Charlemagne, si puissante qu’elle nous paraisse, avait été incapable de soutenir les faibles. Sous ses successeurs, nous ne rencontrons pas les mêmes plaintes, parce qu’on ne se plaignit même plus. Tous les désordres grandirent. « En ce temps-là, dit un annaliste en parlant du règne de Louis le Débonnaire, le royaume était couvert de la désolation, et la misère des hommes allait croissant de jour en jour. » Plusieurs chroniqueurs ajoutent que des troupes de brigands parcouraient le pays. La plupart de ces grands, qui figurent dans l’histoire des Carlovingiens, étaient des chefs de bandes armées[20]. Chacun d’eux avait des soldats, et le roi n’en avait pas. Ils avaient la force qui peut à son gré opprimer ou défendre, et le roi ne possédait aucun moyen d’exiger l’obéissance ou de donner sa protection.

Il arriva alors ce qui était arrivé chaque fois que les mêmes circonstances s’étaient rencontrées. Le faible, qui ne trouvait pas d’appui dans l’autorité publique, implora l’appui d’un homme puissant. Ce que César disait des anciens Gaulois peut se répéter pour les hommes du IXe siècle : « Chacun se donna à l’un des grands pour ne pas être à la merci de tous les grands. » Les contrats de patronage, de recommandation, de fidélité, se multiplièrent; on se fit client, fidèle, vassal pour vivre en paix. On se sentait abandonné de la royauté: on l’abandonna aussi, et l’on se livra à un comte, à un évêque, à un baron, dont on fit son seigneur, c’est-à-dire à la fois son protecteur et son maître. Voici, d’après une ancienne charte, un exemple de ces conventions : « Les hommes libres du pays de Wolen, jugeant que Gontran, homme puissant et riche, serait pour eux un chef bon et clément, lui offrirent leurs terres à condition qu’ils en jouiraient comme bénéficiaires, héréditairement, sous sa protection, en lui payant un cens annuel. » Ces hommes changeaient leur alleu en bénéfice, leur liberté en sujétion, pour avoir un défenseur.

Puis vinrent les incursions des Normands. Ces hommes, que la faim ou les divisions intestines chassaient de la Scandinavie, ne formaient que de méprisables troupes de pirates. On est surpris de leur petit nombre et du mal qu’ils firent. On se demande comment la société gallo-germaine avait pu devenir tout à coup si faible qu’elle ne sût pas résister à de pareils ennemis. Quelques chroniqueurs du temps ont attribué cette inconcevable impuissance à la bataille de Fontanet, dans laquelle le sang guerrier se serait épuisé. Il est vraisemblable que ce qui épuisa bien davantage ces générations, ce fut la perte de toute discipline sociale et la division qui se mit en elles. Elles furent incapables de se défendre contre les convoitises des peuples pauvres. Norvégiens, Danois, Hongrois, Sarrasins, tous ceux qui étaient très avides et un peu hardis, se jetèrent sur elles. A de si misérables adversaires, ce grand corps désorganisé ne sut opposer ni des frontières, ni des armées, ni une seule flotte. Ils attaquèrent de tous les côtés à la fois; ils étaient peu nombreux, mais, comme ils se multipliaient par le mouvement, on les rencontrait partout et on les croyait innombrables. Les Africains pillèrent Rome, l’Italie et la Provence; les Slaves et les Hongrois ravagèrent l’Allemagne; les Norvégiens et les Danois saccagèrent la France. Ils arrivaient sur des barques, remontaient le Rhin, la Seine, la Loire, brûlaient les villes, emportaient l’or, détruisaient les moissons et les villages, égorgeaient les paysans ou les emmenaient esclaves. « Ce n’était partout, dit un annaliste, que villages incendiés et églises abattues; partout des cadavres de clercs et de laïques, de nobles et de non-nobles, de femmes et d’enfans; il n’y avait pas une place, pas un chemin où l’on ne trouvât des morts ; c’était une grande douleur de voir comme le peuple chrétien était exterminé. » — « Une année, dit encore l’annaliste, ces hommes du nord quittèrent la France, parce qu’ils n’y trouvaient plus de quoi vivre. »

Les populations résistaient de leur mieux ; les chroniqueurs mentionnent souvent des actes de bravoure, et dans toutes les classes. Les rois, ces mêmes rois carlovingiens qu’on représente comme insoucians et oublieux de leurs devoirs, sont au contraire très actifs et très prompts à combattre; leur seul malheur est de ne pouvoir être partout à la fois. Nous les voyons toujours en mouvement, courant d’une frontière à l’autre pour faire face à l’ennemi ; ils ne connaissent pas le repos; Charles le Chauve lui-même a toujours l’épée à la main. Les grands montrent aussi du courage; on peut compter dans les annales tous ceux qui essaient de lutter, qui défendent les villes, qui surprennent l’ennemi, qui le mettent en déroute ou se font tuer. Il n’est pas jusqu’aux paysans qui ne prennent les armes; ils défendent vaillamment leur sol. Le courage ne manque pas et chacun fait ce qu’il peut ; mais ce n’est pas par le courage qu’une société se défend contre les convoitises de l’étranger, c’est par l’union et la discipline. Il faut que les forces individuelles sachent se grouper pour former une force publique. Or c’était cela même qui faisait le plus défaut à la France du ix« siècle. La royauté n’avait ni armées permanentes, ni forteresses qui fussent à elle, ni administration régulière, ni rien de ce qui protège un grand corps social. Comme on ne lui obéissait plus, elle était aussi incapable de défendre les populations.

Le principal résultat des incursions normandes fut de manifester à tous les yeux cette impuissance de la royauté : elles furent l’épreuve à laquelle on la jugea. Les peuples ne songèrent pas qu’ils étaient en partie coupables de sa faiblesse. Ils ne virent qu’une chose, c’est que la royauté ne les protégeait pas. Ils auraient voulu que, comme l’ennemi se montrait partout, elle fût aussi partout présente, et ils ne la voyaient presque nulle part. Ils lui reprochèrent de les trahir. Ce sentiment des générations du IXe et du Xe siècle a laissé des traces profondes dans les traditions et les préjugés des générations suivantes. Robert Wace, dans le roman de Rou, reproduit sans nul doute les pensées des hommes écrasés et ruinés par les Normands quand il leur fait dire au roi de France :

Que fais-tu? que demeures? que penses? que attends?
Ni tu ne nous quiers paix ni tu ne nous defens.


En vain le roi répond-il qu’il n’est qu’un homme :

Je ne puis par moi seul Rou et Normans chasser;
Je ne puis d’un seul cors contre tous esforcier.
Que peut faire un seul hom et que peut exploitier,
Si li home li faillent qui li doivent aidier?


Il n’importe; c’est à lui que l’on impute tous les maux que l’on souffre :

Virent li moutiers ars et le peuple tué
Par défaute de roi et par sa faibleté.


La faiblesse est en effet ce que les peuples pardonnent le moins à leurs princes. La désaffection des hommes à l’égard des Carlovingiens est venue de là. Comme ils ne protégeaient pas, on cessa en même temps de les craindre et de les aimer.

Alors tous les regards et toutes les espérances se portèrent vers les seigneurs. On était sûr de les trouver au moment du danger; on n’avait pas à attendre qu’ils vinssent de loin, ni à craindre qu’ils fussent occupés ailleurs, car ils habitaient la province ou le canton menacé. Entre le comte et la population du comté, entre chaque seigneur et les hommes qui dépendaient de lui, le lien des intérêts était visible. Le champ du laboureur était le domaine du seigneur; celui-ci le défendait donc comme son bien propre ; si soupçonneux que fussent les hommes, ils ne pouvaient accuser leur seigneur direct de trahison ni même d’insouciance. Vainqueur, on ne lui ménageait pas la reconnaissance; vaincu, on ne doutait pas qu’il ne souffrît plus que personne. Ce seigneur était bien armé; il veillait pour tous. Fort ou faible, il était le seul défenseur et le seul espoir des hommes. La moisson, la vigne, la cabane, tout périssait avec lui ou était sauvé par lui.

C’est à cette époque que l’on éleva les châteaux-forts. Six siècles plus tard, les hommes furent saisis d’une immense haine contre ces forteresses seigneuriales; au moment où elles se construisirent, ils ne sentirent qu’amour et reconnaissance. Ces forteresses étaient faites non pas contre eux, mais pour eux ; elles étaient le poste élevé d’où leur défenseur guettait l’ennemi ; elles étaient le sûr dépôt de leurs récoltes et de leurs biens. En cas d’incursion, elles donnaient asile à leurs femmes, à leurs enfans, à eux-mêmes. Chaque château-fort était le salut d’un canton.

Les générations modernes ne savent plus ce que c’est que le danger. Elles ne savent plus ce que c’est que de trembler chaque jour pour sa moisson, pour son pain de l’année, pour sa chaumière qu’on aime, pour sa femme et ses enfans. Elles ne savent plus ce que devient l’âme sous le poids d’une telle terreur, et quand cette terreur dure quatre-vingts ans sans trêve ni merci. Elles ignorent ce que c’est que le besoin d’être sauvé. Ce besoin fit tout oublier ; on ne pensa ni à des rois qu’on ne voyait pas, ni à des libertés dont on n’aurait su que faire. On obéit à ceux par qui l’on était défendu ; on donna la sujétion en échange de la sécurité. Des milliers et des millions de contrats se formèrent entre chaque champ et le guerrier qui combattait pour lui, entre chaque existence humaine et le guerrier à qui l’on devait de vivre.

Alors s’établit ce que ces hommes appelèrent le droit de sauvement ou le droit de garde. Les petits propriétaires, les laboureurs, tous ceux qui étaient encore libres, mais qui avaient besoin d’être défendus contre l’envahisseur étranger ou l’oppresseur voisin, s’adressèrent à un guerrier et conclurent avec lui un contrat. Il fut convenu que l’homme de guerre sauverait et garderait le laboureur, sa famille, sa maison, ses meubles et son blé. Il fut convenu d’autre part que le laboureur paierait cette protection par une redevance pécuniaire et par l’obéissance. Ces contrats étaient écrits ordinairement en cette forme : « Je vous reçois, disait le guerrier, en mon sauvement et défense, et je vous promets en bonne foi de vous garder vous et vos biens, ainsi que doit le faire un bon gardien et seigneur. » Le laboureur écrivait de son côté « qu’il reconnaissait être sous la protection et garde de ce seigneur. » Dans beaucoup de chartes, le premier était désigné par le nom de sauveur, le second par celui de sauvatier ; la convention s’appelait un sauvement, et la redevance qui y était attachée portait le même nom. Elle était ordinairement fixée d’une manière irrévocable par le contrat lui-même. « Humbert, noble homme, est tenu de garder et défendre les hommes de la châtellenie de Saint-Germain, et nous, en échange de cette bonne garde, nous nous engageons à lui payer, à lui et à ses héritiers, un cens annuel de cent sous d’argent. » — « Le village paiera au vicomte cinq sous à titre de commendation, et moyennant cette somme le vicomte s’engage à sauver toujours et partout les hommes du village, soit quand ils sont dans leurs maisons, soit quand ils vont et viennent. » Ce qu’on appelait commendation était la même chose que le sauvement ou la garde. Voici une autre formule du contrat : « Le seigneur a la garde de tous les habitans du village et de chacun d’eux en particulier; sur chaque maison ayant charrue, il lèvera un setier d’avoine; sur celle qui n’a ni charrue ni bœufs, il ne lèvera qu’un quartaut. » Dans un autre village, chaque feu doit au sauveur une mine d’avoine, deux deniers et un pain. Ailleurs les hommes doivent faire pour lui trois journées de labour chaque année. Dans les pays de vignobles, l’homme de guerre s’engage à garder les vignes, et chaque vigneron lui fournit une mesure de vin. Quelquefois encore il s’engage à protéger sur les routes les voituriers qui transportent le vin, et ceux-ci lui paient un droit de protection. Dans quelques provinces, la redevance de sauvement s’appelait le vingtain; elle consistait dans la vingtième gerbe ou dans la vingtième partie des fruits et du vin. Ce droit seigneurial a été établi à l’origine par une série de conventions particulières entre chaque seigneur et les habitans de la terre, et il était le prix dont ceux-ci payaient la protection que celui-là s’engageait à leur assurer. Parfois le contrat stipulait que le produit du vingtain serait entièrement employé à fortifier le château qui était la sûreté du village. On ajoutait même que les paysans devraient deux jours de corvée chaque année pour travailler aux fortifications.

Ce sauvement a été, non pas la seule origine, mais une des origines principales de la féodalité. La protection a entraîné avec elle la sujétion. Le sauvé s’est fait serviteur, et le sauveur a été inévitablement un maître. Garde et commandement se sont confondus. Les hommes souffraient et tremblaient trop pour penser à leur liberté; entre le vasselage et la ruine ils n’ont pas hésité. Ils se sont soumis pour être défendus. Le joug ne leur a pas été imposé de force; ils l’ont accepté par un contrat formel. Ils n’ont pas été saisis violemment par l’autorité seigneuriale; ils sont allés au-devant d’elle. Comme on vivait d’ailleurs en un temps où le faible tenait plus à la protection que le fort ne tenait à l’autorité, ils consentirent à payer le prix de cette protection, et il leur sembla naturel d’indemniser le seigneur de ses soins et de sa peine. Plus tard, quand le cours des siècles eut modifié toute l’existence humaine, un tel contrat sembla injuste, et il est certain qu’il ne répondait plus à l’état politique et économique des sociétés nouvelles ; mais l’histoire doit attester qu’il y avait eu un temps où ce contrat avait été conforme aux intérêts et aux besoins des hommes.


FUSTEL DE COULANGES.

  1. Voyez la Revue du 15 mai 1873.
  2. Voyez ce que César dit du gouvernement des Éduens.
  3. Voyez ce que César dit de Dumnorix « cher à la plèbe, » et de Vercingétorix, qui, après avoir chassé les chefs du parti aristocratique, se fit roi. César, VII, 4; comparez César, V, 3; V, 27; I, 17 et 18.
  4. César, Guerre des Gaules, V, 38.
  5. César, Guerre des Gaules, III, 22; VI, 15; VI, 19; VII, 40. — Polybe, II, 17. — Diodore de Sicile, V, 29.
  6. Code théodosien, liv. XI, lit. 24.
  7. Code théodosien, XII, I. 50.
  8. Il s’en faut beaucoup que le mot leude désignât une classe aristocratique ; dans la langue du temps, il signifiait un serviteur, un homme des dernières classes. Voyez Grégoire de Tours, VIII, 9, et l’article 101 de la loi des Burgondes.
  9. Recueil des formules usitées dans l’empire franc, par E. de Rozière, n° 43.
  10. Papianus, titre 43 (Pertz, t. III, p. 622). Lex Wisigothorum, antiqua, liv. II, tit. 2, art. 8. Ce texte disparut plus tard de la loi et fut même remplacé par une disposition toute contraire : preuve des progrès du patronage.
  11. Grégoire de Tours, Hist. Franc, IV, 12; VIII, 39; VIII, 8; — comp. Frédégaire, Chron., 90, et les Diplomata, passim.
  12. Il y a eu surtout un genre de spoliation qui a été général. Il était dans les habitudes des Gaulois comme dans celles des Germains qu’à chaque groupe de propriétés privées correspondît une propriété commune en pâtures, eu forêts, en terres vagues. C’était la ressource des petits possesseurs. Elle fut usurpée presque partout par les grands propriétaires; les pauvres furent mis dans l’impossibilité d’user de leurs droits dans les forêts et les pâturages; par là, la culture de leurs petits champs leur devint de plus en plus difficile et onéreuse. Leur enlever leur part de communaux équivalait indirectement à leur enlever leur petit alleu ou à les forcer d’y renoncer eux-mêmes. Ainsi, loin que le désordre social ait amené la mise en commun des terres, il eut au contraire pour effet de supprimer presque partout ce qui était le bien commun, et cette suppression se fit non pas au profit des prolétaires ou des pauvres, mais au profit des propriétaires les plus riches.
  13. La querelle d’Ébroin et de saint Léger est quelquefois présentée comme une lutte des classes inférieures contre l’aristocratie; mais il n’y a pas un seul des chroniqueurs contemporains qui lui attribue ce caractère. Ni Frédégaire, ni les vies des saints, ni les diplômes ne fournissent le moindre indice d’une coalition ou d’un effort général des hommes libres.
  14. Grégoire de Tours, V, 14; VI, 31; VI, 45; VII, 24; VII, 38 et 39; X, 3. — Frédégaire, passim.
  15. Il y avait à la vérité quelques troupes d’élite, comme ces escadrons neustriens dont il est parlé dans la vie de Dagobert Ier et qui formaient le meilleur clément de l’armée du roi d’Austrasie.
  16. Les deux citations qu’on répète toujours et qui sont relatives aux guerriers de Thierry et de Clotaire ne doivent pas faire illusion; c’est l’ensemble des chroniques et des lettres du temps qu’il faut voir.
  17. Le sens primitif du mot vassal est celui de serviteur : il n’en a pas d’autre dans les documens du VIIe siècle.
  18. Nous ne parlons pas ici du servage; c’est un sujet à part et que nous espérons exposer à une autre occasion; disons tout de suite que le servage n’a aucun rapport avec la féodalité.
  19. Voyez sur ce point le 2e capitulaire de 805, article 15, et le 3e de 811, art. 4. — Voyez aussi le polyptyque de l’abbé Irminon, p. 31, n° 61.
  20. Voyez sur tous ces points : Annales xantenses, ad ann. 834 et 838; — Vita Ludovici ab anonymo, c. 53; — Nithard, IV, 7; — Annales Bertiniani, ad ann. 843; — Vita Walœ, dans Mabillon, Acta sanctorum, t. IV, p. 510.