Les Origines de la France contemporaine/Volume 6/Livre III/Chapitre 4

CHAPITRE IV

Situation précaire d’un gouvernement central enfermé dans une juridiction locale. — I. Avantage des Jacobins. — Leur prédominance dans les assemblées de section. — Maintien, réélection et achèvement de la Commune. — Ses nouveaux chefs, Chaumette, Hébert et Pache. — Refonte de la garde nationale. — Les Jacobins élus officiers et sous-officiers. — La bande soldée des tape-dur. — Fonds publics et secrets du parti. — II. Ses recrues parlementaires. — Leur caractère et leur esprit. — Saint-Just. — Violences de la minorité dans la Convention. — Pression des galeries. — Menaces de la rue. — III. Défections dans la majorité. — Effet de la peur physique. — Effet de la timidité morale. — Effet de la nécessité politique. — Défaillance interne des Girondins. — Par leurs principes, ils sont complices des Montagnards. — IV. Principaux décrets de la majorité girondine. — Armes et moyens d’attaque qu’elle livre à ses adversaires. — V. Les comités de surveillance à partir du 28 mars 1793. — Restauration du régime d’août et septembre 1792. — Le désarmement. — Les certificats de civisme. — L’enrôlement forcé. — L’emprunt forcé. — Emploi des sommes perçues. — Vaine résistance de la Convention. — Marat, décrété d’accusation, est acquitté. — Vaine résistance de la population. — La manifestation des jeunes gens est réprimée. — Violences et victoire des Jacobins dans les assemblées de section. — VI. Tactique des Jacobins pour contraindre la Convention. — Pétition du 15 avril contre les Girondins. — Moyens employés pour obtenir des signatures. — La Convention déclare la pétition calomnieuse. — La commission des Douze et l’arrestation d’Hébert. — Projets de massacre. — Intervention des chefs de la Montagne. — VII. Le 27 mai. — Le Comité central révolutionnaire. — La municipalité destituée, puis réinstallée. — Henriot commandant général. — Le 31 mai. — Mesures de la Commune. — Le 2 juin. — Arrestation des Douze et des Vingt-Deux. — VIII. Qualité des nouveaux gouvernants. — Pourquoi la France les a suivis.

« Citoyen Danton, écrivait le député Thomas Payne[1], le danger d’une rupture entre Paris et les départements croît tous les jours : les départements n’ont point envoyé leurs députés à Paris pour être insultés, et chaque insulte qu’on fait aux députés est une insulte pour les départements qui les ont choisis et envoyés. Je ne vois qu’un plan efficace pour empêcher cette rupture d’éclater : c’est de fixer la résidence de la Convention et des futures Assemblées à une distance de Paris… Pendant la révolution américaine, j’ai constaté les énormes inconvénients attachés à la résidence du gouvernement du Congrès dans l’enceinte d’une juridiction municipale quelconque. Le Congrès se tint d’abord à Philadelphie et après une résidence de quatre ans, trouva nécessaire de quitter cette ville. Il s’ajourna dans l’État de Jersey. Ensuite il se transporta à New-York. Enfin, quittant New-York, il revint à Philadelphie, et, après avoir éprouvé dans chacun de ces endroits le grand embarras qui naît du séjour d’un gouvernement dans un gouvernement, il forma le projet de bâtir, pour le future résidence du Congrès, une ville qui ne serait comprise dans les limites d’aucune juridiction municipale. Dans chacun des lieux où avait résidé le Congrès, l’autorité municipale s’opposait, par voie publique ou privée, à l’autorité du Congrès, et le peuple de chacun de ces lieux s’attendait à être compté et considéré par le Congrès pour une part plus grande que celle qui lui revenait dans une confédération d’États égaux. Les mêmes inconvénients se produisent maintenant en France, mais avec de plus grands excès. » — Danton sait cela et il est assez clairvoyant pour comprendre le danger ; mais le pli est pris, et il l’a donné lui-même. Depuis le 10 août, Paris tient la France asservie, et une poignée de révolutionnaires tyrannise Paris[2].

I

Grâce à la composition et à la tenue des assemblées de section, la source première du pouvoir est restée jacobine et se teint d’une couleur de plus en plus foncée ; par suite, les procédés électoraux qui, sous la Législative, avaient formé la Commune usurpatrice du 10 août, se sont perpétués et s’aggravent sous la Convention[3]. « Dans presque toutes les sections[4], ce sont les sans-culottes qui occupent le fauteuil, qui ordonnent l’intérieur de la salle, qui disposent les sentinelles, qui établissent les censeurs et reviseurs. Cinq ou six espions habitués de la section, soldés à 40 sous, y sont depuis le commencement jusqu’à la fin de la séance ; ce sont des gens à tout entreprendre. Ces mêmes hommes sont encore destinés à porter les ordres d’un comité de surveillance à l’autre,… de sorte que, si les sans-culottes d’une section ne sont pas assez forts, ils appellent ceux de la section voisine. » — En de pareilles assemblées, les élections sont faites d’avance, et l’on voit comment toutes les places électives demeurent par force ou arrivent forcément aux mains de la faction. À travers les velléités hostiles de la Législative et de la Convention, le conseil de la Commune est parvenu d’abord à se maintenir pendant quatre mois ; puis, en décembre[5], quand il est enfin obligé de se dissoudre, il reparaît, autorisé de nouveau par le suffrage populaire, renforcé et complété par ses pareils, avec trois chefs, procureur-syndic, substitut et maire, tous les trois auteurs ou fauteurs de septembre, avec Chaumette, soi-disant Anaxagoras, ancien mousse, puis clerc, puis, commis, toujours endetté, bavard et buveur ; avec Hébert, dit le Père Duchesne, et c’est tout dire ; avec Pache, subalterne empressé, intrigant doucereux, qui a exploité son air simple et sa figure de brave homme pour se pousser jusqu’au ministère de la guerre, qui a mis là tous les services au pillage, et qui, né dans une loge de concierge, y revient dîner par calcul ou par goût. — Par delà l’autorité civile, les Jacobins ont accaparé aussi le pouvoir militaire. Aussitôt après le 10 août[6], la garde nationale refondue a été distribuée en autant de bataillons qu’il y a de sections, et chaque bataillon est ainsi devenu « la section armée » ; là-dessus, on devine de quoi maintenant il se compose, et quels démagogues il se choisit pour officiers et sous-officiers. « On ne peut plus, écrit un député, donner le nom de garde nationale au ramassis de gens à piques et de remplaçants, mêlés de quelques bourgeois, qui, depuis le 10 août, continuent à Paris le service militaire. » À la vérité, 110 000 noms sont sur le papier ; aux grands appels, tous les inscrits, s’ils n’ont pas été désarmés, peuvent venir ; mais, à l’ordinaire, presque tous restent chez eux et payent un sans-culotte pour monter leur garde. En fait, pour fournir au service quotidien, il n’y a, dans chaque section, qu’une réserve soldée, environ cent hommes, toujours les mêmes ; Cela fait dans Paris une bande de quatre à cinq mille tape-dur, dans laquelle on peut démêler des pelotons qui ont déjà figuré en septembre, Maillard et ses 68 hommes à l’Abbaye, Gauthier et ses 40 hommes à Chantilly, Audouin, dit le Sapeur des Carmes, et ses 350 hommes dans la banlieue de Paris, Fournier, Lazowski et leurs 1500 hommes à Orléans et à Versailles[7]. — Quant à leur solde et à la solde de leurs auxiliaires civils, la faction n’est pas en peine ; car, avec le pouvoir, elle a pris l’argent. Sans compter ses rapines de septembre[8], sans parler des innombrables places lucratives dont elle dispose, quatre cents distribuées par le seul Pache, quatre cents autres distribuées par le seul Chaumette[9], la Commune a 850 000 francs par mois pour sa police militaire. D’autres saignées pratiquées au Trésor font encore couler l’argent public dans les poches de sa clientèle. Un million par mois entretient les ouvriers fainéants qu’elle a racolés à son de trompe pour établir un camp sous Paris, 5 millions de francs couvrent les petits détaillants de la capitale contre la dépréciation des billets de confiance. 12 000 francs par jour maintiennent le prix du pain à la portée des indigents de Paris[10]. À ces fonds régulièrement alloués, joignez les fonds qu’elle détourne ou qu’elle extorque. D’une part, au ministère de la guerre, Pache, son complice avant d’être son maire, a institué le gaspillage et le grappillage en permanence : en trois mois d’administration, il parviendra à laisser un découvert de 130 millions, « sans quittances[11] », D’autre part, le duc d’Orléans, devenu Philippe-Égalité, traîné en avant par ses anciens stipendiés, la corde au cou, presque étranglé, doit financer plus que jamais et de toute la profondeur de sa bourse ; puisque, pour sauver sa vie, il consent à voter la mort du roi, c’est qu’il est résigné à d’autres sacrifices[12] ; probablement, des 74 millions de dettes qu’on trouvera à son inventaire, une grosse part provient de là. — Ayant ainsi les places, les grades, les armes et l’argent, la faction, maîtresse de Paris, n’a plus qu’à maîtriser la Convention isolée[13] qu’elle investit de toutes parts.

II

Par les élections, elle y a déjà porté son avant-garde, cinquante députés, et, grâce à l’attrait qu’elle exerce sur les naturels emportés et despotiques, sur les tempéraments brutaux, sur les esprits courts et détraqués, sur les imaginations affolées, sur les probités véreuses, sur les vieilles rancunes religieuses ou sociales, elle arrive, au bout de six mois, à doubler ce nombre[14]. Sur les bancs de l’extrémité gauche, autour de Robespierre, Danton et Marat, le noyau primitif des septembriseurs attire à lui les hommes de son acabit : d’abord les pourris comme Chabot, Tallien et Barras, les scélérats comme Fouché, Guffroy et Javogues, les enfiévrés et possédés comme David, les fous féroces comme Carrier, les demi-fous méchants comme Joseph Lebon, les simples fanatiques comme Levasseur, Baudot, Jeanbon-Saint-André, Romme et Le Bas, ensuite et surtout les futurs représentants à poigne, gens rudes, autoritaires et bornés, excellents troupiers dans une milice politique, Bourbotte, Duquesnoy, Rewbell, Bentabole, « un tas de… d’ignorants, disait Danton[15], n’ayant pas le sens commun, et patriotes seulement quand ils sont soûls. Marat n’est qu’un aboyeur ; Legendre n’est bon qu’à dépecer sa viande ; les autres ne savent que voter par assis et levé ; mais ils ont des reins et du nerf ». Parmi ces nullités énergiques, on voit s’élever un jeune monstre, au visage calme et beau, Saint-Just, sorte de Sylla précoce, qui, à vingt-cinq ans, nouveau venu, sort tout de suite des rangs et à force d’atrocité se fait sa place[16]. Six ans auparavant, il a débuté dans la vie par le vol domestique : en visite chez sa mère, il est parti de nuit, emportant l’argenterie et des bijoux qu’il est venu manger dans un hôtel garni, rue Fromenteau, au centre de la prostitution parisienne[17] ; là-dessus, à la demande des siens, on l’a enfermé six mois dans une sorte de maison d’arrêt. De retour au logis, il a occupé ses loisirs à composer un poème ordurier d’après la Pucelle ; puis, par une contraction furieuse qui ressemble à un spasme, il s’est lancé, la tête en avant, dans la révolution. « Un sang calciné par l’étude », un orgueil colossal, une conscience hors des gonds, une imagination emphatique, sombre, hantée par les souvenirs sanglants de Rome et de Sparte, une intelligence faussée et tordue jusqu’à se trouver à l’aise dans l’habitude du paradoxe énorme, du sophisme effronté et du mensonge meurtrier[18], tous ces ingrédients dangereux, amalgamés dans la fournaise de l’ambition refoulée et concentrée, ont bouillonné en lui longtemps et silencieusement, pour aboutir à l’outrance continue, à l’insensibilité voulue, à la raideur automatique, à la politique sommaire de l’utopiste dictateur et exterminateur. — Manifestement, une minorité pareille n’acceptera pas la règle des débats parlementaires, et, plutôt que de céder à la majorité, elle importera dans la discussion les vociférations, les injures, les menaces, les bousculades d’une rixe, avec les poignards, les pistolets, les sabres et jusqu’aux « espingoles » d’un vrai combat.

« Vils intrigants, calomniateurs, scélérats, monstres, assassins, gredins, imbéciles, cochons[19] », voilà leurs apostrophes ordinaires, et ce ne sont là que leurs moindres violences. Il y a telle séance où le président est obligé de se couvrir trois fois et finit par briser sa sonnette. Ils l’injurient, ils le forcent à descendre du fauteuil, ils demandent « qu’il soit cassé ». Basire veut « lui arracher des mains » une déclaration qu’il présente ; Bourdon, de l’Oise, lui crie que, « s’il est assez osé pour la lire[20], il l’assassine ». La salle « est devenue une arène de gladiateurs[21] ». Parfois, la Montagne se précipite tout entière hors de ses bancs, et, contre cette vague humaine qui descend de gauche, une vague pareille descend de droite : les deux s’entrechoquent au centre de la salle, parmi des cris et des gestes furieux, et, dans une de ces bagarres, un montagnard ayant présenté son pistolet, le girondin Lauze-Deperret tire l’épée[22]. À partir du milieu de décembre, des membres marquants du côté droit, « continuellement poursuivis, menacés, outragés », réduits « à découcher toutes les nuits, sont forcés d’avoir des armes pour leur défense[23] », et, après le supplice du roi, ils en apportent « presque tous » aux séances de la Convention. En effet, chaque jour, ils peuvent s’attendre à l’assaut final, et ils ne veulent pas mourir sans vengeance : dans la nuit du 9 au 10 mars, ne se trouvant plus que quarante-trois, ils se font passer le mot pour s’élancer ensemble, « au premier mouvement hostile, contre leurs adversaires et pour en tuer le plus possible » avant de périr[24].

L’expédient est désespéré, mais c’est l’unique ; car, outre les forcenés de la salle, ils ont contre eux les forcenés des tribunes, et là aussi il y a des septembriseurs. La pire canaille jacobine les enveloppe à demeure et de parti pris, d’abord dans la vieille salle du Manège, puis dans la nouvelle salle des Tuileries. En cercle autour d’eux et au-dessus d’eux, ils voient tous les jours des adversaires enrégimentés, « huit ou neuf cents têtes encaquées dans la grande galerie du fond sous une voûte profonde et sourde », et de plus, sur les côtés, mille ou quinze cents autres, deux immenses tribunes toutes pleines[25]. Comparées à celles-ci, les galeries de la Constituante et de la Législative étaient calmes. « Rien ne déshonore plus la Convention, écrit un spectateur étranger[26], que l’insolence de ses auditeurs » ; à la vérité, un décret interdit toutes les marques d’approbation ou de désapprobation ; mais « il est violé tous les jours, et personne n’a jamais été puni pour ce délit ». Vainement la majorité s’indigne contre « la troupe de gredins soldés » qui l’obsèdent et qui l’oppriment ; tout en réclamant et en protestant, elle subit cette obsession et cette oppression. « Effroyables lutte, dit un député[27], cris, murmures, trépignements, huées… Les injures les plus ordurières ont été vomies par les tribunes. » — « Depuis longtemps, dit un autre, on ne peut parler ici si l’on n’a obtenu leur permission[28]. » Le jour où Buzot obtient la parole contre Marat, « elles entrent en fureur, hurlent, trépignent et menacent[29] » ; chaque fois que Buzot veut commencer, les clameurs couvrent sa voix, et il reste une demi-heure à la tribune sans pouvoir achever une phrase. Aux appels nominaux surtout, les cris ressemblent à ceux de la foule en délire qui, dans un cirque espagnol, suit des yeux et du cœur le combat des picadors et du taureau : « vociférations de cannibales » à chaque fois qu’un député ne vote pas la mort du roi, ou vote l’appel au peuple ; « huées interminables » chaque fois qu’un député vote l’accusation de Marat. « Je déclare, disent des députés à la tribune, que je ne suis pas libre ici ; je déclare qu’on me fait délibérer sous le couteau[30]. » À la porte de la salle, on annonce à Charles Villette que « s’il ne vote pas la mort du roi, il sera massacré ». — Et ce ne sont pas là des menaces en l’air. Le 10 mars, en attendant l’émeute promise, « les tribunes averties… armaient déjà leurs pistolets[31] », Au mois de mai, les femmes déguenillées et payées qui, sous le nom « de Dames de la Fraternité », se sont formées en club, viennent tous les jours, dès le matin, monter la garde en armes dans les couloirs de la Convention ; elles déchirent les billets donnés à ceux ou à celles qui ne sont pas de leur bande ; elles accaparent toutes les places ; elles montrent des pistolets et des poignards, et disent « qu’il faut faire sauter dix-huit cents têtes, pour que tout aille bien[32] ».

Derrière ces deux premières lignes d’assaillants, il en est une troisième, bien plus épaisse, d’autant plus effrayante qu’elle est obscure et indéfinie, je veux dire la multitude vague de la séquelle anarchiste, éparse dans tout Paris et toujours prête à renouveler contre la majorité récalcitrante le 10 août et le 2 septembre. De la Commune, des Jacobins, des Cordeliers, de l’Évêché, des assemblées de section, des groupes qui stationnent aux Tuileries et dans les rues, partent incessamment des motions incendiaires et des appels à l’émeute. « Hier, écrit le président de la section des Tuileries[33], au même moment et dans différents points de Paris, rue du Bac, au Marais, à l’église Saint-Eustache, au palais de la Révolution, sur la terrasse des Feuillants, des scélérats prêchaient le pillage et l’assassinat. » — Le lendemain, encore sur la terrasse des Feuillants, c’est-à-dire sous les fenêtres mêmes de la Convention, on « provoque l’assassinat de Louvet, pour avoir dénoncé Robespierre ». — « Je n’entends parler, écrit le ministre Roland, que de conspirations, de projets de meurtres. » — Trois semaines plus tard, pendant plusieurs jours « on annonce un soulèvement dans Paris[34] » ; le ministre est averti « qu’on a voulu tirer le canon d’alarme », et les têtes sur lesquelles fondra cette insurrection toujours grondante sont désignées d’avance. Dans le mois qui suit, au mépris de la loi expresse et récente, « l’assemblée électorale fait imprimer et distribuer gratuitement la liste des individus associés aux clubs de la Sainte-Chapelle et des Feuillants ; elle ordonne aussi l’impression et la distribution de la liste des huit mille et des vingt mille, ainsi que celle des clubs de 1789 et de Montaigu[35] ». Au mois de janvier, « les colporteurs crient dans la rue la liste des aristocrates et royalistes qui ont voté l’appel au peuple[36] ». Quelques-uns des appelants sont signalés nominativement par des placards, et Thibault, évêque du Cantal, occupé à lire sur un mur l’affiche qui le concerne, entend dire à ses côtés : « Je voudrais bien connaître cet évêque du Cantal, je lui ferais passer le goût du pain. » Des tape-dur montrent du doigt des députés qui sortent de séance, et crient : « Il faut écharper ces gueux-là ! » — De semaine en semaine les signes avant-coureurs d’une insurrection se suivent et se multiplient, comme les éclairs dans un ciel chargé d’orages. Le 1er janvier, « le bruit court que les barrières doivent être fermées la nuit même et que les visites domiciliaires vont recommencer[37] ». Le 7 janvier, sur la motion des Gravilliers, la Commune demande au ministre de la guerre 132 canons qui sont aux magasins de Saint-Denis, afin de les répartir entre les sections. Le 15 janvier, les Gravilliers proposent aux quarante-sept autres sections de nommer, comme au 10 août, des commissaires spéciaux qui s’assembleront à l’Évêché et veilleront à la sûreté publique. Le même jour, pour que la Convention ne se méprenne pas sur l’objet de ces menées, on dit tout haut dans ses tribunes que les canons ramenés sont à Paris « pour faire un 10 août contre elle ». Le même jour, il faut un déploiement de force militaire pour empêcher les bandits de se porter aux prisons et d’y « renouveler les massacres ». Le 28 janvier, le Palais-Royal, centre des gens de plaisir, est cerné par Santerre à huit heures du soir, et « six mille hommes environ, trouvés sans carte de civisme », sont arrêtés pour subir un à un le jugement de leur section. — Non seulement l’éclair brille, mais déjà, par coups isolés, la foudre frappe[38]. Le 31 décembre, un nommé Louvain, dénoncé jadis par Marat ; comme agent de La Fayette, est égorgé au faubourg Saint-Antoine, et son cadavre est traîné dans les rues jusqu’à la Morgue. Le 25 février, c’est le pillage des épiciers, sur les provocations de Marat, avec la connivence ou la tolérance de la Commune. Le 9 mars, c’est l’imprimerie de Gorsas saccagée par deux cents hommes armés de sabres et de pistolets. Le même soir et le lendemain, c’est l’émeute préparée et lancée contre la Convention elle-même ; c’est « le comité des Jacobins appelant toutes les sections de Paris à se lever en armes », pour « se débarrasser » des députés appelants et des ministres ; c’est la société des Cordeliers invitant les autorités parisiennes « à s’emparer de l’exercice de la souveraineté et à mettre en arrestation les députés-traîtres » ; c’est Fournier, Varlet et Champion requérant la Commune « de se déclarer en insurrection et de fermer les barrières » ; ce sont toutes les avenues de la Convention occupées par « des dictateurs de massacre », Pétion[39] et Beurnonville reconnus au passage, poursuivis et en danger de mort, des attroupements furibonds sur la terrasse des Feuillants pour « juger populairement », pour « couper des têtes » et pour « les envoyer aux départements ». — Par bonheur, il pleut, ce qui refroidit toujours l’effervescence populaire, et un député du Finistère, Kervelegan, qui s’échappe, trouve moyen d’aller chercher au fond du faubourg Saint-Marceau un bataillon de volontaires brestois, arrivés depuis quelques jours et encore fidèles ; ils accourent à temps pour dégager la Convention. — Ainsi vit la majorité, sous la triple pression de la Montagne, des tribunes, de la plèbe extérieure, et, de mois en mois, surtout à partir du 10 mars, la pression va s’aggravant.

III

De mois en mois, sous cette pression, la majorité fléchit. — Quelques-uns sont domptés par le pur effroi physique : dans le procès du roi, au troisième appel nominal, lorsque les votes de mort tombaient du haut de la tribune, un député, voisin de Daunou, « témoignait par ses gestes sa désapprobation énergique. Son tour arrive ; les tribunes, qui sans doute avaient remarqué son attitude », éclatent en menaces si violentes, que pendant quelques minutes il est impuissant à se faire entendre ; « enfin le silence se rétablit, et il vote… la mort[40] ». — D’autres, comme Durand de Maillane, avertis par Robespierre que « le parti le plus fort est aussi le plus sûr », se répètent « qu’il est prudent, nécessaire de ne pas contrarier le peuple en émotion », et prennent la résolution « de se tenir constamment à l’écart sous l’égide de leur silence et de leur nullité[41] ». Parmi les cinq cents députés de la Plaine, il y en a beaucoup de cette sorte ; on commence à les appeler « crapauds du Marais » ; dans six mois, ils se réduiront eux-mêmes à l’état de figurants muets ou plutôt de mannequins homicides, et, sous un regard de Robespierre, « leur cœur, maigri d’épouvante[42] », leur remontera jusque dans la gorge. Bien avant la chute des Girondins, « atterrés du présent, ne trouvant plus dans leur âme aucun ressort », ils laissent déjà voir sur leur visage « la pâleur de la crainte ou l’abandon du désespoir[43] ». Cambacérès louvoie, puis se réfugie dans son comité de législation[44]. Barère, né valet et valet à tout faire, met sa faconde méridionale au service de la majorité probable, jusqu’au moment où il mettra sa rhétorique atroce au service de la minorité maîtresse. Siéyès, après avoir voté la mort, entre dans un silence obstiné, autant par dégoût que par prudence : « Qu’importe, dit-il, le tribut de mon verre de vin dans ce torrent de rogomme[45] ? » — Plusieurs, même dans la Gironde, colorent à leurs propres yeux leurs concessions par des sophismes. Il y en a qui, « se croyant quelque popularité, craignent de la compromettre[46]. Parfois on prétexte la nécessité de conserver son influence pour des circonstances importantes. Quelquefois on affecte de dire ou même on dit de bonne foi : Laissez faire (les extravagants), ils se font connaître, ils s’usent ». — Souvent les motifs allégués sont scandaleux ou grotesques ; Selon Barbaroux, il faut voter l’exécution immédiate ; parce que c’est le meilleur moyen de disculper la Gironde et de fermer la bouche à ses calomniateurs jacobins[47]. Selon Berlier, il faut voter le mort ; car à quoi bon voter l’exil ? Louis XVI serait déchiré avant d’arriver à la frontière[48]. » — La veille de l’arrêt, Vergniaud disait à M. de Ségur : « Moi, voter la mort ! c’est m’insulter que de me croire capable d’une action aussi indigne. » Et il en détaillait l’offreuse iniquité, l’inutilité, le danger même. — « Je resterais, disait-il, seul de mon opinion que je ne voterais pas la mort[49] » ; et le lendemain, ayant voté comme on sait, il s’excuse en disant « qu’il n’a pas cru devoir mettre en balance la chose publique avec la vie d’un seul homme[50] ». Quinze à vingt députés, entraînés par son exemple, ont voté comme lui, et cet appoint a suffi pour déplacer la majorité[51] — Même faiblesse aux autres moments décisifs. Chargé de dénoncer la conjuration du 10 mars, Vergniaud l’attribue aux aristocrates et avoue à Louvet « qu’il n’a pas voulu nommer les vrais conspirateurs, de peur de trop aigrir des hommes violents et déjà portés à tous les excès[52] ». Le fait est que les Girondins ; comme jadis les constitutionnels, sont trop civilisés pour leurs adversaires et subissent la force, faute de se résoudre à l’employer.

« Subjuguer la faction, dit l’un d’eux[53], cela ne se pouvait faire qu’en l’égorgeant, ce qui peut-être n’était pas bien difficile. Tout Paris était aussi las que nous de son joug, et, si nous avions eu le goût et la science des insurrections, elle eût été bientôt détruite. Mais comment faire adopter des mesures aussi atroces à des hommes qui en reprochaient l’usage à leurs adversaires ? Et cependant elles auraient sauvé la patrie. » Par suite, incapables d’agir, ne sachant que parler, réduits à protester, à barrer la voie aux décrets révolutionnaires, à faire appel aux départements contre Paris, ils apparaissent comme un obstacle aux gens pratiques et engagés de tout leur cœur dans le fort de l’action ; — Sans doute, Carnot est aussi honnête qu’eux, aussi honnête « que peut l’être un fanatique badaud[54] ». Sans doute, Cambon, non moins intègre que Roland, s’est prononcé aussi haut que Roland contre le 2 septembre, la Commune et l’anarchie[55]. — Mais, à Carnot et à Cambon qui passent leurs nuits, l’un à établir ses budgets, l’autre à étudier ses cartes, il faut avant tout un gouvernement qui leur fournisse des millions et des armées, partant une Convention unanime et sans scrupules, c’est-à-dire, puisqu’il n’y a pas d’autre expédient, une Convention contrainte, c’est-à-dire enfin une Convention purgée de ses orateurs incommodes et dissidents[56], en d’autres termes la dictature de la populace parisienne. Dès le 15 décembre 1792, Cambon s’y est résigné, et même il a érigé le terrorisme populacier en système européen ; à partir de cette date[57], il prêche la sans-culotterie universelle, un régime qui, pour administrateurs, aura les pauvres et, pour contribuables, les riches, bref le rétablissement des privilèges en sens inverse ; c’est que le futur mot de Siéyès est déjà vrai : il ne s’agit plus d’appliquer les principes de la révolution, mais d’en sauver les hommes. Devant cette nécessité de plus en plus poignante, nombre de députés indécis suivent le courant, laissent faire les Montagnards et se détachent des Girondins.

Et, ce qui est plus grave, par delà toutes ces défections, la Gironde se manque à elle-même. Non seulement elle ne sait pas faire une ligue, être un corps ; non seulement « la seule pensée d’une démarche collective la révolte, chacun de ses membres voulant être indépendant, se conduire à sa manière[58] », présenter sa motion sans prévenir les autres et voter à l’occasion contre son parti ; mais de plus, par son principe abstrait, elle est d’accord avec ses adversaires, et, sur la pente fatale où ses instincts d’honneur et d’humanité la retiennent encore, ce dogme commun, comme un poids intérieur, la fait glisser de plus en plus bas, jusque dans l’abîme sans fond ou l’État, selon là formule de Jean-Jacques, omnipotent, philosophe, anticatholique, antichrétien, autoritaire, égalitaire, intolérant et propagandiste, confisque l’éducation, nivelle les fortunes, persécute l’Église, opprime la conscience, écrase l’individu et, par la force militaire, impose sa forme à l’étranger[59]. Au fond, sauf un excès de brutalité et de précipitation, les Girondins, partis des mêmes principes que la Montagne, marchent vers le même but que la Montagne ; c’est pourquoi le préjugé sectaire amollit en eux les répugnances morales ; dans le secret de leur cœur, l’instinct révolutionnaire conspire avec leurs ennemis, et, en mainte occasion, ils se trahissent eux-mêmes. — Par ces défaillances diverses et multipliées, d’une part, la majorité diminue jusqu’à ne plus réunir que 279 voix contre 228[60] ; d’autre part, à force de reculades, elle livre, un à un, aux assiégeants, tous les postes dominants de la citadelle publique, en sorte qu’au premier assaut elle n’aura plus qu’à fuir ou à crier merci.

IV

Elle s’est voté en principe une garde départementale, et, devant les protestations de la Montagne, elle n’a pas osé convertir son principe en fait. — Elle a été protégée pendant six mois et sauvée le 10 mars par l’assistance spontanée, des fédérés provinciaux, et, loin d’organiser ces auxiliaires de passage en un corps permanent de défenseurs fidèles, elle les laisse disperser ou corrompre par Pache et les Jacobins. — Elle a décrété à plusieurs reprises la punition des fauteurs de septembre, et, sur leur pétition menaçante, elle ajourne indéfiniment les poursuites[61]. — Elle a mandé à sa barre Fournier, Lazowski, Desfieux et les autres meneurs qui, le 10 mars, ont voulu la jeter par les fenêtres, et, sur leur apologie impudente, elle les renvoie absous, libres et prêts à recommencer[62]. — Au ministère de la guerre, elle élève tour à tour deux Jacobins sournois, Pache et Bouchotte, qui ne cesseront de travailler contre elle. Au ministère de l’intérieur, elle laisse tomber Roland, son plus ferme appui, et nomme à sa place Garat, un idéologue, dont l’esprit, composé de généralités creuses, et le caractère, pétri de velléités contradictoires, s’effondrent en réticences, en mensonges, en demi-trahisons sous le poids de son office trop lourd. — Elle vote le meurtre du roi, ce qui met une mare de sang infranchissable entre elle et les gens honnêtes. — Elle lance la nation dans une guerre de principes[63] et provoque contre la France une ligue européenne, ce qui, en ramenant sur la frontière les périls de septembre, établit en permanence le régime de septembre à l’intérieur. — Elle forge d’avance les pires instruments de la Terreur prochaine, par le décret qui institue le Tribunal révolutionnaire, avec Fouquier-Tinville comme accusateur public et l’obligation pour chaque juré de prononcer à haute voix son verdict[64] ; par le décret qui condamne à la mort civile et à la confiscation des biens tout émigré « de l’un ou l’autre sexe », même simple fugitif, même rentré depuis six mois[65] ; par le décret qui met « hors la loi les aristocrates et les ennemis de la révolution[66] » ; par le décret qui, dans chaque commune, établit une taxe sur les riches de la commune, afin de proportionner aux salaires le prix du pain[67] ; par le décret qui soumet tout sac de grain à la déclaration et au maximum[68] ; par le décret qui punit de six ans de fers la vente du numéraire[69] ; par le décret qui ordonne « l’emprunt forcé d’un milliard sur les riches[70] » ; par le décret qui, dans chaque grande ville, lève une armée de sans-culottes salariés « pour tenir les aristocrates sous leurs piques[71] » ; enfin, par le décret qui, instituant le Comité de Salut public[72], fabrique un moteur central pour manœuvrer à toute vitesse toutes ces faux tranchantes à travers les fortunes et les vies. — À ces engins de destruction générale, elle en ajoute un, spécial, contre elle-même. Non seulement elle fournit à ses rivaux de la Commune les millions dont ils ont besoin pour solder leurs bandes ; non seulement elle avance, sous forme de prêt, aux diverses sections[73] les centaines de mille francs dont elles ont besoin pour abreuver leurs aboyeurs ; mais encore, dans les derniers jours de mars, juste au moment où elle vient d’échapper par hasard à la première invasion jacobine, elle fait élire dans chaque section un comité de surveillance, elle l’autorise à faire des visites domiciliaires et à désarmer les suspects[74] ; elle tolère qu’il fasse des arrestations et qu’il impose des taxes nominatives ; elle ordonne, pour lui faciliter ses opérations, que la liste de tous les habitants de chaque maison, « avec leurs noms, prénoms, surnoms, âges et professions », soit affichée sur la porte et bien lisible[75] » ; elle lui en fait délivrer copie, elle la soumet à son contrôle. Pour achever, elle s’y soumet elle-même, et, « sans avoir égard à l’inviolabilité d’un représentant de la nation française[76] », elle décide qu’en cas de dénonciation politique ses propres membres pourront être mis en accusation.

V

« Il me semble, écrit un observateur ironique[77], vous entendre dire à la faction : Tenez, nous avons des moyens, mais nous ne voulons pas en faire usage contre vous ; il n’y aurait pas de cœur à vous attaquer lorsque vous n’êtes pas en force. La force publique émane de deux principes, de l’autorité légale et de la force armée. Eh bien, nous allons d’abord créer des comités de surveillance dont nous vous établirons les chefs, parce que, avec cette verge, vous pourrez donner le fouet à toutes les personnes honnêtes de Paris et régler l’esprit public. Nous voulons faire plus, car le sacrifice ne serait pas complet : nous voulons vous faire présent de notre force armée, en vous autorisant à désarmer les gens qui vous seront suspects. Quant à nous, nous sommes prêts à vous rendre jusqu’à nos couteaux de poche[78] ; nous restons isolés avec nos vertus et nos talents. Mais prenez-y garde. Si, manquant à la reconnaissance, vous osiez attenter à nos personnes sacrées, nous trouverions des vengeurs dans les départements. — Eh, que nous importe ce que pourront faire les départements déchaînés l’un contre l’autre, lorsque vous ne serez plus ? » — Rien de plus exact que ce résumé ni de mieux fondé que cette prédiction. Désormais, et en vertu des décrets de la Convention elle-même, les Jacobins ont non seulement le pouvoir exécutif tout entier, tel qu’on le rencontre dans les pays civilisés, mais aussi le pouvoir discrétionnaire du tyran antique ou du pacha moderne, cette main-forte arbitraire qui, choisissant l’individu, s’abat sur lui pour lui prendre ses armes, sa liberté et son argent. À partir du 28 mars, on voit recommencer à Paris le régime qui, institué le 10 août, s’est achevé par le 2 septembre. Dès le matin, le rappel est battu ; à midi, les barrières sont fermées, les ponts et les passages interceptés, un factionnaire est au coin de chaque rue, nul ne peut « sortir des limites de sa section » ; nul ne peut circuler dans sa section sans montrer sa carte de civisme ; les maisons sont investies, nombre de personnes sont arrêtées[79], et, pendant les deux mois qui suivent, l’opération se poursuit sous l’arbitraire des comités de surveillance. Or, dans presque toutes les sections, « ce sont des sans-culottes qui remplissent le comité », non pas des pères de famille, des hommes de quarante ans, des gens domiciliés depuis longtemps dans le quartier, mais « des étrangers ou des jeunes gens qui cherchent à devenir quelque chose[80] », ambitieux subalternes, casse-cou ignorants, intrus despotiques, inquisiteurs novices, acharnés et ombrageux.

D’abord, désarmement des suspects. « Il suffit qu’un citoyen soit dénoncé comme tel et que cette suspection soit à la connaissance du comité[81] », ou que sa carte civique lui soit délivrée depuis un mois seulement[82], pour qu’un délégué, avec dix hommes armés, vienne chez lui faire perquisition. Dans la seule section de la Réunion et dès le premier jour, on désarme ainsi 57 personnes dénoncées « pour fait d’incivisme ou pour propos contraires à la république », non seulement des avoués, notaires, architectes et autres bourgeois notables, mais encore de petits commerçants ou boutiquiers, chapeliers, teinturiers, serruriers, mécaniciens, doreurs et limonadiers. Telle section, au mépris de la loi, y ajoute en bloc les signataires de la pétition des Huit Mille et de la pétition des Vingt Mille : « par ces manigances, dit un observateur[83], tous les fusils qui sont à Paris, au nombre de plus de cent mille, vont passer aux mains de la faction ». Il n’y en a plus, même chez les armuriers, pour ses adversaires ; car par un arrêté de la Commune, « nul ne peut en acheter un, sans un certificat délivré par le comité de surveillance de sa section[84] ». — D’autre part, grâce à la faculté d’accorder ou refuser les cartes de civisme, chaque comité barre à son gré, de sa seule autorité, et à tous les habitants de sa circonscription, non seulement la vie publique, mais encore la vie privée. À qui n’obtient pas sa carte[85], impossible d’avoir un passeport pour voyager, s’il est commerçant ; impossible de garder sa place, s’il est employé public, commis d’administration, avoué ou notaire ; impossible de sortir de Paris ou de rentrer tard. Si l’on se promène, c’est au risque d’être arrêté et ramené entre deux fusiliers devant le comité de la section ; si l’on rentre chez soi, c’est avec la chance d’être visité comme receleur de prêtres ou de nobles. Un Parisien qui ouvre le matin ses fenêtres s’expose à voir sa maison cernée par une escouade de carmagnoles, s’il n’a pas en poche le certificat indispensable[86]. Or, aux yeux d’un comité jacobin, il n’y a de civisme que dans le jacobinisme, et l’on imagine s’il en délivre volontiers le brevet à des adversaires ou même à des indifférents, par quels examens il les fait passer, à quels interrogatoires il les soumet, combien d’allées, de venues, de sollicitations, de comparutions et d’attentes il leur impose, avec quelle persistance il atermoie, avec quel plaisir il refuse. Buzot s’est présenté quatre fois au comité des Quatre-Nations pour obtenir une carte à son domestique, et n’a pu en venir à bout[87]. — Autre expédient plus efficace encore pour tenir les malveillants en bride. Dans chaque section, c’est le comité qui, avec l’aide d’un membre de la Commune[88], désigne les réquisitionnaires pour l’expédition de Vendée, et il les désigne, nominativement, un à un, à son choix : cela purgera Paris de douze mille anti-jacobins et pacifiera les assemblées de section où les opposants sont parfois incommodes. À cet effet, le comité choisira d’abord et de préférence parmi les clercs de notaire et d’avoué, les commis de banque, de négoce et d’administration, les garçons marchands, les garçons de bureau, bref parmi les célibataires de la bourgeoisie et de la demi-bourgeoisie ; il y en a plus de vingt-cinq mille à Paris[89] ; d’après l’arrêté on en prendra un sur deux, sans doute le plus mal noté, ce qui clora la bouche à l’autre, et l’empêchera de mal parler dans sa section[90].

Tandis qu’une main tient ainsi l’homme au collet, l’autre main fouille dans ses poches. Dans chaque section, le comité de surveillance, toujours assisté par un membre de la Commune[91], désigne les gens aisés, évalue leur revenu à son gré ou d’après la commune renommée, et leur envoie l’ordre de payer tant, à proportion de leur superflu, selon une taxe progressive. Le nécessaire admis est de 1500 francs par an pour un chef de famille, outre 1000 francs pour sa femme et 1000 francs pour chacun de ses enfants ; si l’excédent est de 15 000 à 20 000 francs, on en requiert 5000 ; s’il est de 40 000 à 50 000 francs, on en requiert 20 000 ; en aucun cas, le superflu conservé ne pourra être au-dessus de 30 000 ; tout ce qui dépasse ce chiffre est acquis à l’État. De cette contribution subite, on exige le premier tiers dans les quarante-huit heures, le second tiers dans la quinzaine, le dernier tiers dans le mois, et sous des peines graves. Tant pis pour l’imposé si la taxe est exagérée, si son revenu est aléatoire ou imaginaire, si ses rentrées sont futures, s’il ne peut se procurer d’argent comptant, si, comme Francœur, entrepreneur de l’Opéra, « il n’a que des dettes ». — « En cas de refus, lui écrit le comité de la section Bon-Conseil, tes meubles et immeubles seront vendus par le comité révolutionnaire, et ta personne sera déclarée suspecte[92]. » — Encore n’est-ce là qu’un acompte : « Le comité veut bien en ce moment n’exiger qu’une portion de ton superflu » ; le demeurant sera saisi plus tard. Déjà, à la tribune des Jacobins, le banqueroutier Desfieux[93] estime à 640 millions la fortune des 100 plus riches notaires et financiers de Paris ; la liste de leurs noms a été envoyée par la municipalité aux sections, afin d’être complétée ; à ne leur prendre qu’un dixième, cela ferait 64 millions, et ces grosses « éponges », vigoureusement pressées, pourront dégorger bien davantage. « Il ne faut pas, dit Robespierre, que le plus riche des Français ait plus de 3000 livres de rente[94] » Avec les contributions des « messieurs », on armera les sans-culottes, « on payera les artisans pour assister aux assemblées de section, on nourrira les ouvriers sans ouvrages[95] ». Déjà, par la vertu souveraine des réquisitions sommaires, tout est en proie : on saisit à l’écurie les chevaux de luxe, et l’on va prendre sous remise, chez de vieilles dames, la plupart veuves, les dernières berlines ou voitures de maître qu’il y ait encore à Paris[96]. — Avec de tels pouvoirs ainsi maniée, la section exploite l’envie enracinée et l’antique animosité du pauvre contre le riche[97] ; elle s’attache à demeure les nécessiteux et les vagabonds, et, grâce aux bras vigoureux de sa clientèle active, elle achève de briser les résistances débiles, passagères, mal concertées que la Convention nationale et la population parisienne opposent encore à sa domination.

Le 13 avril, Marat, accusé depuis trois mois et de jour en jour plus audacieusement incendiaire, a été enfin décrété d’accusation par la majorité indignée[98], et, le 24, il comparaît devant le tribunal révolutionnaire. Mais le tribunal révolutionnaire, comme tous les corps nouvellement institués, est composé de Jacobins purs, et d’ailleurs le parti a pris ses précautions. Pour cortège à l’audience, Marat a « les commissaires municipaux, les envoyés de plusieurs sections, les délégués de toutes les sociétés patriotiques » ; en outre, « une multitude de bons patriotes » ont d’avance occupé la salle ; « dès le matin, les autres salles du Palais, les corridors, les cours, les rues adjacentes », regorgent de « sans-culottes prêts à venger les outrages qui pourraient être faits à leur fidèle défenseur[99] ». Naturellement, avec son infatuation souveraine, il parle, non en accusé, mais « en apôtre et en martyr », il est couvert d’applaudissements, il est absous à l’unanimité, on le couronne de lauriers, on le porte en triomphe jusque dans la Convention ; il y entonne un chant de victoire, et la majorité girondine est tenue de subir sa présence en attendant qu’elle subisse ses proscriptions. — Aussi impuissants que les modérés du corps législatif, les modérés de la rue ne se redressent que pour être rabattus par terre. Le 4 et le 5 mai, deux bandes de cinq ou six cents jeunes gens, bien vêtus et sans armes, se sont formées aux Champs-Élysées et au Luxembourg, afin de protester contre l’arrêté de la Commune qui les choisit pour l’expédition de Vendée[100] ; ils crient : Vive la république ! Vive la loi ! À bas les anarchistes ! Au diable Marat, Danton, Robespierre ! Naturellement, la garde soldée de Santerre disperse ces muscadins ; on en arrête un millier, et dorénavant les autres s’abstiendront de toute manifestation bruyante sur la voie publique. Alors, faute de mieux, on les voit à plusieurs reprises, surtout dans les premiers jours de mai, revenir aux assemblées de section ; ils s’y trouvent en majorité et prennent des délibérations contre la tyrannie jacobine : à la section Bon-Conseil, aux sections de Marseille et de l’Unité, Lhuillier est hué, Marat menacé, Chaumette dénoncé[101]. — Mais ce n’est là qu’un feu de paille ; pour dominer à demeure dans ces assemblées permanentes, il faudrait que les modérés, comme les sans-culottes, fussent assidus et prêts à faire le coup de poing tous les soirs. Par malheur, les jeunes gens de 1793 n’ont pas encore l’expérience douloureuse, la rancune profonde, la rudesse athlétique qui les soutiendra en 1795. « Après une soirée où presque partout les chaises ont été cassées[102] » sur le dos des contendants, ils faiblissent, ils ne reviennent plus, et, au bout de quinze jours, les tape-dur de profession triomphent sur toute la ligne. — Pour mieux terrasser les résistances, les assommeurs se sont ligués par un acte exprès, et vont, de section en section, au secours les uns des autres[103]. Sous le nom de députation ou sous prétexte d’empêcher les troubles, une troupe de gaillards solides, envoyée par la section voisine, arrive dans la salle et, subitement, y change la minorité en majorité, ou, à force de vociférations, maîtrise le vote. Parfois, à l’heure tardive où la salle est presque vide, ils se déclarent assemblée générale, et, au nombre de quinze ou vingt, rétractent la délibération du jour. D’autres fois, comme par la municipalité ils ont la police, ils appellent à leur aide la force armée et obligent les récalcitrants à déguerpir. Et, comme il faut des exemples pour imposer le silence définitif, les quinze ou vingt, qui se sont érigés eux-mêmes en assemblée plénière, les cinq ou six, qui forment le comité de surveillance, décernent des mandats d’arrêt contre les plus notables des opposants. Dans les prisons municipales, le vice-président de la section Bon-Conseil, le juge de paix de la section de l’Unité, apprennent qu’il est périlleux de présenter à la Convention une adresse contre les anarchistes ou de signer une délibération contre Chaumette[104]. — Vers la fin de mai, dans les assemblées de section, personne n’ose plus ouvrir la bouche contre une motion jacobine ; souvent même, il n’y a pour assistants que des Jacobins ; par exemple, aux Gravilliers, ils ont chassé tout ce qui n’était pas de leur bande, et désormais aucun « intrigant[105] » n’a l’imprudence de s’y présenter. — Devenus le peuple délibérant et munis de pleins pouvoirs pour désarmer, mettre à l’index, destituer, taxer, déporter à l’armée, tenir en prison quiconque leur porte ombrage, ils peuvent maintenant, avec la municipalité pour complice et pour guide, tourner contre la Convention les armes qu’ils ont reçues d’elle, attaquer les Girondins dans leur dernier asile et s’emparer du seul fort qu’on ne leur ait pas encore rendu.

VI

Pour cela, ils n’ont qu’à faire dans toutes les sections à la fois ce qu’ils ont coutume de faire dans chaque section prise à part : substitués ainsi par force et par fraude au peuple véritable, ils pourront dresser devant la Convention le fantôme de la réprobation populaire. — De la municipalité qui siège à l’Hôtel de Ville et du conciliabule central qui se tient à l’Évêché partent des émissaires qui, au même instant, présentent la même adresse dans toutes les sections de Paris[106] : « Voici une pétition qu’il faut signer. — Lisez-la. — Inutile, elle est déjà adoptée par la majorité des sections. » — Ce mensonge réussit auprès de quelques-unes, où plusieurs signent de bonne foi, sans lire. Dans plusieurs, on lit et on refuse de signer ; dans d’autres, on lit et l’on se contente de passer à l’ordre du jour. Qu’arrive-t-il ? Les intrigants et les meneurs demeurent, jusqu’à ce que les bons citoyens se soient retirés ; alors, maîtres de la délibération, ils décident qu’il faut signer la pétition, et ils la signent. Le lendemain, quand les citoyens arrivent à la section, on leur présente la pétition à signer, et on se prévaut contre eux de la délibération prise la veille. S’ils veulent faire quelques observations, on leur répond par ces mots terribles : « Signez, ou point de certificat de civisme ». — Et, comme sanction à cette menace, plusieurs sections, où règnent en maîtres les rédacteurs des listes de proscription, décident que l’on changera les cartes de civisme et refusent d’en accorder de nouvelles à ceux qui ne veulent pas signer la pétition. On ne s’en tient pas à ces manœuvres : on aposte dans les rues des hommes armés de piques pour forcer les passants à signer[107]. » — Tout le poids de l’autorité municipale a été publiquement jeté dans la balance. « Des commissaires de la Commune, accompagnés de secrétaires municipaux avec tables, encre, papiers et registres, se promènent dans Paris, au son d’un tambour d’alarme, et précédés d’une milice. » De temps en temps, ils font « une halte solennelle », et déclament contre Brissot, Vergniaud, Guadet, puis « ils demandent et recueillent des signatures[108] », — Ainsi extorquée et portée à la Convention par le maire, au nom du conseil général de la Commune et de trente-cinq sections, la pétition impérieuse dénonce vingt-deux Girondins comme traîtres et réclame insolemment leur expulsion. — Un autre jour, il se trouve qu’une sommation pareille et présentée de même au nom des quarante-huit sections n’est autorisée que par treize ou quatorze[109]. — Parfois la parade politique est plus impudente encore. De prétendus députés du faubourg Saint-Antoine viennent signifier à la Convention le programme révolutionnaire. « Si vous ne l’adoptez pas, disent-ils, nous déclarons que nous sommes en état d’insurrection ; 40 000 hommes sont à la porte[110]. » Le fait est « qu’une cinquantaine de bandits, à peine « connus dans le faubourg », et conduits par un ci-devant tapissier devenu commissaire de police, ont « ramassé sur leur route tout ce qu’ils ont trouvé dans les ateliers et dans les boutiques », et que la multitude, entassée sur la place Vendôme, ne sait pas ce qu’ils viennent dire en son nom[111]. — Si factice que soit le tumulte, il est utile d’en faire ; cela montre à la Convention son maître, et cela prépare les voies pour une invasion plus efficace. Le jour où Marat a été absous, toute sa « crapaudière », mâle et femelle, est venue avec lui ; sous prétexte de défiler devant la Convention, elle a envahi la salle, elle s’est répandue sur les gradins, et, soutenue par les galeries, au milieu d’une tempête d’applaudissements et de clameurs, elle a installé de nouveau à la tribune le promoteur attitré de l’insurrection, du pillage et de l’assassinat[112]. — Pourtant, si énergique et si persistante que soit l’obsession, la Convention, qui cède sur tant de points, ne consent pas à se mutiler elle-même. Elle déclare calomnieuse la pétition présentée contre les Vingt-Deux ; elle institue une commission extraordinaire de douze membres pour rechercher dans les papiers de la Commune et des sections les preuves légales de la conspiration permanente que les Jacobins trament à ciel ouvert contre la représentation nationale ; le maire Pache est mandé à la barre ; des mandats d’arrêt sont lancés contre Hébert, Dobsent et Varlet. — Puisque les manifestations de la volonté populaire n’ont pas suffi et que la Convention, au lieu d’obéir, se rebelle, il ne reste plus à employer que la force.

« Depuis le 10 mars, dit Vergniaud à la tribune[113], on ne cesse de provoquer publiquement au meurtre contre vous. » — « Ce moment est terrible, » écrit le 12 mai un observateur[114], et ressemble beaucoup à ceux qui « ont préparé le 2 septembre ». — Le même soir, aux Jacobins, un membre propose « d’exterminer tous les scélérats avant de partir ». — « J’ai étudié la Convention, dit-il[115] ; elle est composée en partie de scélérats dont il faut faire justice. Il faut que tous les partisans de Dumouriez et tous les conspirateurs périssent ; il faut tirer le canon d’alarme et fermer les barrières. » Le lendemain matin, « les murs de Paris sont tapissés d’affiches » invitant les Parisiens « à se hâter d’égorger les hommes d’État[116] ». — « Il faut en finir », c’est le mot des sans-culottes. — La semaine suivante, aux Jacobins comme partout, « l’insurrection instantanée est à l’ordre du jour… Ce que nous appelions autrefois le saint enthousiasme de la liberté, du patriotisme, est métamorphosé en une fureur qui fait éclater un peuple enragé et qu’il n’est plus possible de régler, de discipliner que par la force. Il n’y a aucun de ces malheureux qui ne consentît à la contre-révolution, à condition qu’on lui laisserait écraser sous ses doigts, sous ses pieds, ceux des noirs qui sont le plus notés[117]… Conclusion : le jour, l’heure, le moment où l’insurrection aura lieu sera sans doute celui où la faction croira pouvoir utilement et sans risque mettre en jeu tous les brigands de Paris[118], » et à la mairie, à l’Évêché, aux Jacobins, les énergumènes de bas étage arrangent déjà le plan du massacre[119].

On choisira une maison isolée, avec trois pièces au rez-de-chaussée, en enfilade, et une petite cour par derrière ; on enlèvera de nuit les vingt-deux Girondins, et on les mènera dans cet abattoir préparé d’avance ; on les poussera tour à tour dans la dernière pièce ; là on les tuera, puis on jettera leurs corps dans une fosse creusée au milieu de la cour, on versera dessus de la chaux vive ; ensuite on les supposera émigrés et, pour prouver le fait, on imprimera des correspondances fausses[120]. Un membre du comité municipal de police déclare que l’opération est facile : « Nous les septembriserons, non pas nous-mêmes, mais nous avons des hommes tout prêts que nous payerons bien. » — Nulle objection de la part des Montagnards présents, Léonard Bourdon et Legendre ; celui-ci remarque seulement qu’on ne doit pas toucher aux Girondins dans la Convention ; hors de la Convention, « ce ne sont que des scélérats dont la mort sauverait la république », et l’acte est licite ; il verrait « périr à côté d’eux tous les coquins du côté noir, sans s’opposer à leur destruction ». — Plusieurs, au lieu de vingt-deux députés, en demandent trente ou trente-deux, et quelques-uns trois cents ; on y adjoindra les suspects de chaque section, et dix ou douze listes de proscrits sont déjà faites. Par une rafle générale, exécutée la même nuit, à la même heure, on les conduira aux Carmes près du Luxembourg, et, « si le local est insuffisant, » à Bicêtre ; là « on les fera disparaître de la surface du globe[121] ». Certains meneurs voudraient confier l’épuration de Paris à la sagacité de l’instinct populaire. « En phrases coupées et non déterminées, » ils disent au peuple : « Lève-toi et agis d’après les mouvements de ton âme, puisque je ne puis te donner des conseils qui feraient fuir ceux que tu dois frapper. » Au contraire, Varlet propose un projet de salut public, très précis et complet, en quinze articles : « enlever les députés de la Plaine et autres députés de l’Assemblée constituante et législative, tous les nobles, prêtres, robins, etc. ; exterminer toute cette race et les Bourbons, avec suppression entière des ministres. » De son côté, Hébert, parlant des Girondins, écrit dans sa gazette que « la dernière heure de leur mort va sonner », et que, « lorsque leur sang impur sera versé, les aboyeurs de l’aristocratie rentreront dans leurs caves, comme au 10 août. » — Naturellement, les tueurs de profession sont avertis. Un certain Laforêt, fripier au quai du Louvre, qui, avec sa femme, s’est déjà distingué au 2 septembre, calcule « qu’ils sont à Paris six mille sans-culottes prêts à massacrer, au premier signal, les mauvais députés et huit mille pétitionnaires », sans doute les pétitionnaires qui, dans plusieurs sections, ont signé des adresses à la Convention contre la Commune. — Un autre septembriseur[122], commandant du bataillon du Jardin-des-Plantes, Henriot, rencontrant des ouvriers du port, leur dit de sa voix rauque : « Bonjour, camarades ; nous aurons bientôt besoin de vous, et pour un meilleur ouvrage ; ce n’est pas du bois, ce sont des cadavres que vous transporterez dans votre tombereau. — Eh bien, eh bien, c’est bon, répond un manœuvre, d’un ton demi-ivre ; nous ferons comme nous avons déjà fait le 2 septembre ; cela nous fera gagner des sous. » — « On fabrique des poignards chez Cheynard, maître serrurier, machiniste de la Monnaie…, et les femmes des tribunes en ont déjà reçu deux cents. » — Enfin, le 29 mai, aux Jacobins[123], Hébert propose « de courir sus aux membres de la commission des Douze », et un autre Jacobin déclare que « ceux qui ont usurpé le pouvoir dictatorial », entendez par là les Girondins, « sont fiers de la loi ».

Tout cela est excessif, maladroit, inutile, dangereux, ou du moins prématuré, et les chefs de la Montagne, Danton, Robespierre, Marat lui-même, mieux informés et moins bornés, comprennent qu’un massacre brut révolterait les départements déjà à demi soulevés[124]. Il ne faut pas casser l’instrument législatif, mais l’employer : on se servira de lui pour pratiquer sur lui la mutilation requise : de cette façon, l’opération aura de loin une apparence légale, et, sous le décor des phrases ordinaires, pourra être imposée aux provinciaux. Dès le 3 avril[125], aux Jacobins, Robespierre, toujours circonspect et décent, a d’avance défini et limité l’émeute prochaine. « Que les bons citoyens, dit-il, se réunissent dans leurs sections et viennent nous forcer à mettre en état d’arrestation les députés infidèles. » Rien de plus mesuré, et, si l’on se reporte aux principes, rien de plus correct. Le peuple garde toujours le droit de collaborer avec ses mandataires, et déjà, dans les tribunes, c’est ce qu’il fait tous les jours. Par une précaution suprême et qui le peint bien[126], Robespierre refuse d’intervenir davantage, « Je suis incapable de prescrire au peuple les moyens de se sauver ; cela n’est pas donné à un seul homme ; cela n’est pas donné à moi qui suis épuisé par quatre ans de révolution et par le spectacle déchirant du triomphe de la tyrannie,… à moi qui suis consumé par une fièvre lente et surtout par la fièvre du patriotisme. J’ai dit ; il ne me reste pas d’autre devoir à remplir en ce moment. » D’ailleurs, il enjoint à la municipalité « de s’unir au peuple, de former avec lui une étroite alliance ». — En autres termes, c’est à la Commune à faire le coup ; il ne faut pas que la Montagne paraisse. Mais « elle est tout entière dans le secret[127] », ses chefs tiennent les ficelles des grossiers pantins qui s’agitent sur les tréteaux publics à l’Hôtel de Ville ; « Danton et Lacroix ont écrit, sur le bureau même du Comité de Salut public », la sommation insultante que l’orateur de la Commune viendra, le 31 mai, lire à la Convention, et pendant les sept jours de crise, Danton, Robespierre, Marat, conseillers, directeurs, modérateurs de toutes les menées, conduiront, pousseront, retiendront dans les limites de leur programme les comparses de l’insurrection.

VII

C’est un drame tragi-comique, en trois actes, dont chacun s’achève par un coup de théâtre toujours le même et toujours prévu : un des principaux machinistes, Legendre, a pris soin de l’annoncer d’avance. « Si la chose dure plus longtemps, dit-il aux Cordeliers[128], si la Montagne est plus longtemps impuissante, j’appelle le peuple et je dis aux tribunes : Descendez ici délibérer avec nous. » — Pour commencer, le 27 mai, à propos de l’arrestation d’Hébert et consorts, la Montagne, appuyée par les galeries, fait rage[129]. Vainement la majorité s’est prononcée et se prononce à plusieurs reprises. « S’il y a cent bons citoyens, dit Danton, nous résisterons. — Président, crie Marat à Isnard, vous êtes un tyran, un infâme tyran. — Je demande, dit Couthon, que le président soit cassé. — À l’Abbaye le président ! » — La Montagne a décidé qu’il ne présidera pas ; elle descend de ses bancs et court sur lui, elle parle de « l’assassiner », elle brise sa voix à force de vociférations, elle l’oblige à quitter son fauteuil, de lassitude et d’épuisement ; elle chasse de même Boyer-Fonfrède, qui lui succède, et finit par mettre au fauteuil un de ses complices, Hérault de Séchelles. — Cependant, à l’entrée de la Convention, « les consignes ont été violées, » une multitude de gens armés « se sont répandus dans les couloirs et obstruent toutes les avenues » ; les députés Meillan, Chiappe et Lidon, ayant voulu sortir, sont arrêtés, on met à Lidon « le sabre sur la poitrine[130] », et les meneurs du dedans excitent, protègent, justifient leurs affidés du dehors. — Avec son audace ordinaire, Marat, apprenant que le commandant Raffet fait évacuer les couloirs, vient à lui « un pistolet à la main et le met en État d’arrestation[131] » : car il faut respecter le peuple, le droit sacré de pétition et les pétitionnaires. Il y en a « cinq ou six cents, presque tous en armes[132] », qui depuis trois heures stationnent aux portes de la salle ; au dernier moment, deux autres troupes, envoyées par les Gravilliers et par la Croix-Rouge, viennent leur apporter l’afflux final. Ainsi accrus, ils débordent au delà des bancs qui leur sont assignés, se répandent dans la salle, se mêlent aux députés qui siègent encore. Il est plus de minuit ; nombre de représentants, excédés de fatigue et de dégoût, sont partis ; Pétion, La Source et quelques autres, qui veulent rentrer, « ne peuvent percer la foule menaçante ». Par compensation et à la place des absents, les pétitionnaires, s’érigeant eux-mêmes en représentants de la France, votent avec la Montagne, et le président jacobin, loin de les renvoyer, les invite lui-même « à écarter tous les obstacles qui s’opposent au bien du peuple ». Dans cette foule gesticulante, sous le demi-jour des lampes fumeuses, au milieu du tintamarre des tribunes, on n’entend pas bien quelle motion est mise aux voix ; on distingue mal qui reste assis ou qui se lève ; et deux décrets passent ou semblent passer, l’un qui élargit Hébert et ses complices, l’autre qui casse la commission des Douze[133]. Aussitôt des messagers, qui attendaient l’issue, courent porter la bonne nouvelle à l’Hôtel de Ville, et la Commune célèbre son triomphe par une explosion d’applaudissements.

Mais le lendemain, malgré les terreurs de l’appel nominal et les fureurs de la Montagne, la majorité, par un retour défensif, révoque le décret qui la désarme, et un décret nouveau maintient la commission des Douze. L’opération est donc à refaire ; non pas toute l’opération, car Hébert et les autres détenus restent en liberté, et la majorité qui, par pudeur ou par instinct de conservation, a remis en place sa garde d’avant-poste, consent, par faiblesse ou par espoir de conciliation, à relâcher ses prisonniers. — Elle a donc eu le dessous dans le combat ; partant, ses adversaires encouragés recommencent aussitôt l’attaque, et leur tactique, très simple, est celle qui déjà, le 10 août, leur a si bien réussi.

Il s’agit d’invoquer contre les droits dérivés et provisoires du gouvernement établi le droit supérieur et inaliénable du peuple, et de substituer aux autorités légales, qui par nature sont bornées, le pouvoir révolutionnaire, qui par essence est absolu. À cet effet, la section de la Cité, sous la vice-présidence de Maillard le septembriseur, invite les quarante-sept autres à nommer chacune deux commissaires munis de « pouvoirs illimités ». Dans trente-trois sections, purgées, terrifiées ou désertées, les Jacobins, seuls ou presque seuls[134], élisent les plus déterminés de leur bande, notamment des étrangers[135] et des drôles, en tout soixante-six commissaires qui, le 29 au soir, s’assemblent à l’Évêché[136] et choisissent neuf d’entre eux, pour composer, sous la présidence de Dobsent, un comité central et révolutionnaire d’exécution. Rien de plus inconnu que ces neuf, tous subalternes obscurs, simples mannequins et marionnettes ; huit jours après, quand ils auront joué leur rôle et qu’on n’aura plus besoin d’eux, on les fera rentrer dans la coulisse. En attendant, ils sont censés les mandataires du peuple souverain, autorisés à tout, car il leur a délégué son omnipotence, seuls autorisés à tout, car leur investiture est toute neuve, et ils paradent en cette qualité, à peu près comme les figurants chamarrés d’or et de pourpre qui, à l’Opéra, représentent le conclave des cardinaux ou la diète du saint-empire : jamais la comédie politique n’a dégénéré en une farce si effrontée. — Le 31, à six heures et demie du matin, Dobsent et ses suppôts se présentent au conseil général de la Commune, lui exhibent leurs pouvoirs et lui signifient qu’il est cassé. Avec une complaisance édifiante, le conseil se reconnaît déchu et sort de la salle. Avec une gratitude non moins empressée, Dobsent le rappelle aussitôt, le rétablit dans ses fonctions au nom du peuple, et déclare qu’il a bien mérité de la patrie[137]. En même temps, un autre démagogue, Varlet, fait la même opération sur le conseil du département, et les deux corps, consacrés par un nouveau baptême, se réunissent aux soixante-six commissaires pour exercer en commun la dictature. — Rien de plus légitime, et la Convention aurait tort de s’y opposer : « elle n’a été nommée que pour juger le tyran et faire la Constitution ; le souverain ne lui a donné aucun autre pouvoir[138] » ; partant, ses autres actes, ses mandats d’arrêt, ne sont qu’usurpation et despotisme. D’ailleurs Paris, bien mieux qu’elle, représente la France ; car il est « l’extrait de tous les départements, le miroir de l’opinion[139] », l’avant-garde du patriotisme. « Souvenez-vous du 10 août[140] ; avant cette époque, les opinions étaient partagées dans la république ; mais, à peine avez-vous eu frappé le coup décisif, tout est rentré dans le silence. Ne craignez rien des départements ; avec un peu de terreur et des instructions, nous tournerons les esprits à notre gré. » Des chicaniers s’obstinent à demander la convocation des assemblées primaires. « Est-ce qu’il en a fallu le 10 août ? Et les départements n’ont-ils pas alors approuvé Paris ? Ils feront de même cette fois ; c’est Paris qui les sauve[141]. » — En conséquence, le nouveau gouvernement donne le commandement général de la force armée à un homme sûr, Henriot, l’un des massacreurs de septembre ; puis, par un attentat que la loi déclarait capital, il prescrit de tirer le canon d’alarme ; d’autre part, il fait battre la générale, sonner le tocsin, fermer les barrières ; les administrateurs des postes sont mis en état d’arrestation, les lettres interceptées et ouvertes ; ordre est donné de désarmer les suspects et de remettre leurs armes « aux patriotes ; 40 sous par jour sont accordés aux citoyens peu fortunés, tant qu’ils resteront sous les armes[142] ». On n’a pas manqué d’avertir la veille les affidés de quartier ; par suite, dès le matin, dans les sections jacobines, le comité de surveillance a déjà choisi « les compagnies les plus nécessiteuses, afin d’armer les bras qui sont vraiment dignes de combattre pour la liberté », et il a distribué tous ses fusils « aux ouvriers bons républiquains[143] ». — « D’heure en heure, à mesure que la journée s’avance, on voit, dans les sections réfractaires, l’autorité passer du côté de la force ; au Finistère, à la Butte-des-Moulins, aux Lombards, à la Fraternité, au Marais[144], les sans-culottes encouragés prennent l’ascendant, cassent les délibérations des modérés, et, dans l’après-midi, leurs délégués viennent prêter serment à l’Hôtel de Ville.

Cependant la Commune, traînant derrière elle le simulacre de l’unanimité populaire, assiège la Convention de pétitions multipliées et menaçantes. Comme au 27 mai, les pétitionnaires envahissent la salle et « se confondent fraternellement avec les membres du côté gauche. » Aussitôt, sur la motion de Levasseur, la Montagne, sachant que « sa place sera bien gardée », la quitte et passe au côté droit[145]. Envahi à son tour, le côté droit refuse de délibérer ; Vergniaud demande que « l’Assemblée aille se joindre à la force armée qui est sur la place et se mette sous sa protection » ; il sort avec ses amis, et la majorité décapitée retombe dans ses hésitations ordinaires. Autour d’elle tout est vacarme et bagarre. Dans la salle, les clameurs de la Montagne, des pétitionnaires et des galeries, semblent le mugissement continu d’une tempête. Hors de la salle, vingt ou trente mille hommes vont peut-être s’entre-choquer dans les rues[146] ; le bataillon de la Butte-des-Moulins, avec des détachements envoyés par les sections voisines, s’est retranché dans le Palais-Royal, et Henriot, criant partout que les riches sections du centre ont arboré la cocarde blanche, envoie contre elles les sans-culottes des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau ; des deux côtés, les canons sont braqués. — Il ne faut pas mettre le feu à ces canons chargés, il ne faut pas donner le signal de la guerre civile, il faut « prévenir les suites d’un mouvement qui ne pourrait qu’être funeste à la liberté[147] », il est urgent de rétablir et d’assurer la paix publique. La majorité croit donc faire un acte de courage en refusant à la Commune l’arrestation des Vingt-Deux, des ministres Lebrun et Clavière ; en échange, elle consent à supprimer sa commission des Douze ; elle confirme l’arrêté par lequel la Commune alloue 40 sous par jour aux ouvriers qui sont sous les armes ; elle déclare libre l’entrée de ses tribunes, et, remerciant toutes les sections, tant celles qui voulaient la défendre que celles qui voulaient l’attaquer, elle maintient la garde nationale en réquisition permanente, elle annonce une fédération générale pour le 10 août suivant, elle va fraterniser au Palais-Royal avec les bataillons que les calomnies de la Commune avaient armés l’un contre l’autre et qui, détrompés à la dernière minute, s’embrassent maintenant au lieu de s’égorger.

Encore cette fois, tout l’avantage est pour la Commune. Non seulement plusieurs de ses demandes ont été converties en décrets, mais encore son baptême révolutionnaire demeure valable, son comité d’exécution est tacitement reconnu, le gouvernement nouveau reste en fonctions, ses usurpations sont consacrées, son général Henriot garde le commandement de toute la force armée, toutes ses mesures dictatoriales s’exécutent sans entraves. — Raison de plus pour les continuer et pour les aggraver. « Vous n’avez qu’une demi-victoire, écrit Hébert dans son Père Duchesne, tous ces b… d’intrigants vivent encore. » — Dès le soir du 31 mai, la Commune a lancé des mandats d’arrêt contre les ministres Clavière et Lebrun, contre Roland et sa femme. Le même soir, et le lendemain pendant toute la journée et pendant toute la nuit, puis le surlendemain encore, dans les quarante-huit sections, les comités de surveillance, conformément aux instructions de l’Hôtel de Ville[148], relisent leurs listes de quartier[149], y pointent de nouveaux noms, envoient des commissaires pour désarmer et arrêter les suspects. Quiconque a mal parlé des comités révolutionnaires, ou s’est opposé aux attentats du 31 mai, ou ne s’est pas montré le 10 août, ou a mal voté dans l’ancienne Assemblée législative est bon à prendre : c’est une razzia universelle et simultanée ; dans toutes les rues on ne voit que des gens empoignés et conduits au comité de la section ou en prison, sous escorte, en première ligne des journalistes « antipatriotes » ; par surcroît, leurs feuilles tirées sont confisquées et leurs journaux cessent de paraître ; les ateliers de Gorsas sont saccagés, les scellés sont mis sur ses presses[150], Prudhomme lui-même est écroué. Dans les sections du Contrat-Social, de la Fraternité, du Marais, de Marseille, les dernières résistances sont brisées, et la Commune, tranquille du côté de la rue, peut recommencer son attaque contre la Convention.

Elle a fait dresser, dans chaque section, « la liste des ouvriers sans-culottes, » et leur alloue 6 francs par tête, payables par la Convention, pour les indemniser de leur chômage temporaire[151] : c’est une prime offerte à l’émeute, et, comme il n’y a rien de plus efficace que l’argent comptant, Pache fait les fonds en détournant 150 000 francs destinés aux colons de Saint-Domingue ; pendant la journée du 2 juin, on verra des affidés passer dans les rangs et distribuer des assignats de 5 livres[152]. Pour mieux retenir les hommes sous les armes, des voitures de subsistances accompagnent chaque bataillon[153] ; l’estomac a besoin d’être rempli, et une pointe de vin est un très bon réconfortant du patriotisme. Henriot a fait revenir de Courbevoie des bataillons de volontaires qui, peu de jours auparavant, se sont enrôlés pour la Vendée[154], « aventuriers » crapuleux et pillards qu’on appellera plus tard « les héros à 500 livres ». Il a encore sous la main les hussards de Rosenthal, soudards allemands qui, ne comprenant pas le français, resteront sourds à toutes les sommations légales. Enfin, autour de la Convention, il range en cercle ses sans-culottes de choix, notamment les canonniers, jacobins par excellence[155], qui traînent avec eux le plus formidable appareil d’artillerie, 163 canons, avec des grilles et du charbon pour faire rougir les boulets. Ainsi les Tuileries sont cernées par la bande des tape-dur et des énergumènes ; la garde nationale, cinq ou six fois plus nombreuse[156], qu’on a convoquée « pour donner à l’entreprise de quatre ou cinq mille bandits l’apparence d’un mouvement populaire », ne peut venir au secours de la Convention ; on l’a reléguée hors de la portée, au delà du pont Tournant, qui est levé, derrière la barrière en bois qui sépare le Carrousel du château. Enchaînée à ses postes par la consigne, réduite à l’état de décor immobile, employée à son insu[157] contre elle-même, elle ne peut que laisser faire les factions qui lui servent d’avant-garde. — Dès le matin, les vestibules, les escaliers et les couloirs de la Convention ont été envahis par les habitués des tribunes et par les femmes soldées ; des « hommes à moustaches », armés de sabres et de pistolets, ont consigné le commandant du poste avec ses officiers ; la garde légale a été remplacée par une garde extraordinaire[158], et les députés sont prisonniers. Si quelqu’un d’entre eux est obligé de sortir pour un instant, c’est sous la surveillance de quatre fusiliers qui le conduisent, l’attendent et le ramènent[159] ». D’autres, ayant voulu regarder par les fenêtres, sont couchés en joue ; le vieux Dusaulx est frappé, Boissy d’Anglas, pris à la gorge, rentre avec sa cravate et sa chemise en lambeaux. Pendant sept heures d’horloge, la Convention reste aux arrêts, et, lorsqu’elle a décrété l’éloignement de la force armée qui l’assiège, Henriot répond à l’huissier chargé de lui notifier le décret : « Dis à ton f… président que je me f… de lui et de son Assemblée, et que si dans une heure elle ne me livre pas les Vingt-Deux, je la fais foudroyer[160]. »

Dans la salle, la majorité, abandonnée par ses guides reconnus et par ses orateurs préférés, faiblit d’heure en heure. Brissot, Pétion, Guadet, Gensonné, Buzot, Salle, Grangeneuve, d’autres encore, les deux tiers des Vingt-Deux, retenus par leurs amis, sont restés chez eux[161], Vergniaud, qui est venu, se tait, puis s’en va ; probablement, la Montagne, qui gagne à son absence, a levé pour lui la consigne. Quatre autres Girondins qui restent à l’Assemblée jusqu’à la fin, Isnard, Dusaulx, Lanthenas et Fauchet, consentent à se démettre ; quand les généraux rendent leur épée, les soldats ne tardent pas à rendre les armes. Seul Lanjuinais, qui n’est pas Girondin, mais catholique et Breton, parle en homme contre l’attentat que subit la représentation nationale ; on lui court sus, il est assailli à la tribune ; le boucher Legendre, faisant de ses deux bras « le geste du merlin », lui crie : « Descends ou je t’assomme » ; un groupe de Montagnards s’élance pour aider Legendre, on porte à Lanjuinais un pistolet sur la gorge[162] ; il a beau persévérer, se cramponner à la tribune, autour de lui, dans son parti, les volontés défaillent. — À ce moment, Barère, l’homme aux expédients, propose à la Convention de lever la séance et d’aller délibérer « au milieu de la force armée qui la protégera[163] ». Faute de mieux, la majorité s’accroche à ce dernier débris d’espérance. Elle se lève, malgré les cris des tribunes, descend le grand escalier et arrive jusqu’à l’entrée du Carrousel. Là, le président montagnard, Hérault de Séchelles, lit à Henriot le décret qui lui enjoint de se retirer et, correctement, officiellement, lui fait les sommations d’usage. Mais quantité de Montagnards ont suivi la majorité et sont là pour encourager l’insurrection ; Danton serre la main de Henriot et lui, dit à voix basse : « Va toujours ton train, n’aie pas peur, nous voulons constater que l’Assemblée est libre ; tiens bon[164]. » Sur ce mot, le grand escogriffe à panache retrouve son assurance, et, de sa voix avinée, dit au président : « Hérault, le peuple ne s’est pas levé pour écouter des phrases. Tu es un bon patriote ;… promets-tu, sur ta tête, que les Vingt-Deux seront livrés dans vingt-quatre heures ? — Non. — En ce cas, je ne réponds de rien. Aux armes, canonniers, à vos pièces ! » Les Canonniers prennent leurs mèches allumées, « la cavalerie tire le sabre, l’infanterie couche en joue les députés[165] ». — Repoussée de ce côté, la malheureuse Convention tourne à gauche, traverse le passage voûté, suit la grande allée du jardin, avance jusqu’au pont tournant pour trouver une issue. Point d’issue : le pont Tournant est levé ; partout la barrière de piques et de baïonnettes reste impénétrable ; on crie autour des députés : « Vive la Montagne ! vive Marat ! À la guillotine Brissot, Vergniaud, Guadet, Gensonné ! Purgez le mauvais sang ! » et la Convention, pareille à un troupeau de moutons, tourne en vain dans son enclos fermé. Alors, pour les faire rentrer au bercail, comme un chien de garde aboyant, de toute la vitesse de ses courtes jambes, Marat accourt, suivi de sa troupe de polissons déguenillés, et crie : « Que les députés fidèles retournent à leur poste ! » Machinalement, la tête basse, ils reviennent ; aussitôt leur salle est fermée et ils y sont consignés de nouveau. Pour collaborer à leurs délibérations, des étrangers de bonne volonté sont entrés pêle-mêle avec eux. Pour surveiller et hâter leur besogne, des sans-culottes, la baïonnette au bout du fusil, gesticulent et menacent du haut des galeries. Au dehors, au dedans, la nécessité, de sa main de fer, les a saisis et les serre à la gorge. Silence morne. On voit le paralytique Couthon se soulever de son banc : ses amis le portent à bras jusqu’à la tribune ; ami intime de Robespierre, c’est un personnage important et grave ; il s’assoit, et, de sa voix douce : « Citoyens, tous les membres de la Convention doivent être maintenant rassurés sur leur liberté… Maintenant vous reconnaissez que, dans vos délibérations, vous êtes libres[166]. » — Voilà le mot final de la comédie ; il n’y en a pas d’égal, même dans Molière. — Aux applaudissements des galeries, le cul-de-jatte sentimental conclut en demandant que l’on mette en arrestation les Vingt-Deux, les Douze, les ministres Clavière et Lebrun. Nul ne combat sa motion[167], « parce que les besoins physiques commencent à se faire sentir, et qu’une impression de terreur est répandue sur l’Assemblée ». Plusieurs se disent « qu’après tout les proscrits ne seront pas bien à plaindre d’être obligés de rester chez eux, qu’ils y seront en sûreté,… qu’il vaut mieux faire un petit mal que de s’exposer à de grands périls ». Un autre s’écrie : « Mieux vaut se dispenser de voter que de trahir son devoir ! » — Voilà le biais trouvé et les consciences à l’aise. Les deux tiers de l’Assemblée déclarent qu’ils ne prennent plus part à la délibération, s’abstiennent, restent assis à l’épreuve et à la contre-épreuve. Sauf une cinquantaine de membres de la droite qui se lèvent pour les Girondins, la Montagne, accrue des insurgés ou amateurs qui fraternellement siègent avec elle, vote seule et rend enfin le décret, — À présent que la Convention s’est mutilée elle-même, elle est mutée pour toujours, et va devenir une machine de gouvernement au service d’une clique ; la conquête jacobine est achevée, et, sous la main des conquérants, le grand jeu de la guillotine peut commencer.

VIII

Regardons les à ce moment décisif : je ne crois pas qu’en aucun pays ni en aucun siècle on ait vu un tel contraste entre une nation et ses gouvernants. — Par une série d’épurations pratiquées à contre-sens, la faction s’est réduite à sa lie ; du vaste flot soulevé en 1789, il ne lui est demeuré que l’écume et la bourbe ; tout le reste a été rejeté ou s’est écarté, d’abord la haute classe, clergé, noblesse et parlementaires, ensuite la classe moyenne, industriels, négociants et bourgeois, enfin l’élite de la classe inférieure, petits propriétaires, fermiers[168] et artisans-maîtres, bref tous les notables de toute profession, condition, état ou métier, tout ce qui avait un capital, un revenu, un établissement, de l’honorabilité, de la considération, de l’éducation, une culture mentale et morale. Pour composer le parti, il n’y a plus guère, en juin 1793, que les ouvriers instables, les vagabonds de la ville et de la campagne, les habitués d’hôpital, les souillons de mauvais lieu, la populace dégradée et dangereuse[169], les déclassés, les pervertis, les dévergondés, les détraqués de toute espèce et, à Paris, d’où ils commandent au reste de la France, leur troupe, une minorité infime, se recrute justement dans ce rebut humain qui infeste les capitales, dans la canaille épileptique et scrofuleuse qui, héritière d’un sang vicié et avariée encore par sa propre inconduite, importe dans la civilisation les dégénérescences, l’imbécillité, les affolements de son tempérament délabré, de ses instincts rétrogrades et de son cerveau mal construit[170]. Ce qu’elle a fait des pouvoirs publics, trois ou quatre témoignages contemporains vont le dire ; on la voit face à face, en elle-même et dans ses chefs ; on contemple en plein visage les hommes d’action et d’initiative qui ont conduit son dernier coup de main et qui la représentent le mieux. — À la Convention, depuis le 2 juin, « la moitié des députés à peu près s’abstiennent de prendre part aux délibérations ; plus de cent cinquante ont même fui et disparu[171] » ; des muets, des fugitifs, des détenus, des condamnés, voilà son œuvre, et, dans la soirée du 2 juin, son ami de cœur, son directeur de conscience, l’avorton crasseux, charlatan, monomane et meurtrier qui lui verse tous les matins le poison politique, Marat, a obtenu enfin le pouvoir discrétionnaire que depuis quatre ans il demandait, celui de Marius et de Sylla, celui d’Octave, Antoine et Lépide, le pouvoir de rayer ou d’inscrire des noms sur la liste des proscrits : « à mesure qu’on lisait, il indiquait des retranchements ou des augmentations, et le lecteur effaçait ou ajoutait des noms sur sa simple indication, sans que l’Assemblée fût aucunement consultée[172] » : — À l’Hôtel de Ville, le 3 juin, dans la salle de la Reine, Pétion et Guadet, arrêtés, voient de leurs yeux ce comité central qui vient de lancer l’insurrection et qui, par une délégation extraordinaire, trône au-dessus de toutes les autorités établies. « Ils ronflaient[173], les uns étendus sur les bancs, les autres les coudes appuyés sur la table ; les uns étaient nu-pieds, les autres avaient leurs souliers en pantoufles, presque tous mal vêtus, malpropres, tout déboutonnés, les cheveux hérissés, des figures affreuses, des pistolets à leurs ceintures, des sabres et des écharpes en bandoulière. Des bouteilles étaient jetées çà et là ; des morceaux de pain, des débris de viande, des os jonchaient le plancher ; l’odeur était infecte ; » c’est l’aspect d’un tapis franc. Là, le chef de bande n’est pas Chaumette, qui a des scrupules de légalité[174], ni Pache, qui louvoie en sournois sous le masque de son flegme suisse, mais un autre Marat, plus grossier et surtout plus vil, Hébert, qui profite de l’occasion « pour mettre de la braise dans les fourneaux de son Père Duchesne », tiré à 600 000 exemplaires, se fait donner 135 000 livres comme prix des numéros adressés aux armées, et gagne 75 pour 100 sur la fourniture[175]. — Dans la rue, le personnel actif se divise en deux bandes, l’une militaire, l’autre civile, la première composée des tape-dur qui tout à l’heure fourniront l’armée révolutionnaire. « Cette armée[176], qu’on croit une institution nouvelle, existe (en fait) depuis 1789. Les agents du duc d’Orléans en formèrent le premier noyau. Elle se grossit, s’organisa, reçut des commandants, des lieux de rendez-vous, des mots d’ordre, un argot… Toutes les révolutions se sont exécutées avec son secours ; elle donnait le mouvement aux violences populaires partout où elle ne paraissait pas en masse. Elle faisait porter le buste de Necker et fermer les théâtres le 12 juillet 1789, courir la populace à Versailles le 5 octobre, arrêter le roi dans la cour des Tuileries le 20 avril 1791… Conduite par Westermann et Fournier et grossie par les galériens de Brest et de Marseille, elle fut le bataillon central de l’attaque du 10 août 1792 ; elle exécuta les massacres de septembre ; elle a couvert les Maratistes à la journée du 31 mai 1793… Sa composition répond à ses exploits et à ses fonctions. Elle renferme les scélérats les plus déterminés, les brigands d’Avignon, l’écume de Marseille, du Brabant, de Liège, de la Suisse, de la côte de Gênes. » Par un triage soigné[177] on va la vérifier, la fortifier, l’empirer, et faire d’elle un corps légal de janissaires à triple solde ; une fois « grossie des perruquiers désœuvrés, des laquais sans place, des faiseurs de motions en plein air, des misérables hors d’état de gagner leur pain par un travail honnête », elle pourra fournir les détachements qui tiendront garnison à Bordeaux, Lyon, Dijon, Nantes, et il restera encore « dix mille de ces mameluks pour contenir la capitale », Quant au personnel civil, il comprend d’abord les habitués de section que l’on va payer 40 sous par séance, ensuite la troupe des figurants qui, dans les autres lieux publics, doivent représenter le peuple, environ mille claqueurs et clabaudeurs, « dont les deux tiers de femmes ». — « Pendant tout le temps que j’ai été libre, dit Beaulieu[178], j’ai beaucoup observé leur manège : c’était une lanterne magique continuellement en mouvement. Ils allaient de la Convention au Tribunal révolutionnaire, et du Tribunal révolutionnaire aux Jacobins ou à la Commune qui tenaient leurs séances le soir… Ils prenaient à peine le temps de satisfaire à leurs besoins naturels ; souvent on les voyait dîner et souper à leur poste, lorsqu’il s’agissait de quelque mesure générale ou de quelque assassinat important. » Comme général en chef, les deux hordes ont Henriot, jadis escroc, puis mouchard, puis détenu pour vol à Bicêtre, puis massacreur de septembre ; autrefois, dans les carrefours, sur l’estrade des vendeurs d’orviétan, il a joué la parade en costume de général ; de là sa tenue militaire et sa popularité ; c’est le parfait sacripant, toujours ivre ou imbibé d’eau-de-vie. Tête de buse, voix de rogomme, œil clignotant, visage traversé de tics nerveux, il a tous les dehors de l’emploi. « Quand il parle, on entend des vociférations pareilles à celles des hommes qui ont un scorbut ; une voix sépulcrale sort de sa bouche, et, quand il a parlé, sa figure ne reprend son assiette qu’après des vibrations dans les traits ; il donne de l’œil par trois fois, et son visage reprend son équilibre[179]. » — Marat, Hébert et Henriot, le fou, le coquin et la brute, sans le couteau de Charlotte Corday, il est presque probable que ce trio, maître de la presse et de la force armée, aidé de Jacques Roux, Leclerc, Vincent, Ronsin et des enragés des bas-fonds, aurait écarté Danton, supprimé Robespierre et gouverné la France. Tels sont les conseillers, les favoris et les meneurs de la classe gouvernante[180] ; si l’on ne savait pas ce que pendant quatorze mois elle va faire, on pourrait, d’après sa qualité, se figurer son gouvernement.

Et pourtant, ce gouvernement, tel qu’il est, la France l’accepte ou le subit. — À la vérité, par un premier mouvement d’horreur, Lyon, Marseille, Toulon, Nîmes, Bordeaux, Caen, d’autres villes encore, qui se sentent le couteau sur la gorge[181], détournent le coup, se soulèvent contre leurs jacobins locaux ; mais ce n’est là qu’un geste instinctif : elles ne songent point à former des États dans l’État, comme le prétend la Montagne, ni à usurper l’autorité centrale, comme le fait la Montagne. Lyon crie « Vive la république une et indivisible ! » accueille avec honneur les commissaires de la Convention, laisse passer les convois d’armes et de chevaux destinés à l’armée des Alpes ; pour le révolter, il faudra les exigences insensées du despotisme parisien, comme, pour insurger la Vendée, il a fallu la persistance brutale de la persécution religieuse. Sans l’oppression prolongée qui pèse sur les consciences et sans le danger, imminent qui plane sur les vies, aucune ville ou province ne se détacherait. Même sous ce gouvernement d’inquisiteurs et de bourreaux, nul groupe, sauf Lyon et la Vendée, ne fait un effort persévérant pour rompre l’union, se cantonner et vivre à part. Le faisceau national a été trop solidement lié par la centralisation séculaire ; il y a une patrie, et, quand la patrie est en danger, quand l’étranger en armes attaque la frontière, on suit le porte-drapeau, quel qu’il soit, usurpateur, aventurier, chenapan, coupe-tête, pourvu qu’il marche en avant et tienne le drapeau d’une main ferme[182]. À lui arracher ce drapeau, à contester son prétendu droit, à le chasser, à le remplacer, on perdrait la chose publique. Les braves gens sacrifient leurs répugnances au salut commun, et, pour servir la France, servent son indigne gouvernement. — Au comité de la guerre, les officiers de génie et d’état-major, qui passent leurs journées à étudier la carte, ne songent qu’à la bien lire ; l’un d’eux, d’Arçon, « a dirigé la levée du siège de Dunkerque et le déblocus de Maubeuge[183] ; personne ne le surpasse en pénétration, en connaissances pratiques, en promptitude de coup d’œil et en imagination ; c’est une âme de feu et une tête pétrie de ressources. — Je parle de lui, dit Mallet du Pan, par une liaison intime de dix années ; il n’est pas plus révolutionnaire que moi. » Carnot fait davantage ; il donne son honneur, en signant, avec ses collègues du Comité de Salut public, avec Billaud-Varennes et Couthon, avec Saint-Just et Robespierre, des arrêtés qui sont des assassinats. Un dévouement égal jette dans les armées les recrues par centaines de mille, bourgeois[184] et paysans, depuis les volontaires de 1791 jusqu’à la réquisition de 1793, et ceux-ci combattent, non seulement pour la France, mais encore et surtout pour la révolution. — Car, à présent que l’épée est tirée, l’exaspération mutuelle et croissante n’a laissé debout que les partis extrêmes. Depuis le 10 août et surtout depuis le 21 janvier, il ne s’agit plus de traiter avec l’ancien régime, d’en élaguer les portions mortes ou les épines blessantes, de l’accommoder aux besoins modernes, d’établir l’égalité civile, la monarchie tempérée, le gouvernement parlementaire. Il s’agit de ne pas subir la conquête à main armée, les exécutions militaires de Brunswick[185], la vengeance des émigrés proscrits, la restauration et l’aggravation de l’ancien ordre féodal et fiscal. Cet ordre ancien, la grosse masse rurale le hait, par expérience et tradition, de toute la haine accumulée que peut enfanter une spoliation incessante et séculaire ; à aucun prix, elle ne souffrira le retour du collecteur, du rat-de-cave et du gabelou, et, pour elle, l’ancien régime n’est que cela ; car, depuis la révolution elle ne paye plus ou presque plus d’impôts. Là-dessus son idée est faite, fixe, inébranlable ; sitôt qu’elle aperçoit dans le lointain le rétablissement possible de la taille, de la dîme et des droits seigneuriaux, son parti est pris : elle se bat à mort. — Quant aux artisans et petits bourgeois, ils ont pour stimulant la grandiose perspective de la carrière ouverte à deux battants, de l’avancement illimité, des grades offerts au mérite ; mais surtout leurs illusions sont encore intactes. Là-bas, au camp, devant l’ennemi, les nobles idées générales, qui, entre les mains des démagogues parisiens, sont devenues des prostituées sanguinaires, restent des vierges pures dans l’imagination de l’officier et du soldat. Liberté, égalité, droits de l’homme, avènement de la raison, toutes ces vagues et sublimes images flottent devant leurs yeux quand ils gravissent sous la mitraille l’escarpement de Jemmapes, ou quand ils hivernent, pieds nus, dans la neige des Vosges. Elles ne se sont pas souillées et déformées sous leurs pas, en tombant du ciel en terre ; ils ne les ont pas vues se changer dans leurs mains en hideuses caricatures. Ils ne font point le sale ménage quotidien de la politique et de la guillotine. Ils ne sont pas des piliers de club, des braillards de section, des inquisiteurs de comité, des dénonciateurs à prime, des pourvoyeurs de l’échafaud. Hors du sabbat révolutionnaire, ramenés au sens commun par la présence du danger, ayant compris l’inégalité des talents et la nécessité de l’obéissance, ils font œuvre d’hommes, ils pâtissent, ils jeûnent, ils affrontent les balles, ils ont conscience de leur désintéressement et de leurs sacrifices, ils sont des héros[186] et ils peuvent s’envisager comme des libérateurs. Sur cette idée, leur orgueil s’exalte. Selon un grand observateur[187] qui a connu leurs survivants, « beaucoup d’entre eux croyaient que les Français seuls étaient des êtres raisonnables… À nos yeux, les habitants du reste de l’Europe, qui se battaient pour conserver leurs chaînes, n’étaient que des imbéciles pitoyables ou des fripons vendus aux despotes qui nous attaquaient. Pitt et Cobourg nous semblaient les chefs de ces fripons… et la personnification de tout ce qu’il y a de traître et de stupide au monde. En 1794, notre sentiment intérieur et sérieux était tout renfermé dans cette idée : être utile à la patrie. Tout le reste, l’habit, la nourriture, l’avancement, était à nos yeux un misérable détail éphémère. Comme il n’y avait pas de société, les succès de société, chose si principale dans le caractère de notre nation, n’existaient pas. Nos seules réunions étaient des fêtes, des cérémonies touchantes qui nourrissaient en nous l’amour de la patrie. Dans la rue, nos yeux se remplissaient de larmes en rencontrant une inscription en l’honneur du jeune tambour Barra… Ce sentiment fut notre seule religion », mais il en fut une. Lorsque dans une nation le cœur est si haut[188], elle se sauve malgré ses gouvernants, quelles que soient leurs extravagances et quels que soient leurs crimes ; car elle rachète leur ineptie par son courage et couvre leurs forfaits sous ses exploits.

  1. Archives nationales, AF, II. 45, 6 mai 1793 (en anglais).
  2. Moore, I, 185 (20 octobre) : « Il est évident que, quoique tous les départements de la France aient en théorie une part égale dans le gouvernement, pourtant, en fait, le département de Paris s’est approprié à lui seul tout le pouvoir du gouvernement. — Par la pression de l’émeute, Paris fait la loi à la Convention et à toute la France. » Moore, II, 534 (pendant le procès du roi) : « Tous les départements, y compris celui de Paris, sont en réalité obligés de se soumettre souvent à la tyrannie criarde d’une bande de coquins soldés qui, dans les tribunes, usurpent le nom et les fonctions du peuple souverain, et qui, dirigés secrètement par un petit nombre de démagogues, gouvernent cette malheureuse nation. » — Cf. Ib., II (13 novembre.)
  3. Schmidt, I, 96. Lettre de Lauchou au président de la Convention, 11 octobre 1792 : « De sa pleine autorité, la section de 1792 a arrêté, le 5 de ce mois, que les personnes en état de domesticité pourraient voter dans nos assemblées primaires… Il serait bon que la Convention nationale trouvât moyen de persuader aux habitants de Paris qu’eux seuls ne composent pas la république entière. Cette idée, quoique absurde, ne laisse pas de se réaliser tous les jours. » — Ib., 99. Lettre de Damour, vice-président de la section du Panthéon, 29 octobre : « Le citoyen Paris… a dit que lorsque la loi blesse l’opinion générale, il ne faut plus y avoir égard… Ces perturbateurs, qui veulent à toute force attraper des places, soit à la municipalité, soit ailleurs, causent les plus grands vacarmes. »
  4. Ib., I. 223. Rapport de Dutard, 14 mai.
  5. Mortimer-Ternaux, VI, 117 ; VII, 59 (scrutins des 2 et 4 décembre). — Dans la plupart de ces scrutins et de ceux qui suivent, le nombre des votants n’est que le vingtième de celui des inscrits. Chaumette est élu dans sa section par 53 voix, Hébert par 56, Gentry, maître tonnelier, par 34, Lechenard, tailleur, par 39, Douce, ouvrier en bâtiment, par 24. — Pache, élu maire le 15 février 1793, obtient 11 881 voix sur 160 000 inscrits.
  6. Buchez et Roux, XVII, 101. (Décret du 19 août 1792.) — Mortimer-Ternaux, IV, 223. — Beaulieu, Essais, III, 454. « Depuis le 10 août, la garde nationale a cessé d’exister. » — Buzot, 454. — Schmidt, I, 533. (Dutard, 29 mai) : « Il est de fait que la force armée de Paris est nulle. »
  7. Beaulieu, Essais, IV, 6. — Archives nationales, F7, 3249 (Oise). Lettres des administrateurs de l’Oise, 24 août, 12 septembre, 20 septembre 1792. Lettres des administrateurs du district de Clermont, 14 septembre, etc.
  8. Cf plus haut, livre III, chap. Ier. — Archives nationales, F7, 3249. Lettre des administrateurs du district de Senlis, 31 octobre 1792. Deux administrateurs de l’hôpital de Senlis ont été arrêtés par des commissaires parisiens et conduits « au prétendu Comité de Salut public de Paris, avec tout ce qu’ils pouvaient avoir d’argent, bijoux, assignats. » Les mêmes commissaires emmènent deux sœurs de l’hôpital avec toute l’argenterie de la maison ; les sœurs ont été relâchées, mais l’argenterie n’a pas été rendue. — Buchez et Roux, XXVI, 209 (Patriote français), séance du 30 avril 1793, compte rendu final de la commission chargée d’examiner les comptes de l’ancien comité de surveillance : « Panis et Sergent (sont) convaincus de bris des scellés… » « 67 580 livres trouvées chez Septeuil ont disparu, ainsi que beaucoup d’effets précieux. »
  9. Schmidt, I, 270.
  10. Mortimer-Ternaux, IV, 221 à 229, 242 à 260 ; VI, 43 à 52.
  11. Sybel, Histoire de l’Europe pendant la Révolution française, II, 76. — Mme Roland, II, 152 : « La comptabilité fut impossible, non seulement à établir, mais à figurer, pour 130 millions… Dans les 24 heures qui suivirent sa démission, il nomma à soixante places… depuis son gendre, devenu vicaire ordonnateur à 19 000 livres d’appointements, jusqu’à son perruquier, polisson de 19 ans, fait commissaire des guerres. » — « Il fut prouvé qu’on payait au complet des régiments réduits à un petit nombre d’hommes. » — Meillan, 20 : « La faction devint maîtresse à Paris par les brigands qu’elle soudoyait à l’aide des millions qu’elle faisait mettre à la disposition de la municipalité, sous prétexte d’assurer les subsistances. »
  12. Voyez, dans les Mémoires de Mme Elliot, les circonstances de ce vote. — Beaulieu, I, 445 : « J’ai vu, affiché au coin des rues, un placard signé Marat, par lequel il demandait 15 000 livres à M. Le duc d’Orléans, en récompense de ce qu’il faisait pour lui. » — Gouverneur Morris, I, 160, lettre du 21 décembre 1792. Les tribunes forcent la Convention à révoquer son décret contre l’expulsion des Bourbons. — Le 22 décembre, les sections présentent une pétition dans le même sens, et il y va dans les faubourgs une sorte d’entente en faveur de Philippe-Égalité.
  13. Schmidt, I, 246 (Dutard, 13 mai) : « La Convention ne peut pas compter à Paris trente personnes qui soient de son parti. »
  14. Buchez et Roux, XXV, 463. Appel nominal du 13 avril 1793 ; quatre-vingt-douze députés votent pour Marat.
  15. Prudhomme, Crimes de la Révolution, V, 133. Conversation avec Danton, en décembre 1792. — Barante, III, 123. Même conversation, mais probablement d’après une autre tradition orale. — J’ai été obligé de substituer un équivalent aux derniers mots trop crus de la citation.
  16. Il porte le premier la parole, au nom de la Montagne, dans le procès du roi, et devient tout de suite président des Jacobins. Son discours contre Louis XVI est significatif. « Louis est un autre Catilina ; » il faut le tuer, d’abord comme traître, saisi en flagrant délit, ensuite comme roi, c’est-à-dire à titre d’ennemi naturel et de bête féroce prise dans un rets.
  17. Vatel, Charlotte Corday et les Girondins, I, préface, cxli (avec toutes les pièces de l’affaire, les lettres de Mme de Saint-Just, l’interrogatoire du 6 octobre 1786, etc). Les objets volés étaient six pièces d’argenterie, une bague fine, des pistolets garnis en or, des paquets de galon d’argent, etc. — Le jeune homme déclare « qu’il est au moment d’être placé dans les gardes de M. Le comte d’Artois, en attendant qu’il soit assez grand pour entrer dans les gardes du corps. » Il a songé aussi à entrer à l’Oratoire.
  18. Cf. son discours contre le roi, ses rapports sur Danton, sur les Girondins, etc. Pour comprendre le caractère de Saint-Just, lire sa lettre à d’Aubigny, 20 juillet 1792 : « Depuis que je suis ici, je suis dévoré par une fièvre républicaine qui me dévore et me consume… Il est malheureux que je ne puisse rester à Paris. Je me sens de quoi surnager dans ce siècle… Vous êtes tous des lâches qui ne m’avez pas apprécié. Ma palme s’élèvera pourtant et vous obscurcira peut-être. Infâmes que vous êtes, je suis un fourbe, un scélérat, parce que je n’ai point d’argent à vous donner ? Arrachez-moi le cœur, et mangez-le ; vous deviendrez ce que vous n’êtes point : grands. »
  19. Buchez et Roux, XXIV, 296, 363 ; XXV, 323 ; XXVII, 144, 145. — Moniteur, XIV, 80 (paroles de Danton, David, Legendre, Marat).
  20. Moniteur, XV, 74. — Buchez et Roux, XXVII, 254, 257, séances du 6 janvier et du 27 mai.
  21. Ib., XIV, 851, séance du 26 décembre, 1792. Discours de Jullien de la Drôme.
  22. Ib., XIV, 768, séance du 16 décembre. Le président : « J’ai rappelé trois fois Calon à l’ordre ; trois fois il a résisté. » — Vergniaud : « La majorité de l’Assemblée (est) sous le joug d’une minorité séditieuse. » — Ib., XIV, 851, 853, 865, séances du 26 et du 27 décembre. — Buchez et, Roux, XXV, 396, séance du 11 avril.
  23. Louvet, 72.
  24. Meillan, 24 : « Depuis quelque temps, nous étions tous armés de sabres, de pistolets, d’espingoles. » — Moore, II, 235 (octobre 1792). Déjà à cette date un grand nombre de députés ne sortaient qu’armés de cannes à dard et de pistolets de poche.
  25. Dauban, la Démagogie en 1793, 181. Description de la salle par Prudhomme, avec estampes. — Ib., 199. Lettre de Brissot à ses commettants : « Les brigands et les bacchantes ont trouvé moyen de s’emparer de la nouvelle salle. » — Selon Prudhomme, les tribunes peuvent contenir en tout quatorze cents personnes, et, selon Dulaure, deux à trois mille.
  26. Moore, I, 44 (10 octobre) et II, 534.
  27. Moniteur, XIV, 795, 19 décembre 1792. Discours de Lanjuinais.
  28. Buchez et Roux, XX, 5, 396, séance du 11 avril 1793. Discours de Lauze-Deperret.
  29. Dauban, 143. Lettre de Valazé, 14 avril. — Cf. Moniteur, XIV, 746, séance du 14 décembre. — Ib., 800, séance du 20 décembre, tout entière. — Ib., 853, séance du 26 décembre.
  30. Discours de Salle. — Lanjuinais dit aussi : « On paraît délibérer ici dans une Convention libre ; mais c’est sous les poignards et les canons des factieux. » — Moniteur, XV, 180 séance du 16 janvier. Discours de N., député, prononcé à la demande de Charles de Villette.
  31. Meillan, 24.
  32. Archives nationales, AF, II, 45. Rapports de police des 16, 18 et 19 mai. « On craint au premier jour quelque scène sanglante. » Buchez et Roux, XXVII, 125. Rapport de Gamon, inspecteur de la salle de la Convention.
  33. Moniteur, XIV, 362 (1er novembre 1792). — Ib., 387, séance du 4 novembre. Discours de Boyer et de Gorsas. — Ib., 382. Lettre de Roland, 5 novembre.
  34. Ib., XIV, 699. Lettre de Roland, 28 novembre.
  35. Ib., XIV, 697, n° du 11 décembre.
  36. Moniteur, XV, 180, séance du 16 janvier. Discours de Lehardi, Hugues et Thibault. — Meillan, 14 : « Alors fut tracée une ligne de séparation entre les deux côtés de l’Assemblée. Plusieurs députés que la faction voulait perdre avaient voté la mort. On préféra prendre pour base la liste des suffrages pour l’appel au peuple dans laquelle ils étaient presque tous inscrits. Nous fûmes donc désignés sous le nom d’appelants. »
  37. Ib., XV, 8. Discours de Rabaut-Saint-Étienne. — Buchez et Roux, XXIII, 24. — Mortimer-Ternaux, V, 418. — Moniteur, XV, 180, Séance du 16 janvier. — Buchez et Roux, XXIV, 292. — Moniteur, XV, 182. Lettre du maire de Paris, 16 janvier. — Ib., 179. Lettre de Roland, 16 janvier. — Buchez et Roux, XXIV, 448. Rapport de Santerre.
  38. Buchez et Roux, XV, 25 à 26. — Mortimer-Ternaux, VI, 184. (Manifeste du comité central, 9 mars, 2 heures du matin.) — Ib., 193. Récit de Fournier à la barre de la Convention, 12 mars. — Rapport du maire de Paris, 10 mars. — Rapport du ministre de la justice, 13 mars. — Meillan, 24. — Louvet, 72, 74.
  39. Pétion, Mémoires, 106 (édit. Dauban) : « Combien de fois me suis-je entendu dire : « Scélérat, nous aurons ta tête ! » — Et je ne puis pas douter que plusieurs fois on n’ait eu le projet de m’assassiner. »
  40. Taillandier, Documents biographiques sur Daunou (Récit de Daunou), 38. — Doulcet de Pontécoulant, Mémoires, I, 139 : « C’est alors qu’on vit la Montagne user de tous les moyens d’intimidation qu’elle savait si bien mettre en œuvre, remplir les tribunes de ses satellites qui se désignaient à haute voix chaque député, à mesure qu’il montait au bureau du président pour motiver son vote, et qui poursuivaient de hurlements féroces chacun de ceux qui ne votaient pas pour la mort immédiate et sans restriction. » — Carnot, Mémoires, I, 293. — Carnot a voté la mort du roi et cependant avoue que « Louis XVI eût été sauvé si la Convention n’eût pas délibéré sous les poignards ».
  41. Durand de Maillane, 35, 38, 57.
  42. Mot de Dusaulx dans les Fragments pour servir à l’histoire de la Convention.
  43. Mme Roland, Mémoires, édition Barrière et Berville, II, 52. (Note de Roland.)
  44. Moniteur, XV, 187. Vote de Cambacérès : « Louis a encouru les peines établies contre les conspirateurs par le Code pénal… Il faut suspendre l’exécution jusqu’à la cessation des hostilités ; en cas d’invasion du territoire français par les ennemis de la république, le décret sera mis à exécution. » — Sur Barère, voyez le terrible article de Macaulay (Biographical Essays).
  45. Sainte-Beuve, Causeries de lundi, V, 209. (Siéyès, d’après ses papiers inédits.)
  46. Mme Roland, II, 56. (Note de Roland.)
  47. Mortimer-Ternaux, V, 476.
  48. Ib., V, 513.
  49. Comte de Ségur. Mémoires, I, 13.
  50. Harmand de la Meuse (membre de la Convention), Anecdotes relatives à la Révolution, 83, 85.
  51. Meissner, 148, Voyage à Paris (dernier mois de 1795). Témoignage du régicide Audrein.
  52. Louvet, 75.
  53. Meillan, 16.
  54. Mot de M. Guizot. (Mémoires, II, 73).
  55. Moniteur, XIV. 432, séance du 10 novembre 1792. Discours de Cambon : « Voilà ce qui me fera toujours haïr le 2 septembre ; car je n’approuverai jamais les assassinats. » Dans le même discours, il justifie les Girondins du reproche de fédéralisme.
  56. Le Maréchal Davout, par Mme de Blocqueville. Lettre de Davout, chef de bataillon, 2 juin 1793 : « L’âme de Le Peletier est passée dans les nôtres ; c’est assez vous dire quelles sont nos opinions et quelle sera notre conduite dans la crise où va peut-être nous plonger de nouveau une faction qui cherche à mettre la guerre civile entre les départements et Paris… Perfide éloquence… Tartufes modérés. »
  57. Moniteur, XIV, 758. Rapport de Cambon, 15 décembre, « sur la conduite à tenir par les généraux français dans les pays occupés par les armées de la république. » Cette pièce essentielle est le vrai manifeste de la Révolution. — Buchez et Roux, XXVII, 140, séance du 20 mai, et XXVI, 177, séance du 27 avril, discours de Cambon : « Le département de l’Hérault a dit à tel individu : « Tu es riche, tu as une opinion qui nous occasionne des dépenses… Je veux t’enchaîner malgré toi à la révolution ; je veux que tu prêtes ta fortune à la république, et, quand la liberté sera établie, la république te rendra tes capitaux. » — « Je voudrais donc qu’imitant le département de l’Hérault, la Convention ouvrît un emprunt civique d’un milliard qui serait rempli par les égoïstes et les indifférents. » — Décret du 20 mai, « rendu à la presque unanimité » : « Il y aura un emprunt forcé d’un milliard sur les citoyens riches. »
  58. Meillan, 100,
  59. Discours de Ducos, 20 mars : « Il faut opter entre l’éducation domestique et la liberté. Tant que, par une éducation commune, vous n’aurez pas rapproché le pauvre du riche, c’est en vain que vos lois proclameront la sainte Égalité. » — Rabaut-Saint-Étienne : « Dans chaque canton, on érigera un temple national où, chaque dimanche, les officiers municipaux donneront une leçon morale aux citoyens assemblés. Cette leçon sera tirée de livres approuvés par le corps législatif. Un catéchisme, aussi simple que court, dressé par le corps législatif, sera enseigné, et tout garçon devra le savoir par cœur. » — Sur les sentiments des Girondins à l’égard du christianisme, voyez vol. V, livre II, ch. III, et vol. VI, livre III, ch. III. — Sur les moyens d’égaliser les fortunes, articles de Rabaut-Saint-Étienne (Buchez et Roux, XXIII, 467). — Ib., XXIV, 475 (7-11 mars), décret abolissant le droit de tester. — Condorcet, dans son Tableau des progrès de l’esprit humain, assigne aussi pour but à la société le nivellement des conditions. — Sur la propagande à l’étranger, lire le rapport de Cambon (15 décembre). Ce rapport passe à la presque unanimité, et Buzot l’aggrave par un amendement (Moniteur, XIV, 761).
  60. Buchez et Roux, XXVII, 287, séance du 28 mai, vote sur le maintien de la commission des Douze.
  61. Moniteur, XV, 395, séance du 8 février 1793.
  62. Décrets des 13 et 14 mars.
  63. Moore, II, 44 (octobre 1792). Danton déclare à la tribune que « la Convention doit être un comité d’insurrection contre tous les rois de l’univers ». — Sur quoi Moore remarque que c’est déclarer la guerre à toute l’Europe, sauf la Suisse. — Mallet du Pan, Considérations sur la Révolution de France, 37 : « Dans une lettre dont le hasard m’a procuré la connaissance, Brissot écrivait à l’un de ses ministres-généraux, vers la fin de l’année passée : « Il faut incendier les quatre coins de l’Europe, notre salut est là. »
  64. Duvergier, Collection des lois et décrets. Décret du 10-12 mars, titre I, articles 4, 12, 13 ; titre II, articles 2, 3. Ajoutez-y le décret du 29-31 mars, établissant la peine de mort contre quiconque aura composé ou imprimé des écrits provoquant au rétablissement de la royauté.
  65. Ib. Décret du 28 mars-5 avril (article 6). — Cf. les décrets du 18-22 mars et du 23-24 avril.
  66. Décret du 27-30 mars.
  67. Décret du 3-7 avril.
  68. Décret du 4 mai.
  69. Décret du 11-16 avril.
  70. Décret du 20-25 mai.
  71. Décret du 5-7 avril. Paroles de Danton au cours de la discussion.
  72. Décret du 6-11 avril.
  73. Décrets des 13, 16, 22, 23, 24, 25, 26, 29 mai et 1er juin.
  74. Décret du 21-23 mars, et du 26-30 mars.
  75. Décret du 29-31 mars.
  76. Décret du 1-5 avril.
  77. Schmidt, I, 232. Rapport de Dutard, 10 mai.
  78. Archives nationales, F7, 2401 à 2505. Registres des délibérations des sections de Paris. — Beaucoup de ces registres commencent le 28 mars 1793 et contiennent les délibérations des comités révolutionnaires : par exemple, F7, 2475, section des Piques ou de la place Vendôme. On voit par les procès-verbaux du 28 mars et des jours suivants qu’on enlève aux suspects jusqu’aux moindres armes, cannes à épée, cannes à poignard, cannes à dard, épées de toilette à poignée d’acier ou d’argent.
  79. Buchez et Roux, XXV, 157. — Archives nationales, F7, 3294, section de la Réunion, procès-verbal du 28 mars.
  80. Schmidt, I, 223 (Dutard, 14 mai) Ib., 224 : « Si la Convention laisse substituer à son autorité celle des comités de surveillance, je ne lui en donne pas pour huit jours. » — Meillan, 111 : « Les agitateurs des sections étaient presque tous des étrangers. » — Archives nationales, F7, 3294 et 3297, registre des délibérations des comités de surveillance de la section de la Réunion, et de la section des Droits de l’Homme. L’orthographe et le style indiquent la qualité des esprits et des éducations. Par exemple : « Le dit jour et an que deçus. » — « Orloger. ». — « Lecture d’une lettre du comité de sûreté général de la convention qui invite le comité à se transporter de suites chez le citoyen Louis Féline rue Baubourg, a leffets de faire perquisition chez lui et dans tout ces papiers, et que ceux qui paraîtrons suspect lon y metes les selés. »
  81. Archives nationales, F, 3294, section de la Réunion, procès-verbal du 28 mars.
  82. Buchez et Roux, XXV, 168. Arrêté de la Commune, 27 mars.
  83. Schmidt, I, 225. Rapport de Dutard, 14 mai.
  84. Buchez et Roux, XXV, 167. Arrêté du 27 mars. — XXVII, 157. Arrêté du 20 mai.
  85. Archives nationales, F7, 3294. Voir notamment les procès-verbaux du mois d’avril. — Buchez et Roux, XXV, 149, et XXVI, 342 (arrêtés de la Commune, 27 mars et 2 mai).
  86. Buchez et Roux, XXVI, 402 (article du Patriote français, 8 mai) : « Les arrestations se sont multipliées ces jours derniers, à un point effrayant. La mairie regorgeait de prisonniers, et on ne peut se faire une idée de l’insolence et de la dureté avec lesquelles on traitait les citoyens. On n’y parlait que d’égorger, que de faire une Saint-Barthélemy. » — Meillan, 55 : « Quelqu’un dans une assemblée ou seulement dans un cercle laissait-il percer une opinion qui ne fût pas conforme aux vues de la municipalité, il était sûr d’être arrêté la nuit suivante. » — Gouverneur Morris, 29 mars 1793 : « Hier je fus arrêté dans la rue et conduit à la section de la Butte-des-Moulins… Des hommes armés sont venus dans ma maison hier. » — Réponse du ministre Lebrun, 3 avril : « Les visites domiciliaires étaient une mesure générale dont aucune maison à Paris n’était exempte. »
  87. Buchez et Roux, XXVI, 284. Discours de Buzot, séance du 8 mai.
  88. Ib., XXVI, 332. Arrêté de la Commune, 1er mai.
  89. Schmidt, I, 216. Rapport de Dutard, 13 mai.
  90. Ib., I, 301 (Dutard, 25 mai) : « Dans nos sections, les meilleurs citoyens ont encore peur d’être emprisonnés ou désarmés ; on n’y parle qu’à contre-cœur. » — Même calcul des révolutionnaires à Lyon (Archives nationales, AF, II, 43). Lettre des administrateurs du département du Rhône aux représentants du peuple, 4 juin 1793. Le comité révolutionnaire « désigna, pour aller en Vendée, les citoyens les plus aisés ou ceux que la haine avait marqués, tandis qu’on admettait des inscriptions conditionnelles pour rester dans le département uniquement en faveur de ceux intéressés à la désorganisation ». — Cf. Guillon de Montléon, I, 235.
  91. Buchez et Roux, XXVI, 399. Arrêté de la Commune, 3 mai, sur l’emprunt forcé de 12 millions, article 6 : « Les comités révolutionnaires recevront les rôles des contributions pour leur servir seulement de renseignements, sans qu’ils soient tenus de les prendre pour bases. » — Article 14 : « Les meubles et immeubles de ceux qui n’auront point satisfait à la réquisition patriotique seront saisis et vendus sur la poursuite des comités révolutionnaires, et leurs personnes déclarées suspectes. »
  92. Buchez et Roux, XXVII, 17 (Patriote français, no du 14 mai). Francœur est taxé à 3600 livres. — Même opération à Lyon (Balleydier, 174, et Guillon de Montléon, I, 238). La taxe autorisée par les commissaires de la Convention était de 6 millions ; le comité révolutionnaire en perçoit 30 à 40, par mandats impératifs, payables dans les vingt-quatre heures (13 et 14 mai). Plusieurs personnes sont taxées a 80 000, à 100 000 livres, et le texte de la réquisition porte les traces d’une hostilité ironique.
  93. Buchez et Roux, XXVI, 463, séance des Jacobins, 11 mai.
  94. Meillan, 17.
  95. Buchez et Roux, XXVI, 463, séance des Jacobins, 11 mai. Discours d’Hassenfratz. — Ib., 455, séance des Jacobins, 10 mai. Discours de Robespierre : « Tous les riches font des vœux pour la contre-révolution ; il n’y a que les hommes gueux, il n’y a que le peuple qui puisse sauver la patrie. » — Ib., 453, N… : « Il faut former dans chaque département des bataillons révolutionnaires entretenus aux dépens des riches, qui n’ont pas de courage. » — Ib., XXVII, 317. Pétition du faubourg Saint-Antoine, 11 mai. — Schmidt, I, 315. Rapport de Dutard, 23 mai : « Les faubourgs ne se recrutent pas, parce qu’ils savent qu’ils sont plus nécessaires ici que dans la Vendée. Ils laissent les autres plus riches aller à la guerre. Ils veillent ici, et ne comptent sur personne comme sur eux pour garder Paris. »
  96. Archives nationales, F7, 2494, section de la Réunion, procès-verbaux des 15 et 16 mai. — Buchez et Roux, XXX, 167, arrêté de la Commune, 27 mars.
  97. Schmidt, I, 527. Rapport de Perrière, 28 mai : « Notre groupe lui-même paraissait n’obéir qu’à cette antique haine du pauvre contre le riche. Il faudrait être bien inapte observateur pour ne pas s’apercevoir, à mille symptômes, que ces deux ennemis naturels sont rangés en bataille et n’attendent plus que le signal ou l’occasion. »
  98. Buchez et Roux, XXV, 460. Les écrits visés par l’accusation sont les numéros du 5 janvier er du 25 février du journal de Marat. La pièce qui provoque le décret est son Adresse à la convention nationale ; Ib., 446 et 450.
  99. Buchez et Roux, XXVI, 149. — Ib., récit de Marat, 114. Bulletin du tribunal révolutionnaire. — Ib., 142, séance de la Convention.
  100. Ib., XXVI, 358, article de la Chronique de Paris, 356, article de Marat. — Schmidt, I, 184. Rapport de Dutard, 5 mai. — Paris, Histoire de Joseph Lebon, I, 81. Lettre de Robespierre jeune, 7 mai.
  101. Buchez et Roux, XXV, 240 et 246. Protestations de la section du Mail, du corps électoral, des sections de l’Arsenal, du Marais, des Gravilliers et des Arcis. (Convention, séance du 2 avril ; Commune, séance du 2 avril.) — XXVI, 358. Protestations des sections Bon-Conseil et de l’Unité (5 mai). — XXVII, 71. Défaite des anarchistes dans la section de la Butte-des-Moulins. « Un grand nombre de sections manifestent hautement. L’intention de terrasser l’anarchie. » (Patriote français, 15 mai). — Ib., 157. Protestation des sections du Panthéon-Français, des Piques, du Mail et de plusieurs autres (Patriote français, 19 mai). — Ib., 175. Protestation de la section de la Fraternité (séance de la Convention, 23 mai).
  102. Schmidt, I, 189 (Dutard, 6 mai).
  103. Mortimer-Ternaux, VII, 218. Procès-verbal de la réunion des deux sections des Lombards et Bon-Conseil (12 avril), « par lequel les deux dites sections se sont promis et juré union, aide, fraternité et assistance dans le cas où l’aristocratie voudrait anéantir la liberté. » — « En conséquence, dit la section Bon-Conseil, il s’est présenté une quantité de citoyens de la section des Lombards, justement alarmés du trouble occasionné par des malveillants, pour nous porter aide et assistance. » — Adhésion de la section des Amis-de-la-Patrie. — Buchez et Roux, XXVII, 138. (article du Patriote français, 19 mai) : « Ce brigandage s’appelle assemblée des sections réunies. » — Ib., 236, 26 mai, séance de la Commune. « Des députations des sections de Montreuil, des Quinze-Vingts, des Droits-de-l’Homme sont venues au secours des patriotes de l’Arsenal ; les aristocrates ont pris la fuite, en abandonnant leurs chapeaux. » — Schmidt, I, 213, 313. (Dutard, 13 et 27 mai.) Violence contre les modérés dans les sections Bon-Conseil et de l’Arsenal : « coups de chaise donnés, plusieurs personnes blessées, un capitaine emporté dans un fauteuil ; les saute-ruisseau, les courtauds de boutique, avaient fui, les sans-culottes étaient restés maîtres. » — Meillan, 111. — Buchez et Roux, XXVII, 237, séance des Jacobins, 26 mai : « Dans la section de la Butte-des-Moulins, les patriotes, voyant qu’ils n’étaient pas en force, ont pris des chaises et ont chassé les aristocrates. »
  104. Buchez et Roux, XXVII, 78, sur le juge de paix Roux, enlevé de nuit et emprisonné le 16 avril. — Mortimer-Ternaux, III, 220, sur le vice-président Sagnier, 10 mai. — Buchez et Roux, XXVII, 231, 26 mai, sur cinq citoyens de la section de l’Unité arrêtés par le comité révolutionnaire de la section, « pour avoir parlé contre Robespierre et Marat ».
  105. Buchez et Roux, XXVII, 154. Discours de Léonard Bourdon aux Jacobins, 20 mai.
  106. Buchez et Roux, XXVI, 3. Adresse rédigée par les commissaires des 48 sections, approuvée par 35 sections et par la Commune, et présentée à la Convention, le 15 avril. — Elle a été précédée de plusieurs autres, lancées comme ballons d’essai. — Ib., XXV, 319. Pétition de la section Bon-Conseil, 8 avril. — XXV, 320. Pétition de la section de la Halle-au-Blé, 10 avril.
  107. Buchez et Roux, XXVI, 83. Discours de Vergniaud à la Convention, séance du 20 avril : « Tous ces faits sont notoires, il n’y a personne qui puisse les contredire ; ils seraient attestés par plus de 10 000 témoins. » — Mêmes procédés à Lyon, le 13 janvier 1793, pour faire signer une pétition contre l’appel au peuple. (Guillon de Montléon, I, 145, 155.) Le procès-verbal des Jacobins prétend que la pétition a recueilli 40 215 signatures : « La pétition fut d’abord signée par deux cents clubistes environ qui se disaient le peuple… Ils ont répandu dans le peuple que tous ceux qui ne signeraient pas cette adresse seraient notés sur une liste noire ou de proscription. De là, ils sont allés placer des banques dans toutes les places publiques, prenant par le bras tous ceux qui se présentaient pour les forcer à signer. Cette démarche n’ayant pas été fructueuse, ils ont fait signer des enfants de six à sept ans, des femmes, des gens de campagne illettrés. » On leur disait que cela ferait baisser le prix du pain… « Je vous jure que cette adresse est le fruit de cent personnes au plus ; la très grande majorité des citoyens de Lyon désirent jouir de leur souveraineté pour juger Louis. » (Lettre de David, de Lyon, au président de la Convention, 16 janvier.)
  108. Fragment, par Lanjuinais (dans les Mémoires de Durand de Maillane, 297).
  109. Meillan, 113.
  110. Buchez et Roux, XXVI, 319 (12 mai). — Meillan, 113.
  111. Buchez et Roux, XXVI, 327. La foule avertie finit par envoyer de nouveaux députés qui disent des premiers : « Nous les désavouons ».
  112. Buchez et lieux, XXVI, 143.
  113. Ib., XXVII, 175, 23 mai.
  114. Schmidt, I, 212. Rapport de Dutard, 13 mai. — ib., I, 218 : « Il y a véritablement un projet, et plusieurs têtes sont marquées. » (Terrasson, 15 mai.)
  115. Buchez et Roux, XXVII, 9. Récit de Guadet à la Convention, 14 mai.
  116. Buchez et Roux. XXVII, 2. (Patriote français, 13 mai.)
  117. Schmidt, I, 242. Rapport de Dutard, 18 mai, — Ib., 245.
  118. Schmidt, I, 254. Rapport de Dutard, 19 mai.
  119. Bergoeing, Chatry, Duboscq, Pièces recueillies par la commission des Douze et publiées à Caen, le 28 juin 1793. (Dans les Mémoires de Meillan (176 à 198) : Au reste, les tentatives de meurtre avaient déjà commencé. « Lanjuinais a failli être assassiné ; plusieurs députés ont été insultés et menacés. La force armée est d’accord avec les malveillants ; ainsi nous sommes sans aucun moyen de répression. » — (Mortimer-Ternaux, VII, 562, lettre du député Michel à ses commettants, 20 mai.)
  120. Bergoeing, Pièces, etc. — Meillan, 39 et 40. — Les dépositions sont toutes faites par des témoins oculaires. Les propositions de massacre ont été faites à l’assemblée de la mairie, les 19, 20 et 21 mai, aux Cordeliers, les 22 et 23 mai.
  121. Mêmes projets d’extermination par les Jacobins à Lyon. (Guillon de Montléon, I, 248.) Châlier disait au Club : « Trois cents têtes marquées ne nous manqueront pas. Allons nous emparer des membres du département, des présidents et des secrétaires des sections ; faisons-en un faisceau que nous mettrons sous la guillotine, et nous nous laverons les mains dans leur sang. » Là-dessus, dans la nuit du 28 au 29 mai, la municipalité révolutionnaire s’empare de l’arsenal et garnit de canons l’Hôtel de ville. Mais les sections de Lyon, plus énergiques que celles de Paris, prennent les armes, et, après un combat terrible, s’emparent de l’Hôtel de ville. — La différence morale des deux partis est très bien marquée dans les lettres de Gonchon. (Archives nationales, AF, II, 43. Lettres de Gonchon à Garat, 31 mai, 1er et 3 juin) : « Rassurez bien la Convention ; qu’elle n’ait aucune crainte. Les citoyens de Lyon se sont couverts de gloire ; ils ont montré le plus grand courage dans tous les combats qui ont eu lieu dans les différents quartiers de la ville, et la plus grande générosité envers leurs ennemis qui se sont conduits comme des scélérats. » — La municipalité avait envoyé un trompette avec drapeau comme pour parlementer, puis, tout d’un coup, en trahison, avait foudroyé de ses canons la colonne des sectionnaires et jeté les blessés dans la rivière : « Les citoyens de Lyon qu’on a tant calomniés auront donné les premiers l’exemple du caractère d’un vrai républicain ; parcourez l’histoire des révolutions et trouvez-moi un exemple pareil : étant victorieux, ne pas faire répandre une goutte de sang. » Ils ont soigné les blessés, souscrit pour les veuves et les enfants des morts sans acception de parti. — Cf. Lauvergne, Histoire du Var, 175. Même spectacle à Toulon (insurrection des modérés, 12 et 13 juillet 1793). — À Toulon comme à Lyon, il n’y a eu aucun meurtre après la victoire, mais seulement jugement régulier, puis exécution de deux ou trois assassins dont les crimes furent légalement prouvés.
  122. Schmidt, I, 335. Rapport de Perrière, 29 mai.
  123. Bergoeing, Pièces, etc., 195. — Buchez et Roux, XXVII, 296.
  124. L’insurrection de Lyon est du 29 mai. Le 2 juin, on annonce à la Convention que l’armée des insurgés de la Lozère, forte de plus de 30 000 hommes, s’est emparée de Marvejols et va prendre Mende (Buchez et Roux, XXVII, 387). — Adresse menaçante de Bordeaux (14 mai) et des trente-deux sections de Marseille (25 mai) contre les Jacobins (Buchez et Roux. XXVII, 3 et 214). — Cf. Robinet, le Procès des Dantonistes, 303, 305.
  125. Mortimer-Ternaux, VII, 38.
  126. Buchez et Roux, XXVII, 297, séance des Jacobins, 29 mai.
  127. Barère, Mémoires, II, 91, 94. Si menteur que soit Barère, on peut admettre ici son témoignage ; je ne lui vois aucune raison pour mentir, et il a pu être bien informé, puisqu’il était du Comité de Salut public. Au reste, ses assertions sur le complicité de la Montagne et sur le rôle de Danton sont confirmées par tout l’ensemble des faits. — Buchez et Roux, XXVIII, 200. Discours de Danton à la Convention, 13 juin : « Sans les canons du 31 mai, sans l’insurrection, les conspirateurs triomphaient, ils nous donnaient la loi. Que le crime de cette insurrection retombe sur nous ! Je l’ai appelée, moi, cette insurrection… Je demande que la Convention déclare que, sans l’insurrection du 31 mai, il n’y avait plus de liberté. » — Ib., 220, Discours de Leclerc aux Cordeliers, 27 juin : « N’est-ce pas Legendre qui a fait échouer les sages mesures que nous avions prises tant de fois pour exterminer nos ennemis ? C’est lui avec Danton qui, par leur coupable résistance, nous ont réduits ou modérantisme dans les journées du 31 mai ; c’est Legendre et Danton qui se sont opposés aux moyens révolutionnaires que nous avions pris dans ces grands jours pour écraser tous les aristocrates de Paris. »
  128. Schmidt, I, 244. Rapport de Dutard, 18 mai.
  129. Buchez et Roux, XXVII, 253 et suivantes, séance du 27 mai. — Mortimer-Ternaux, VII, 294. — Buchez et Roux, XXVIII, 9 (Précis rapide, par Gorsas).
  130. Buchez et Roux, XXVII, 258. — Meillan, 43.
  131. Buchez et Roux, XXVII, 259 (Paroles de Buffet).
  132. Meillan, 44. — Buchez et Roux, XXVII, 267, 280.
  133. Meillan, 44 : « Placé vis-à-vis du président, à dix pas de lui les regards toujours fixés sur lui, parce que, à travers le tumulte horrible qui dégradait l’Assemblée, nous ne pouvions avoir d’autre boussole, je puis attester que je n’ai ni vu ni entendu mettre aux voix le décret. » — Buchez et Roux, XXVII, 278. Discours d’Osselin, séance du 28 mai : « J’ai présenté ce matin la rédaction du décret à la signature des secrétaires. L’un d’eux, après l’avoir lu, m’a observé que le dernier article n’avait pas été décrété, mais que les articles précédents l’avaient été. » — Mortimer-Ternaux, VII, 562. Lettre du député Michel, 29 mai : « Les gardes ont été forcées, et le sanctuaire des lois investi depuis environ quatre heures jusqu’à dix heures passées, de manière que personne ne pouvait sortir, même pour les besoins les plus pressants. »
  134. Mortimer-Ternaux, VII, 308. Extrait des procès-verbaux de la Société patriotique de la Butte-des-Moulins, 30 mai : « Attendu que la majorité de la section, connue par son incivisme et son esprit antirévolutionnaire,… se refuserait à cette nomination ou nommerait des commissaires qui n’auraient pas la confiance des patriotes… » la Société patriotique se charge elle-même de nommer les deux commissaires demandés.
  135. Durand de Maillane, 297. — Fragment, par Lanjuinais : « Sept étrangers, sept agents du dehors, Desfieux, Proly, Pereyra, Dubuisson, Gusman, les deux frères Frey, etc, furent, par la Commune, érigés en comité d’insurrection. » — La plupart sont aussi des gredins ; c’est le cas notamment pour Varlet, Dobsent, Hassenfratz, Rousselin, Desfieux, Gusman, etc.
  136. Buchez et Roux, XXVIII, 156 : « Nous, les membres de la commission révolutionnaire, les citoyens : Clémence, de la section Bon-Conseil ; Dunouy, section des Sans-Culottes ; Bonin, de la section des Marchés ; Auvray, de la section du Mont-Blanc ; Séguy, de la section de la Butte-des-Moulins ; Moissard, de Grenelle ; Berot, canton d’Issy ; Rousselin, section de l’Unité ; Marchand, section du Mont-Blanc ; Grespin, section des Gravilliers. » Ils donnent leur démission le 6 juin. — La commission, composée d’abord de 9 membres, finit par en comprendre 11 (Buchez et Roux, XXVII, 216, Procès-verbaux de la Commune, 31 mai), puis 25 (discours de Pache au Comité de Salut public, 1er juin).
  137. Buchez et Roux, XXVII, 306. Procès-verbaux de la Commune, 31 mai. — Ib., 136. — Mortimer-Ternaux, VII, 319.
  138. Buchez et Roux, XXVII, 274. Discours d’Hassenfratz aux Jacobins, 27 mai.
  139. Ib., 346. Discours de Lhuillier à la Convention, 31 mai.
  140. Ib., 302, séance de la Convention, 30 mai. Paroles prononcées par Hassenfratz, Varlet, Chabot et dénoncées par Lanjuinais.
  141. Mme Roland, Appel à l’impartiale postérité. Conversation de Mme Roland, le soir du 31 mai, sur la place du Carrousel, avec un canonnier.
  142. Buchez et Roux, XXVII, 307 à 323. Procès-verbaux de la Commune, 31 mai.
  143. Archives nationales, F7, 2494, registre du comité révolutionnaire de la section de la Réunion, procès-verbal du 31 mai, six heures du matin.
  144. Buchez et Roux, XXVII, 335, séance de la Convention, 31 mai. Pétition présentée par les commissaires au nom des 48 sections ; il résulte de leurs pouvoirs qu’ils ne sont d’abord autorisés que par 26 sections.
  145. Buchez et Roux, XXVII, 347, 348. — Mortimer-Ternaux, VII, 350, troisième dépêche des délégués de l’Hôtel de Ville, présents à la séance : « L’Assemblée nationale n’a pu parvenir à prendre les grandes mesures ci-dessus… qu’après que les perturbateurs de l’Assemblée, connus sous la dénomination de côté droit, se sont rendu assez de justice pour voir qu’ils n’étaient pas dignes d’y participer, et ont évacué l’Assemblée après de grands gestes et les imprécations dont vous les savez susceptibles. »
  146. Dauban, la Démagogie en 1793. — Diurnal de Beaulieu, 31 mai. — Déclaration de Henriot, 4 germinal, an III. — Buchez et Roux, XXVIII, 351.
  147. Mortimer-Ternaux, VII, 565. Lettre du député Loiseau, 5 juin,
  148. Buchez et Roux, XXVII, 352 à 360, 368 à 377. Procès-verbaux de la Commune, 1er et 2 juin. Proclamation du Comité révolutionnaire, 1er juin : « Vos délégués ont ordonné l’arrestation de tous les gens suspects qui se cachent dans les sections de Paris. Cette arrestation s’effectue en ce moment de toutes parts. »
  149. Archives nationales, F7, 2494, section de la Réunion, procès-verbal du 1er juin. — Ib., 2 juin. Le 2 juin, le citoyen Robin est arrêté « comme ayant manifesté des opinions contraires à la souveraineté du peuple dans l’Assemblée législative. » Le même jour, sur le territoire de la section, proclamation, par une députation de la Commune escortée d’un membre du comité et de deux tambours, « tendantes à faire connaître au peuple que la patrie sera sauvée en attendant avec courage le décret qui doit être rendu pour que le traître ne siège plus dans le sénat. » — Ib., 4 juin. Le comité arrête qu’il adjoindra de nouveaux membres, mais qu’il les choisira tous « bons sans-culote et ne recevra auqu’un notaire, clerc de notaire, avoué et leurs clerc, banquier et gros rentier, » à moins qu’ils n’aient fait preuve d’un civisme irréprochable depuis 1789. — Cf. F7. 2497 (section des Droits-de-l’Homme), F7, 2484 (section de la Halle-au-Blé), analogie des arrêtés et de l’orthographe. Le registre de la section des Piques (F7, 2475) est un des plus intéressants ; on y trouvera les détails de la comparution des ministres ; le comité qui les interroge ne sait pas même l’orthographe de leurs noms ; il écrit à plusieurs reprises « Clavier » pour Clavière, « Goyer » pour Gohier.
  150. Buchez et Roux, XXVIII, 19.
  151. Buchez et Roux. XXVII, 357. Procès-verbaux de la Commune, 1er juin.
  152. Meillan, 307. — Fragment, par Lanjuinais. — Diurnal de Beaulieu, 2 juin. — Buchez et Roux, XXVII, 299 (discours de Barère).
  153. Buchez et Roux, XXVII, 357. Procès-verbaux de la Commune, 1er juin.
  154. Meillan, 53, 58, 307. — Buchez et Roux, XXVIII, 14 (Précis, par Gorsas).
  155. Ib., XXVII, 359. Procès-verbaux de la Commune, 1er juin : « Un membre du conseil, qui est allé à La section Beaurepaire, annonce qu’il n’y a pas été bien accueilli, que le président de cette section lui a dit des paroles assez dures et l’a pris pour un municipal imaginaire, qu’on l’a menacé de le mettre au violon, qu’il n’a dû sa liberté qu’aux braves citoyens de la section des Sans-Culottes et aux saisonniers de la section Beaurepaire qui l’ont accompagné. » — Les préparatifs d’investissement commencent dès le 1er juin. (Archives nationales, F7, 2497, section des Droits-de-l’Homme, procès-verbal du 1er juin). Ordre d’Henriot au commandant de la section pour qu’il envoie « 400 homme et la compagnie de canonier avec les 2 pièces de canon au Carouzel le long des Thuilerie plasse de la Révolution. »
  156. Lanjuinais dit 100 000 hommes. Meillan 80 000 ; les députés de la Somme disent 60 000, mais sans aucune preuve. D’après divers indices, je crois le chiffre beaucoup moindre, à cause du désarmement et des abstentions ; il est peut-être de 30 000 hommes, comme au 31 mai.
  157. Mortimer-Ternaux, VII, 566. Lettre du député Loiseau : « Je parcourus tout un bataillon ; tous les soldats me dirent qu’ils ignoraient la cause de ce mouvement, qu’elle n’était connue que de leurs chefs. » (1er juin).
  158. Buchez et Roux, XXVII, 400, séance de la Convention, 2 juin. — XXVIII, 43. Compte rendu de Saladin.
  159. Mortimer-Ternaux, VII, 592. Procès-verbal de la Société des Jacobins, 2 juin : « Les députés étaient entourés au point qu’ils ne pouvaient sortir même pour faire leurs besoins. » — Ib., 568. Lettre du député Loiseau.
  160. Buchez Roux, XXVIII, 44. Compte rendu de Saladin. — Meillan, 237. — Mortimer-Ternaux, VII, 547. Déclaration des députés de la Somme.
  161. Meillan, 52. — Pétion, Mémoires, 109 (édition Dauban). — Lanjuinais, Fragment, 299 : « Presque tous ceux qu’on appelait Girondins avaient jugé à propos de s’absenter. » — Lettre de Vergniaud, 3 juin (dans le Républicain français, du 5 juin 1793) : « Je sortis hier de l’assemblée entre une et deux heures. »
  162. Lanjuinais, Fragment, 299.
  163. Buchez et-Roux, XXVII, 400.
  164. Robinet, le Procès des Dantonistes, 169. Paroles de Danton (d’après les notes du juré Topino-Lebrun),
  165. Buchez et Roux, XXVII, 44. Compte rendu par Saladin. — Meillan, 59. — Lanjuinais, 308, 310.
  166. Buchez et Roux, XXVII, 401.
  167. Mortimer-Ternaux, VII, 569. Lettre du député Loiseau. — Meillan, 62.
  168. Buchez et Roux, XXVI, 341. Discours de Chasles à la Convention, 2 mai : « Les cultivateurs… sont presque tous aristocrates. »
  169. Siéyès (cité par Barante, Histoire de la Convention, III, 169) la décrit ainsi : « Ce faux peuple, le plus mortel ennemi qu’ait jamais eu le peuple français, obstruait sans cesse les avenues de la Convention… À l’entrée et à la sortie de la Convention, le spectateur interdit était tenté de croire à l’irruption soudaine de nouvelles hordes barbares, à l’irruption soudaine d’une nuée de harpies voraces et sanguinaires, accourues pour se saisir de la révolution comme d’une proie naturelle à leur espèce. »
  170. Gouverneur Morris, II, 241. Lettre du 23 octobre 1792 : « La populace, chose qui, grâce à Dieu, est inconnue en Amérique… » — À plusieurs reprises, il insiste sur ce trait essentiel de La révolution française. — Sur cette classe toujours vivante, lire le livre si exact, si complet, si bien documenté du docteur Lombroso, l’Uomo delinquente.
  171. Mortimer-Ternaux, VII. Lettre du député Laplaigne, 6 juillet.
  172. Meillan, 51. — Buchez et Roux, XXVII, 356. Procès-verbaux de la Commune, séance du 1er juin. Dans l’après-midi, Marat vient à la Commune, harangue le conseil général, et donne le dernier coup d’épaule à l’insurrection. — Visiblement il a eu dans ces deux journées (1er et 2 juin) le premier rôle.
  173. Pétion, 116.
  174. Schmidt, I, 370. — Mortimer-Ternaux, VII, 391. Lettre de Marchand, membre du Comité central : « J’ai vu Chaumette faire tous ses efforts pour entraver cette révolution glorieuse… crier, pleurer, s’arracher les cheveux. » — Buchez et Roux, XXVIII, 46. Selon Saladin, Chaumette alla jusqu’à demander l’arrestation d’Hébert.
  175. Mortimer-Ternaux, VII, 300. — Cf. Le vieux Cordelier, par C. Desmoulins, n° 5.
  176. Mallet du Pan, II, 52 (8 mars 1794). — Le général en titre de l’armée révolutionnaire fut Ronsin : « Avant la révolution, c’était un auteur de grenier, travaillant pour vivre et bornant sa gloire aux tréteaux des boulevards… Un jour, on vint lui dire : « Votre état-major se conduit bien mal ; aux spectacles et partout il exerce une tyrannie exécrable ; il bat les femmes, met leur bonnet en pièces. Votre troupe vole, pille, massacre. » Il répondit : « Que voulez-vous que j’y fasse ? Je sais comme vous que c’est un ramas de brigands ; mais il me faut de ces coquins-là pour mon armée révolutionnaire. Trouvez-moi des honnêtes gens qui veuillent faire ce métier. » (Prudhomme, Crimes de la Révolution, V, 130.)
  177. Buchez et Roux, XXIX, 152.
  178. Beaulieu, Essais sur la Révolution, V, 200.
  179. Schmidt, II, 85. Rapport de Dutard, 24 juin (sur la revue passée la veille) : « Une espèce d’artisan du bas rang, qui m’a paru avoir été soldat. Il m’a paru n’avoir fréquenté que des hommes désordonnés ; je suis sûr qu’on trouverait en lui l’amour du jeu, du vin, des femmes, et tout ce qui peut constituer un mauvais sujet. »
  180. Barbaroux, 12 : « Le mouvement imprimé à la révolution tend à faire disparaître les hommes de bien, et à porter au timon des affaires les hommes les plus gangrenés d’ignorance et de vices. »
  181. Lauvergne, Histoire de la Révolution dans le département du Var, 176. À Toulon, « l’esprit contre-révolutionnaire ne fut autre chose que le sentiment de la conservation individuelle. » — Même motif à Lyon (Nolhac, Souvenirs de trois années de la Révolution à Lyon, 14).
  182. Gouverneur Morris, II, 395. Lettre du 21 janvier 1794 : « En admettant ce qui a été affirmé par des personnes bien placées pour connaître la vérité et cependant ayant grand intérêt à prouver le contraire de leur assertion, à savoir que les neuf dixièmes de la nation sont hostiles au gouvernement, ce n’en est pas moins une vérité incontestable que les quatre-vingt-dix-neuf centièmes de la nation sont opposés à toute idée de démembrement et combattront pour l’empêcher. »
  183. Mallet du Pan, II. 44.
  184. Entre autres documents, la lettre suivante montrera la condition des recrues, surtout des recrues de 1791, qui furent de beaucoup les meilleures (Lettre des officiers municipaux de Dorat, 28 décembre 1792. Archives nationales, F7, 3275) : « La commune de Dorat est composée de trois classes de citoyens. La plus riche, formée de personnes entêtées des préjugés de l’ancien régime, avait été désarmée. La seconde, composée de gens aisés, occupe les places d’administration ; c’est contre elle que se dirigeait la fureur des malveillants ; encore ce qu’il y avait dans cette classe de capable de résister est allé combattre l’ennemi du dehors. Enfin la troisième, qui est la plus nombreuse, est composée partie de séditieux, partie d’ouvriers, qui, n’osant se mêler à la révolte, convoitaient la taxe des grains. » — Toulongon, Histoire de France depuis la Révolution, IV, 94 : « Il ne faut pas dégrader une nation en lui supposant des motifs bas et une crainte servile. Ce fut au contraire un instinct relevé de salut public dont chacun se sentit intérieurement pénétré. » — Gouvion-Saint-Cyr, Mémoires, I, 56 : « Un jeune homme aurait rougi de rester dans ses foyers, quand l’indépendance nationale paraissait menacée : chacun abandonna ses études, sa profession. »
  185. Gouvion-Saint-Cyr, I, 56 : « Le manifeste de Brunswick donna à la France plus de cent bataillons, qui, en moins de trois semaines, furent levés, armés et mis en route. »
  186. Sur ces sentiments, cf. Gouvion-Saint-Cyr, Mémoires, et Fervel, Campagnes de la Révolution française dans les Pyrénées-Orientales.
  187. Stendhal, Mémoires sur Napoléon.
  188. Gouvion-Saint-Cyr, Mémoires, 45 : « Le patriotisme suppléa à tout ; lui seul nous a donné la victoire, et celle-ci a pourvu aux plus indispensables besoins. »