Fables de La Fontaine (éd. Barbin)/2/Les Oreilles du Lièvre

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IV.

Les Oreilles du Lièvre.




Un animal cornu bleſſa de quelques coups
Le Lion, qui plein de couroux,
Pour ne plus tomber en la peine,
Bannit des lieux de ſon domaine
Toute beſte portant des cornes à ſon front.

Chevres, Beliers, Taureaux auſſi-toſt délogerent,
Daims, & Cerfs de climat changerent ;
Chacun à s’en aller fut prompt.
Un Lievre appercevant l’ombre de ſes oreilles,
Craignit que quelque Inquiſiteur
N’allaſt interpreter à cornes leur longueur :
Ne les ſoûtinſt en tout à des cornes pareilles.
Adieu voiſin Grillon, dit-il, je pars d’icy ;
Mes oreilles enfin ſeroient cornes auſſi ;
Et quand je les aurois plus courtes qu’une Autruche,
Je craindrois meſme encor. Le Grillon repartit :
Cornes cela ? vous me prenez pour cruche ;
Ce ſont oreilles que Dieu fit.

On les fera paſſer pour cornes,
Dit l’animal craintif, & cornes de Licornes.
J’auray beau proteſter ; mon dire & mes raiſons
Iront aux petites Maiſons.