Les Opalines/Les dialogues intimes
LES DIALOGUES INTIMES
J’ai, surgissant soudain, fauves, des turbulences,
Des bonds prodigieux de troupeaux qui s’élancent ;
Puis de mornes langueurs succédant à cela
Ainsi qu’à des flots fous de grands océans las.
J’ai des ailes de rêve, immenses, mais que brise
D’une caresse qui passe, la moindre brise.
Et je vais égaré sans savoir où je vais,
Ignorant du chemin, s’il est bon ou mauvais.
Fou !… Contemple-moi donc !… Insensé qui me portes,
A ma voix, confiant, que n’ouvres-tu ta porte.
Tu me connaîtrais mieux !… Je suis moi, rien de plus.
Les déboires en vain sur mes espoirs ont plu.
Je suis indépendant du flot des faits qui passent :
Je les vois m’assaillir, je ris, et je les lasse.
J’ai honte devant toi d’être ce que je suis.
Le sentier t’est pénible !
Oh ! oui !
Mais tu poursuis.
Sommes-nous différents, nous qui vivons ensemble !
Sais-tu, pauvre cerveau veule, à quoi tu ressembles ?
Aux feuilles que l’automne arrache dans les bois,
Qui vont, tourbillonnant, papillons aux abois,
Caprices de facteurs qu’elles n’ont pas en elles,
Pauvres choses volant qui n’ont même pas d’ailes,
Mais qu’un destin pareil assemble pour finir
Sur le sol, leur tombeau qui les verra pourrir.
Je souffre de désirs fougueux qui m’écartèlent,
D’émotions sans nombre, et ravageantes, telles
Qu’il ne me reste plus, quand elles ont passé,
Que la terreur de me voir vide !.. et pas assez,
Car aussitôt, hélas ! d’autres encore lèvent
Et s’attablent sur moi pour y manger mes rêves.
Je suis sans fièvre, sans hâte. Ainsi j’attends,
Enveloppé d’orgueil, d’avoir fini mon temps.
Je voudrais vivre en paix, et j’aime tant la houle,
Je voudrais vivre seul, j’ai besoin de la foule.
Pourtant, et mieux qu’aucun, je sais ce qu’elle vaut.
Mais je l’adore ainsi qu’on adorait le Veau.
Tiens, en ce moment même, eh ! bien ! je me dégoûte !
Le désespoir pénètre en moi goutte par goutte,
Je cours des idéals qui sont les plus divers,
Je vais de l’un à l’autre, à tâtons, de travers !
Un jour je maudis Dieu : l’autre je me prosterne
En implorant sa grâce !
Être vulgaire et terne !
Infortuné jouet dont s’amuse, en gaîté,
— Je l’entends ricaner ! — quelque fatalité.
Non, non, je ne puis plus !… Assez !… Qu’on me délivre !…
Mais quel sauveur…
Ecoute-moi : l’amour de vivre.
Laisse, pauvre égaré, te pénétrer ma voix,
Et quand tu verras tout, ainsi que je le vois,
D’à côté, tu diras, retiré sur toi-même :
Le monde est moi : il est beau, pourvu que je m’aime.