Les Oiseaux bleus/Les Accordailles

Victor-Havard (p. 139-150).

LES ACCORDAILLES

I

Quand la princesse Othilde vint au monde, on se récria d’admiration et d’étonnement : d’admiration, parce qu’elle était bien la plus jolie mignonne qu’on puisse imaginer ; d’étonnement, parce qu’elle était à peine aussi grande qu’un poing fermé d’enfant. Couchée dans un berceau pas plus large que la main ni plus long que le doigt, vous auriez dit d’un oiseau des Îles, encore sans plumes, dans son nid. Le roi et la reine ne pouvaient se lasser d’admirer ses jambes, ses pieds roses, qui auraient tenu dans un bas de poupée, son ventre de souris blanche, son visage qu’un pétale de marguerite eût suffi à cacher. À vrai dire, ils s’inquiétaient de la voir si extraordinairement petite, et leur royale grandeur ne pouvait supporter l’idée d’avoir donné le jour à une naine ; mais ils espéraient que leur fille grandirait, sans rien perdre de sa gentillesse. Ils furent bien trompés dans leur attente. En demeurant gracieuse autant qu’il est possible, elle grandit si peu qu’à cinq ans elle n’était pas plus haute qu’un brin d’herbe, et qu’en jouant dans les allées elle était obligée de se dresser sur la pointe des pieds pour cueillir les violettes. On fit mander des médecins fameux, on promit de leur donner les plus riches récompenses s’ils parvenaient à hausser de quelques pouces seulement la taille de la princesse ; ils se concertèrent avec gravité, les mains croisées sur le ventre, clignant de l’œil sous le verre de leurs besicles, inventèrent des drogues qu’Othilde fut obligée de boire, des onguents infaillibles dont on la frotta soir et matin. Tout cela ne fit que blanchir ; elle ne cessait pas d’être une adorable naine ; lorsqu’elle se divertissait en compagnie de son bichon favori, elle lui passait entre les pattes sans avoir besoin de baisser la tête. Le roi et la reine eurent recours aux Fées, avec lesquelles ils avaient toujours eu d’excellents rapports ; elles ne manquèrent pas de venir, celles-ci ; dans des litières de drap d’or, aux franges de pierreries, que portaient des Africains nus, celles-là dans des chars de cristal, attelés de quatre unicornes : il y en eut qui trouvèrent plus commode d’entrer par la fenêtre ou par la cheminée, sous forme d’oiseaux de paradis ou de martinets aux ailes bleues ; mais, dès qu’elles frôlaient le parquet de la salle, elles devenaient de belles dames habillées de satin. L’une après l’autre, elles touchèrent Othilde de leurs baguettes, la prirent dans la main, — elle n’était pas plus lourde qu’une grosse alouette, — la baisèrent, lui soufflèrent sur les cheveux, firent des signes au-dessus de son front en murmurant de toutes-puissantes paroles. Les charmes des Fées n’eurent pas plus d’effet que la médecine des savants hommes ; à seize ans, la princesse était encore si petite qu’il lui arriva un matin d’être prise tout entière dans un piège à rossignols qu’on avait mis dans le parc. Les courtisans, qui ont intérêt à tenir les souverains en joie parce que la bonne humeur, d’ordinaire, se montre généreuse, faisaient de leur mieux pour consoler le roi et la reine ; ils proclamaient que rien n’est plus ridicule qu’une grande taille, que les statures élevées ne sont, à bien considérer les choses, que des difformités ; pour ce qui était d’eux, ils auraient bien voulu n’avoir qu’un demi-pied de haut, — mais c’est aux races royales que la nature réserve de telles faveurs ! — et quand ils voyaient passer quelque énorme manant, ils se tordaient de rire en se prenant les côtes. Les dames d’honneur, — afin que la princesse parût moins petite à côté d’elles moins grandes — renoncèrent d’un commun accord à porter des talons hauts, qui étaient une mode de ce temps-là, et les chambellans prirent l’habitude de ne jamais s’approcher du trône qu’en marchant sur les genoux. Mais ces ingénieuses flatteries ne réussissaient pas toujours à dérider le roi ni la reine ; bien des fois ils eurent envie de pleurer en baisant leur fillette, du bout des lèvres, de peur de l’avaler ; et ils retenaient leurs larmes, pour ne pas la mouiller toute. Quant à Othilde, elle ne paraissait point chagrinée de son malheur ; elle avait même l’air de prendre grand plaisir à mirer sa jolie petite personne dans un miroir à main, fait d’un seul diamant un peu gros.

II

Cependant, — comme tous les désespoirs s’usent enfin par l’accoutumance, — le roi et la reine devenaient moins tristes de jour en jour ; sans doute ils auraient pris le parti de ne se plus désoler, s’il ne leur était arrivé une chose bien faite pour renouveler leur douleur. Sur le rapport qu’on lui faisait de la beauté de la princesse, — car la renommée, qui flatte volontiers les personnes royales, avait divulgué en tous lieux la grâce d’Othilde et non sa petitesse, — le jeune empereur de Sirinagor se rendit amoureux d’elle, et il envoya des ambassadeurs la demander en mariage. Vous pensez l’embarras que causa une telle proposition ! Marier cette mignonne poupée, grande comme une perruche, il n’y fallait pas songer. Quel homme s’accommoderait d’un épouse qui se perdrait certainement à toute minute dans le lit nuptial ! « Où donc êtes-vous, ma bien-aimée ? — Là, tout près de vous, mon ami, dans un pli de l’oreiller. » Et la demande de l’empereur de Sirinagor était d’autant plus effrayante, qu’on le disait lui-même d’une taille colossale ; il était plus beau que tous les princes, mais plus grand que tous les géants. Le jour de sa naissance, il avait été impossible de trouver un berceau assez vaste pour cet énorme prince ; on avait dû le coucher sur de longs tapis dans la salle du trône. À trois ans, il lui fallait se baisser un peu pour dénicher les oiseaux à la cime des chênes ! Ses parents, comme ceux d’Othilde, avaient consulté les médecins et les Fées, tout aussi vainement ; il avait grandi de plus en plus, d’une façon démesurée ; lorsque ses peuples, en célébration de quelque victoire, lui érigeaient des arcs de triomphe, il était obligé de descendre de cheval, pour passer dessous ; et si hauts qu’ils fussent, il ne manquait pas de heurter aux frontons la tarasque d’argent éployée sur son casque ! Naturellement, le roi et la reine déclarèrent aux ambassadeurs que l’union projetée était la chose du monde la plus impossible. Mais le jeune empereur, fort colère de son tempérament, ne se tint pas pour satisfait d’une telle réponse ; il ne voulut entendre à rien ; l’aveu de la petite taille d’Othilde lui parut une allégation absurde, imaginée dans l’intention de le bafouer ; et il s’écria en coiffant son casque, dont les ailes d’argent frémirent, qu’il allait tout mettre à feu et à sang pour venger cette injure.

III

Il fit comme il avait dit. Il y eut de terribles batailles, des villes à sac et des populations entières passées au fil de l’épée ; tant qu’enfin le roi et la reine virent bien que c’en serait fait d’eux et de tout le royaume s’ils n’entraient en accommodement avec le gigantesque conquérant qui marchait vers la capitale en enjambant les bourgs et les forêts en flammes. Ils se hâtèrent donc de lui demander la paix, s’engageant à ne plus lui refuser la main de leur fille. Ils étaient, du reste, assez tranquilles sur les suites de ce consentement ; l’empereur, à la vue d’Othilde, ne manquerait pas de renoncer à son dessein, et s’en retournerait dans son pays avec ses armées en vain victorieuses.

Jour fut pris pour la première entrevue des deux fiancés ; mais elle eut lieu dans le parc, non dans le palais, parce que le vainqueur n’aurait pas pu se tenir debout sous les plafonds des salles.

— Ça, dit-il, je ne vois pas la princesse. Ne viendra-t-elle bientôt ?

— Regardez à vos pieds, dit le roi.

Elle était là, en effet, dépassant à peine les plates-bandes de l’allée ; si menue et si jolie dans sa robe d’or, le front tout reluisant de pierreries, elle paraissait encore plus petite à côté du jeune et magnifique empereur, dont se dressait sous le ciel l’armure ensoleillée.

— Hélas ! dit-il.

Car il se désolait de la voir, là-bas, si charmante, mais si petite.

— Hélas ! dit-elle à son tour.

Car elle était bien marrie de le voir, là-haut, si beau, mais si grand !

Et ils eurent des larmes, elle dans ses yeux levés, lui dans ses yeux baissés.

— Sire, dit le roi, — pendant qu’ils se considéraient encore de loin ! — Sire, vous le voyez, vous ne sauriez épouser ma fille. Forcés de renoncer à l’honneur de votre alliance…

Mais il n’acheva point sa phrase, et, muet de stupeur, il regardait la princesse et l’empereur, elle grandissant, lui rapetissant, à cause de l’amour, plus puissant que les fées, qui les attirait l’un vers l’autre ! Bientôt ils furent presque de même taille ; leurs lèvres se touchaient comme les deux roses d’une même branche.