Les Nuits persannes/Hors de la vie

Les Nuits persanesAlphonse Lemerre (p. 239-245).

HORS
DE LA VIE

HORS DE LA VIE



Le sphinx au milieu du sable,
Le sage dans la cité,
Font leur socle impérissable
De l’insensibilité.



Lama, fakir, bonze ou brahme,
À quoi bon chants et sanglots ?
Quand on fait mouvoir la rame,
Voit-on plus clair sous les flots ?




Sans dire un mot, chacun beugle ;
Chacun court, sans faire un pas.
Heureux le sourd et l’aveugle,
N’entendant, ne voyant pas !




Pas de forme dérisoire !
Être un espace béant !
Néant, la honte et la gloire.
L’enfer et le ciel, néant.



La chair, l’esprit, erreur sans trève !
La vie est du mal ; tout en est :
Même le sommeil, car l’on rêve ;
Même la mort, car l’on renaît.




Dieu moins sensé qu’un homme ivre,
Ne pouvais-tu rester coi ?
Quand rien ne tenait à vivre,
Avoir tout créé, pourquoi ?




Il se peut que tu me damnes,
Ô dispensateur du sort.
Des plaignants briser les crânes
N’empêche pas d’avoir tort.



En vain tu veux que je souffre
Dans les mondes superflus.
Dieux, des secrets de ton gouffre
J’approche de plus en plus.




Le silence est dans ma bouche ;
Et le vide est dans mes yeux.
Sans me fondre en Toi, j’y touche.
Loin déjà sont tous les cieux.




Ô mon idole, ô mystère,
Tu fuis, mais je te poursuis.
Comme entre l’eau dans la terre,
En Toi, malgré Toi, je suis.



Une essence qui repose.
Ni l’air, ni l’eau, ni le feu.
Point d’effet et point de cause,
Solitude. Nuit. Rien. Dieu.