A. Lemerle (3p. 303-307).


Le sacrifice.


Cette nuit d’angoisses eut une fin ; le jour qui suivit éclaira tous les événements annoncés par lord Glenmour à sa femme, qui fut d’une héroïque fermeté.

Enveloppée dans le linceul, elle fut placée par son mari et le docteur Patrick au fond du vaste cercueil qu’il avait fait construire. Le bon Patrick crut qu’il y plaçait Paquerette, et lorsqu’il aida Glenmour à mettre Paquerette entre les quatre planches de la seconde bière, il crut y placer lady Glenmour.

Lord Glenmour n’ayant déclaré qu’une seule mort, le médecin légal chargé de constater les décès n’avait vu que Paquerette, et il avait permis l’inhumation. Comme il n’était pas là, et il n’était pas besoin qu’il y fût quand les deux cercueils sortirent de l’hôtel, rien ne fut plus facile que cette extension donnée à son autorisation. Comment prévoir une fraude jusqu’alors sans exemple ?

Et le convoi se mit ensuite en marche, affectant les mêmes allures qu’ont tous les convois depuis le commencement du monde…

Celui-ci pourtant différait des autres en ce point qu’on ne s’y demandait pas de quoi lady Glenmour était morte.

Chacun savait la scène scandaleuse de l’Opéra, la scène tragique chez Mousseline, dénoûment de l’infernale conjuration de Madoc, et nul ne s’étonnait de la mort spontanée de lady Glenmour.

Quelle femme à sa place ne serait pas morte ?

On admirait généralement la belle conduite de lord Glenmour, qui étalait ouvertement son pardon en marchant chapeau bas et la main droite appuyée sur le cercueil de sa femme.

On l’estimait beaucoup encore d’avoir confondu dans la même cérémonie les obsèques de lady Glenmour et celles de la jeune fille qui l’avait servie.

Au cimetière, Glenmour prononça avec une émotion communicative quelques paroles touchantes, et les deux cercueils furent ensuite descendus dans le riche tombeau acheté la veille 20,000 fr.

Le vendeur dirigea toutes les manœuvres ainsi qu’il l’avait promis ; il poussa la galanterie jusqu’à pleurer.

Lord Glenmour et le docteur Patrick accompagnèrent dans le caveau les deux cercueils, qui furent séparés par une cloison.

Celui de Paquerette était hors du tombeau, dans une excavation latérale, celui de lady Glenmour exhaussé et couvert d’un manteau noir occupa le centre même du monument.

— Ils sont à toi, maintenant, ô mon Dieu ! s’écria Patrick… en levant son front aveugle contre la voûte du tombeau ; puis, du haut des dernières marches du caveau, il dit encore : Mes enfants, à bientôt !

Quand ils furent remontés, les deux amis se trouvèrent seuls dans le cimetière… Ils le parcoururent sans se parler jusqu’à la grande porte d’entrée où Patrick monta le premier en voiture…

— Patrick, vous n’avez pas oublié, lui dit tout bas Glenmour en se plaçant à côté de lui, que c’est à quelques pas d’ici… tenez… là, en face de la grille d’octroi, que doit m’attendre cette nuit la voiture attelée de quatre chevaux de poste…

— Je ne l’ai pas oublié… tout sera fait selon vos désirs…

— Merci, Patrick. Encore un service, ami, ajouta lord Glenmour, soyez dans cette voiture…

— J’y serai… Et où irons-nous ?

— Dans l’Inde, à Calcutta… si vous me revoyez.