Les Nuits d’hiver (Henry Murger)/Les Abeilles

Les Nuits d’hiver
(p. 67-70).

LES ABEILLES

En avril, lorsque la branche
Que mars a fait bourgeonner,
D’une étoile rose ou blanche
Commence à se fleuronner,
Le printemps nouveau réveille
Tout un peuple industrieux :
Aux fleurs du pêcher l’abeille
Prend son miel délicieux.


En juin, quand la plaine brille
Sous les feux de la Saint-Jean,
Quand l’acier des faux scintille
En rapide éclair d’argent ;
Quand la faucheuse sommeille,
Son grand chapeau sur ses yeux,
Aux fleurs de sainfoin l’abeille
Prend son miel délicieux.


Au mois où la terre étale
La richesse des moissons,
Quand la sonore cigale
Frappe l’air de ses chansons
Dans la lumière vermeille
Bourdonne un essaim joyeux,
Aux fleurs des sillons l’abeille
Prend son miel délicieux.


Sur la mousse colorée,
Où l’aurore, le matin,
Dans les larmes s’est mirée,
La mouche trouve un butin ;
Et quand l’amour appareille
La biche au cerf langoureux,
Aux fleurs des genêts l’abeille
Trouve un miel délicieux.


Dans la futaie éclaircie,
Sur le sol retentissant,
Quand la cognée ou la scie
Abat le chêne puissant ;
Quand octobre a sur la treille
Jeté ses mourants adieux,
Aux pampres jaunis l’abeille
Prend son miel délicieux.


Sur les roches calcinées,
Lorsque la pente des eaux
Entraîne les graminées
Qui nourrissaient les oiseaux :
Au retour de la corneille,
Quand l’âtre allume ses feux,
Dans les bruyères l’abeille
Trouve un miel délicieux.

À la veillée où l’on cause
De l’amour et des amants,
Quand on ne voit plus de rose
Qu’aux visages de quinze ans ;
Pendant qu’un conte émerveille
L’auditoire curieux,
Dans sa ruche chaque abeille
Trouve un miel délicieux.