LES NOCES DE CANA


De Cana l’on sait l’aventure,
Mais d’un vieux grimoire je tiens
Quelques détails, dont l’Écriture
N’a pas égayé les chrétiens.
Un peu gourmet, quoi qu’on en dise,
Le Bon Dieu, qui s’était grisé,
Se permit mainte gaillardise
Dont Judas fut scandalisé.

Car chaque apôtre se signait,
Et Judas surtout s’indignait :
Hélas ! disait-il, mes amis,
Le Bon Dieu nous a compromis.


D’abord, en comptant les bouteilles,
Frères, dit-il, en vérité,
De mes jours si pleins de merveilles
Ce jour sera le mieux fêté :
Mes prêtres futurs, en mémoire
D’un tour de gobelet divin,
Vendant des oremus pour boire,
Changeront l’eau bénite en vin.

Et chaque apôtre se signait,
Et Judas surtout s’indignait :
Hélas ! disait-il, mes amis,
Le Bon Dieu nous a compromis.

Aux époux, héros de la fête,
Il dit d’un ton d’épicurien :
Buvez, trinquez, foi de prophète,
L’Amour, ce soir, n’y perdra rien ;
Mon présent de noce est un reste
De ce vin comme on n’en fait plus,
Qui, pour décupler un inceste,
Rajeunit un de mes élus…

Et chaque apôtre se signait,
Et Judas surtout s’indignait :

Hélas ! disait-il, mes amis,
Le Bon Dieu nous a compromis.

Puis à Madeleine la sainte,
Qui, belle de honte et d’attraits,
Détournait, loin de cette enceinte,
Vers le désert ses yeux distraits :
De ce monde, votre conquête,
Pourquoi, dit-il, vous séparer ?
Ma sœur, ce n’est qu’en tête à tête
Qu’au désert il faut s’égarer…

Et chaque apôtre se signait,
Et Judas surtout s’indignait :
Hélas ! disait-il, mes amis,
Le Bon Dieu nous a compromis.

Narguant le pharisien qui gronde,
Oui, poursuit-il, faites toujours
Des bienheureux en ce bas monde,
Pour qu’on vous canonise un jour.
Au ciel, pénitente confuse,
Quand vous frapperez en mon nom,
Ne craignez point qu’on vous refuse,
Vous qui jamais n’avez dit : Non.

Et chaque apôtre se signait,
Et Judas surtout s’indignait :
Hélas ! disait-il, mes amis,
Le Bon Dieu nous a compromis.

Moi-même, je veux à plein verre
Boire l’oubli du lendemain ;
Chaque instant me pousse au Calvaire.
J’en veux égayer le chemin.
Suivez donc mes traces divines :
En attendant que les douleurs
Viennent vous couronner d’épines,
Enfants, couronnez-vous de fleurs.

Et chaque apôtre se signait,
Et Judas surtout s’indignait :
Hélas ! disait-il, mes amis,
Le Bon Dieu nous a compromis.

Des convives troublant la vue,
Sur leurs plaisirs l’aube avait lui ;
Mais quand l’humanité vaincue
Tombait en foule autour de lui ;
Miracle ! intrépide à sa place,
L’Homme-Dieu, se versant toujours,

Détonnait un hymne d’Horace
Sur le Falerne et les Amours.

Et chaque apôtre se signait,
Et Judas surtout s’indignait :
Hélas ! disait-il, mes amis,
Le Bon Dieu nous a compromis.