Les Noces chymiques de Christian Rosenkreutz/Jour 2 commentaire

Traduction par Auriger.
Chacornac Frères (Les Écrits rosicruciens) (p. 31-34).

COMMENTAIRE


Rendant hommage au Créateur en chantant ses louanges, notre héros traverse une forêt, puis une plaine. Fatigué d’une longue marche, il veut se reposer à l’ombre de trois beaux cèdres, mais un écriteau apposé sur l’un d’eux l’avertit que quatre chemins conduisent aux Noces du Roi, à l’expresse condition, toutefois, de ne pas s’écarter de celui que l’on a choisi. La première voie est courte mais périlleuse et pleine d’écueils difficiles à éviter ; l’autre qui les contourne est plane, et facile, à condition de suivre sa boussole et de ne se laisser entraîner ni à droite, ni à gauche. La voie royale est la troisième ; elle est rendue joyeuse par les divers agréments et spectacles qu’offre le Roi sur son cours, mais à peine un sur mille peut atteindre le but. Il ne saurait être question pour un homme de suivre la quatrième pour parvenir au Roi, car elle brûle, et ne convient qu’aux corps incorruptibles. Une fois en route, la voie doit être suivie jusqu’au bout et nul ne peut revenir en arrière…

Alors que Christian Rosencreutz hésite sur la route à suivre, celle-ci se trouve déterminée par la rencontre fortuite d’un corbeau avec la colombe à laquelle il jetait les miettes de son pain. Nous retrouverons plus loin cet antagonisme du blanc et du noir et nous en donnerons alors l’explication. Les deux oiseaux se poursuivant s’envolent vers le midi, direction dans laquelle les suit notre héros : « Que celui qui veut devenir savant voyage vers le Midi, que celui qui veut devenir riche voyage vers le Septentrion » (Babha Bathra, Fol. 5, Col. 2). Le mythe de la blanche colombe se retrouve en maints auteurs et on ne peut s’empêcher de songer à un passage de L’Arcanum Hermeticae Philosophiae Opus où D’Espagnet employant la même allégorie dit que l’entrée du Jardin des Hespérides est gardée par des bêtes féroces qu’on ne peut adoucir qu’avec les attributs de Diane et les colombes de Vénus. Philalèthe, dans son traité : Introitus apertus ad occlusum Regis palatium, fait de fréquentes allusions à ces colombes, et ce sont encore ces gracieux oiseaux, que le doux Virgile nous décrit volants vers Énée, puis vers l’arbre double où il cueillera le rameau d’or qui doit lui permettre l’accès des Enfers et qu’il rapporte à l’antre de la Sybille. Rappelons à ce propos que les enfers et tout l’Empire souterrain est soumis à Pluton qui est aussi le Dieu des Richesses.

Poursuivant maintenant la voie qu’il ne peut plus abandonner, l’invité aux noces de Sponsus et Sponsa nous dit que la violence du vent l’empêche de retourner sur ses pas chercher sa besace au pied de l’arbre où il s’était assis. Il se fut aisément consolé de sa situation en songeant à celle du premier jour, où le vent souffle avec tant de violence qu’il ébranle la montagne dans laquelle est creusé son abri. N’y a-t-il pas en effet écrit dans Job, XXXVII, Vers. 22 : « L’Or vient du côté de l’Aquilon et la louange que l’on donne à Dieu doit être accompagnée de tremblement ».

Au crépuscule, enfin, alors que les ténèbres commencent à se manifester, il franchit la première porte et laisse au gardien vêtu d’un habit bleu de ciel sa fiole d’eau. L’insigne d’or qu’il reçoit en échange porte seulement les lettres S. C. Nous pouvons les interpréter par le Solve Coagula qui est à la base de tout enseignement de la Philosophie hermétique. Entre cette première porte et la seconde, une vierge, également vêtue de bleu allume une lanterne, accrochée à un arbre sur trois. Alors que l’inscription que portait la première porte tendait à éloigner le profane, celle de la seconde entrée dit : « Donnez et il vous sera donné ». Un lion en garde l’entrée, et nous croyons devoir interpréter par Solve Mercurio, « Dissous par le Mercure », les lettres S. M. que porte l’insigne remis par le gardien à notre héros en échange de son sel.

Le sens alchimique de cet ouvrage transparaît d’autant moins que les termes de Mercure, Soufre, Sel, Azote, si en honneur dans la terminologie des Anciens, bien que leur signification change suivant chaque auteur, ne sont pas employés une seule fois dans les « Noces Chymiques ». Cette particularité méritait d’être signalée, car elle témoigne que l’Alchimie peut fort bien s’enseigner sans avoir recours aux signes bien connus correspondant aux sept planètes astrologiques. Il ne faut pas en inférer que le sens de ces signes soit négligeable bien loin de là, leur graphisme en effet, n’a rien d’arbitraire et n’est pas un simple hasard. Le mot hasard est d’ailleurs vide de sens pour tout occultiste sérieux, car tout s’enchaîne dans notre petit monde ; chaque chose dépend de celles qui l’entourent, non seulement sur le plan matériel mais aussi et surtout sur les plans supérieurs dont la connaissance nous échappe faute de moyens suffisants de perception.

Selon la croyance ancienne, les métaux étaient divisés en deux catégories : les métaux colorés ou solaires, les métaux blancs ou lunaires. Chacune de ces deux classes comportait des subdivisions en métaux parfaits, semi-parfaits et imparfaits. Le cercle symbolisait la perfection des premiers, le demi-cercle appartenait à la semi-perfection, enfin la croix et le dard étaient les attributs de l’imperfection. L’Or considéré comme le premier des métaux solaires, par ses propriétés tant physiques que chimiques eut pour symbole de sa perfection le cercle seul mais pour le cuivre et le fer, on ajouta le symbole de l’imperfection, , . L’argent, métal lunaire semi-parfait, fut caractérisé par le demi cercle dont dérivent avec le signe d’imperfection l’étain et le plomb , . Enfin le mercure considéré comme participant à la fois des deux natures, solaire et lunaire, et considéré comme métal imparfait, résumait ces marques distinctives en un cercle surmonté d’un demi cercle et additionné d’une croix . Je recommande particulièrement aux inquisiteurs de Science cette admirable source de méditations ; qu’ils ne tombent pas cependant dans le travers qui nous fait voir partout des symboles alchimiques ! Par exemple : le signe d’Hermès reconstitué en juxtaposant le disque solaire des religions d’Extrême-Orient au croissant de l’Islam et à la croix chrétienne ☿ ou bien encore le même signe figuré dans les images de la Nativité par l’auréole de l’Enfant Jésus, le croissant des cornes du Bœuf et la croix du dos de l’Âne, qui le réchauffaient de leur souffle ☿, Jésus étant assimilé alors à l’Hermès divin, intermédiaire entre le monde matériel ou l’humanité, et les plans supra-terrestres ou divins. Cependant, cette courte disgression ne pouvant documenter suffisamment le lecteur studieux, je renvoie celui-ci à l’Ouvrage de Jean Dée, de Londres, intitulé : La Monade Hiéroglyphique, dont Grillot de Givry donna en 1925 une excellente traduction publiée par les soins de la Bibliothèque Chacornac[1].

Revenons maintenant à notre Pèlerin qui franchit une troisième porte ; il en admire les figures obscures sans toutefois nous les décrire, tout au plus, fait-il mention de deux statues surmontant les colonnes de chaque côté de la porte. Le dualisme de ces colonnes (Jakin et Bohas) est trop connu pour que je m’y arrête. L’insigne qu’il reçoit alors porte les lettres S. P. N. Là encore, de multiples interprétations sont possibles, je n’en retiendrai que Sal Pater Naturae qui s’apparente ainsi aux multiples hypothèses et théories plaçant la Mer salée à l’origine de toutes choses.

Dès ce moment notre héros prend contact avec les êtres invisibles des plans supérieurs. Ils ne sont pas encore perceptibles à sa vue, cependant on le chausse de souliers neufs, et on le tonsure. Ce rite rappelle celui de l’Église catholique par lequel l’Évêque introduit un Laïc dans l’état ecclésiastique et lui donne le premier degré de la cléricature en lui coupant en croix quatre mèches de cheveux sur le sommet de la tête. Il le revêt ensuite du surplis, symbole de l’homme nouveau, créé pur et sain. Ici se place au sens alchimique une première purification de la matière première, qu’il faut bien se garder de confondre avec la première matière ; l’une sert à préparer l’autre par une sorte de putréfaction ainsi qu’opère la Nature.

Enfin, parvenu au Palais, notre héros, toujours humble, ne trouve qu’une petite place à la dernière table. Il est cependant assez bien placé pour entendre et apprécier les ridicules et extravagantes divagations de ses compagnons. Cet intermède comique où Roi, prince ou roturier cherche à donner à chacun des autres une haute idée de son degré d’évolution et d’initiation, soit en prétendant entendre bruire les Cieux, ou voir les idées platoniciennes, nous prépare à la déconvenue de certains, lors de l’épreuve des poids, au troisième jour.

Ce n’est pas en effet parmi les pierres les plus précieuses ou les plus rares que l’artiste fait son choix non plus que parmi les plus parfaites, puisque la pierre symbolisée par notre héros reconnaît bénévolement son imperfection ; il est encore sujet à l’envie et à la colère puisqu’il voit avec amertume combler d’honneur les gens insolents et légers. Au cours du concert qui suit le dîner, et dont l’Harmonie tient sous le charme Chr. Rosencreutz, apparaît une Vierge que nous avons déjà vue au Premier jour à l’heure du crépuscule allumant puis éteignant les lumières. Cette fois sa tunique est blanche comme la neige et d’un tel éclat que la vue le peut à peine soutenir. Nous retrouvons là un procédé fréquemment employé par les auteurs de textes hermétiques où les qualités et perfections progressives de la matière passent sans cesse d’un héros à l’autre de la fiction pour mieux désemparer le lecteur qui se croit sur le chemin d’un grand arcane.

La Vierge annonce en un discours rythmé l’installation pour le lendemain de la balance des Artistes ; cette épreuve ne manque point de fournir à notre héros une nouvelle preuve de son humilité. Il reste en effet au nombre des 9 artistes qui n’osent affronter les poids, et la nuit d’angoisse qu’il passe lui apporte un rêve prémonitoire. J’en recommande la lecture attentive car il peut recevoir plusieurs interprétations ; cependant je ne vois pas la possibilité d’en donner ici en langage clair le sens alchimique, car comme il arrive à certains au cours de ce deuxième jour un de nos serviteurs invisibles me pourrait bailler un soufflet pour punir mon manque de discrétion. Donc, j’arrête ici le commentaire du Deuxième Jour.

  1. Jean Dée. La Monade Hiéroglyphique. Traduite du latin pour la première fois par Grillot de Givry. Paris, 1925, in-8.