Anonyme
Traduction par Émile de Laveleye.
Librairie internationale, A. Lacroix, Verboekhoven et Cie (p. 139-151).

XVI. COMMENT SIEGFRID FUT TUÉ

Gunther et Hagene, ces guerriers très audacieux, vantaient avec déloyauté une partie de chasse dans le bois. Avec leurs lances acérées ils voulaient poursuivre les sangliers, les ours et les bisons. Que pouvait-on faire de plus hardi ?

Au milieu d’eux chevauchait Siegfrid avec une prestance royale. On emportait des vivres de toute espèce. Près d’une source fraîche, il allait perdre la vie : ainsi l’avait voulu Brunhilt, la femme du roi Gunther.

Le vaillant héros alla trouver Kriemhilt, On chargeait sur des chevaux de bât son équipement de chasse et celui de ses compagnons : ils allaient passer le Rhin. Jamais Kriemhilt ne ressentit tant de peine.

Il baisa la bouche de sa bien-aimée : — « Que Dieu m’accorde, femme, de te retrouver en bonne santé, et que tes yeux aussi puissent me revoir. Tu te divertiras avec tes bons parents ; je ne puis rester ici. »

Elle pensa au récit qu’elle avait fait à Hagene ; elle n’osait le lui avouer. Elle se prit à gémir, la noble reine, de ce qu’elle eût jamais reçu l’existence. Elle versa des larmes sans mesure, la femme merveilleusement belle.

Elle dit au guerrier : — « Laisse-là cette chasse. J’ai rêvé cette nuit d’un malheur, comme si deux sangliers sauvages te poursuivaient sur les bruyères ; et les fleurs en devenaient rouges. En vérité, c’est une grande angoisse qui me fait ainsi pleurer.

« Je crains fortement des machinations ennemies. Nous avons pu desservir quelqu’un qui nous aura voué une haine mortelle. Reste ici, cher seigneur, mon dévoûment te le conseille. »

— « Mon amie chérie, dans peu de jours je serai de retour. Je ne connais personne ici qui pourrait me porter de la haine. Tous tes parents me veulent également du bien. Aussi n’ai-je pas mérité de leur part un autre sentiment. »

— « Non, mon seigneur Siegfrid, je crains que tu ne succombes. J’ai rêvé cette nuit d’un malheur, comme si deux montagnes tombaient sur toi, et jamais je ne devais te revoir ! Oh ! si tu veux me quitter, cela me fera de la peine jusqu’au fond du cœur. »

Il saisit dans ses bras la femme riche en vertus et couvrit son beau corps de tendres baisers. Puis il se hâta de se séparer d’elle et de partir. Hélas ! depuis ce moment elle ne le vit plus jamais vivant.

Ils chevauchèrent vers une forêt profonde ; maint guerrier rapide suivait Gunther et Siegfrid, par divertissement. Gêrnôt et Gîselher voulurent rester au palais. Hélas ! Kriemhilt ne vit plus jamais son époux vivant.

Au delà du Rhin, beaucoup de chevaux les précédaient, apportant aux chasseurs du pain, du vin, des viandes, du poisson et d’autres provisions, comme un roi si opulent en a en abondance.

Les chasseurs fiers et impétueux campèrent à l’entrée de la vaste forêt, non loin du débouché des bêtes sauvages. Comme ils allaient chasser dans une vaste plaine, Siegfrid arriva : on en prévint le roi.

De tous les côtés, les compagnons de chasse se tenaient attentifs. L’homme hardi, Siegfrid le très fort, parla : « Guerriers braves et rapides, qui donc nous conduira sur la piste du gibier ? »

— « Voulez-vous que nous nous séparions ici, avant de commencer la chasse ? répondit Hagene. De cette façon, nous pourrons reconnaître, mes seigneurs et moi, qui de nous sera le plus adroit chasseur, dans cette expédition à travers la forêt.

« Nous partagerons gens et chiens, et chacun ira où il lui plaira d’aller. Alors celui qui aura le mieux chassé en recevra des louanges. » Les chasseurs ne restèrent pas longtemps ensemble.

Le seigneur Siegfrid parla : — « Je n’ai nul besoin de chiens, sauf d’un seul limier bien dressé à suivre la piste des bêtes parmi les sapins. Nous allons bien chasser, » dit l’époux de Kriemhilt.

Un vieux chasseur prit un limier qui en peu de temps conduisit le chef dans un endroit où se trouvait beaucoup de gibier. Les compagnons chassèrent tout ce qui se leva, ainsi que le font encore les bons chasseurs de nos jours.

Tout ce que le chien faisait partir, était abattu par la main de Siegfrid le hardi, le héros du Nîderlant. Son cheval courait si vite que rien ne lui échappait. Il reçut les éloges de chacun pour la manière dont il chassait.

Dans tous les exercices il était excessivement adroit. La première bête qu’il tua de sa main fut un sanglier. Bientôt après il trouva un monstrueux lion.

Le limier le fit lever ; le héros lança avec son arc une flèche acérée qui transperça le lion : le monstre se précipita sur le chasseur, mais il ne fit que trois bonds. Les compagnons de chasse de Siegfrid le remercièrent.

Puis en peu de temps il abattit un bison et un élan, quatre aurochs et un terrible cerf à barbe de bouc. Son coursier le portait si vite que rien ne lui échappait. Les biches et les cerfs, il ne les manquait guère.

Le limier trouva un énorme sanglier. Comme il commençait de courir, voici venir le maître chasseur, qui se plaça sur son chemin. Furieux, le sanglier se précipita sur le hardi guerrier.

L’époux de Kriemhilt le frappa avec l’épée, comme nul autre chasseur n’eût su le faire. Quand l’animal fut abattu, on reprit le chien. Ces exploits de chasse furent connus de tous les Burgondes.

Les piqueurs lui dirent : — « Faites-nous cette grâce, seigneur Siegfrid, épargnez une partie du gibier. Car sinon vous rendrez déserts la montagne et la forêt. » À ces mots, le héros rapide et valeureux se mit à sourire.

On entendait de tous côtés retentir des cris. Le vacarme des gens et des chiens était si grand, que la montagne et les sapins en renvoyaient l’écho. On avait lâché vingt-quatre couples de chiens.

Un grand nombre d’animaux perdirent la vie. Les Burgondes croyaient faire en sorte d’obtenir le prix de la chasse ; mais cela ne fut point possible, quand on vit arriver le fort Siegfrid auprès du feu du campement.

La chasse tirait à sa fin, mais n’était pas encore complètement terminée. Ceux qui voulaient s’approcher du foyer, y apportaient la peau de mainte bête et du gibier en abondance. Ah ! que de vivres on prépara pour la compagnie.

Le roi fit annoncer aux chasseurs de haute lignée qu’il allait prendre son repas. On sonna une seule fois très fortement de la trompe, afin qu’on sût au loin qu’on pouvait trouver le noble prince à la halte.

Un des piqueurs de Siegfrid parla : — « J’entends par le son de la trompe que nous devons nous rendre au campement. Je vais y répondre. » Et de tous côtés, le son du cor rappelait les chasseurs.

Le seigneur Siegfrid dit : — « Maintenant, sortons des sapins, » et son cheval le portait légèrement ; ses compagnons le suivaient. Leurs cris firent lever une bête terrible, un ours farouche. Le héros se retourna, disant : — « Je veux donner un divertissement à nos compagnons. Détachez le chien ; je vois un ours, qui va nous accompagner au camp. S’il ne se sauve bien vite il ne nous échappera pas. »

Le limier est lancé : l’ours fuit. L’époux de Kriemhilt veut le dépasser, mais la bête se réfugie dans une clairière remplie d’arbres abattus ; la poursuite y était impossible. Le vigoureux animal croyait bien être là à l’abri des chasseurs.

Le fier et beau chevalier saute à bas de son coursier et s’élance après l’ours, qui à bout de ressources, ne pouvait lui échapper. Le héros le saisit aussitôt, et, sans recevoir aucune blessure, le garrotte en un instant.

Ni griffes ni dents ne peuvent atteindre le guerrier ; il attache l’ours à sa selle, remonte à cheval et, avec grande audace, le ramène au foyer du camp ; c’était un jeu pour ce héros bon et intrépide.

Il chevauchait vers la halte, avec une allure vraiment princière ; sa lance était longue, forte et large ; une belle épée pendait jusque sur ses éperons. Le chef avait aussi un cor magnifique d’or rouge.

Jamais je n’ai ouï parler d’un meilleur équipement de chasse. Il portait un vêtement d’étoffe noire et un chaperon de zibeline, d’une grande richesse. À quels cordons magnifiques était suspendu son carquois !

On l’avait recouvert d’une peau de panthère, à cause de sa bonne odeur. Il portait aussi un arc qu’on devait bander avec un levier, quand il ne le faisait pas lui-même.

Tout son vêtement était orné, du haut jusqu’en bas, de peau de lynx. Sur la riche pelleterie mainte plaque d’or étincelait sur les deux flancs du hardi maître chasseur.

Il portait aussi Balmung, une épée large et belle. Elle était si acérée, que quand on en frappait un casque, elle le fendait sans peine. Ah ! le tranchant en était bon ! Le superbe chasseur était en humeur joyeuse.

Puisque je dois vous faire un récit exact, sachez que son carquois était plein de flèches, dont le fer, large comme la main, était attaché au bois par des plaques d’or. Tout ce qu’il perçait de ses flèches devait bientôt mourir.

Le noble chevalier allait donc chevauchant dans sa magnificence. Quand les hommes de Gunther le virent venir, ils coururent à sa rencontre pour tenir son coursier. Il amenait attaché à sa selle l’ours énorme et terrible.

Quand il fut descendu de cheval, il détacha la corde qui liait les pattes et la gueule de l’ours. Dès qu’ils virent l’animal, les chiens se mirent à aboyer à grand bruit. La bête voulait retourner au bois, ce qui effraya les gens.

Le vacarme fit fuir l’ours vers la cuisine. Oh ! comme il chassa les cuisiniers loin du feu ! Plus d’un chaudron fut renversé, plus d’un brandon dispersé. Ah ! quels bons mets on trouva jetés dans les cendres !

Les chefs et leurs hommes sautèrent de leur siège. L’ours commença de s’irriter. Le roi ordonna de lâcher toute la meute, qui était attachée par des cordes. C’eût été un jour de grand plaisir, s’il avait bien fini !

Sans tarder davantage, avec des arcs et des piques, les plus rapides coururent à la poursuite de l’ours. Il y avait tant de chiens que nul n’osait tirer. Les cris des gens faisaient retentir toute la montagne.

L’ours se mit à fuir devant les chiens. Nul ne pouvait le suivre, si ce n’est l’époux de Kriemhilt, qui l’atteignit l’épée à la main et le frappa à mort. On rapporta le monstre auprès du feu.

Ceux qui voyaient cela, disaient que c’était un homme bien fort. On pria les fiers compagnons de chasse de se rendre à table ; sur une belle pelouse ils étaient assis très nombreux. Ah ! quels mets de chevalier on servit à ces braves chasseurs.

Les échansons, qui devaient apporter le vin, venaient lentement. Du reste, les héros ne pouvaient être mieux servis ; s’ils n’avaient point caché une âme si déloyale, ces guerriers eussent été à l’abri de toute honte.

Le seigneur Siegfrid parla : — « Je m’étonne que, puisqu’on nous apporte tant de mets de la cuisine, les échansons ne nous offrent pas de vin. Si on ne sert pas mieux les chasseurs, je ne veux plus prendre part à aucune chasse.

« J’ai cependant bien mérité qu’on fasse un peu plus attention à moi. » Le Roi, de la table où il était assis, lui répondit avec fausseté : — « Nous ferons volontiers amende honorable pour ce qui a pu vous manquer aujourd’hui. C’est Hagene qui veut nous faire mourir de soif. »

Hagene de Troneje dit : — « Mon cher seigneur, je croyais que la chasse aurait lieu aujourd’hui dans le Spehtshart ; c’est là que j’ai envoyé le vin. Si nous demeurons altérés aujourd’hui, comme je veillerai à éviter chose semblable désormais ! »

Le Niederlander parla : — « Ah ! puissiez-vous en pâtir ! Sept bêtes de somme auraient dû nous amener du vin clairet et de l’hydromel, ou si cela était impossible, on aurait dû nous faire camper aux bords du Rhin. »

Hagene de Troneje répondit : — « Chevaliers nobles et valeureux, je connais tout prés d’ici une fraîche fontaine, et, afin que vous ne vous irritiez point, nous allons nous y rendre. » L’avis qu’il donnait devait causer bien des maux à maints guerriers.

L’homme hardi n’avait pas l’âme faite de façon à deviner leur trahison. Plein de vertus, il était étranger à toute fausseté. Ils devaient porter la peine de sa mort et n’en point tirer avantage.

La soif pressait Siegfrid le héros. Il commanda d’enlever aussitôt les tables, afin d’aller vers la montagne, à la recherche de la source. Hagene avait donné ce conseil dans une intention perfide.

On chargea sur des chariots les bêtes tuées par la main de Siegfrid, et on les transporta à travers le pays. Tous ceux qui voyaient cela, lui accordaient grand honneur. Mais Hagene trahit méchamment sa foi envers Siegfrid.

Comme ils se mettaient en marche vers le grand tilleul. Hagene parla : — « On m’a souvent dit que nul ne pouvait suivre, à la course, l’époux de Kriemhilt. Vondrait-il nous le faire voir ? »

Le brave Siegfrid du Nîderlant répondît : — « Vous pouvez l’essayer. Voulez-vous me suivre jusqu’à la Fontaine ? Nous ferons un pari : si vous y consentez, on accordera le prix à celui qu’on aura vu vaincre. »

— « Hé bien ! nous essaierons, reprit Hagene, la bonne épée. — Le fort Siegfrid ajouta : Je veux même me coucher à vos pieds sur l’herbe. » Comme Gunther entendait cela avec plaisir !

Le valeureux guerrier dit encore : — Je vous dirai plus, je veux porter sur moi ma pique et mon bouclier et tout mon équipement de chasse. » Aussitôt il attacha ensemble son carquois et son épée.

Ils se dépouillèrent de leurs vêtements, et tous deux se tenaient là en leurs blanches chemises. Semblables à deux panthères sauvages, ils coururent sur le trèfle ; mais on vit le hardi Siegfrid arriver le premier près de la fontaine.

En toutes choses, il emportait le prix sur les autres hommes. Aussitôt il détache son épée, dépose ensuite son carquois et sa forte pique contre une branche du tilleul. Près du courant de la source, il se tenait, le superbe étranger.

Les vertus de Siegfrid étaient bien grandes. Il posa son bouclier au bord de l’eau de la fontaine. Mais quelque grande que fût sa soif, il ne voulut point boire avant que le Roi eût bu. Il en reçut bien funeste récompense.

L’eau de la source était fraîche, transparente et bonne ; Gunther se baissa vers le flot ; puis il se releva quand il eut bu. Le brave Siegfrid en eût volontiers fait autant.

Il paya cher sa bonté. Hagene emporta loin de lui l’arc et l’épée, puis il revint en hâte saisir la pique. Alors il chercha la marque sur le vêtement du héros.

Au moment où le seigneur Siegfrid se penchait sur la fontaine pour y boire, il le frappa, à travers la petite croix marquée, si violemment, que le sang du cœur jaillit de la blessure jusque sur les habits de Hagene. Jamais guerrier ne commit pareille scélératesse.

Il laissa la pique fichée dans le cœur. Jamais, devant nul homme au monde, Hagene n’avait fui si affreusement. Quand le fort Siegfrid sentit la profonde blessure.

Furieux il se releva de la source en bondissant. Le bois de la longue pique lui sortait du cœur. Le Chef croyait trouver sous sa main son arc et son épée : Hagene eût été récompensé selon son mérite.

Le héros blessé, ne trouvant point son épée, saisit son bouclier au bord de la fontaine et poursuivit Hagene. L’homme-lige du roi Gunther ne pouvait échapper.

Quoique blessé à mort, Siegfrid le frappa si rudement de son bouclier, que les riches pierreries en jaillirent et qu’il se brisa en éclats. Ah ! qu’il eût voulu se venger, le noble hôte !

Soudain, par sa main, Hagene est abattu. La clairière retentit bruyamment de la force du coup. S’il avait tenu son épée, Hagene était mort. Il s’irritait de sa blessure et sa détresse était grande.

Ses couleurs pâlissent ; il ne peut plus se soutenir. Les forces de son corps puissant l’abandonnent. Sur ses joues blêmes, il porte l’empreinte de la mort. Il fut bien pleuré par les belles femmes.

Il tomba parmi les fleurs, l’époux de Kriemhilt ! Le sang coulait à flots de sa blessure. Il se mit à adresser des reproches à ceux qui avaient déloyalement conseillé sa mort. Sa suprême angoisse le faisait parler.

Le blessé dit : — « Vous, lâches et méchants, à quoi m’a servi tout ce que j’ai fait pour vous, puisque vous m’assassinez ainsi ? Je vous ai toujours été fidèle ; je le paie cher maintenant. Hélas ! vous avez bien cruellement agi envers votre ami !

« À partir de ce jour, ceux qui naîtront de vous seront déshonorés à jamais. Vous avez, sur mon corps, trop satisfait votre haine. Vous serez exclu avec honte du nombre des bons chevaliers. »

Tous les guerriers accoururent là où le blessé était couché. C’était un jour funeste pour beaucoup d’entre eux. Il était plaint par ceux qui avaient quelque loyauté. Il l’avait bien mérité, de la part de tous, ce héros magnanime !

Le roi des Burgondes lui-même déplorait sa mort. Le mourant parla : — « C’est sans raison que celui qui a commis le crime en pleure. Il mérite grand déshonneur. Que n’y a-t-il renoncé ? »

Le féroce Hagene répondit : — « J’ignore ce que vous regrettez. Nos peines et nos soucis sont maintenant terminés. Désormais nous n’en trouverons plus guère qui oseront nous résister. Grâce à moi, nous sommes débarrassés du héros. »

— « Il vous est facile maintenant de vous vanter, dit Siegfrid. Si j’avais connu vos ruses d’assassin, j’aurais bien su défendre ma vie contre vous. Mais ce que je regrette le plus, c’est dame Kriemhilt, ma femme.

« Maintenant, que Dieu ait pitié du fils qu’il m’a donné, auquel on reprochera plus tard que des gens de sa famille ont assassiné un homme. Si j’en ai la force, voilà ce que je veux amèrement déplorer.

« Jamais, dit-il au roi, on n’a commis meurtre plus horrible, que celui dont je tombe la victime. Je vous conservai la vie et l’honneur dans vos plus pressants dangers. J’ai payé bien chèrement tous les services que je vous ai rendus. »

Alors le guerrier blessé à mort ajouta tristement : — « Voulez-vous, noble roi, faire encore quelque chose de loyal en ce monde ? Laissez-moi confier à votre merci ma chère bien-aimée.

« Qu’elle puisse jouir de l’avantage d’être votre sœur. Elle a toujours été ma compagne fidèle, pleine de royales vertus. Mon père et mes guerriers vont m’attendre longtemps ! Non, jamais on n’a traité si cruellement un ami dévoué. »

Sous l’étreinte de la douleur il se tordait affreusement ; il parla d’une voix lamentable : — « Il se peut que plus tard vous vous repentiez de ce lâche assassinat. Croyez-en ma parole véridique, vous vous êtes frappés vous-mêmes. »

Tout autour de lui les fleurs étaient baignées de sang. Il luttait contre la mort. Mais bientôt tout fut fini. L’arme homicide l’avait atteint trop profondément. Il devait mourir là, le guerrier vaillant et magnanime.

Quand les chefs virent que le héros était mort, ils le mirent sur un bouclier d’or rouge ; puis ils se consultèrent pour savoir comment on cacherait que c’était Hagene qui l’avait tué.

Plusieurs d’entre eux dirent : — « Mal nous est advenu. Nous devons tous cacher le fait et dire d’un commun accord : L’époux de Kriemhilt, étant allé chasser seul, des brigands l’ont tué, tandis qu’il chevauchait à travers les sapins. »

Hagene de Troneje répondit : — « Je le ramènerai moi-même au palais. Il m’est bien égal qu’elle apprenne la vérité, celle qui a affligé le cœur de Brunhilt. Je m’inquiète peu de ce qu’elle fera quand elle sera dans les larmes. »

Maintenant vous allez apprendre de moi l’indication exacte de la fontaine où Siegfrid fut tué. Devant l’Otenwald est un village du nom d’Otenhaim : là coule encore la source, on ne peut le mettre en doute.