Les Mystères du peuple — Tome IX
LE COUTEAU DE BOUCHER — Chapitre III.

CHAPITRE III.


Chinon.


Arrivée de Jeanne à la cour de Charles VII. — Le conseil du roi. — L’Évêque de Chartres. — Le sire de Gaucourt et Georges de La Trémouille. — La plébéienne et le roi. — La belle Aloyse. — La reine Yolande de Sicile.

Le 7 de mars 1429, trois des principaux membres du conseil du roi Charles VII étaient assemblés dans une salle du château de Chinon ; voici, fils de Joel, les noms de ces conseillers ; ces noms, ne les oubliez pas : Georges de La Trémouille, chambellan, ministre despote, avide et ombrageux ; le sire de Gaucourt, soldat envieux et féroce ; Régnault, évêque de Chartres, prélat fourbe et ambitieux.

— Que la fièvre serre ce Robert de Baudricourt ! assez audacieux pour écrire directement au roi et l’engager à accueillir cette vachère ! — s’écriait Georges de La Trémouille. — Charles VII trouve l’aventure plaisante, il veut enfin voir aujourd’hui cette folle ! Les sots la disent envoyée de Dieu… je la maintiens, moi, envoyée par le diable à la traverse de nos intérêts !

— Évidemment, il n’y a plus moyen, cette fois, d’éluder l’ordre formel du roi, — reprit l’évêque de Chartres. — Ce damné Jean de Novelpont a tant clabaudé, que notre sire veut absolument voir cette vassale, confinée depuis le jour de son arrivée dans la tour du Coudray, y attendant vainement l’audience royale et s’étonnant fort de ces lenteurs, l’effrontée vagabonde ! toute glorieuse de l’enthousiasme imbécile dont elle a été l’objet de la part de ces musards de Lorraine ! Sang du Christ ! notre roi fainéant est capable, autant pour se railler de nous que pour se décharger de tout souci à l’endroit du salut de son royaume, de tenter Dieu en acceptant le secours divin que cette Jeanne prétend apporter à la France… En ce cas, messeigneurs, c’est fait de l’influence du conseil royal !

— Quoi ! moi, Raoul de Gaucourt, j’aurai servi avec Sancerre ! avec le connétable de Clisson ! qui appréciaient ma valeur comme elle méritait de l’être ! j’aurai vaincu le Turc à Nicopolis, et je devrai subir les ordres d’une vile gardeuse de bétail ! Mort et massacre ! je briserais plutôt mon épée !

— Ce sont là des mots, Raoul de Gaucourt, — dit le sire de La Trémouille pensif ; — les mots sont impuissants contre les faits ! Raisonnons froidement. Notre sire, indolent, mobile et lâche (bénies soient son indolence, sa lâcheté ! elles nous ont donné jusqu’ici le pouvoir souverain) ; notre sire peut donc, en l’état désespéré des choses, vouloir essayer de l’influence, prétendue surnaturelle, de cette vachère… Ne nous abusons point : depuis le jour où, par mon ordre, elle a été reléguée dans la tour du Coudray, à une demi-lieue d’ici, les criailleries de Jean de Novelpont ont ému une partie de la cour, son enthousiasme pour ladite Jeanne, ses récits sur sa beauté, sur sa modestie, sur le génie militaire qu’elle possède…

— Du génie militaire chez une ignoble fille de labour ! Merci de moi ! — s’écria Raoul de Gaucourt, — c’est à devenir fou de male-rage !

— Raoul, ne vous emportez point, — reprit l’évêque de Chartres ; — mon fils en Dieu, Georges de La Trémouille, précise les faits. Il dit vrai… Une partie de la cour, éprise des nouveautés, jalouse de notre pouvoir, lasse de voir une partie de ses domaines au pouvoir des Anglais, a ouvert l’oreille aux récits exaltés de Jean de Novelpont sur cette visionnaire, bon nombre de courtisans ont obsédé le roi ; il veut impérieusement la voir. Il serait, en ce moment, absurde et impolitique de vouloir lutter contre le courant.

— Ainsi, nous devons céder ! — s’écria Raoul de Gaucourt en frappant avec rage sur la table du conseil, — céder devant cette sorcière qui devrait déjà rôtir sur le fagot ! 


— Le fagot pourra venir plus tard, brave Raoul ; mais il nous faut, quant à présent, céder… Je crois deviner la secrète pensée de Georges de La Trémouille ; or, vous le savez mieux que moi, en votre qualité de capitaine expérimenté, l’on peut tourner les positions que l’on ne saurait emporter de front. N’est-ce point là votre avis, La Trémouille ?

— Certes. Voici ma pensée tout entière ; entre amis concourant au même but, ayant les mêmes intérêts, l’on doit parler sans réticence. Je suis depuis longtemps parvenu à éloigner du conseil du roi les princes du sang ; nous régnons… Et d’abord, en ce qui me touche, je suis, quant à présent, loin de désirer le terme de la guerre avec les Anglais et les Bourguignons ; j’ai besoin qu’elle dure. Mon frère, familier du régent d’Angleterre et du duc de Bourgogne, a obtenu d’eux des sauvegardes pour mes domaines ; cette année encore, lorsque l’ennemi s’est avancé jusque sous les murs d’Orléans, mes terres et ma seigneurie de Sully ont été épargnées[1]. Ce n’est pas tout : grâce aux troubles civils et aux nombreux partisans que je tiens à ma solde en Poitou, cette province est à ma merci ; je ne perds pas l’espoir de l’annexer à mes possessions si la guerre se prolonge quelque temps encore[2]. J’ai donc un puissant intérêt à ruiner les projets de cette prétendue envoyée de Dieu, s’ils pouvaient jamais se réaliser ; je ne veux pas, moi, l’expulsion des Anglais, je ne veux pas, moi, la fin de la guerre, parce que cette guerre me sert !… Tels sont, en toute sincérité, les motifs personnels qui me guident… Maintenant, examinons si vos intérêts à vous, Régnault, évêque de Chartres ? à vous, Raoul de Gaucourt ? ne sont point de même nature que les miens. Quant à vous, évêque de Chartres, si la guerre se termine soudain par la force des armes, que deviennent toutes vos négociations si laborieusement tramées depuis longtemps, soit avec le régent d’Angleterre, soit avec le duc de Bourgogne ? négociations qui vous ont coûté tant de labeurs et donnent, avec raison, au roi une si haute idée de votre importance ? Que deviennent ces garanties, ces avantages pécuniaires, qu’en négociateur bien avisé vous demandiez aux princes avec qui vous traitez, certain d’obtenir un jour cette magnifique récompense ?

— Toutes mes espérances tombent à néant si, par un hasard incroyable, cette fille, fanatisant nos troupes, relevant leur courage, obtenait une victoire dont l’on ne saurait prévoir les résultats ! — s’écria l’évêque de Chartres. — Le régent d’Angleterre m’écrivait dernièrement encore « qu’il n’était pas éloigné d’accepter mes propositions de traité, auquel cas (ajoutait le duc de Bedford) j’étais assuré d’obtenir tout ce que je sollicitais de lui. » Mais si la guerre, qui de notre côté se traîne languissante depuis si longtemps, par notre commun vouloir, afin de laisser aux négociations le temps d’aboutir, si la guerre, dis-je, se rallume vive, ardente, à la voix de cette paysanne endiablée, les négociations sont rompues, et adieu les avantages que j’espérais ! Ainsi, vous avez dit vrai, Georges de La Trémouille, vos intérêts et les miens doivent nous unir contre ladite Jeanne !

— Quant à moi, — s’écria Raoul de Gaucourt, — je jure Dieu que…

— Quant à vous, — reprit le sire de La Trémouille en interrompant le soldat, — quant à vous, digne capitaine, ai-je besoin de vous dire que Dunois, Lahire, Xaintrailles, le connétable Richemont, le duc d’Alençon et autres chefs de guerre, jaloux de votre mérite, de votre siége au conseil royal, désireux de vous perdre, se déclareront nécessairement partisans des visions de cette fille, dont ils se feront un docile instrument ? Or, si grâce à leurs avis et à la fanatique exaltation des soldats, l’armée royale remportait une première victoire, votre influence, votre renommée militaire, ne seraient-elles pas complétement éclipsées par le succès de vos rivaux ? Irrésolu, mobile, ingrat, ainsi que nous le connaissons de reste, notre roi fainéant vous sacrifierait au cri général qui vous accuserait de trahison ou d’impéritie, vous reprochant de n’avoir pas su terminer une guerre si heureusement, si promptement menée à bonne fin par d’autres que par vous !

— Tonnerre et sang ! — s’écria Raoul de Gaucourt, — grande envie j’ai d’aller droit à la tour du Coudray et de faire occire cette sorcière sans autre forme de procès ! L’on affirmerait que Satan, son patron, l’a emportée…

— Le moyen est violent et maladroit, cher capitaine ! — reprit Georges de La Trémouille ; — l’on peut, par d’autres voies, arriver au même but. Donc, il est entendu que moi, vous et l’évêque de Chartres, nous avons un intérêt commun à nous liguer contre cette fille ; maintenant, avisons aux moyens de la perdre. Commençons par vous, saint évêque de Chartres, directeur spirituel de notre sire ; si débauché qu’il soit, il a de temps à autre peur du diable ; ne pourriez-vous insinuez à ce bon roi qu’il compromettrait le salut de son âme en ajoutant foi témérairement, sans préalable enquête, aux assertions de cette créature, soi disant envoyée de Dieu !…

— Excellente idée ! — reprit l’évêque de Chartres. — Je démontre à Charles VII qu’il est urgent de faire examiner Jeanne par des clercs en théologie, seuls aptes à reconnaître et à déclarer solennellement si elle obéit à une inspiration divine ou si elle n’est, au contraire, qu’une fourbe effrontée possédée du malin esprit ; auquel cas, et en accordant sa confiance à cette fille, notre sire se rendrait ainsi complice d’une sorcière. Je compose en conséquence l’assemblée canonique chargée de prononcer irrévocablement, infailliblement, sur le degré de foi que l’on doit accorder à la prétendue mission divine de la Jeanne ; elle est, selon mes instructions secrètes, déclarée hérétique, sorcière, possédée du malin esprit, et pour elle bientôt flambe ce fagot… si impatiemment attendu par ce brave Gaucourt !

— Sang-Dieu ! — s’écria le soldat, — j’allumerais moi-même le fagot, s’il le fallait ! La voilà brûlée, cette infâme serve qui voulait commander à de nobles chefs de guerre !…

— Brûlée… pas encore, cher Gaucourt ! — dit le sire de La Trémouille ; — ne confondons point nos espérances et la réalité.

— Que voulez-vous dire ?

— Supposons que l’attente de notre ami l’évêque de Chartres soit trompée (il faut tout prévoir), supposons que, par fatalité, le conseil canonique, contrairement aux instructions de notre digne évêque, et cédant à je ne sais quelle aberration, déclare ladite Jeanne bien et dûment inspirée de Dieu…

— Impossible !… je réponds des clercs que je choisirai pour cet examen !

— Cher évêque, notre ami Gaucourt vous le dira : parfois l’on croit pouvoir répondre de ses soldats corps pour corps, et ils vous échappent complétement au moment de l’action ! il peut en être ainsi de vos clercs. Donc, admettons que le roi Charles veuille risquer in extremis de mettre à la tête de ses armées ladite Jeanne ; c’est alors que vous, Raoul de Gaucourt, vous pouvez, mieux que personne, perdre cette insolente…

— Moi ! et comment ?

— C’est fort simple. Elle n’a qu’une idée fixe, et, il faut l’avouer, celui qui lui a mis cette idée en tête jugeait parfaitement les choses ; Jeanne s’obstine à faire lever d’abord le siége d’Orléans ; elle fait dépendre de la levée de ce siége le succès de la guerre. Il faut, Gaucourt, demander au roi le commandement de la ville d’Orléans et, oubliant un instant votre dignité, consentir à servir sous les ordres de cette fille.

— Moi !… Que l’enfer me confonde si jamais, ne fût-ce que pour un jour, je consens à recevoir les ordres de cette vachère !…

— Ne soyez donc point toujours tempête et flamme, brave Gaucourt ! Songez que le gros des troupes serait de la sorte sous votre commandement immédiat. Jeanne vous donnera des ordres, vous les éluderez, vous traverserez, contrarierez ainsi tous les plans de bataille que vos rivaux lui souffleront ; vous apporterez des lenteurs calculées à exécuter les intentions de cette fille, vous les interpréterez différemment à ses vues ; vous pourrez surtout… c’est là le point capital, écoutez-moi bien : vous pourrez manœuvrer de façon à faire prendre cette enragée par les Anglais, résultat facile à obtenir, ce me semble, au moyen d’un mouvement de retraite habilement conçu où vous laisseriez la Jeanne au pouvoir de l’ennemi. Il vous est enfin possible à vous, plus qu’à nous, de la réduire à néant, en l’empêchant de gagner sa première bataille !…

— C’est évident, — ajouta l’évêque de Chartres. — Au premier échec qu’elle subit, son prestige s’évanouit, l’enthousiasme qu’elle excitait se change en mépris ; on a honte de s’être laissé prendre à un piége aussi grossier, le revirement est soudain ! Et si, contre tout espoir… je devrais dire contre toute certitude… l’assemblée canonique choisie par moi déclare Jeanne véritablement inspirée de Dieu… si le roi la met à la tête de ses troupes, la perte de sa première bataille, grâce à vos adroites manœuvres, brave Gaucourt, porte un coup mortel à cette aventurière ! Victorieuse, elle était l’envoyée de Dieu ! vaincue, elle est l’envoyée de Satan !… On procède contre elle, sous prétexte d’hérésie et de sorcellerie… alors flambe encore pour elle ce fagot que vous seriez si empressé d’allumer… Vous le voyez, le moment venu, il peut dépendre de vous de la faire brûler ou de la laisser prendre par les Anglais, qui l’occiront. Pourriez-vous donc hésiter, le cas échéant, à demander au roi le commandement de sa bonne ville d’Orléans ?

— De fait, — reprit Raoul de Gaucourt d’un air méditatif, — cette vachère ordonne, je suppose, une sortie contre les assiégeants ? on baisse le pont, cette endiablée s’élance, quelques-uns des nôtres la suivent… je donne le signal de la retraite, mes gens se hâtent de rentrer dans la ville, le pont est relevé… la ribaude reste au pouvoir de l’ennemi !… 


— Ainsi, nous pouvons compter sur vous ?

— Oui ; car j’entrevois le moyen, soit par une fausse sortie, soit par d’autres manœuvres, de venir à bout de cette diablesse !

— Et maintenant, — reprit le sire de La Trémouille, — ayons bon et ferme espoir, notre trame est bien ourdie, nos filets habilement tendus ; il est impossible que cette effrontée visionnaire échappe, soit à vous, Gaucourt, soit à vous, digne évêque… Quant à moi, je ne veux point rester inactif ; voici mon projet, il vous semblera prêter à rire, cependant il est fort sérieux… Et d’abord, mon saint père en Dieu, n’est-il pas avéré que le démon ne saurait posséder le corps d’une vierge ?

— C’est indubitable selon les formules de l’exorcisme…

— Donc, la Jeanne se prétend pucelle, puisque ses fanatiques imbéciles l’appellent déjà Jeanne-la-Pucelle… Or, de deux choses l’une : ou cette coureuse, indécemment vêtue d’habits d’homme, venue de Lorraine ici, en compagnie diurne et nocturne de ce Jean de Novelpont, dont elle est sans doute la concubine, à en juger par l’intérêt forcené qu’il lui porte ; ou cette coureuse, dis-je, n’est qu’une ribaude, ou bien elle est restée jusqu’ici réellement chaste ; le roi est un damné paillard, je compte éveiller sa curiosité libertine en lui proposant d’assembler un concile de matrones…

— Un concile de matrones ?… pourquoi diable faire ?…

— Je vais vous en instruire, Gaucourt. Ce concile, présidé, je suppose, par la belle-mère du roi, Yolande de Sicile, serait chargé de s’assurer que la Jeanne est réellement vierge… Si elle ne l’est point, il s’élève aussitôt contre elle les plus véhéments soupçons d’imposture et de sorcellerie, puisque les pucelles seules sont à l’abri des maléfices de Satan… Elle n’est plus cette prétendue sainte fille inspirée de Dieu, mais une audacieuse paillarde, digne compagne des filles de bonne volonté qui suivent les gens d’armes ; elle est honteusement fouettée ; puis chassée, sinon brûlée comme sorcière !…

— J’admets qu’elle soit ribaude, — reprit l’évêque de Chartres, — et, comme vous, je suis persuadé que ce Jean de Novelpont, si affolé d’elle, doit être son amant ; mais, cependant, si par hasard elle ne mentait point en se faisant appeler Jeanne-la-Pucelle ? s’il devenait ainsi solennellement constaté qu’elle est encore pure, ne serait-ce point un grand avantage pour elle ? n’en resterait-il pas une présomption favorable à la divinité de sa mission ? Tandis qu’en ne soumettant pas la Jeanne à cette épreuve, le champ reste libre à des suppositions… qu’il nous est facile de rendre extrêmement odieuses, la réalité demeurant inconnue…

— Votre objection est grave, — répondit le sire de La Trémouille à l’évêque ; — cependant, en supposant que cette fille soit chaste, songez donc quelle devra être sa mortelle honte à la seule pensée d’un examen si humiliant pour elle ! Plus elle aura conscience de l’honnêteté de sa vie, jusqu’alors irréprochable, plus cette créature, de si vile condition qu’elle soit, sera navrée, indignée, d’un soupçon outrageant pour son honneur !… En un mot, plus il y aura en elle de pudeur, plus elle se révoltera contre l’impudicité d’une pareille vérification ! elle la repoussera comme une sanglante injure et, la rougeur au front, refusera de paraître devant le concile de matrones !… Ce refus, habilement exploité, tournera contre elle ; l’on dira : « Chaste, elle ne redouterait pas cette épreuve !… »

— Foi de soldat ! l’idée est à la fois ingénieuse et bouffonne ! mais notre paillard sire voudra présider le concile examinateur !

— Cependant, La Trémouille, si la Jeanne se soumet à l’épreuve et en sort triomphante, ce triomphe lui donne un grand avantage sur nous ?

— Ne jouira-t-elle pas du même avantage si on la croit pucelle sur parole ? Or, la convocation du concile de matrones nous offre deux chances : Jeanne se soumet-elle au honteux examen ? elle peut être déclarée ribaude… refuse-t-elle l’épreuve ? ce refus tourne contre elle !…

— Il n’y a rien à répondre à cela ; j’adhère au concile de matrones.


— Je crois mon idée bonne ; vous la jugerez à l’œuvre. Maintenant, résumons et arrêtons notre plan de conduite : premièrement, obtenir du roi qu’un concile de matrones soit appelé à connaître publiquement de la virginité de notre aventurière ; secondement, dans le cas où elle sortirait triomphante de cette épreuve, convoquer un conseil canonique chargé de poser à cette fille, qui sort de son village, les plus subtiles, les plus ardues, les plus embarrassantes questions théologiques, et de déclarer d’après ses réponses… (songez à ce que seront les réponses d’une malheureuse paysanne sur de pareilles matières !…), de déclarer, dis-je, qu’elle est ou n’est pas inspirée de Dieu. Enfin tiercement, si, par impossible, ce second examen lui est encore favorable, manœuvrer de telle sorte qu’elle perde sa première bataille et reste, si faire se peut, prisonnière des Anglais…

Un écuyer de Charles VII entre en ce moment, après avoir frappé à la porte de la chambre du conseil, et vient prévenir le sire de La Trémouille que le roi le mande à l’instant.


Charles VII, ce gentil dauphin de France, objet du culte fervent et naïf de Jeanne, reléguée depuis tant de jours dans la tour du Coudray sans avoir pu approcher de ce roi qu’elle voulait sauver de sa ruine ; Charles VII, après s’être longuement entretenu avec le sire de La Trémouille, vint trouver sa belle maîtresse, Aloyse de Castelnau. Il devisait avec elle, indolemment étendu à ses pieds. Frêle et de petite stature, ce prince, quoique âgé de vingt-trois ans à peine, était déjà pâli, flétri, énervé, par les excès ; Aloyse, dans tout le florissant éclat de sa jeune beauté, répondait à une plaisanterie obscène de son royal amant à propos de Jeanne-la-Pucelle, et, riant à demi, disait :

— Fi ! Charles… fi ! libertin ! tenir de tels propos sur cette vierge inspirée qui prétend un jour te rendre ta couronne !

— S’il en doit être ainsi, les vues du Seigneur Dieu sont étranges !… Faire dépendre la couronne et le royaume de France de…

— Encore ? — fit Aloyse en interrompant Charles. — N’achève pas, je devine ta vilaine pensée…

— Et puis, enfin, de quoi diable s’avise cette fille de vouloir me rendre ma couronne ?…

— Quel insouciant !

— Au contraire… les soucis de la royauté me font penser ainsi.

— Pourtant, que les Anglais prennent Orléans, la clé de la Touraine et du Poitou… ces dernières provinces envahies, que te restera-t-il ?

— Toi, ma belle !…

— Est-ce là répondre, Charles ?

— Eh bien ! s’il faut l’avouer, j’ai souvent songé que mon aïeul, le bon roi Jean, ce joyeux compère, dut noter parmi les plus heureux jours de sa vie…

— Lequel ?

— Celui où il perdit la bataille de Poitiers…

— Qu’entends-je !… Quoi ! ce jour où ton aïeul, prisonnier des Anglais, fut emmené dans leur pays ? Tu envierais peut-être un pareil sort ?…

— Certes !…

— Charles, tu déraisonnes.

— Loin de là, je mériterais, ainsi que mon grand-père Charles V, le surnom de sage !

— Ou celui de fou… comme ton père !

— Peux-tu me reprocher ma folie, lorsque c’est toi qui la causes, mon Aloyse ? Mais revenons au bon roi Jean… Le voilà donc prisonnier, lors de la bataille de Poitiers ; on le conduit en Angleterre. Il y est reçu avec une courtoisie chevaleresque, avec une magnificence inouïe ; on lui donne pour prison un palais somptueux, pour pitance des repas exquis, pour geôliers les plus jolies filles d’Angleterre, pour préaux, forêts giboyeuses, vastes plaines, claires rivières ! Aussi, l’amour, le jeu, la table, la pêche, la chasse, se partagent ses instants, jusqu’à ce qu’il meure enfin d’indigestion !… mort savoureuse s’il en est !… Plus savoureux serait pourtant pour moi, mon adorée, de mourir entre tes bras !… Mais, dis-moi, pendant que le bon roi Jean jouissait ainsi paisiblement en Angleterre des délices de la vie, que faisait son fils, ce malheureux Charles V ?… Hélas ! chassé de Paris par une vile populace, révoltée à la voix de ce truand de Marcel (dont, grâce à Dieu ! la charogne fut jetée à la voirie), cet infortuné Charles le Sage, épouvanté des férocités de la Jacquerie, obsédé par les mille tracas de la royauté, brisé par les fatigues de la guerre, toujours chevauchant, toujours couchant sur la dure, ne dormant que d’un œil, faisant maigre chère, encore plus maigre amour, allant d’ici, de là, par monts, par vaux, soufflait d’ahan à force de courir après sa couronne !… Pâques-Dieu ! est-ce là de la sagesse ?…

— Du moins, il eut la gloire de reconquérir sa couronne ! et le plaisir de supplicier ses ennemis !

— Oh ! je comprends de reste le bonheur de la vengeance ! j’ai en abomination ces insolents Parisiens chasseurs de rois. Aussi, j’aurais demain en mon pouvoir cette cité maudite, que je ferais pendre les plus forcenés Bourguignons ; mais je ne rentrerais point dans ses murs, de peur de nouvelles séditions ! Charles V s’est vengé, a régné, dis-tu ? Mais à quel prix, ma belle ? Au prix d’angoisses, de fatigues, de guerres civiles incessantes ; tandis que son père, le bon roi Jean, vivait grassement, joyeusement, plantureusement, amoureusement, en Angleterre !…

— Vivre ainsi, oh ! honte ! tel serait ton désir ?…

— Désirer absolument ceci, m’opposer absolument à cela, en ce qui touche les affaires d’État, sont labeurs d’esprit dont je me garde scrupuleusement, comme de la reine ma femme ou du vin tourné ; La Trémouille et ses compères de mon conseil royal sont chargés de vouloir pour moi. Aussi, sans m’inquiéter de l’avenir, mon Aloyse, je me laisse aller au courant, bercé dans tes jolis bras… Quoi qu’il arrive, je m’en ris !…

— Charles, est-ce parler en roi ?

— Foin de la royauté ! cuisante couronne d’épines ! Que tes blanches mains me tressent un chapel de myrtes, remplissent ma coupe, et je verrai gaiement crouler les débris de mon trône… De quoi prendrais-je souci ? Lorsque les Anglais auront conquis les provinces qui me restent, ne seront-ils pas satisfaits ? sauraient-ils se dispenser de me traiter non moins royalement que mon aïeul le bon roi Jean ? En ce cas, vivent le vin, la paresse et l’amour !… Si, au contraire, le Seigneur Dieu, dans sa maugréance contre moi, pauvre pécheur, m’a véritablement suscité cette enragée pucelle qui s’obstine à vouloir me rendre le royaume de mes pères, avec son escorte de tracas, d’anxiétés, de labeurs… ainsi soit-il !… que ma destinée s’accomplisse !… Mais, aussi vrai que voilà un savoureux baiser, ma charmante… je ne bougerai d’un pas pour assurer la réussite des projets de cette forcenée batailleuse ! D’où diable lui est poussée l’idée de se mêler de mes affaires ? Que ne restait-elle, pour mon repos, à garder son bétail ?

— Ainsi, Charles, tu as peu de foi dans ses inspirations ?

— J’ai foi dans tes yeux, ma belle, parce qu’ils tiennent ce qu’ils promettent ; quant à cette folle, si je n’étais chaque jour obsédé par les criailleries de gens qui, comme elle, ont plus que moi à cœur la royauté, j’aurais renvoyé cette bergère à ses moutons. Mais La Trémouille lui-même est d’avis qu’il est impossible de ne point céder à tant de clameurs. Les uns s’opiniâtrent à voir dans Jeanne un instrument divin ; d’autres, moins crédules, soutiennent cependant qu’en l’état désespéré des choses, l’on doit essayer de tirer parti de l’influence que ladite pucelle peut exercer sur les soldats. Je suis donc obligé de la recevoir aujourd’hui à la cour ; mais La Trémouille pense que ce pharamineux concile de matrones dont nous avons tant ri doit décider d’abord si cette belle fille (on la dit belle) possède réellement le charme magique au moyen duquel… ha ! ha ! ha !… je ne serai plus roi par la grâce de Dieu… mais par la grâce de…

— Charles, Charles… encore ces vilaines railleries !…

— La chaste Diane serait ta patronne, que tu ne te montrerais pas plus farouche, mon Aloyse !… Vraiment, je ne te reconnais pas aujourd’hui !…

— Et moi, Charles, je ne te reconnais que trop !… toujours indolent, toujours insoucieux de ton honneur ! Pourtant, combien de fois ne t’ai-je pas dit : « Courage ! mets-toi à la tête de ces soldats las de combattre pour un roi qui n’a jamais partagé leurs dangers ! Courage, Charles ! ranime la confiance de ton armée ?… Prends une résolution hardie, et… »

— Peste ! mon Amazone ! vous parlez à votre aise des périls de la guerre ! Je ne suis point un César, moi… tant s’en faut…

— Cœur sans vergogne !…

— Que veux-tu ?… je tiens à vivre pour t’aimer !…

— Tu me fais rougir de male-honte !…

— Bon ! je te connais, ma chère… avoue-le, tu rougis d’être la maîtresse du pauvre roi de Bourges, comme on m’appelle… régner sur un si piteux roi blesse ton orgueil ? tu voudrais régner sur le roi de la France entière ?

— Ai-je donc tort de désirer ta gloire ?

— Eh ! ma belle, redevenu roi de la France entière, trouverai-je le satin de ta peau plus blanc ? le vin meilleur ? la paresse plus douce ?

— Mais la gloire !… la gloire !…

— Vanité !… vanité !… Je n’ai jamais été jaloux que d’une gloire, celle du glorieux roi Salomon. Oh ! valeureux prince aux trois cents concubines ! je le confesse humblement, hélas ! je ne suis point de ton étoffe, amoureux potentat, je me borne à ambitionner la destinée du bon roi Jean, mon aïeul…

— Et il est des capitaines qui combattent pour toi !…


— Pour moi !… non, pardieu ! ils combattent pour butiner à la tête de leurs compagnies mercenaires, ou pour recouvrer leurs seigneuries, tombées au pouvoir des Anglais… Ils s’intéressent à ma gloire un peu à ta façon, ma chère ; tu voudrais me voir couronné afin de poser triomphalement ton pied charmant sur cette antique couronne de France… et dominer… qui domine !

La belle Aloyse allait répondre aigrement à Charles VII, lorsque Georges de La Trémouille, après avoir frappé, entra chez le roi et lui dit :

— Sire, tout est préparé pour la réception de Jeanne.

— Allons la recevoir ! J’approuve fort ton idée de mettre cette inspirée à l’épreuve, afin de savoir si elle me reconnaîtra confondu parmi vous autres, tandis que de Trans jouera mon rôle…


Les hommes et les femmes de la cour de Charles VII, réunis dans une galerie du château de Chinon, agités de sentiments divers, attendent l’arrivée de Jeanne-la-Pucelle. Les uns, en très-petit nombre, la croient divinement inspirée ; mais, généralement, les autres voient en elle, soit une pauvre visionnaire, docile instrument dont les politiques pouvaient momentanément se servir, quitte à la briser ensuite, soit une aventurière effrontée, forte de son audace ou de la crédulité des sots. Mais tous, quel que soit leur jugement sur la mission que s’attribue la paysanne de Domrémy, dédaignent en elle une fille de la plèbe rustique ; ceux-là même qui ne doutent point de la réalité de ses révélations surnaturelles se demandent par quelle aberration le Seigneur Dieu a été choisir son élue dans une si basse condition !

À l’extrémité de la galerie, le sire de Trans, splendidement vêtu, trône sur un siége élevé placé sous un dais ; il simule le roi, tandis que Charles VII, placé non loin de là parmi ses familiers, rit sous cape de la plaisante épreuve où il va mettre la sagacité de Jeanne. Celle-ci entre bientôt, conduite par un chambellan ; elle tient sa toque à la main et porte ses habits d’homme, courte tunique, chausses à aiguillettes, bottines éperonnées. Jeanne, de plus en plus persuadée du prochain accomplissement des grands desseins qui, depuis si longtemps, fermentaient dans son esprit, se rappelant avec quel enthousiasme populaire avait été salué son départ de Vaucouleurs et acclamé son passage à travers quelques villes royales voisines de Chinon, lorsque l’on sut, par les gens du sire de Novelpont, qu’elle était envoyée de Dieu pour délivrer la Gaule du joug des Anglais ; Jeanne, se voyant enfin, elle, pauvre bergère venue du fond de la Lorraine, admise en présence de son roi, croyait reconnaître à chaque pas de sa route le puissant concours du ciel. D’abord intimidée à l’aspect des courtisans, elle se réconforte, et, le front haut, le maintien modeste et assuré, elle s’avance dans la galerie ; mais bientôt, baissant les yeux devant certains regards licencieux provoqués par sa beauté, elle rougit et souffre dans sa pudeur, sans défaillir dans sa foi en son destin. Soupçonnant déjà vaguement le mauvais vouloir de plusieurs personnages de l’entourage du roi, qui depuis son arrivée la tenaient reléguée au château du Coudray, elle redoute un piége et dit au chambellan qui la guidait :

— Ne me trompez pas… montrez-moi le dauphin de France[3] !

Le chambellan indique du geste le sire de Trans, se prélassant sous un dais à l’extrémité de la galerie ; ce seigneur, homme de haute stature, de forte corpulence, atteignait la maturité de l’âge. Jeanne, durant sa route, avait souvent interrogé le chevalier de Novelpont sur Charles VII, sur ses dehors, sur ses traits ; apprenant ainsi que ce prince était chétif, pâle, de petite taille, et ne trouvant aucun rapport entre ce portrait et la figure du sire de Trans, elle s’aperçut aisément que l’on se jouait d’elle. Blessée au cœur de cette jonglerie, preuve de défiance outrageante ou plaisanterie indigne de la royauté, si Charles VII était complice de ce mensonge, Jeanne, la rougeur au front, répond au chambellan :

— Vous me trompez… celui que vous me montrez n’est pas le roi[4] !

Avisant alors à quelques pas d’elle un frêle et pâle jeune homme, d’une taille remarquablement petite, et dont les traits concordaient parfaitement avec le signalement dont elle gardait un souvenir toujours présent, Jeanne va droit au roi, fléchit le genou devant lui, en disant d’une voix douce et ferme :

— Messire dauphin, le Seigneur Dieu m’envoie vers vous en son nom pour vous secourir… Donnez-moi des gens d’armes, je ferai lever le siége d’Orléans, je chasserai les Anglais de votre royaume ; et, avant un mois, je vous conduirai à Reims… où vous serez couronné roi de France[5].

Quelques assistants, convaincus que la paysanne de Domrémy obéissait à une inspiration divine, regardèrent comme surnaturelle la pénétration dont elle venait de faire montre en reconnaissant Charles VII, confondu parmi ses courtisans, et furent d’autant plus frappés du langage qu’elle tenait au roi ; d’autres, en grand nombre, attribuant au contraire à un jeu du hasard la pénétration de Jeanne, ne virent dans ses paroles qu’une ridicule ou folle jactance ; ils dissimulèrent à peine leur dédain railleur pour cette fille des champs osant effrontément promettre au roi de chasser de son royaume les Anglais, jusqu’alors vainqueurs de tant de célèbres chefs de guerre.

Charles VII attacha sur Jeanne un regard défiant et libertin qui la fit de nouveau rougir, lui fit signe de se relever, et lui dit d’un air nonchalant et sardonique où le doute perçait à chaque parole :

— Ma pauvre fille, nous te savons certes beaucoup de gré de ton bon vouloir pour nous et pour notre royaume ; tu nous promets de chasser miraculeusement les Anglais ? de nous rendre notre couronne ? rien de mieux ; mais, enfin, tu te prétends inspirée de Dieu… et, par surcroît, pucelle… Il faut, avant d’ajouter foi à tes promesses, acquérir tout d’abord la certitude que tu n’es pas possédée du malin esprit, et que tu es vierge… Or, sur ce dernier point, ta jolie figure autorise au moins le doute… afin de le lever, la vénérable Yolande, reine de Sicile et mère de ma femme, présidera un concile de matrones chargées par nous de vérifier, de constater, dûment, congruement, notoirement ta virginité[6] ; ensuite de quoi, si tu sors triomphante de cette première épreuve, il s’agira de s’assurer que tu es véritablement envoyée vers moi de par Dieu… À cet effet, une assemblée des plus illustres clercs en théologie, réunie dans notre ville de Poitiers, où siége notre parlement, t’examinera, t’interrogera et déclarera, selon tes réponses, si tu es inspirée de Dieu ou du diable. Tu comprends, ma fille, qu’il serait insensé de te confier le commandement de nos gens d’armes avant de nous être assurés que le Seigneur Dieu t’inspire véritablement, et surtout… que tu es pucelle ?…

À ces paroles, remplies de sécheresse, de défiance et d’impudeur outrageuse, accueillies par les sourires lubriques de presque tous les assistants, et prononcées par ce gentil dauphin de France, dont les malheurs avaient depuis si longtemps navré son cœur, Jeanne resta d’abord anéantie ; puis sa chasteté, sa dignité, se révoltèrent à la seule pensée de l’examen honteux, humiliant, infâme, que devait d’abord subir publiquement sa personne par ordre de Charles VII.

En proie à une douleur amère, un moment, selon les prévisions de Georges de La Trémouille, promoteur de cette indigne épreuve, Jeanne eut la pensée de renoncer à sa mission, d’abandonner le roi à son destin ; mais bientôt elle réfléchit qu’il ne s’agissait pas seulement de ce prince indolent, ingrat et débauché, mais de la délivrance de la Gaule, pillée, ravagée, ensanglantée, depuis tant d’années ! de la Gaule à bout de maux, de misères, et que le Seigneur Dieu prenait enfin en pitié ! Aussi, retrempant sa foi, son énergie dans le souvenir des promesses de la voix mystérieuse qui la guidait, se rappelant les prophéties de Merlin, confiante dans son génie militaire, qu’elle sentait se développer en elle, puisant dans la conscience de sa pureté, dans l’ardeur de son patriotisme, le courage de se résigner à l’ignominie dont on la menaçait, mais voulant cependant tenter de s’y soustraire, elle leva vers Charles VII ses yeux noyés de larmes et lui dit :

— Hélas ! sire, pourquoi ne pas me croire et me mettre à l’œuvre ? Je vous le jure, je suis venue à vous de par la volonté du ciel[7] !

— Ce sont là, ma fille, de belles paroles ; mais pour que nous y ajoutions créance, il faut d’abord et avant tout, je le répète, constater que tu es pucelle, et que Dieu et non le démon t’envoie vers nous !… Si tu te refuses à cette épreuve, retourne à tes brebis !

— Qu’il en soit donc ainsi que vous le voulez, sire ! — répondit Jeanne, le cœur brisé. — Mon Dieu ! je sais que j’aurai beaucoup à souffrir à Poitiers, beaucoup à faire pour persuader que je dis la vérité ; mais le Seigneur me viendra en aide[8]

— Demain, donc, tu seras conduite à Poitiers, où tu seras examinée charnellement, et interrogée sur les matières de la foi par de doctes clercs en théologie, — répondit Charles VII ; et il s’éloigna, haussant légèrement les épaules.


  1. Chronique de la Pucelle, Godefroid, page 500.— Chronique de Berry, ibid., page 576. — Mémoires d’Arthus de Richemond.
  2. Godefroid, p. 734. Ap. J. Quicherat. Intr. au proc., page 27.
  3. Chronique de Perceval, c. IV, p. 49.
  4. Chronique de Perceval, c. IV, p. 49.
  5. Ibid.
  6. Il est inutile de citer individuellement les chroniqueurs au sujet de cet impudique et abominable examen ; ils sont tous d’accord sur ce fait.
  7. Chronique de Perceval de Cagny, ap. Quicherat, t, III, p. 71.
  8. Ibid.