Les Mystères du peuple — Tome I
LE CASQUE DE DRAGON - L'ANNEAU DU FORÇAT - Chap. XIII.
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CHAPITRE XIII.


Comment le jour anniversaire de la naissance de son fils M. Lebrenn lui ouvre cette chambre mystérieuse qui causait tant d’étonnements à Gildas Pakou, le garçon de magasin. — Comment Sacrovir Lebrenn et Georges Duchêne, son beau-frère, désespéraient du salut de la république et du progrès de l’humanité. — Pourquoi M. Lebrenn, fort de ce que renfermait la chambre mystérieuse, était au contraire plein de foi et de certitude sur l’avenir de la république et de l’humanité.




Le lendemain matin du retour de M. Lebrenn, jour de l’anniversaire de la naissance de son fils, qui atteignait à cette époque sa vingt-et-unième année, la famille du marchand était rassemblée dans le salon.

— Mon enfant, — dit M. Lebrenn à son fils, — tu as aujourd’hui vingt-et-un ans, le moment est venu de t’ouvrir cette chambre aux volets fermés, qui a si souvent excité ta curiosité. Tu vas voir ce qu’elle contient… Je t’expliquerai le but et la cause de cette espèce de mystère… Alors, j’en suis convaincu, mon enfant, ta curiosité se changera en un pieux respect… Un mot encore : le moment de t’initier à ce mystère de famille semble providentiellement choisi. Depuis hier, tout à notre tendresse, nous avons eu peu le temps de parler des affaires publiques ; cependant, quelques mots qui te sont échappés, ainsi qu’à vous, mon cher Georges, — ajouta M. Lebrenn en s’adressant au mari de sa fille, — me font craindre que vous ne soyez découragés… presque désespérés.

— Cela n’est que trop vrai, mon père, — répondit Sacrovir.

— Quand on est témoin de ce qui se passe chaque jour, — ajouta Georges, — on est effrayé pour l’avenir de la république et de l’humanité.

— Voyons, mes enfants, — dit M. Lebrenn en souriant ; — que se passe-t-il donc de si terrible ? contez-moi cela…

— Comment, mon père ! — s’écria Georges avec surprise, — vous nous le demandez ?

— D’abord, — s’écria le fils du marchand, — monsieur Bonaparte, premier magistrat de la république, monsieur Bonaparte, se recommandant naïvement des souvenirs de son oncle, l’homme du 18 brumaire ! l’un des plus horribles despotes qui aient jamais pesé sur la France, qu’il a ruinée, dépeuplée, livrée deux fois à l’invasion et aux Bourbons !…

— Comment ! — dit M. Lebrenn avec un éclat de rire homérique, — monsieur Louis Bonaparte vous fait peur !… Passons, mes enfants, passons, le suffrage universel, comme la lance magique, guérit les blessures qu’il a faites.

— Le gouvernement aux mains de ces gens, — reprit Georges, — dont les plus républicains regardent la république comme un essai…

— Oui, comme un essai… qu’ils font, eux, qui ont essayé tant de gouvernements, tant de fidélités, tant de serments !… C’est une vieille habitude chez eux… Ces pauvres hommes ! — répondit M. Lebrenn. — Qu’est-ce que ça nous fait ?… s’ils nous essayent, nous les essayons aussi, et, le jour venu, le scrutin leur dira : « Vous voyez bien, vous ne savez ni servir la république ni vous en servir… Allez-vous-en de là, s’il vous plaît… »

— Soit, mon père, — reprit Sacrovir ; — mais voici qui est effrayant : l’instruction publique livrée à monsieur Falloux ! l’apologiste de l’inquisition ! l’exécuteur des basses œuvres des jésuites ! l’audacieux souteneur de ce qu’il y a de plus haineux, de plus rétrograde, de plus impitoyable dans le parti catholique et absolutiste —… L’éducation de nos enfants livrée aux hommes noirs de cet homme noir !…

— Mes amis, — reprit M. Lebrenn, — sans remonter plus haut que 1789, qui donc, à cette époque, avait le monopole de l’instruction publique ? Le clergé, n’est-ce pas ?… le clergé dans sa toute-puissance, si puissant qu’il a fait trancher la tête à deux pauvres enfants qui avaient plaisanté d’une procession… Eh bien, ce clergé tout-puissant a-t-il pu conjurer la révolution, quoiqu’il fût maître de l’éducation publique ?… Comment ! vous craignez les hommes noirs de monsieur Falloux en 1849 ? quand nous avons la liberté de la presse, et la propagande socialiste, bien autrement active et ardente que celle des encyclopédistes au siècle dernier ? Quoi ! vous doutez ? vous craignez ? lorsque, grâce au suffrage universel, dans deux ans au plus, il suffira d’un souffle du pays pour faire rentrer à jamais ces hommes noirs dans leurs ténèbres ? Allons, enfants ! vous n’êtes pourtant plus à l’âge où l’on a peur des loups-garoux !…

— Et l’expédition d’Italie ? — reprit Georges. — La république italienne, notre sœur, mitraillée, abattue par nos soldats, le pape rétabli par nos armes !

— Comment, enfants ? vous vous plaignez de la restauration du pape par la force ? Quel nouveau et écrasant démenti donné à cette prétention d’infaillibilité divine ! Dieu n’a pas tonné… il a laissé son représentant sur terre implorer les carabines des chasseurs de Vincennes, braves garçons, préférant le cotillon et le cabaret aux oremus… Passons, enfants ! la papauté ne se relèvera pas de ce dernier triomphe ; elle devait régner par l’amour et par la foi, elle en appelle à la violence ; elle se perdra par la violence, et bientôt la république romaine reprendra son rang parmi les peuples libres. La vieille habitude de la discipline a contraint nos braves soldats à une restauration papale, inique et imbécile… mais patience, deux ans d’exercice de leurs droits de citoyen éclaireront nos soldats sur leurs véritables devoirs… Et déjà les votes de l’armée ne sont-ils pas en majorité socialistes ?… D’ailleurs, dans un temps prochain, il n’y aura plus de rois en Europe, conséquemment plus d’armées, l’un ne va jamais sans l’autre… Les peuples régénérés, émancipés, ne songeront, dans leur intérêt commun, qu’à s’unir, qu’à échanger leurs produits, au lieu de se battre !… Passons, enfants… les temps approchent où les derniers bataillons s’en iront avec les derniers rois !

— Ah ! mon père ! ces temps heureux, les verrons-nous jamais ? — dit Sacrovir, non moins étonné que Georges de la quiétude du marchand. — Partout, à cette heure, la liberté des peuples est bâillonnée, bâtonnée, égorgée par les bourreaux des rois absolus !… L’Italie, la Hongrie, l’Allemagne, sont de nouveau courbées sous le joug sanglant qu’elles avaient brisé en 1848, électrisées par notre exemple, et comptant sur nous comme sur des frères !… Au nord, le despote des cosaques, un pied sur la Pologne, un pied sur la Hongrie, étouffées dans leur sang, menace de son knout l’indépendance de l’Europe, prêt à lancer sur nous ses hordes sauvages !…

— Des hordes pareilles, mes enfants, nos pères, en sabots, les ont écharpées sous la Convention… et nous ferions comme eux… Quant aux rois, ils massacrent, ils menacent, ils écument de fureur !… et surtout d’épouvante !… Ils voient déjà, du sang des martyrs assassinés par eux, naître des milliers de vengeurs !… Ces porte-couronnes ont le vertige : il y a bien de quoi !… Qu’une guerre européenne éclate, la révolution se dresse chez eux et les dévore ! Que la paix subsiste, le flot pacifique de la civilisation monte… monte… et submerge leurs trônes… Passons, enfants…

— Mais, à l’intérieur ! — s’écria Georges, — à l’intérieur !

— Eh bien, mes amis ! que se passe-t-il à l’intérieur ?

— Hélas ! mon père… la défiance, la peur, la misère partout, semées par les éternels ennemis du peuple et de la bourgeoisie… Le crédit anéanti… Des populations égarées, trahies, trompées, ameutées contre la république, leur mère, par ceux-là qui savent bien qu’ils ne pourront plus, sous un gouvernement républicain-socialiste, exploiter le peuple et la modeste bourgeoisie, sur qui pèse presque entièrement l’impôt, c’est-à-dire la gêne ou la misère !…

— Pauvres chers aveugles ! — reprit en souriant M. Lebrenn, — le prodigieux mouvement industriel qui s’opère dans les différentes classes de travailleurs et de bourgeois ne frappe donc pas vos yeux ? Songez donc à ces innombrables associations ouvrières qui se fondent de toutes parts, à ces excellents essais de banque d’échange, de comptoirs communaux, de crédit foncier, etc., etc. Ces tentatives, les unes couronnées de succès, les autres incertaines encore, mais toutes entreprises avec intelligence, courage, probité, persévérance et foi dans l’avenir démocratique et social, ne prouvent-elles pas que le peuple et la bourgeoisie, ne comptant plus, et bien ils font, sur le concours et l’aide de l’État, cette impuissante chimère, cherchent leur force et leurs ressources en eux-mêmes, afin de se délivrer de l’exploitation capitaliste et usuraire, comme ils se sont délivrés de la tyrannie monarchique et jésuitique ?… Croyez-moi, mes enfants, lorsque tout un peuple comme le nôtre se met à chercher la solution d’un problème, d’où descend sa vraie liberté, son travail, son bien-être et celui de la famille… ce problème, il le trouve… et, le socialisme aidant, il le trouvera.

— Mais où sont nos forces, mon père ? Notre parti est décimé !… Les républicains-socialistes sont traqués, calomniés, dénoncés, emprisonnés, proscrits !… Enfin, que dirai-je ? Comment ne pas se décourager, se désespérer, lorsque l’on pense que toi… toi… tu dois la tardive justice qu’on t’a rendue… à qui ?… au comte de Plouernel… à un royaliste tout-puissant aujourd’hui !…

— Hélas ! mon père ! — ajouta Georges, — n’est-ce pas le déplorable symbole de cette situation dont la pensée nous écrase ?… Les royalistes tout-puissants, les républicains persécutés !

— Et quelle est, mes enfants, la conclusion de votre découragement ?

— Hélas ! — reprit tristement Sacrovir, — ce que nous redoutons, c’est la ruine de la république, c’est le retour au passé ; c’est de rétrograder au lieu d’avancer, c’est la négation du progrès… c’est d’en arriver à cette désolante conviction : que l’humanité, au lieu de marcher toujours, est fatalement condamnée à tourner incessamment sur elle-même, dans un cercle de fer, dont elle ne peut jamais sortir… Ainsi, que la République succombe, peut-être allons-nous retourner sur nos pas… revenir au delà même du point dont nos pères sont partis en 89 !

— C’est absolument ce que disent et ce qu’espèrent les royalistes, mes enfants…

— Il n’est que trop vrai, mon père…

— Que les royalistes commettent cette erreur de logique, soit, je le conçois ; rien n’aveugle comme la passion, l’intérêt, ou les préjugés de caste ; mais que nous… mes enfants, nous fermions les yeux à l’évidence du progrès… plus éclatant que le soleil, pour nous plonger de gaieté de cœur dans les ténèbres du doute… mais que nous, mes enfants, nous fassions à la sainteté de notre cause l’injure de douter de sa puissance, de son triomphe souverain… lorsqu’il se manifeste de toutes parts…

— Que dites-vous, mon père ?

— Je dis : lorsque notre triomphe se manifeste de toutes parts ; je dis que, en de telles circonstances, se laisser abattre, se décourager, ce serait compromettre notre cause !… si le progrès de l’humanité ne poursuivait pas sa marche éternelle, malgré l’incrédulité, l’aveuglement, les faiblesses, les trahisons ou les crimes des hommes !…

— Comment !… l’humanité sans cesse en progrès ?…

— Sans cesse, mes enfants.

— Mais il y a bien des siècles… nos pères les Gaulois vivaient libres, heureux ! et pourtant ils ont été dépouillés, asservis, par la conquête romaine, puis par celle des rois franks : était-ce donc un progrès cela ?

— Je n’ai pas dit, mes amis, que nos pères n’ont pas souffert, mais que l’humanité avait marché… Derniers fils d’un ancien monde qui s’écroulait de toutes parts pour faire place au monde chrétien, progrès immense !… nos pères ont été meurtris, mutilés, sous les débris de la société antique… Mais en même temps une grande transformation sociale s’opérait ; car, je vous le répète, l’humanité marche toujours… parfois lentement, jamais elle n’a fait un pas en arrière.

— Mon père, je vous crois… cependant…

— Malgré toi tu doutes encore, Sacrovir ? Je comprends cela ; heureusement les enseignements, les preuves, les dates, les faits, les noms, que tu trouveras tout à l’heure dans la chambre mystérieuse, te convaincront mieux que mes paroles… Et lorsque vous verrez, mes amis, qu’aux temps les plus affreux de notre histoire, tels que les ont presque toujours faits à notre pays les rois, les seigneurs et le haut clergé catholique ; lorsque vous verrez que nous autres conquis, nous sommes partis de l’esclavage pour arriver progressivement, à travers les siècles, à la souveraineté du peuple, vous vous demanderez si à cette heure, où nous sommes investis de cette souveraineté si laborieusement gagnée, nous ne serions pas criminels de douter de l’avenir… En douter, grand Dieu ! ah ! nos pères, malgré leur martyre, n’en ont jamais douté, eux ! Aussi, n’est-il presque pas de siècle où ils n’aient fait un pas vers l’affranchissement… Hélas ! ce pas était presque toujours ensanglanté. Car si nos maîtres les conquérants se sont montrés implacables, vous le verrez, il n’est pas de siècle où de terribles représailles n’aient éclaté contre eux pour satisfaire la justice de Dieu… Oui, vous le verrez, pas de siècle où le bonnet de laine ne se soit insurgé contre le casque d’or ! où la faux du paysan ne se soit croisée avec la lance du chevalier ! où la main calleuse du vassal n’ait brisé la main douillette de quelque tyranneau d’évêque ! Vous le verrez, mes enfants… pas de siècle où les infâmes débauches, les voleries, les férocités des rois et de la plupart des seigneurs et des membres du haut clergé catholique, n’aient soulevé les populations, et où elles n’aient protesté par les armes contre la tyrannie du trône, de la noblesse et des papes !… Vous le verrez, pas de siècle où les affamés, se dressant inexorables comme la faim, n’aient jeté les repus dans la terreur… pas de siècle qui n’ait eu son festin de Balthazar, enseveli avec ses coupes d’or, ses fleurs, ses chants et ses magnificences, sous le flot vengeur de quelque torrent populaire… Sans doute, hélas ! à ces terribles, mais légitimes représailles de l’opprimé, succédaient contre lui de féroces vengeances ; mais de formidables exemples étaient faits ; et toujours l’insurrection ou l’épouvante a arraché aux éternels oppresseurs de nos pères quelque durable concession écrite dans la loi et forcément observée.

— Je vous crois, — dit Sacrovir ; — si l’on juge du passé par le présent, car dans ces derniers temps l’insurrection a conquis nos libertés de 89 et 92, l’insurrection, en 1830, nous a rendu une partie de nos droits ; enfin, en 1848, l’insurrection a proclamé la souveraineté du peuple, et le suffrage universel, qui met un terme à ces luttes fratricides.

— Et il en a été toujours ainsi, mon enfant ; car tu le verras, il n’est pas une réforme sociale, politique, civile ou religieuse, que nos pères n’aient été forcés de conquérir de siècle en siècle au prix de leur sang !… Hélas ! cela est cruel… cela est déplorable ; mais que faire ? qui invoquer ? que résoudre ? Il fallait bien recourir aux armes, lorsque des privilégiés opiniâtres, inexorables, incorrigibles, répondaient aux larmes, aux douleurs, aux prières des opprimés : rien, rien, rien !  !… Alors d’effroyables colères surgissaient et le désespoir rendait les faibles forts… alors des torrents de sang coulaient des deux côtés… Mais sur qui ce sang doit-il retomber ?… Ah ! qu’il retombe tout entier sur ceux-là qui, par la force, réduisaient leurs frères à un abominable esclavage, sous lequel l’homme, parfois ravalé au niveau de la brute, n’en différait que par ces divins instincts de justice et de liberté que l’oppression la plus affreuse n’étouffe jamais en nous ! Aussi ces instincts se réveillaient-ils formidables lorsque sonnait, d’âge en âge, l’heure de l’affranchissement progressif de l’humanité… C’est ainsi qu’à force de vaillance, d’opiniâtreté, de batailles, de martyres, nos pères ont brisé d’abord les fers de l’esclavage antique où les Franks les avaient maintenus lors de la conquête ; puis ils sont arrivés au servage, condition un peu moins horrible. Puis, de serfs, ils sont devenus vassaux, puis main-mortables, nouveaux progrès ; et toujours ainsi, de pas en pas, se frayant, à force de patience et d’énergie, une route à travers les siècles et les obstacles, ils sont enfin arrivés à reconquérir leur droit divin, à eux et à nous ; c’est-à-dire la souveraineté du peuple. Et n’est-ce pas à la fois un droit et une récompense ? car enfin, à cette heure, tout ce qui constitue la richesse de la France que nos pères avaient reçue des mains de Dieu, nue, inculte et sauvage, ces terres cultivées, ces industries, ces monuments, ces routes, ces canaux, que sais-je ? enfin toutes les merveilles de civilisation dont la France est aujourd’hui couverte, ne sont-elles pas le fruit de l’accumulation du travail de nos aïeux, prolétaires et bourgeois durant des siècles ? Ah ! eux seuls ne sont jamais restés oisifs ! et tandis que les rois, les seigneurs de la conquête franque, et le haut clergé catholique, leur éternel et indigne complice, jouissaient dans l’indolence ; chacune de nos laborieuses générations, à nous autres Gaulois conquis, asservis et dépouillés, augmentait les incalculables richesses du pays ! Et pour prix de ces labeurs séculaires, le prolétariat aujourd’hui émancipé n’interviendrait pas légalement, pacifiquement, de par son droit souverain, dans une plus équitable exploitation de ces trésors, créés, fécondés, par la sueur et par le sang de ses pères ! Quoi ! pauvres enfants ! le prolétariat risquerait d’être demain replongé dans le servage, parce que, selon la nature des choses, à l’action succède une réaction passagère ; parce que des traîtres ont escaladé le pouvoir ; parce que les rois d’Europe, sentant leur fin venue, redoublent de férocité comme la bête sauvage aux abois ?… Vous désespérez de l’avenir ? lorsque, grâce au suffrage universel, leur dernière et impérissable conquête, les déshérités d’hier, aujourd’hui majorité immense, peuvent demain imposer à la minorité privilégiée de la veille leur volonté, souveraine comme l’équité ? Quoi ! vous désespérez ? lorsque le pouvoir est révocable à la voix de nos représentants, nommés, commis par nous juges suprêmes de ce pouvoir ?… dans le cas où il aurait l’audace de violer la Constitution, cette arche sainte de la république, que nous défendrions au prix de notre sang ! Quoi ! vous désespérez, parce que, depuis dix-huit mois, nous avons lutté, quelque peu souffert ?… Ah ! ce n’est pas pendant dix-huit mois que nos pères ont souffert, ont lutté ; c’est pendant plus de dix-huit siècles… Et si chaque génération a eu ses martyrs, elle a eu ses conquêtes !… et de ces martyrs, de ces conquêtes, vous allez voir les pieuses reliques, les glorieux trophées… Venez, mes enfants, suivez-moi.

Et ce disant, M. Lebrenn se dirigea, suivi de sa famille, dans la chambre aux volets fermés, où le fils, la fille et le gendre du marchand entraient pour la première fois.