Les Mystères du confessionnal/Supplément au traité du mariage/02/01

Imprimerie E.-J. Carlier (p. 87-106).


CHAPITRE I. — DU DEVOIR CONJUGAL DEMANDÉ ET RENDU


Il est certain que les époux sont dans la stricte obligation de se garder mutuellement la foi conjugale ; ils en font la promesse solennelle devant le prêtre, lorsqu’il les interroge et les bénit au nom de Dieu dont il est le ministre. D’ailleurs, d’après l’institution du mariage elle-même, l’homme et la femme sont deux dans une seule chair ; l’un des époux ne peut donc pas avoir de commerce avec une autre chair sans faire une grave injure à son époux. D’où il suit que tout acte vénérien accompli avec une autre personne ou à son propos, l’acte charnel, par exemple, les attouchements, les baisers, les désirs d’accomplir ces actes ou la complaisance dans ce actes ; toutes ces choses revêtent une double malice qu’il est nécessaire de déclarer en confession, une contre la chasteté et l’autre contre la justice.

Il en est de même des mouvements voluptueux qui sont, à leur manière, contraires à la foi jurée, comme par exemple l’abus que l’un des époux ferait de son corps dont l’autre époux a acquis la propriété pour l’accomplissement des actes vénériens.

Ces préliminaires posés, nous diviserons le présent chapitre en trois articles :

Dans le premier nous traiterons de l’acte conjugal considéré en soi ;

Dans le second, du devoir conjugal demandé ;

Et dans le troisième, du devoir conjugal rendu.


Article I. — De l’acte conjugal considéré en soi


Nous avons prouvé, dans le traité du mariage, contre plusieurs hérétiques, que le mariage considéré en soi était bon et honnête : il est donc certain que l’acte conjugal n’a, par lui-même, rien de mauvais et peut devenir méritoire s’il est dicté par un motif surnaturel, par exemple, pour conserver à son époux la foi promise en présence de Dieu, dans un but de religion, pour avoir des enfants qui servent Dieu fidèlement, ou en représentation de l’union du Christ avec l’Église.

Donc, si on rencontre quelque difficulté dans la matière, c’est au sujet du coït pratiqué uniquement par passion ou pour prévenir l’incontinence.


§ I. — Du coït pratiqué uniquement par passion


C’est un péché de se livrer à l’acte conjugal dans le seul but de se procurer du plaisir, mais le péché est seulement véniel. La preuve que le coït entre époux constitue un péché résulte : 1o De l’autorité d’Innocent XI, qui condamna, en 1679, la proposition suivante, qui avait pour objet de le déclarer licite : L’acte conjugal pratiqué pour le seul plaisir qu’il procure est exempt de tout péché, même véniel.

2o La raison nous dit que le plaisir attaché à l’acte conjugal est le moyen d’obtenir le but de cet acte, c’est-à-dire la procréation des enfants : ce plaisir pris en dehors de ce but est donc illicite, à plus forte raison l’acte est-il illicite si, le détournant de son but, on le fait servir uniquement au plaisir. On prouve de la manière suivante que le péché est seulement véniel : Le plaisir qu’on prend dans un acte bon n’est pas mauvais en soi, mais il est mauvais lorsqu’il ne se rapporte pas à une fin légitime ; tel est le plaisir qu’on prend à manger : tout le monde s’accorde à reconnaitre que dans certains cas particuliers, l’absence de raison légitime, ce qui arrive lorsqu’on mange pour le seul plaisir de manger, constitue un péché véniel seulement. C’est l’opinion des théologiens en général, conforme, en cela, à celle de St Augustin, de St Ambroise, de St Thomas et de St Bonaventure ; d’autres prétendent que le péché est mortel, et il y en a beaucoup qui veulent, avec Sanchez, l. 9, disp. 11, no  1, qu’il n’y ait aucune espèce de péché.


§ II. — De l’acte conjugal pratiqué dans le but de prévenir l’incontinence


On demande si c’est un péché de demander le devoir conjugal dans le seul but de prévenir l’incontinence et quelle espèce de péché a été commis. Les théologiens sont très divisés sur cette question ; leurs opinions se résument à deux principales que Sanchez, liv. 9, disp. 9, et le P. Antoine, nouv. édit., q. 5, des obligations des époux, t. 4, p. 296, exposent d’une manière assez claire.

I. Beaucoup de théologiens prétendent qu’il n’y a pas de péché dans le coït entre époux, et ils appuient leur opinion des preuves suivantes :

1o Ex. I aux Corinth. 7. 2 : Que chacun de vous ait sa femme et que chaque femme ait son mari, afin de ne pas se livrer à la fornication. L’Apôtre ajoute, verset 5 : Ne vous imposez pas l’un à l’autre des privations, si ce n’est d’un consentement mutuel et pour le temps de la prière, et revenu aussitôt en vous-même de peur que Satan ne mette votre continence à l’épreuve ; je vous dis cela par indulgence et non comme prétexte ; car je veux que vous soyiez tous comme moi-même. St Paul allègue ici l’incontinence, seulement pour autoriser l’acte conjugal : or, on ne peut pas dire que l’Apôtre donne la faculté de faire un acte entaché de péché.

2o Par l’autorité du catéchisme du concile de Trente qui, dans sa seconde partie, chap. 14, § III, formule de la manière suivante la troisième raison qui a fait établir le mariage après la chute de nos premiers parents : que celui qui connaît sa faiblesse et qui ne veut pas avoir à combattre les mouvements de la chair, use du mariage pour éviter les péchés de luxure. C’est de lui que l’Apôtre a écrit : Pour éviter la fornication, etc.

3o L’Église bénit chaque jour les mariages de vieillards qui ne sont certainement pas en état d’avoir des enfants ; on ne dit cependant pas qu’ils ne doivent pas user du mariage et l’Église ne les détourne, en aucune manière, de l’acte conjugal ; elle pense donc qu’ils doivent pratiquer le coït pour calmer la concupiscence.

4o Un acte en soi honnête et qui tend à une fin honnête ne peut pas être mauvais. Or, l’acte conjugal est honnête en soi : et c’est une fin honnête que de calmer la concupiscence en évitant l’incontinence. Voyez, dans ce sens, St Antoine, Paludanus, Soto, Sylvestre, St Ligori, l. 6, no  882, et beaucoup d’autres dont l’autorité est citée tant par ce dernier que par Sanchez, l. 9, disp. 9, no  3.

II. Mais beaucoup d’autres prétendent que c’est un péché véniel de se livrer à l’acte conjugal pour éviter l’incontinence ; car, disent-ils :

1o L’acte qui ne se rapporte pas à un but légitime est entaché de péché ; or, le but de l’acte conjugal est de procréer des enfants ; donc cet acte est mauvais lorsqu’il est pratiqué dans un autre but, celui d’éviter l’incontinence, par exemple ;

2o C’est un péché, seulement véniel, de céder aux mouvements voluptueux sans excuse suffisante, et il est évident que celui qui use du mariage, uniquement pour éviter l’incontinence, cède aux mouvements voluptueux, et n’a pas un motif suffisant d’excuse ; car il a d’autres moyens de calmer les aiguillons de la chair, savoir : l’élévation de l’esprit vers Dieu, les prières, les jeûnes et autres œuvres de mortification chrétienne.

3o L’incontinence serait certainement un grave péché, mais il n’est pas permis, pour cela, de ceder à la passion sous un autre rapport. Une comparaison fera mieux comprendre cela : un moine auquel la règle défend de manger hors du monastère sans l’autorisation de son supérieur, satisfait un peu sa gourmandise dans le monastère de peur de céder à la tentation quand il sera dehors, et de pécher ainsi contre la règle et contre l’obéissance due à son supérieur ; n’est-il pas vrai qu’il commet un péché véniel ? De même, celui qui se livre à l’acte conjugal pour éviter l’incontinence, cède à la passion, en matière légère, afin que la passion ne le précipite pas dans de graves péchés. C’est l’opinion de St Augustin, St Grégoire le Grand, St Fulgent, St Thomas, St Bonaventure, Sylvius, Natalis Alexandre, Collet, Billuart, Dens, etc.

On répond aux raisons alléguées par les partisans de la décision contraire :

1o Que St Paul n’exclut pas le but propre du mariage, c’est-à-dire la procréation des enfants, mais qu’au contraire il le suppose, et que ses paroles doivent être prises dans ce sens, qu’il faut éviter l’incontinence par l’usage du mariage pratiqué dans l’ordre de la reproduction de l’espèce ;

2o Que le catéchisme du concile de Trente doit être pris dans le même sens ;

3o Que l’Église ne détourne pas les vieillards du mariage parce qu’il pourrait peut-être en résulter des maux beaucoup plus grands, les fornications et autres incontinences.

D’où il résulte que l’institution du mariage n’a eu pour but que l’acte conjugal pratiqué pour la reproduction de l’espèce et pour rendre le devoir, et que ce n’est que d’une manière secondaire que cet acte est un remède à la concupiscence ; c’est pourquoi il n’est pas permis de demander le devoir conjugal à une femme stérile, avancée en âge ou enceinte ; et elle-même ne pourrait jamais le demander dans ce cas.

Cependant, les défenseurs de cette opinion disent que, dans les deux cas, le péché est seulement véniel ; car l’acte conjugal est bon en soi, et il n’est entaché de péché que parce qu’il ne tend pas à un but légitime ; or, ce défaut de but ne fournit pas matière à péché mortel. C’est pourquoi ils ne regardent pas comme répréhensibles les époux qui se livrent à l’acte conjugal d’une façon régulière, mais sans le faire dans le but de procréer des enfants, pourvu que ce but ne soit pas exclu. Ils disent encore qu’on doit craindre, qu’en voulant leur éviter des péchés véniels, on ne les précipite dans des péchés plus graves.

Cette controverse est donc de peu d’importance pour ce qui regarde les confesseurs, mais elle est de nature à éloigner du mariage des hommes timorés : on comprend facilement, en effet, que l’apôtre ait dit des personnes mariées : Ils seront soumis aux tribulations de la chair (1re aux Corinth., 7, 28) et au v. 8 du même chapitre : Je dis qu’il est bon d’être célibataire ou veuf, si on peut rester ainsi, comme je le fais moi-même.

De plus, les théologiens enseignent comme très probable que c’est encore un péché véniel de pratiquer l’acte conjugal, en partie dans le but de la reproduction de l’espèce, en partie pour le plaisir qui en est inséparable, puisque cet acte sort alors à satisfaire la passion. Voy., dans ce sens, Sylvius, t. 4, p. 663, Billuart, Dens, etc. De plus, Sylvius prétend que c’est un péché véniel de se livrer au plaisir qui résulte de l’acte pratiqué en vue de la génération, et de donner son consentement à ce plaisir ; car ce plaisir-là ayant sa source dans la corruption, est une chose honteuse et propre à obscurcir la raison. Cependant, Dominique Soto, Sanchez et d’autres enseignent comme très probable qu’il n’y a pas de péché dans ce cas, car c’est dans le but de la conservation de l’espèce que la nature a attaché le plaisir à l’acte charnel, comme elle l’a attaché au boire et au manger en vue de la conservation de l’individu, afin que ces actes essentiellement nécessaires ne fussent pas négligés.

On demande : S’il est permis d’user du mariage par motif de santé.

R. Il est certain qu’il n’est permis ni de contracter mariage ni d’en user uniquement dans le but de conserver ou de recouvrer la santé ; car une semblable fin est étrangère au mariage : on commettrait donc un péché véniel en pratiquant l’acte conjugal pour cette raison-là, car il serait dépourvu d’un but légitime C’est l’opinion de St Thomas, Suppl., q. 94, art. 5, sur la 4e, et celle des théologiens en général. Mais il n’y a pas de péché à contracter mariage et à user de l’acte conjugal en se proposant le soulagement de la nature et la conservation de la santé comme but secondaire et accidentel, lorsqu’on s’est proposé la reproduction comme but principal : car dans ce cas, tout se passe dans l’ordre.


Article II. — De la demande du devoir


Les époux ne sont pas tenus de demander le devoir conjugal pour eux-mêmes ; car personne n’est tenu d’user de son droit. Ils y sont cependant quelquefois tenus d’une manière accidentelle, savoir :

1o Lorsqu’il est nécessaire d’avoir des enfants pour prévenir de graves préjudices que pourraient en éprouver la religion ou la république c’est de toute évidence.

2o Si l’un des époux, l’épouse principalement, fait connaître à certains signes le désir d’user du remède que la pudeur l’empêche de demander, l’autre époux doit prévenir le désir, et c’est plutôt, dans ce cas, rendre le devoir implicitement demandé que le demander réellement.

Mais il existe des cas nombreux dans lesquels il n’est pas permis de demander le devoir, sous peine de péché mortel ou véniel : nous allons traiter cette matière dans un double paragraphe.


§ I. — De ceux qui pèchent mortellement en exigeant le devoir conjugal


L’époux pèche mortellement en exigeant le devoir conjugal dans les cas suivants :

I. S’il a fait vœu de chasteté avant ou après le mariage car il est tenu, par la force même de son vœu, de s’abstenir de tout acte vénérien qui ne lui est pas commandé par un juste motif, et c’est ainsi établi par les Décrétales, 1. 3, tit. 32, c. 12 : Mais il est tenu de rendre le devoir lorsque son époux le demande ; en effet, ou il a fait son vœu après avoir contracté mariage et alors il n’a pu aliéner les droits de son époux ; ou le vœu est antérieur au mariage, et il a commis un grave péché en se mariant, mais il n’a pas moins donné à son conjoint ce qu’il avait promis à Dieu, et l’époux qui n’avait pas connaissance de ce vœu a acquis ses droits conjugaux ; il peut donc user de ces droits sans que l’autre époux puisse opposer des refus. C’est l’opinion de tous les théologiens.

J’ai dit, qui n’avait pas connaissance de ce vœu, car si l’un des époux avait eu connaissance du vœu de l’autre, avant le mariage, il serait censé avoir consenti à l’observer, et il ne pourrait pas, en conséquence, demander le devoir d’une manière licite sans avoir obtenu une dispense.

Il en serait de même si, pendant le mariage, un des époux faisait vœu de chasteté du consentement de l’autre, à plus forte raison s’ils avaient tous deux fait vœu d’un consentement mutuel ; dans ce cas, ni l’un ni l’autre ne pourrait demander le devoir.

Dens, t. 7, p. 196, décide avec raison qu’il n’est pas convenable que les époux, principalement lorsqu’ils sont jeunes, fassent des vœux perpétuels de chasteté, car l’amour conjugal en est affaibli, les liens spirituels se relâchent, et les aiguillons de la chair se font cruellement sentir. C’est pourquoi un confesseur ne doit ni conseiller ni autoriser ces sortes de vœux. Il existe donc, lorsque le mariage est consommé, des raisons suffisantes pour demander la dispense de ces sortes de vœux, afin d’éviter que des époux habitant ensemble ne succombent à la tentation et ne pèchent ainsi contre l’obligation qu’ils se sont imposée.

Notez que la dispense du vœu prononcée par l’un des époux à l’insu de l’autre n’est pas réservée au souverain pontife : car, en principe, les choses odieuses doivent être restreintes. Le vœu de chasteté seul est réservé : Or, dans le cas qui nous occupe, on n’a pas fait vœu d’une chasteté parfaite, puisqu’il reste l’obligation de rendre le devoir conjugal. Le vœu prononcé avant le mariage n’est pas non plus réservé ; car le mariage subséquent ne fait que le rendre imparfait de parfait qu’il était. Il est donc certain que l’évêque peut dispenser de ces sortes de vœux : mais il est évident qu’il en serait autrement si le vœu avait été prononcé par les deux époux ou par l’un d’eux, du consentement de l’autre.

Le vœu de ne pas se marier ou d’entrer dans les ordres sacrés fait après le mariage, et le vœu d’embrasser l’état religieux fait lorsque le mariage a été consommé, n’empêche ni de rendre ni de demander le devoir conjugal ; il n’est donc pas besoin de dispense dans ce cas, car ces vœux n’obligent qu’après la dissolution du mariage.

Il faut encore noter que si le vœu de chasteté perpétuelle fait avant ou après le mariage n’empêche pas de rendre le devoir conjugal, ce vœu devient parfait par la mort de l’autre époux, et qu’on ne peut en être délié que par le souverain pontife, si l’on veut contracter un nouveau mariage.

Celui qui a contracté mariage, après avoir fait vœu de ne pas se marier, a commis un péché mortel, et cependant il peut, sans dispense, rendre et demander le devoir conjugal : mais il ne pourrait, après la dissolution du mariage, en contracter un nouveau sans avoir obtenu des dispenses.

II. L’époux qui aurait un commerce charnel, naturel et complet avec une personne parente de son conjoint, par consanguinité, au premier ou au second degré, perdrait le droit de demander le devoir conjugal et commettrait un péché mortel en l’exigeant ; car il aurait établi l’affinité entre lui et son conjoint ; on appelle cette affinité empêchement survenant à un mariage contracté d’une manière valide.

L’évêque peut en dispenser par lui-même ou par ses vicaires généraux ou donner aux confesseurs le droit d’en dispenser.

Dans notre diocèse, les curés primaires peuvent, en vertu d’une autorisation spéciale encore en vigueur de Mgr de Pidoll, lever cet empêchement pour tout diocésain, mais seulement au for de la pénitence, qu’ils donnent ou ne donnent pas l’absolution sacramentelle. (Enchiridion, p. 9.)

Comme cet empêchement, survenant au mariage, a été établi comme punition, il ne lie pas la partie innocente ; celle-ci peut donc demander le devoir conjugal que l’autre partie ne peut pas refuser. Cependant un grand nombre de théologiens prétendent qu’elle aurait perdu le droit de demander le devoir conjugal si l’inceste avait eu lieu avec son consentement, quoique d’autres nient le cas en se basant sur ce que cette peine n’est pas formellement prononcée par le droit canonique.

Il est certain que cet empêchement n’est pas applicable à la femme prise de force, ni à l’homme qui se livre à l’acte charnel avec une femme qu’il ignore être parente par consanguinité de son épouse, car, dans le premier cas, il n’y a pas faute, et dans le second, l’inceste n’est pas formel, puisque, d’après les Décrétales, l. 4. tit. 13, chap. 1, il est nécessaire de savoir. On conclut des termes de ce même chapitre que l’ignorance dans laquelle on se trouve des prohibitions de l’Église exclut l’empêchement, car on ne sait pas réellement ; il est cependant plus sûr, d’après Collet, de demander la dispense à l’évêque.

III. Celui qui, pendant le mariage, baptise ou tient sur les fonds baptismaux, soit son propre enfant ou celui de son conjoint, se met dans un cas d’empêchement de parenté spirituelle et perd le droit de demander le devoir conjugal. C’est ainsi décidé par le décret cause 30, q. 1re, can. ad. limina, et par les Décrétales, l. 4, tit. 11, chap. 2. Il est tenu, néanmoins, de rendre le devoir lorsque son conjoint le demande, mais celui-ci aurait lui-même perdu son droit si, par des conseils, il avait été cause que le premier aurait baptisé ou tenu l’enfant.

L’empêchement n’existerait pas si l’époux avait baptisé son enfant ou celui de son conjoint dans un cas de nécessité ou par suite d’une ignorance complète ; c’est ce qui résulte du chapitre déjà cité, liv. 4 des Décrétales. La nécessité est censée exister à l’égard du père, disent Pontas, Collator Andeg., Collet, etc., lorsqu’il ne se trouve pas de prêtre, quoiqu’il y ait d’autres laïques ; car les choses odieuses doivent être restreintes, et le droit ecclésiastique ne s’explique pas d’une manière claire sur l’absence du prêtre. Beaucoup d’autres, au contraire, prétendent que le père ne se trouve pas dans le cas de véritable nécessité, lorsqu’il y a près de lui une autre personne, clerc ou laïque et même une femme, sachant baptiser ; c’est ce que semble indiquer le mot nécessité, et le rituel Romain porte ce qui suit : Le père ni la mère ne doivent pas baptiser leur propre enfant, si ce n’est à l’article de la mort, et lorsqu’il ne se trouve plus personne qui sache baptiser. Il faut donc choisir le parti le plus sûr, et dans ce cas, il faudrait demander la dispense comme dans celui que nous avons déjà rapporté, le curé primaire peut dans ce cas, au for de la pénitence, accorder sa dispense à un diocésain.

Celui qui ignore que l’enfant qu’il baptise ou qu’il tient sur les fonds baptismaux est son enfant ou ce lui de son conjoint ne perd pas le droit de demander le devoir, parce qu’il n’est coupable d’aucune faute et il est encore très probable qu’il n’encourt pas de peine si, sachant que l’enfant est à lui ou à son conjoint, il ignore les prohibitions de l’Église. Cette opinion paraît être celle de Dens, t. 7, p. 262, et de St Ligori, l. 6, no  152. Il serait cependant plus sûr, dans ce cas, d’obtenir la dispense.

Il ne suit pas de là que le père qui, soit par ignorance, soit par nécessité, baptise ou tient sur les fonts baptismaux l’enfant légitime ou naturel, qu’il soit de lui ou d’un autre, de la femme avec laquelle il n’est pas marié, n’établisse pas entre cette femme et lui un empêchement tel qu’il ait besoin d’une dispense pour se marier avec elle : La raison vient de ce que la parenté spirituelle, établie hors du mariage, n’a pas été établie comme punition.

IV. Celui qui sait d’une manière certaine que son mariage est nul, pour cause d’un empêchement d’affinité provenant d’un commerce illicite, par exemple, ne peut demander ni rendre le devoir pour quelque raison que ce soit, car il commettrait positivement un péché de fornication : La raison l’indique clairement, et les Décrétales, l. 5, tit. 39, chap. 44, sont très explicites sur ce point.

Mais s’il a contracté mariage en doutant de sa validité, ou si, l’ayant contracté, il doute de cette même validité, il doit rejeter ces doutes comme des scrupules, et il peut demander le devoir conjugal, s’il vient à s’apercevoir que ces doutes ne sont fondés sur aucune raison ; si au contraire il s’aperçoit qu’ils reposent sur des raisons qui ont quelque fondement, il doit, pour ne pas se mettre en danger de fornication, s’abstenir de demander le devoir conjugal jusqu’à ce qu’il ait acquis la certitude de la validité du mariage. Mais il est tenu de rendre le devoir à son époux qui n’est pas dans le doute, parce que, de deux maux qu’on ne peut éviter à la fois, il faut choisir le moindre : Or il y a moins de mal à s’exposer au danger d’une fornication matérielle qu’au danger d’une injustice envers l’autre époux. Ces décisions se trouvent dans le livre et au chapitre que nous avons cité plus haut.

On suppose ici qu’il n’existe pas des raisons légitimes pour refuser le devoir conjugal ou pour s’y soustraire, car, dans le cas où ces raisons existeraient, on ne serait pas tenu de rendre le devoir, puisqu’il n’y aurait plus danger d’injustice. De même, dans le cas où les arguments pour la nullité du mariage seraient beaucoup plus concluants que les arguments contraires, il ne serait pas permis de rendre le devoir, car on commettrait très certainement un péché de fornication. Voy. Dens, t. 7.

Il résulte de ce que nous venons de dire que si les deux époux doutaient de la validité du mariage, ils ne pourraient, ni l’un ni l’autre, ni demander ni rendre le devoir conjugal.


§. II. — De ceux qui pèchent véniellement en exigeant le devoir conjugal


I. Quelques théologiens, dont St Ligori, l. 6, no  915, cite l’autorité, prétendent, après St Thomas, que c’est un péché mortel de pratiquer le coït avec sa femme pendant le temps des menstrues, c’est-à-dire de l’écoulement du sang qui se produit ordinairement chaque mois chez les femmes capables de devenir enceintes, à cause du préjudice causé à l’espèce, et de la défense divine portée dans le Lévitique, 20, 18 ; mais d’autres enseignent plus ordinairement que c’est bien là un péché à cause de l’indécence qui en résulte, ils accordent qu’il n’est que véniel, car le coït pratiqué à l’époque des menstrues ne nuit nullement ou du moins nuit bien peu à la propagation de l’espèce ; d’ailleurs la défense portée dans le Lévitique a été, comme pratique, abrogée par la loi nouvelle. C’est l’opinion de St Antoine, Navarrus, Concina, Pontius, Bonacina, Paludanus, Cajetan, Sylvius, Billuart, Dens, etc. Il n’y a nul péché à demander le devoir lorsque cette demande est justifiée par une cause raisonnable, une grave tentation, par exemple, ou la nécessité de prévenir l’incontinence.

Voy., dans ce sens, Navarrus, Paludanus, Sanchez, l’école de Salamanque, St Ligori.

C’est pour cela que si l’écoulement, qui ne dure pas ordinairement au delà de deux ou trois jours, était de trop longue durée et presque continuel, comme cela arrive quelquefois, le mari pourrait, sans péché, demander le devoir, car il serait très-grave pour lui de toujours s’abstenir.

Selon l’opinion générale, la femme qui rend le devoir pendant le temps du flux ordinaire ne commet pas de péché ; bien plus, elle est tenue de le rendre si son mari n’adhère pas à des observations faites avec douceur, à moins qu’il ne dût en résulter un grave préjudice, comme cela arrive d’ordinaire lorsque le flux est abondant.

Ce qui vient d’être dit du temps des menstrues s’applique également au temps de la grossesse et du flux de l’enfantement. Voy. St Ligori, l. 6.

II. Ce n’est pas un péché mortel de demander le devoir conjugal pendant le temps de la grossesse, pourvu qu’il n’y ait pas danger d’avortement ; c’est l’opinion très ordinaire des théologiens, et c’est la conséquence de ce que nous avons dit au sujet de la demande du devoir ayant pour but d’éviter l’incontinence. Comme le fœtus humain se trouve tellement enveloppé dans la matrice que la semence de l’homme ne peut le toucher, on ne peut pas facilement présumer le danger d’avortement, et on ne doit pas tracasser les pénitents sur ce point par des interrogations importunes.

Sanchez, l. 9, disp. 22, no  6, et beaucoup de théologiens dont il cite l’autorité, enseignent qu’il n’y a même pas de péché véniel à demander le devoir pendant le temps de la grossesse, car autrement on devrait s’abstenir presque toujours de l’acte conjugal, et le mariage institué comme remède à la concupiscence serait plutôt propre à enflammer qu’à calmer les passions, et ne serait qu’un véritable piége. Cependant, St Ligori, l. 6, no  924, avec beaucoup d’autres, ont limité cette faculté au seul cas où il y a danger d’incontinence.

D’autres théologiens, en assez grand nombre, pensent que, même dans ce cas, la demande du devoir n’est pas exempte de péché véniel ; car, disent-ils, l’acte conjugal, quoique pratiqué pour éviter l’incontinence, est dépourvu de son but légitime : c’est l’opinion des pères et des Docteurs cités plus haut.

Quant à nous, nous ne tenterons pas de trancher le différend. Et, nous apitoyant sur le sort des personnes mariées, nous nous contenterons de dire qu’il faut les laisser dans leur bonne foi et ne pas les détourner de leurs habitudes, de crainte qu’ils ne retombent dans des fautes plus graves.

III. St Charles conseille aux personnes mariées de s’abstenir, d’un consentement mutuel, de l’acte conjugal, les jours de fêtes solennelles, les jours de dimanche, les jours de jeûne et les jours où ils ont reçu ou doivent recevoir la sainte Eucharistie : c’est conforme aux statuts de plusieurs rituels et, en particulier, de celui du Mans, p. 140. Plusieurs théologiens, cités par Sanchez et St Ligori, pensent que la demande du devoir pendant les jours dont nous venons de parler, et principalement celui où on doit recevoir la sainte Eucharistie, n’est pas exempte de péché mortel, à moins qu’elle ne soit excusée par des motifs raisonnables comme une tentation grave ; car le plaisir charnel distrait notablement l’âme des choses spirituelles dont on doit s’occuper dans ces jours-là. Cependant Benoît XIV, dans le synode diocésain, l. 5, chap. 1, no  8, dit que c’est seulement à titre de conseil, quoique autrefois l’Église l’eût prescrit sous les peines les plus graves.

Tous les théologiens disent avec St François de Sales, — introduction à la vie dévote, 2e partie, chap. 20, que la femme qui, le jour où elle a reçu ou doit recevoir la sainte Eucharistie, rend le devoir que demande son mari, ne commet pas de péché ; bien plus, qu’elle est tenue de le rendre si son époux ne veut pas céder à ses prières.

À cette occasion, les théologiens se demandent si celui qui a éprouvé la pollution pendant le sommeil peut recevoir la sainte Eucharistie. Ils répondent avec saint Grégoire le Grand, dans sa lettre au sublime Augustin, apôtre de la Grande-Bretagne, rapportée dans le Décret, part. 1re, dist. 6, chap. 1, en faisant la distinction suivante : Ou cette pollution provient d’un excès de force ou de la faiblesse, et, dans ce cas, il n’y a pas le moindre péché ; ou bien elle provient de certains excès dans l’usage des aliments, et c’est alors un péché véniel ; elle peut encore être le résultat des pensées qui l’ont précédée et elle peut, dans ce cas, constituer un péché morte. Dans le premier cas, on ne doit éprouver aucun scrupule ; dans le second, elle n’empêche pas de recevoir le sacrement ou de célébrer les saints mystères si on y est engagé par quelque motif d’excuse, comme la circonstance d’un jour de fête ou de dimanche ; mais dans le troisième, nous dit saint Augustin, on doit s’abstenir de participer ce jour-là au saint Mystère à cause d’une telle pollution. Cependant, si la pollution n’avait pas été mortelle dans sa cause, ou si le prêtre réellement repentant avait reçu l’absolution, il pourrait célébrer les saints Mystères s’il avait quelque raison pour le faire.

Tous les théologiens s’accordent à dire que celui qui, en se livrant à l’acte conjugal, désire qu’il ne naisse pas d’enfant de ses œuvres, commet un péché ; mais ce péché est seulement véniel, car suivant l’adage latin : Finis præcepti non cadit sub præcepto ; — la fin du précepte ne tombe pas sous le précepte. C’est l’opinion de Sanchez, 1. 9, disp. 8, no  10, et de beaucoup d’autres contre un petit nombre qui veulent que le péché soit mortel. Mais si on portait volontairement un obstacle quelconque à la conception, le péché serait mortel.


Article III. — De l’obligation de rendre le devoir conjugal.


Nous avons à parler :

1o De l’obligation de rendre le devoir conjugal ;

2o Des raisons qui dispensent de le rendre ;

3o De ceux qui pèchent mortellement en le rendant ;

4o De ceux qui commettent le péché d’Onan ;

5o De ceux qui pèchent véniellement en rendant le devoir.


§ I. — De l’obligation de rendre le devoir.


L’Écriture sainte et la raison imposent à chacun des époux la stricte obligation de rendre le devoir à l’autre lorsque la demande lui en est faite d’une manière expresse ou tacite :

1o L’Écriture sainte : 1re aux Corinth., 7. 3 : L’homme rendra le devoir à sa femme et la femme à son mari. Ne vous imposez pas l’un à l’autre des privations, à moins que ce ne soit d’un consentement mutuel, pour le temps de la prière. L’obligation de rendre le devoir résulte clairement de ces paroles.

2o La raison : Tout contrat implique l’obligation naturelle de se tenir dans les termes de la convention ; or, le but principal du mariage consiste dans l’abandon mutuel du corps, pour l’accomplissement, selon les règles, de l’acte conjugal ; donc, celui qui, sans motif légitime, refuserait de rendre le devoir conjugal, manquerait gravement à une convention solennellement faite, et confirmée par serment, et, par conséquent, il pècherait mortellement. C’est l’opinion de tous les théologiens.

D’où il résulte : 1o que c’est un péché mortel de refuser, même une fois, sans motif légitime, de rendre le devoir à l’époux qui le demande avec raison. et instance Mais si celui qui le demande acceptait facilement les motifs de refus et qu’il n’en résultat point de danger d’incontinence, il n’y aurait nul péché, ou, du moins, le péché ne serait pas mortel, à refuser une fois et même deux fois de se prêter aux désirs de son conjoint.

2o L’un des époux ne peut pas, lorsque l’autre s’y oppose, faire une longue absence, à moins d’absolue nécessité, car une pareille absence équivaudrait au refus de rendre le devoir et la justice en serait gravement blessée.


§ II. — Des raisons qui dispensent de rendre le devoir


De même qu’un motif légitime dispense quelquefois de la restitution, une raison légitime dispense aussi de rendre le devoir conjugal. On compte plusieurs de ces raisons savoir :

I. Si l’époux qui demande le devoir n’est pas en possession de lui-même, si, par exemple, il est dans la démence ou s’il est ivre, il n’y a pas d’obligation pour le conjoint de lui rendre le devoir, car ce serait céder à la demande d’une brute. Cependant si l’homme qui demande, étant dans cet état, est capable de consommer l’acte conjugal, la femme doit se rendre à ses désirs ; bien plus, elle est tenue de le faire si elle a des raisons de craindre qu’ayant repoussé son mari, celui-ci ne tombe dans l’incontinence, ne se livre à d’autres femmes, ou ne profère des blasphèmes ou des paroles déshonnêtes devant ses domestiques et ses enfants. Sanchez, l. 9, disp. 23, no  9, St Ligori, l. 6, no  948, etc., pensent ainsi lorsqu’ils disent que la femme, qui est dans un état de démence ou de fureur, ne peut ni demander ni rendre le devoir conjugal à cause du danger d’avortement.

II. Celui qui ne peut rendre le devoir sans grave danger pour sa santé en est dispensé ; car il est préférable d’exister et d’être bien portant que de rendre le devoir. Il faut en dire de même lorsqu’il y a grave danger de nuire à la propagation de l’espèce.

Par conséquent : 1o Il n’y a pas d’obligation de rendre le devoir à un mari atteint d’une maladie contagieuse comme une maladie vénérienne, la peste, la lèpre, etc. Cependant, Alexandre III dit qu’il faut rendre le devoir à un lépreux, mais Sanchez, l. 9, disp. 24, no  17, St Ligori, l. 6, no  930, et beaucoup d’autres qu’ils citent, enseignent que cela s’entend ainsi pour le cas où, en rendant le devoir, on ne se mettrait pas dans le danger de contracter la lèpre ; car il répugne qu’un époux soit tenu de s’exposer à un pareil danger. Mais les mêmes auteurs exceptent le cas où la lèpre aurait précédé le mariage et aurait été connue de l’autre époux cependant il faut supposer qu’il n’y a pas un danger trop grave, celui de la mort, par exemple.

Par conséquent, 2o l’époux malade, qui ne peut rendre le devoir sans grave préjudice, en est dispensé tant que dure la maladie : mais il n’est pas permis de le refuser à cause des inconvénients de la grossesse ou de l’éducation des enfants ou des difficultés ordinaires de l’enfantement, car ce sont là des accessoires du mariage.

III. L’époux n’est pas tenu de rendre le devoir à celui qui a perdu le droit de le demander en commettant un adultère ; car on ne doit plus fidélité à celui qui a violé ses promesses, mais s’il était lui-même coupable d’adultère, il ne pourrait pas refuser le devoir, car les injures se trouveraient compensées. Cela est vrai pour la femme à l’égard de son mari, mais à un degré moindre pour l’homme à l’égard de sa femme, car la femme adultère a commis un péché plus grave que l’homme, à cause du danger d’introduire des étrangers dans la famille ; le mari est donc plus autorisé que la femme à refuser le devoir conjugal pour le cas d’adultère.

Du reste, celui qui a pardonné l’adultère en rendant le devoir après qu’il a eu connaissance de l’infidélité de son conjoint, ne peut déjà plus refuser le devoir. Néanmoins l’adultère peut demander comme une faveur le devoir à son époux qui n’ignore pas l’infidélité commise, et s’il l’ignore il n’y a pas obligation de la lui faire connaître, car personne n’est tenu de s’infliger une grave punition.

IV. On n’est pas tenu de rendre le devoir à celui qui le demande trop fréquemment, plusieurs fois dans la même nuit, par exemple, car c’est contraire à la raison et cela pourrait devenir très dangereux. La femme doit cependant, autant que la chose est en son pouvoir, dit Sanchez, l. 9, disp. 2, no  12, se prêter aux besoins libidineux de son mari lorsqu’il éprouve de violents aiguillons de la chair : la charité l’oblige en effet à éloigner de lui, autant que possible, le danger d’incontinence.

V. La femme n’est pas tenue de rendre le devoir pendant le flux de ses menstrues ou celui qui accompagne ses couches, à moins qu’elle n’ait quelque motif de craindre que son mari tombe dans l’incontinence ; si cependant elle ne peut, par ses prières, le détourner de l’acte conjugal, elle doit rendre le devoir ; car il y a toujours à craindre le danger d’incontinence, les disputes ou autres désagréments. C’est l’opinion de St Bonaventure et de beaucoup d’autres que cite Sanchez, l. 9, disp. 21, no  16.

Les théologiens enseignent généralement qu’il est permis de demander et de rendre le devoir conjugal pendant le temps que la femme allaite, car l’expérience prouve que le lait est rarement corrompu par suite de cet acte. Sanchez, l. 9, disp. 22, no  14, et St Ligori, l. 6, no  911.

VI. Il n’est pas permis de refuser le devoir conjugal dans la crainte d’avoir un trop grand nombre d’enfants les époux chrétiens doivent se confier à Dieu qui donne la nourriture aux animaux et à leurs petits lorsqu’ils l’invoquent (Ps. 146, 9) ; en bénissant la fécondité, il bénit souvent aussi les biens temporels et spirituels en permettant que, parmi les enfants, il en naisse un qui apporte dans la maison des dots importantes et qui fasse le bonheur de toute la famille.

Cependant, pour le cas où les parents n’auraient pas les moyens de nourrir selon leur condition une famille trop nombreuse, Sanchez, l. 19, disp. 25, no  3, et plusieurs autres théologiens pensent qu’il serait permis de refuser le devoir, pourvu qu’il n’y eût pas danger d’incontinence : mais comme l’époux qui refuse le devoir ne peut presque jamais savoir si celui qui le demande n’est pas en danger d’incontinence, le confesseur doit rarement permettre de le refuser sous ce prétexte-là. Il doit toujours exiger que la continence résulte d’un consentement mutuel, et, nonobstant la résolution de rester dans une parfaite continence, chacun des époux doit être prêt à rendre le devoir à celui qui le demande.

VII. La femme qui, du consentement de son mari, prend un enfant étranger à nourrir, est dispensée de rendre le devoir pendant le temps qu’elle nourrit, car si le lait d’une femme enceinte ne nuit pas ordinairement à son propre enfant, il n’en est pas de même pour l’enfant d’un autre. Ceux qui donnent des enfants à nourrir se montrent souvent contrariés de l’événement, si la nourrice devient enceinte pendant l’allaitement du nourrisson.


§ III. ― De ceux qui pêchent mortellement en rendant le devoir conjugal


I. Si l’époux qui réclame de son conjoint le devoir commettait un péché mortel en le demandant au milieu de circonstances extraordinaires tenant à l’acte lui-même, par exemple, en le demandant dans un lieu public ou sacré, ou avec grave danger d’avortement, ou au détriment de sa propre santé ou de celle de son époux, ou au risque évident de répandre la semence hors du vase naturel, alors qu’il aurait pu pratiquer le coït d’une autre manière, il est certain que celui qui rendrait le devoir dans ces circonstances pècherait aussi mortellement ; car il participerait à ce crime et en revêtirait la malice.

II. Si l’homme était tellement décrépit ou débile qu’il ne pût pas accomplir l’acte charnel et qu’il n’eût pas espoir de l’accomplir, il pècherait mortellement en exigeant le devoir conjugal, car il ferait un acte contraire à la nature, et par la même raison, la femme pècherait mortellement en le demandant. Mais si l’homme accomplissait de temps en temps l’acte charnel, quoiqu’il lui arrivât souvent de ne pas pouvoir l’accomplir, la femme pourrait rendre le devoir et même serait tenue de le rendre, car dans le doute d’un bon résultat le mari ne pourrait pas se priver de son droit : le mari lui-même, dans ce cas, fait un acte licite en demandant le devoir lorsqu’il a quelque raison d’espérer qu’il arrivera à consommer l’acte charnel ; et s’il répand la semence hors du vase naturel, cet accident ne peut pas lui être imputé à péché. Mais il doit certainement s’abstenir lorsqu’il n’y a pas espoir d’arriver à l’accomplissement de cet acte. Voy. Sanchez, l. 19, disp. 17. no  24, St Ligori, l. 6, no  954, d. 2, et beaucoup d’autres théologiens dont ils rapportent l’autorité.

III. Les théologiens se demandent s’il est permis de rendre le devoir lorsque celui qui le réclame de son conjoint commet, par une circonstance à lui personnelle, un péché mortel en faisant sa demande, par exemple, s’il avait fait vœu de chasteté ou s’il voulait pratiquer l’acte charnel avec de mauvais desseins. Certains théologiens pensent que c’est un péché mortel de rendre le devoir conjugal dans un cas semblable, à moins de graves motifs d’excuse, soit parce que celui qui demande n’a, dans ce cas, aucun droit sur le corps de l’autre époux, soit parce qu’en raison du vœu qu’il a prononcé ou du but pervers qu’il s’est proposé, il ferait un acte mauvais en se livrant au coït ; l’autre époux ne peut donc pas participer à cet acte.

Beaucoup d’autres, au contraire, prétendent que l’autre époux, non-seulement peut, mais encore est tenu de rendre le devoir, parce que celui qui le demande n’a pas perdu son droit par le vœu ; il demande une chose illicite mais non pas injuste. Auriez-vous le droit de refuser à votre créancier le paiement d’une somme que vous lui devez parce qu’il aurait promis de ne pas vous la demander et qu’il l’exige contre sa promesse ? Non, certainement ; l’époux ne peut pas davantage, disent-ils, malgré le vœu prononcé par son conjoint et le péché mortel que commet celui-ci, refuser le devoir lorsqu’il le demande. Sanchez, l. 9 disp. 9, no  4, St Ligori, etc.

Il me paraît cependant hors de doute que l’époux auquel le devoir est demandé, doit avertir charitablement celui qui le demande et le détourner du péché, pourvu, dit St Ligori, qu’il puisse donner cet avertissement sans crainte de provoquer de graves querelles, une grande irritation, ou l’incontinence, car ces inconvénients sont très souvent à craindre : le précepte de la correction fraternelle n’oblige pas, en effet, lorsqu’il n’y a pas espoir d’amendement.

Tous les théologiens s’accordent à dire que l’époux, qui n’est pas lié par un vœu, peut demander le devoir, et il y en a un grand nombre qui lui conseillent de le demander quand il prévoit que son époux est dans l’intention de se livrer au coït afin de lui éviter ainsi de commettre un péché.

IV. Il résulte de ce que nous avons dit que l’époux, qui a eu un commerce incestueux avec une personne parente de son conjoint au premier ou au second degré de consanguinité, a perdu son droit de demander le devoir conjugal. Si malgré cela il vient à le demander, son époux est-il tenu de le rendre ?

Il est certain que la partie innocente peut demander et que l’autre est tenu de rendre le devoir : aussi plusieurs théologiens, dans ce cas comme dans le précédent, conseillent à celui qui est innocent de | faire la demande du coït afin d’éviter à son conjoint de tomber dans le péché.

Beaucoup de théologiens, dont Sanchez rapporte les décisions, l. 9, disp. 6, no  11, assurent que celui qui est innocent pèche mortellement s’il rend le devoir à celui qui le demande, car il se rend à une demande mortellement mauvaise, et il en revêt toute la malice. Cependant, Sanchez, St Ligori et nombre d’autres théologiens enseignent plus généralement, et d’une manière plus probable, qu’il n’y a pas de péché à rendre le devoir lorsqu’il est imprudent de détourner du péché celui qui demande ; car en se livrant à l’acte conjugal, l’époux innocent fait une chose bonne en soi, à laquelle il a droit, et dont le crime d’un autre ne saurait le priver ; ainsi, qu’il demande ou qu’il rende le devoir, il ne fait qu’user de son droit ; il ne commet donc pas de péché, surtout s’il devait résulter quelque désagrément de son refus sans pouvoir empêcher un autre de commettre le péché.


§ IV. — De ceux qui commettent le péché d’Onan


Ce péché a lieu lorsque l’homme retire son membre après l’avoir fait pénétrer dans la matrice afin de répandre sa semence hors du vase naturel de la femme dans le but d’empêcher la génération. Il tire son nom d’Onan, second fils du patriarche Judas, qui fut forcé d’épouser Thamar, veuve de son frère Her, mort sans postérité, afin de perpétuer la race de son frère : Onan sachant que les enfants qui naîtraient de la femme de son frère ne seraient pas considérés comme étant les siens, répandait la semence par terre pour ne pas donner naissance à des enfants qui porteraient le nom de son frère. (Gen. 38, 9). Rien n’est aujourd’hui plus fréquent que cette détestable coutume entre les jeunes mariés qui, n’étant pas retenus par la crainte de Dieu, foulent aux pieds ce précepte de l’apôtre : Union honorable entre toutes, et couche immaculée (Hebr., 13, 4) et vivent comme des chevaux et des mulets qui n’ont pas d’intelligence (Ps. 31, 9). Recherchant uniquement les plaisirs dans le mariage, ils en évitent les charges, ne veulent pas avoir d’enfants ou les avoir en nombre déterminé, et cependant se livrent à la passion honteusement et sans frein, appliquant leur adresse à éviter les effets du coït.

Il est certain 1o que l’homme qui agit ainsi, quelle que soit la raison de sa conduite, pèche mortellement, à moins que sa bonne foi ne l’excuse ; il ne peut être absous à moins qu’il ne se repente de sa faute et qu’il ne prenne la ferme résolution de ne plus tomber dans le péché : car il est évident qu’il a commis une énormité contre le but du mariage ; c’est pourquoi Dieu l’a frappé (Onan) parce qu’il avait commis une action détestable.

Il est certain 2o par la même raison, que la femme qui engage le mari à agir ainsi ou qui consent à cette action détestable, ou, à plus forte raison, qui se retire contre le gré de son mari avant que l’écoulement de la semence ait eu lieu, commet un péché mortel et est tout à fait indigne de l’absolution. Les femmes, très souvent, empêchent l’homme d’accomplir l’acte conjugal ou du moins consentent librement à cette mauvaise action.

Il est certain 3o que la femme, ordinairement du moins, est tenue d’avertir son mari, et de le détourner, selon son pouvoir, de cette action perverse ; la charité l’y oblige.

Il est certain 4° que la femme peut et doit rendre le devoir si, averti par elle, le mari promet d’accomplir l’acte et qu’il l’accomplisse quelquefois au moins ; car sur le doute de l’abus qu’il peut faire de son droit, elle ne peut pas le lui refuser mais elle doit désapprouver son mari lorsqu’il retire son membre viril, sans quoi elle commettrait un péché mortel.

La difficulté consiste donc maintenant à savoir si, en sûreté de conscience, elle peut rendre le devoir lorsqu’elle sait, d’une manière certaine, que son mari se retirera et que, par ses prières, elle ne peut pas le détourner de sa résolution.

Beaucoup de théologiens prétendent que, dans ce cas, la femme doit se refuser à rendre le devoir, même pour éviter la mort dont elle serait menacée :

1o Parce que le mari, en retirant son membre, commet une action essentiellement mauvaise, et que la femme participerait à sa malice en se rendant à sa demande ;

2o Parce que l’homme, dans l’hypothèse, ne demande pas l’acte conjugal, mais seulement la faculté d’introduire le membre viril dans les parties sexuelles de la femme pour s’exciter à la pollution ;

3o Parce que si le mari exigeait que sa femme participe à l’acte sodomique, celle-ci ne pourrait y consentir pour aucun motif, même pour éviter la mort : or, dans le cas supposé, la demande du mari se réduit à l’acte sodomique puisque le parfait accomplissement de l’acte conjugal en est exclu. Voy. Habert, t. 7, p. 745, Collator, de Paris, t. 4, p. 348, plusieurs docteurs de la sorbonne cités par Collet, t. 16, p. 244 ; Collator Andeg., sur les États, t. 3, dernière partie, Bailly, etc.

Beaucoup d’autres enseignent que la femme qui acquiesce à la demande de son mari et qui se prête à l’acte conjugal dans la position ordinaire est exempte de tout péché, si elle désapprouve entièrement la conduite de son mari, car elle fait une chose licite et use d’un droit qui lui appartient et dont la malice de son mari ne peut nullement la priver : car elle ne fait rien qu’elle ne puisse faire d’une manière licite comme femme mariée : Le mari qui l’approche et qui introduit son membre dans ses parties sexuelles ne pèche pas en cela, mais bien en le retirant et en répandant sa semence au dehors ; donc, si la femme désapprouve entièrement cette dernière partie de l’acte de son mari, elle ne participe nullement à son péché, Voy. Sanchez, 1. 9, disp. 17, no  3, Pontius, l. 10, chap. 11, no  3, Tamburinus, l. 7, chap. 3, § 5, no  4, Sporer, p. 356, no  490, Pontas, mot Devoir conjugal, cas 55, St Ligori, l. 6, no  947.

Roncaglius et Elbel, que cite St Ligori, id., permettent même à l’épouse de rendre le devoir à son mari lorsqu’il a manifesté l’intention de retirer son membre avant le parfait accomplissement de l’acte charnel, pourvu qu’elle ne participe pas à son péché en y donnant son consentement, mais ils exigent, pour l’excuser, qu’elle ait agi pour de graves motifs.

Cette décision nous paraît la seule admissible ; car nous sommes fermement convaincu que la conduite de la femme n’est nullement répréhensible, dans ce cas ; par conséquent nous croyons que la décision d’Habert et des autres théologiens qui pensent comme lui est trop sévère et n’est nullement fondée. La femme peut donc, lorsqu’elle a des raisons suffisantes, se prêter passivement aux désirs de son mari ; mais la raison d’excuse doit être en rapport avec la malice du péché et l’efficacité de la coopération ; car on ne saurait nier que la femme, dans ce cas, coopère directement au péché de son mari ; c’est pour cela qu’on exige un grave motif d’excuse. C’est aujourd’hui le sentiment ordinaire des confesseurs doctes et pieux, sentiment qui a été partagé par la sacrée congrégation de la Pénitence lorsqu’elle a été interrogée de la manière suivante :

Une épouse pieuse peut-elle permettre à son mari de l’approcher lorsque l’expérience lui a prouvé qu’il pratique le coït suivant l’abominable coutume d’Onan… particulièrement si, en refusant de pratiquer le coït, elle s’expose à des violences de la part du mari ou si elle a à craindre que celui-ci s’adresse à des courtisanes ? La congrégation de la Pénitence a répondu le 23 avril 1822 :

Comme dans le cas proposé la femme ne fait, de son côté, rien de contraire à la nature, qu’elle se prête à un acte licite, que tout ce qu’il y a d’irrégulier dans cet acte doit être attribué à la malice du mari, qui, au lieu de consommer l’acte conjugal, retire le membre et répand sa semence hors des parties sexuelles de sa femme, celle-ci peut sans pécher, comme l’enseignent des théologiens très estimés se prêter passivement aux désirs de son mari, si les avertissements qu’elle est dans l’obligation de lui donner sont demeurés sans résultat, si le mari insiste et menace sa femme de coups, de la mort, ou d’autres violences graves, car dans ces circonstances elle tolère simplement le péché de son mari, et elle a, pour agir ainsi, de graves motifs d’excuse, puisque la charité qui lui commande de s’opposer à une pareille conduite de la part de son mari ne l’oblige pas en présence de pareils inconvénients.

Donc la femme ne pèche pas, dans ces circonstances, en rendant le devoir, pourvu qu’elle soit excusée par de graves raisons : or les raisons sont réputées graves ;

1o Lorsqu’elle a à craindre la mort, des coups ou des injures graves : la réponse de la sacrée congrégation de la Pénitence, et la raison indiquent clairement qu’il doit en être ainsi.

2o Lorsque la femme a lieu de craindre que son mari n’introduise une concubine sous le toit conjugal et ne vive maritalement avec elle, car il n’y a pas de femme sensée qui ne préfère supporter les coups que d’assister, dans sa propre maison, à un commerce aussi injurieux pour elle.

3o Le mari n’entretiendrait-il pas sa concubine sous le toit conjugal, s’il était à craindre qu’il n’entretint ailleurs des relations avec elle, ou qu’il ne fréquentât des courtisanes, il nous paraît que la femme aurait des motifs d’excuse légitime, quoique la sacrée congrégation de la Pénitence n’ait pas répondu sur ce point ; car une pareille conduite de la part du mari lui occasionnerait de graves désagréments tels que disputes, dissensions, dissipation du bien commun, scandale, etc.

4o Il faut remarquer, cependant, que la gravité de ces désagréments se juge selon les circonstances de personnes.

Ce qui est réputé léger à l’égard de l’un peut être très grave à l’égard de l’autre : ainsi les rixes passagères, les dissensions, et même certains coups, ont peu d’importance chez les paysans, mais ils seraient intolérables pour une femme timide, possédant une instruction soignée et accoutumée aux bonnes manières.

Or, la crainte de graves disputes serait, dans ces circonstances, un motif suffisant de rendre le devoir, de pratiquer le coït.

5o La femme peut également rendre le devoir conjugal quand elle sait, d’une manière certaine, que son mari, irrité par son refus, blasphèmera contre Dieu et contre la religion, qu’il proférera des injures contre son confesseur et les prêtres en général, et qu’il prononcera des paroles scandaleuses devant ses domestiques et ses enfants ; car en voulant prévenir un péché elle serait cause qu’il en serait commis d’autres aussi graves ou même plus graves : elle n’aboutirait donc à aucun résultat favorable, par sa résistance, et elle s’attirerait inutilement de graves désagréments.

6o La crainte du divorce, de la séparation, de la honte ou d’un scandale grave serait, à plus forte raison, une raison suffisante.

7o Il n’est pas nécessaire que la femme persiste dans son refus de se prêter au coït jusqu’à ce qu’elle ait éprouvé les violences, les injures et les autres désagréments dont nous avons parlé plus haut ; car il lui arriverait souvent, dans ce cas, de ne pas parvenir à détourner le mal déjà fait, en rendant ou offrant le devoir conjugal, et, d’ailleurs, elle n’est pas tenue de subir ces mauvais traitements pour empêcher son mari de commettre un péché il suffit donc que les craintes ne soient pas dépourvues de fondement.

8o La femme n’est pas davantage tenue d’avertir son mari chaque fois qu’il demande le devoir avec l’intention de retirer son membre avant l’accomplissement de l’acte charnel, lorsqu’elle sait par expérience qu’elle n’obtientra pas satisfaction. Elle doit cependant, du moins quelquefois, montrer qu’elle ne donne pas son consentement au crime de son mari. Elle doit, du reste, prendre soigneusement garde de ne pas y donner un consentement tacite, par crainte d’avoir des enfants, ou pour tout autre motif. Elle doit être dans la disposition de mourir plutôt que de s’opposer à la génération lorsque c’est de sa volonté que dépend le fait de l’éjaculation.

Dans tout ces cas, il est permis à la femme tout ce qui lui serait permis si le mari accomplissait l’acte conjugal selon les règles.

Nos principes exposés plus haut sont maintenant admis d’une manière générale. Néanmoins il y a encore beaucoup de questions inquiétantes que nous avons exposées au souverain Pontife, dans l’année qui vient de s’écouler, de la manière suivante :


Bienheureux Père,

L’évêque du Mans, prosterné aux pieds de Votre Sainteté, vous expose humblement ce qui suit :

On ne trouve presque pas de jeunes époux qui veuillent avoir une trop nombreuse famille, et ils ne peuvent cependant pas, raisonnablement, s’abstenir de l’acte conjugal.

Ils se sentent ordinairement très offensés lorsque leurs confesseurs les interrogent sur la manière dont ils usent des droits matrimoniaux ; on n’obtient pas, par les avertissements, qu’ils se modèrent dans l’exercice de l’acte conjugal, et ils ne peuvent se déterminer à trop augmenter le nombre de leurs enfants.

Aux murmures de leurs confesseurs, ils opposent l’abandon des sacrements de pénitence et de l’Eucharistie, donnant ainsi de mauvais exemples à leurs enfants, à leurs domestiques et aux autres chrétiens ; la religion en éprouve un préjudice considérable.

Le nombre des personnes qui s’approchent du tribunal diminue d’année en année, dans beaucoup d’endroits, et c’est surtout pour cette raison-là, de l’aveu d’un grand nombre de curés qui se distinguent par leur piété, leur science et leur expérience.

Quelle était donc la conduite des confesseurs d’autrefois ? disent beaucoup de personnes. Chaque mariage ne produisait pas, généralement, un plus grand nombre d’enfants qu’il n’en produit aujourd’hui. Les époux n’étaient pas plus chastes et néanmoins ils ne manquaient pas au précepte de la confession pascale.

Tout le monde reconnaît que l’infidélité d’un époux à l’égard de l’autre et les projets d’avortement sont de très graves péchés. Or c’est à peine si on peut persuader à quelques personnes qu’elles sont tenues, sous peine de péché mortel, de rester parfaitement chastes dans le mariage, ou de courir le risque d’engendrer un grand nombre d’enfants.

Le susdit évêque du Mans, prévoyant les grands maux qui peuvent résulter d’une semblable manière d’agir, sollicite, dans sa douleur, de votre Béatitude, une réponse aux questions suivantes :

1o Les époux qui usent du mariage de manière à empêcher la conception commettent-ils un acte en soi mortel ?

2o Cet acte étant considéré comme mortel en soi, peut-on considérer les époux qui ne s’en accusent pas comme étant dans une bonne foi qui les excuse d’une grave faute ?

3o Doit-on approuver la conduite des confesseurs qui, pour ne pas blesser les personnes mariées, s’abstiennent de les interroger sur la manière dont ils usent du mariage ?


RÉPONSE


La sacrée congrégation de la Pénitence, après avoir mûrement examiné les questions qui lui sont posées, répond à la première :

Lorsque tout ce qu’il y a de contraire aux règles, dans l’acte conjugal, provient de la malice du mari qui, au lieu de consommer cet acte, retire son membre et répand sa semence hors du vase naturel, la femme peut, si après les avertissements qu’elle est tenue de donner et qui demeurent sans résultat, son mari insiste en la menaçant de coups et de la mort, se prêter passivement et sans pécher (comme l’enseignent les théologiens dont les décisions font autorité) à la condition que, dans ces circonstances, elle permettra simplement le péché de son mari, et cela par un grave motif d’excuse, car la charité qui lui commande de s’opposer à la conduite de son mari, n’oblige pas lorsqu’il doit en résulter de semblables inconvénients.

La sacrée congrégation répond à la 2me et à la 3me question que le susdit confesseur se rappelle cet adage : — On doit traiter saintement les choses saintes — qu’il pèse bien ce que dit St Alphonse de Ligori, cet homme savant et très expert dans la matière, dans sa pratique des confesseurs, § 4, no  7 :

Le confesseur n’est pas tenu, ordinairement, de parler des péchés que les époux commettent relativement au devoir conjugal, et il n’est pas convenable de poser des questions sur cette matière, si ce n’est à la femme, pour lui demander, le plus modérément possible, si elle a rendu le devoir……… Il doit garder le silence sur tout le reste, à moins qu’on ne lui pose des questions ; — qu’il ne manque d’ailleurs pas de consulter les autres auteurs approuvés.

Donné à Rome, le 8 Juin 1842.

On trouve les paroles de St Ligori ci-dessus rapportées à la onzième édition in-4o, au § indiqué, mais sous le no 41.

Il faut remarquer que la sacrée congrégation de la Pénitence, 1osuppose que l’action du mari qui abuse du mariage est mortellement mauvaise ; 2o reconnaît que la pratique que conseille St Alphonse de Ligori est très prudente, et que les confesseurs peuvent la suivre en toute sûreté.

Les confesseurs, les jeunes prêtres surtout, doivent prudemment s’abstenir de questions indiscrètes qui mettent les personnes mariées dans de grands embarras ; ils doivent agir et parler avec une extrême précaution, sans cependant blesser la vérité dans leurs réponses, et s’abstenir de donner à tort l’absolution, lorsqu’ils sont persuadés que leurs pénitents sont dans le cas de péché mortel ; mais il ne faut pas qu’ils décident sans réflexion qu’il manque à leurs pénitents cette bonne foi qui excuse de péché mortel. Néanmoins, on doit s’appliquer à amener les époux à vivre saintement dans le mariage.

L’épouse doit, par tous les moyens en son pouvoir, les caresses, toute espèce de marques d’amour, les prières et les exhortations, amener son mari à accomplir l’acte conjugal selon les règles, ou le décider à s’en abstenir complètement et à vivre d’une manière chrétienne : l’expérience prouve que plusieurs femmes sont parvenues à vaincre la résistance de leurs maris en s’attachant ainsi à gagner leurs bonnes grâces.

On demande : 1o Si l’épouse peut demander le devoir à son mari lorsqu’elle sait qu’il en abusera.

R. Plusieurs théologiens affirment que la femme peut demander le devoir conjugal et ne fait qu’user de son droit. C’est l’opinion de Pontius, de Tamburinus, de Sporer, etc. Mais d’autres, avec plus de raison, comme cela résulte de ce que nous avons dit, exigent une raison qui lui permette de demander le devoir d’une manière licite, car sans cela elle donnerait à son mari une occasion prochaine de péché ; mais c’est à peine si cette raison peut se présenter, alors qu’elle peut trouver d’autres moyens de surmonter les tentations. Mais étant posée une cause grave de fait, par exemple, la difficulté de surmonter la tentation, elle ne pècherait nullement ; car il est permis de demander, avec des intentions droites et pour de graves raisons, une chose bonne en soi, à celui qui peut l’accorder sans commettre de péché, quoique l’abus qu’il en fait l’empêche de le faire sans péché ; c’est ainsi que pour des motifs graves, pour des raisons suffisantes, on peut demander à un prêtre indigne l’administration d’un sacrement, de l’argent à un usurier, le serment à un païen, etc.

On demande : 2o Si le mari peut répandre la semence hors du vase de la femme, lorsque les médecins ont déclaré que la femme ne peut pas enfanter sans un danger de mort évident.

Nous répondons négativement avec tous les théologiens, parce que l’éjaculation hors des parties sexuelles de la femme est une action contre nature et détestable. Il faut accomplir l’acte, si le danger de mort n’est pas très probable, ou il faut s’en abstenir complètement, si le danger est moralement certain. Dans ce cas, les époux n’ont pas d’autre moyen de salut que la continence. Leur condition est déplorable, mais on ne saurait la changer. Alors, ces malheureux époux doivent s’abstenir de coucher dans le même lit, afin de rester plus facilement dans la continence et de vivre saintement.

Il est à remarquer que les fornicateurs et les adultères ne peuvent pas s’opposer à la génération en répandant la semence hors du vase naturel, parce que cette circonstance est contre nature : il est donc nécessaire de la déclarer en confession.


§ V. — De ceux qui pèchent véniellement en rendant le devoir


1o Lorsque celui des époux qui a demandé le devoir commet un péché véniel en se livrant à l’acte conjugal, par exemple, lorsqu’il l’a demandé en vue seulement du plaisir vénérien, il paraît y avoir certain péché à le rendre, pour le conjoint, lorsqu’il n’existe pas de motif d’excuse, car on fournit ainsi matière à péché véniel. Mais lorsque la demande est formelle, celui qui rend le devoir est suffisamment excusé ; car il doit craindre, en refusant, d’exciter des rixes, des haines, des scandales et de donner naissance au danger de plus graves péchés.

2o Mais si l’acte conjugal est véniellement mauvais comme acte, par exemple, lorsque celui qui le demande, quoique voulant l’accomplir dans le vase naturel, commet un péché véniel parce qu’il veut le faire d’une manière obscène et dans une position insolite ou à l’époque des menstrues ou de la grossesse ; le devoir, dans ce cas, ne doit pas être rendu sans motifs, à cause de l’indécence qui en résulterait. Mais si le refus faisait craindre quelque désagrément, ce serait une raison suffisante pour le rendre. Voy. Sanchez, l. 9, disp. 6, no  6, St  Ligori, l. 6, no  946, et les nombreux théologiens dont ils rapportent les décisions, en cela contraires à un certain nombre d’autres qui contestent que l’indécence d’un acte véniellement mauvais puisse disparaître devant une raison quelconque : La nécessité, par exemple, disent-ils, ne peut rendre le mensonge licite. Mais les deux cas sont différents : Le mensonge est mauvais de sa nature, et il n’en est pas ainsi de la demande du devoir, dans le cas supposé ; les circonstances du fait ne peuvent changer sa nature ; donc celui qui rend le devoir ne commet pas une action mauvaise. Aussi, il me paraît très probable que celui qui rend le devoir, dans ces circonstances, est exempt de toute faute.

On demande : 1o Si une femme qui n’a encore mis au monde que des enfants morts peut, néanmoins, demander ou rendre le devoir.

R. Sanchez, l. 7, disp. 102, no  8, St Ligori, l. 6, no  953, et beaucoup d’autres disent que cette femme ne pèche ni en rendant ni en demandant le devoir ; car : 1o elle fait une chose en soi licite et à laquelle elle a droit, tandis que la mort du fœtus est le résultat d’un accident et ne peut lui être imputée ; 2o il est préférable de faire naître un homme avec un péché originel que de le laisser dans le néant, comme Sanchez s’efforce de le prouver longuement dans ses savantes dissertations ; 3o il arrive quelquefois qu’une femme accouche heureusement après un grand nombre d’avortements.

Mais Sylvius, t. 4, p. 718, Billuart, t. 19, p. 396, Bailly, etc., prétendent que la femme ne peut ni demander ni rendre le devoir, lorsqu’il est moralement certain que l’enfant ne peut pas naître vivant ; car, dans ce cas, on ne peut arriver au but légitime et proprement dit du mariage ; cette opinion, ainsi restreinte, nous paraît la plus probable et la seule admissible. Cependant, les auteurs que nous venons de citer ne disent pas que le péché soit mortel, dans ce cas, et nous n’osons pas l’affirmer.

On demande : 2o Si la femme qui, de l’avis des médecins, ne peut pas accoucher sans un danger de mort évident, est tenue de rendre le devoir à son mari lorsqu’il le demande avec instance.

R. Nous avons déjà prouvé que le mari, dans ce cas, ne peut demander le devoir pour quelque motif que ce soit ; la femme ne peut donc pas davantage le rendre, car elle ne peut pas disposer de sa vie. Mais le péché n’est mortel que si le danger est manifeste.