Traduction par Victorine de Chastenay.
Maradan (6p. 161-164).

CHAPITRE IX.

Le jour suivant, l’arrivée de ses amis ranima la triste Emilie. La Vallée fut encore une fois l’asyle d’une société douce et d’une aimable hospitalité. Son indisposition, l’effroi qu’elle avoit eu, ôtoient à Blanche quelque chose de sa vivacité ; mais elle conservoit une simplicité touchante, et quoiqu’un peu changée, elle n’en étoit pas moins charmante. La malheureuse aventure des Pyrénées donnoit au comte un extrême empressement de se retrouver chez lui. Après une semaine de séjour, Emilie se prépara à les suivre en Languedoc, et confia à Thérèse le soin de sa maison en son absence. La veille de son départ, cette vieille gouvernante lui rapporta encore l’anneau de Valancourt, et la conjura avec larmes de le recevoir. Elle n’avoit pas revu M. de Valancourt ; elle n’avoit pas entendu parler, de lui depuis le jour qu’il le lui avoit confié. En prononçant ces mots, sa physionomie annonçoit plus d’inquiétude qu’elle n’osoit en manifester. Emilie retint la sienne ; et pensant que sans doute il étoit retourné chez son frère, elle persista à refuser l’anneau, et recommanda à Thérèse de le bien garder jusqu’à ce qu’elle revît Valancourt.

Le jour suivant, le comte, Emilie et la jeune Blanche, partirent de la Vallée, et arrivèrent le lendemain au château de Blangy. La comtesse, Henri et M. Dupont, qu’Emilie fut surprise d’y trouver, les reçurent avec beaucoup de joie. Emilie fut affligée de voir que le comte entretenoit encore les espérances de son ami ; tout annonçoit que ses sentimens n’avoient rien souffert de l’absence. Le soir du second jour, le comte la prit à part, et revint sur les offres de M. Dupont. Son extrême douceur en l’écoutant, le trompa sur l’état de son cœur ; il crut que Valancourt étoit presqu’oublié, et que Dupont alloit trouver des dispositions favorables. Quand sa réponse l’eut convaincu de son erreur, son zèle pour assurer le bonheur de deux personnes qu’il estimait, le porta à lui représenter que, par une affection mal placée, elle empoisonnoit les plus beaux jours de sa vie.

Voyant son silence et l’abattement de sa physionomie, le comte finit en lui disant : — Je n’irai pas plus loin, mais je crois encore, mademoiselle, que vous ne rejetterez pas toujours un homme aussi estimable que M. Dupont.

Il lui épargna la peine de répondre, et s’éloigna d’elle aussitôt. Emilie continua de se promener dans une disposition pénible, s’affligeant de ce que le comte ne se désistoit point d’un projet qu’elle avoit toujours rejeté. Elle se perdit au milieu de ses tristes réflexions, et se trouva insensiblement près des bois qui entouroient le couvent de Sainte-Claire. S’apercevant alors combien elle s’étoit écartée, elle résolut de prolonger un peu plus loin sa promenade, et d’aller s’informer de l’abbesse et des religieuses ses amies.

Emilie, introduite dans un parloir, y resta seule pendant quelque temps ; et frappée du silence qui y régnoit, elle supposa que toutes les religieuses étoient à l’église. Enfin une religieuse entra avec un air empressé, cherchant l’abbesse, et ne remarquant point Emilie. Celle-ci se fit connoître, et apprit qu’on alloit faire une prière pour l’âme de sœur Agnès. Elle avoit langui fort long-temps, et dans ce moment on la croyoit mourante.

La sœur lui détailla les souffrances de sœur Agnès et les horribles convulsions qu’elle avoit eues. Elle étoit retombée dans un état de désespoir si profond, que ni ses propres prières, auxquelles la communauté se joignoit, ni l’assurance que lui donnoit son confesseur, ne pouvoient la calmer ni lui donner un seul instant de consolation.

Emilie écoutoit ce récit avec un extrême intérêt ; elle se rappeloit l’espèce d’égarement et l’expression sinistre qu’elle avoit souvent remarqués sur la figure d’Agnès : elle se rappeloit aussi l’histoire que sœur Françoise lui avoit racontée, et sa pitié en devenoit plus vive. Il étoit tard, Emilie ne put ni la voir ni se joindre aux prières des religieuses ; elle chargea la sœur de complimens pour ses amies, et retourna au château en suivant les rochers, et en rêvant tristement à ce qu’elle venoit d’apprendre.