Traduction par Victorine de Chastenay.
Maradan (4p. 138-153).

CHAPITRE VI.

Quand le lendemain matin Emilie ouvrit sa fenêtre, elle fut surprise en contemplant toutes les beautés qui l’entouroient. La chaumière étoit ombragée de bois ; c’étoient surtout des châtaigniers, entremêlés de cyprès, de mélèzes et de sycomores. Sous leurs rameaux épais et étendus, se découvroient, au nord et à l’orient, les Apennins couverts de bois, qui s’élevoient en amphithéâtre avec une extrême majesté ; De noires forêts de sapins ne les encombroient pas de ce côté comme des autres. Leurs sommets les plus hauts étoient couronnés de châtaigniers, de chênes antiques et de platanes d’Orient, que décoroient alors les teintes variées dont l’automne enrichit le feuillage. Des vignobles s’étendoient le long de ces montagnes. Les élégantes maisons de la noblesse toscane ornoient les détails de la scène ; et bornoient des coteaux chargés d’oliviers, de mûriers et d’orangers. La plaine se coloroit des richesses de la culture ; les grappes purpurines pendoient en magnifiques festons des branches du figuier, du cerisier et des autres arbres. Des prairies, dont en Italie il étoit rare de rencontrer la fraîche verdure, embellissoient les bords d’un ruisseau qui descendoit des montagnes, serpentoit au milieu du paysage, en réfléchissoit les beautés, et se perdoit dans la mer. À l’occident, et à une grande distance, les eaux et le ciel, en s’unissant, prenoient une légère teinte de pourpre, et leur séparation ne pouvoit guère se discerner que par les mouvemens des voiles blanches éclairées par le soleil aux extrémités de l’horizon.

La chaumière étoit préservée par les bois, des plus forts rayons du soleil ; elle ne s’ouvroit qu’au couchant. Ses murs étoient couverts de vignes, de figuiers et de jasmins, et jamais Emilie n’avoit trouvé des fleurs, ni si grandes, ni si parfumées. Des raisins mûrs pendoient autour de sa petite fenêtre ; le gazon, sous les arbres, étoit émaillé de fleurs et d’herbes odorantes. À l’autre bord du petit ruisseau, dont le courant rafraîchissoit le bocage, s’élevoit un bosquet de citronniers et d’orangers ; ce bosquet, presqu’en face de la fenêtre d’Emilie, augmentoit les charmes de la vue. Le sombre de la verdure ajoutait aux effets de la perspective. C’étoit pour Emilie un bosquet enchanté, dont les charmes, successivement, communiquèrent à son esprit quelque chose de leur douceur.

Elle fut appelée à l’heure du déjeûner par la fille du paysan : c’étoit une jeune personne d’environ dix-sept ans, et d’un extérieur agréable. Emilie vit avec plaisir qu’elle sembloit animée des plus pures affections de la nature ; tous ceux qui l’entouroient annonçoient plus ou moins de mauvaises dispositions : cruauté, férocité, finesse, duplicité ; ce dernier caractère distinguoit spécialement les traits du paysan et de sa femme. Maddelina parloit peu ; mais ce qu’elle disoit étoit dit d’une voix douce, accompagné d’un air modeste et complaisant, qui intéressoit Emilie. On la fit déjeûner à part avec Dorine, tandis qu’Ugo, Bertrand et leur hôte, prenoient devant la porte un repas de jambon et de vins de Toscane. À peine fut-il fini, que Ugo, se levant à la hâte, alla chercher sa mule. Emilie sut alors qu’il alloit retourner à Udolphe, et que Bertrand resterait à la chaumière. Cette circonstance ne la surprit pas, mais l’affligea.

Quand Ugo fut parti, Emilie proposa une promenade dans les bois. On lui apprit qu’elle ne pourroit sortir sans être accompagnée de Bertrand. Elle aima mieux se retirer dans sa chambre. Ses regards se reposèrent sur la pente des Apennins. Elle se rappela les scènes épouvantables que leurs gorges étroites lui avoient présentées, et les horreurs que la veille elle avoit souffertes, à ce moment surtout où Bertrand s’étoit fait connoître pour un détestable assassin.

Préférant la solitude à la société des gens de la maison, Emilie dîna dans sa chambre, et Maddelina eut la permission de la servir. Sa conversation simple apprit à Emilie que le paysan et sa femme étoient depuis long-temps habitans de la chaumière ; qu’elle étoit un présent de Montoni, et la récompense d’un service que lui avoit rendu Marco, parent très-proche du vieux Carlo, son intendant. — Il y a tant d’années, signora, dit Maddelina, que j’en sais très-peu de chose ; mais mon père, sans doute, fit un grand bien au signor, puisque ma mère a dit souvent que cette chaumière étoit le moins qu’on pût lui donner.

Emilie écoutoit ce détail avec un pénible intérêt. Il donnoit une couleur effroyable au caractère de ce Marco. Un service que Montoni récompensoit ainsi, ne pouvoit guère être que criminel. Elle croyoit donc de plus en plus qu’elle n’étoit remise en de telles mains que pour un coup désespéré. — Savez-vous combien il y a de temps, dit Emilie, qui songeoit à celui où la signora Laurentini avoit disparu d’Udolphe ; savez-vous combien il y a de temps que votre père a rendu au signor le service dont vous me parlez ?

— Ce fut un peu avant d’habiter cette chaumière, répondit Maddelina ; il y a environ dix-huit ans.

C’étoit à peu près le temps où l’on disoit que la signora Laurentini avoit disparu. Il vint à l’esprit d’Emilie que Marco avoit pu servir dans cette mystérieuse affaire, et peut-être avoit pu seconder un meurtre. Cette horrible pensée la plongea dans une telle rêverie, que Maddelina s’éloigna sans qu’elle s’en aperçût, et elle resta longtemps étrangère à ce qui l’entouroit. Les pleurs enfin arrivèrent à son secours ; ses esprits se calmèrent. Elle cessa de trembler a la vue des malheurs qui pouvoient bien ne pas tomber sur elle, et prit assez de résolution pour détourner sa pensée de dessus ses propres intérêts. Elle se souvint des livres que, dans son départ précipité, elle avoit pourtant mis dans son petit paquet. Elle en prit un, et se plaça auprès de sa délicieuse fenêtre. Ses regards, bien souvent, alloient du livre au paysage ; la nature enchanteresse calmoit peu à peu sa douleur, et ne lui laissoit qu’une douce mélancolie.

Elle resta seule jusqu’au soir ; elle vit le soleil descendre à l’occident, dorer la cime des montagnes, et prolonger leur ombre dans la plaine ; elle le vit étinceler sur les voiles flottantes, et se plonger au fond des flots. Au moment du crépuscule, sa rêverie plus douce la reporta vers Valancourt. Elle réunit les circonstances qui se lioient à la musique nocturne, et tout ce qui appuyoit ses conjectures sur son emprisonnement au château. Confirmée dans l’idée qu’elle avoit entendu sa voix, elle se remit à songer à ce triste séjour, avec une douloureuse émotion et des regrets momentanés.

Rafraîchie par un zéphyr parfumé, et ramenée à une douce mélancolie, elle resta à sa fenêtre long-temps après le soleil couché. Elle observa la gradation de la nuit jusqu’au moment où le contour des montagnes couvertes d’ombres demeura seul visible à l’horizon. Un clair de lune brillant, qui succéda bientôt, vint produire sur le paysage l’effet du temps sur les événemens passés. Il en adoucit l’âpreté, et répandit sur le tout ce ton vaporeux qui affaiblit et aide à confondre les objets éloignés. Le matin de sa vie, si doucement écoulé à la Vallée ; la protection, l’amour de ses parens, s’embellissoient encore par le souvenir, comme le tableau touchant qu’elle avoit sous les yeux, et donnoient lieu à des comparaisons affligeantes. Peu disposée à supporter les entretiens grossiers de la paysanne, Emilie resta, sans souper, dans sa chambre. Elle pleuroit sur sa position périlleuse et abandonnée. Une considération nouvelle avoit achevé d’abattre son courage. Désolée, sans espoir, elle désiroit de se décharger du pesant fardeau de la vie ; elle prioit le ciel de la recevoir dans sa miséricorde, et de la rejoindre à ses parens.

Épuisée de larmes, elle se jeta sur son petit lit, et céda enfin au sommeil. Un coup frappé à sa porte, ne tarda pas à l’éveiller. Elle entendit une voix, et tressaillit de terreur. L’image de Bertrand, un stylet à la main, s’offrit à son cerveau troublé. Elle n’ouvroit point, ne répondoit point, et gardoit un profond silence. La voix enfin ayant tout bas répété son nom, elle demanda qui l’appelait. — C’est moi, signora, reprit la voix ; c’étoit celle de Maddelina. De grâce, ouvrez la porte ; n’ayez pas peur, c’est moi.

— Qui vous amène si tard, Maddelina ? dit Emilie en la faisant entrer. — Chut ! signora ; pour l’amour de Dieu, ne faisons pas de bruit. Si l’on nous entendoit, on ne me le pardonneroit pas. Mon père, ma mère, et Bertrand, sont couchés, dit-elle en refermant la porte. Je vous apporte à souper, signora. Vous n’avez pas soupé en bas. Ce sont des raisins, des figues, et un demi-verre de vin. Emilie la remercia, mais témoigna sa crainte qu’elle ne fut exposée au ressentiment de Dorine, quand on s’apercevroit que le fruit étoit ôté. — Reprenez-le, Maddelina, dit Emilie ; je souffrirai moins en ne l’acceptant pas, que je n’aurois à souffrir si votre bonté mécontentoit votre mère.

— Ô signora ! il n’y a point de danger, reprit Maddelina. Ma mère ne s’en apercevra point. C’est de mon souper. Vous me rendriez malheureuse si vous me refusiez, signora. — Emilie fut tellement attendrie de la générosité de cette bonne fille, qu’elle demeura sans réplique. Maddelina qui la regardoit, se méprit à son émotion. — Ne pleurez pas, signora, lui dit-elle. Ma mère est un peu vive ; mais c’est bientôt passé. Ne le prenez pas si fort à cœur. Elle me gronde bien souvent ; mais j’ai appris à le souffrir ; et si je peux, quand elle a fini, m’échapper dans les bois, et jouer des castagnettes, je l’oublie tout aussitôt.

Emilie sourit malgré ses larmes. Elle dit à Maddelina qu’elle avoit un bon cœur, et elle accepta son présent. Elle désiroit beaucoup de savoir si Bertrand et Dorine avoient parlé de Montoni et de ses desseins en présence de Maddelina ; mais elle se refusa à séduire cette innocente fille, et à lui faire trahir les entretiens de ses parens. Quand elle se retira, Emilie la pria de venir chez elle aussi souvent qu’elle l’oseroit, sans offenser sa mère. Maddelina le promit, et s’éloigna très-doucement.

Plusieurs jours se passèrent. Emilie restoit dans sa chambre. Maddelina venoit seulement à ses repas. Sa douce physionomie, ses manières intéressantes consoloient Emilie, mieux que depuis plusieurs mois elle ne l’avoit été. Elle aimoit sa chambre, qui sembloit tenir au berceau ; elle commençoit à y goûter ce sentiment de sécurité qui nous attache naturellement à notre demeure. Pendant cet intervalle aussi, son esprit n’ayant reçu aucune secousse nouvelle de douleur ou de crainte, elle reprit assez de force pour jouir de ses lectures. Elle retrouva quelques esquisses, quelques feuilles de papier blanc, ses crayons, et se sentit en état de s’amuser, en choisissant quelques parties de l’agréable perspective qu’elle avoit sous les yeux. Elle en faisoit des tableaux auxquels son goût naturel donnoit une extrême grâce. Elle y plaçoit ordinairement des groupes qui caractérisoient la scène, et indiquoient quelque simple et touchante aventure. Pendant qu’une larme de ses yeux mouilloit cette expression de douleur imaginaire, elle oublioit ses souffrances réelles. Elle laissoit écouler les heures trop lentes de son malheur, et attendoit avec une douce patience les événemens de l’avenir.

Une belle soirée, à la suite d’un jour fort chaud, engagea enfin Emilie à essayer d’une promenade, quoique Bertrand dût l’y accompagner. Elle prit Maddelina, et sortit suivie de Bertrand, qui lui laissa le choix du chemin. Le temps étoit doux et frais ; Emilie ne put voir sans plaisir la belle contrée qui l’entouroit. Le ciel pur et brillant étoit d’un bleu d’azur que doroient au couchant les derniers rayons de l’astre du jour. Des traits de feu frappoient encore la cime des plus grands arbres, et la pointe des roches les plus élevées. Emilie suivit le cours du ruisseau, marchant à l’ombre des bois qui le bordoient. Sur la rive opposée, quelques brebis blanches comme la neige décoroient la verdure. Au-delà se voyoient des bosquets de citronniers et d’orangers, chargés de fleurs et de fruits dorés. Emilie marcha vers la mer, qui réfléchissoit tous les feux du couchant. La vallée se terminoit à droite par un cap fort élevé, dont le sommet élancé au-dessus des vagues, supportait une tour en ruines : elle servoit alors de phare ; ses créneaux brisés, les oiseaux de mer, dont elle étoit le refuge, et qui voltigeoient autour d’elle, recevoient encore la lumière du soleil, dont le disque avoit disparu sous les eaux ; et les fondemens de l’édifice, ainsi que le rocher qui lui servoit de base, étoient déjà couverts des ombres du crépuscule.

Arrivée à cette éminence, Emilie vit avec plaisir les rochers qui bordoient le rivage ; les uns garnis de sapins, d’autres stériles, où l’on remarquoit seulement des blocs de marbre grisâtre, et tout au plus quelques buissons de myrtes, ou d’autres arbustes odorans. La mer unie, calme, ne faisoit aucun mouvement ; ses vagues arrivoient lentement, et mouraient tranquillement sur la plage. Emilie, en regardant la mer, pensoit à la France, pensoit aux temps passés ; elle désiroit, oh ! combien elle désiroit, que ces vagues la reportassent au pays de sa naissance.

— Ah ! disoit-elle, ce vaisseau, ce vaisseau qui fend si majestueusement les ondes, et dont les grandes voiles blanches se répètent sur leur miroir ? peut-être est-il parti pour la France ! Heureux, heureux navire ! Elle le regarda aller, dans la plus violente émotion, jusqu’à ce que les ombres du soir eussent obscurci les lointains, et l’eussent dérobé à sa vue. Le bruit monotone des vagues augmentait la tendresse qui faisoit couler ses pleurs. Ce fut long-temps l’unique son qui troubla les airs. Emilie côtoya le rivage. Tout à coup un chœur de voix se fit entendre. Elle s’arrête, elle écoute ; mais elle craint de se faire voir. La première fois elle regarde Bertrand comme un protecteur. Il la suivoit d’assez près, en s’entretenant avec un homme. Rassurée par cette certitude, elle s’avance derrière un petit promontoire. La musique avoit cessé : bientôt une voix de femme chanta seule. Emilie double le pas, elle tourne le rocher, et voit une baie couronnée de grands arbres. Elle y remarque deux groupes de paysans, l’un assis sous les berceaux, l’autre au bord de la mer, autour d’une jeune fille qui chantoit, et tenoit une guirlande qu’elle sembloit prête à laisser tomber dans la mer. Emilie, surprise, écoute attentivement. Elle entend une jolie invocation adressée, en style poétique, aux nymphes de la mer. Les expressions élégantes de l’idiome toscan, étoient ornées d’un chant gracieux et facile, et quelques instrumens champêtres soutenoient la mélodie.

Les refrains se répétoient en chœur : au dernier, ou jeta dans la mer la guirlande de fleurs. Le chant finit, et peu à peu tout rentra dans le silence.

— Qu’est-ce que cela veut dire, Maddelina ? dit Emilie, que la musique avoit enchantée. — C’est la veille d’une fête, signora, dit Maddelina. Les paysans s’amusent à toutes sortes de jeux.

— Mais ils parloient des nymphes de la mer, dit Emilie. D’où ces bonnes gens connoissent-ils cela ?

— Oh ! signora, dit Maddelina, qui n’entendoit pas bien le sujet de la surprise d’Emilie, personne ne croit à ces choses-là. Nos vieilles chansons en parlent, dans nos jeux nous les répétons, et nous jetons des fleurs dans la mer.

Emilie dès l’enfance avoit appris à révérer Florence comme le siège de la littérature et des beaux-arts ; mais ce goût des histoires classiques, trouvé parmi les paysans, occasionnoit en elle autant de surprise que d’admiration. L’air arcadien de ces jeunes filles contribuoit encore à l’étonner. Leur vêtement étoit un jupon court d’un joli vert, bordé d’un ruban blanc ; leurs corsets sans manches étoient rattachés aux épaules avec des fleurs ou des nœuds de rubans ; leurs cheveux flottant en grosses boucles, étoient parsemés de fleurs ; un petit chapeau de paille derrière la tête, et mis un peu de côté, donnoit à tout l’ensemble un air de gaîté et de finesse. Lorsque la chanson fut finie, plusieurs de ces bergères s’approchèrent d’Emilie, la firent asseoir au milieu d’elles, et lui offrirent, ainsi qu’à Maddelina, qu’elles connoissoient, des raisins et des figues.

Emilie accepta leur politesse : leurs grâces, leurs manières lui plaisoient, d’autant plus qu’elle les croyoit entièrement naturelles. Bertrand s’approcha d’elle, et voulut la faire retirer ; un paysan vint l’inviter à boire, et Bertrand ne résista pas à de semblables tentations.

Laissez danser cette jeune dame, mon ami, lui dit le paysan ; nous viderons ce flacon pendant ce temps-là : les voilà qui vont commencer. Allons, mes camarades, le tambourin, la flûte.

On les entendit aussitôt : les paysans se mirent en rond ; Emilie s’y seroit jointe de bon cœur, si sa position eut été d’accord avec leur gaîté. Maddelina dansa avec légèreté : Emilie regarda ce groupe heureux, et perdit le sentiment de ses maux, dans celui d’une douce et généreuse satisfaction ; mais bientôt la mélancolie reprit son empire. Seule, assise à quelque distance du groupe, elle écoutoit le son des instrumens, elle voyoit la lune s’élever silencieusement, projeter sur les flots de longs traits de lumière, et éclairer ces rochers couverts de bois qui bordent les côtes de la Toscane.

Cependant Bertrand, satisfait du premier flacon, en avoit attaqué un autre. Il étoit tard avant qu’Emilie regagnât la chaumière, et ce ne fut pas sans avoir eu quelque frayeur.

Après cette soirée, elle se promena souvent avec Maddelina, mais jamais sans la compagnie de Bertrand. Son esprit par degrés devint aussi tranquille que sa situation et les circonstances le permettoient. Le repos où elle vivoit l’engageoit à croire qu’on n’avoit point de mauvais desseins contre elle ; et sans l’idée probable que Valancourt, en ce moment, habitoit Udolphe, elle eût voulu rester à la chaumière, jusqu’à l’instant de retourner au lieu de sa naissance. Cependant, en réfléchissant aux motifs de Montoni pour la faire aller en Toscane, son inquiétude ne diminuoit pas ; elle ne pouvoit croire que le seul intérêt de sa sûreté eût déterminé cette conduite.

Emilie avoit passé quelque temps dans la chaumière, avant de se souvenir que, dans son départ précipité, elle avoit laissé à Udolphe ceux des papiers de sa tante qui étoient relatifs aux propriétés du Languedoc. Ce souvenir lui fit de la peine ; mais à la fin elle espéra, que, dans le lieu obscur où ils étoient cachés, ils échapperoient aux recherches de Montoni.