Les Muses françaises/Mme de Lauvergne
Il flotte un certain mystère autour de la personnalité de Mme de Lauvergne. Quelques-uns ont voulu voir en elle le double de Mme de la Fayette, mais on sait que cette dernière était née en 1634. Or Somalze, dans son Dictionnaire des Précieuses, dit en parlant de Mme de Lauvcrgne : « Lénodaride, est une veuve prétentieuse âgée de quarante ans ». Le privilège du Dictionnaire étant du 3 mars 1660, la date de naissance de notre poétesse remontrait donc à 1620. — D’autre part, Viollet-le-Duc qui cite Mme de Lauvergne dans son Catalogue poétique et lui donne beaucoup d’éloges, assure qu’elle aurait été une demoiselle Leroux. Il est certain du moins qu’elle signe ainsi la dédicace de son Recueil de Poésies publié en 1680, chez Barbin. Cette dédicace est adressée A, la marquise de Neuville dont la mère, paraît-il, avait été la protectrice de Mme de Lauvergne,
Le Recueil de Poésies se compose de madrigaux, d’élégies, de portraits et d’un poème à Adonis — le tout galant, prétentieux et quelque peu licencieux, avec cette morale facile de l’époque qui sert de conclusion à chaque pièce. Aussi bien est-ce parce qu’ils ont fortement la marque de leur époque que nous reproduisons Ici quelques vers de Mme de Lauvergne. À tout prendre. Ils ne valent pas moins que tant d’autres dus aux nuises plus ou moins renommées de ce xviie siècle bel esprit !
Amour qui m’as fait voir Timandre si charmant.
Fais lorsqu’il me verra qu'il me trouve de même,
Qu’il brûle de l’ardeur qui me va consumant,
Et qu’il me puisse aimer autant comme je l’aime.
Fais si bien toutefois qu’il n’en découvre rien.
N’épargne en ce dessein, ni ruse, ni souplesse.
Qu’il me donne son cœur sans espérer le mien.
De peur qu'il ne triomphe enfin de ma faiblesse.
Le temps me presse amour, va faire ton devoir.
Va m’ouvrir dans son cœur un glorieux passage.
Et s’il veut résister à ion divin pouvoir.
Mets pour le surmonter tous tes traits en usage.
Je sens que la pudeur, la crainte et la raison
S’unissent dans mon âme afin de te détruire :
Mais tous leurs vains efforts ne sont plus de saison ;
Comment les écouter, quand ils veulent te nuire.
Je m’abandonne amour, ma raison y consent,
Que dis-je ma raison ; hélas ! tout au contraire
Ce que tu me prescris, elle me le défend ;
Je n’oserais parler, et je ne puis me taire.
Mon esprit se confond dans ce raisonnement,
D’un et d’autre côté le péril est extrême ;
Si je ne parle point, je perdrai mon amant,
Et si j’ose parler, je me perdrai moi-même.
Pudeur, crainte, raison, qui blâme mes soupirs
Cédez à mon amour, il est temps de se rendre,
Cessez de condamner mes innocents désirs.
Et pour être écoutés, parlez-moi de Timandre.
C’est par là seulement, crainte, raison, pudeur
Que vous pouvez avoir empire sur mon âme ;
Je ne vous défends pas le séjour de mon cœur,
Mais gardez-vous au moins d’attenter à ma flamme.
Vous êtes, dites-vous, inquiète et chagrine ;
Vous rêvez sans savoir même, à quoi vous rêvez ;
Vous aimez cependant le mal que vous avez.
Et vous ne savez pas d’où vient son origine.
Apprenez-le Philis, le mal que vous sentez
Est pareil à celui que l’on sent quand on aime ;
Je ne veux pourtant pas dire que vous aimez ;
Mais pour moi, quand j’aimais j’étais fait tout de même.
Tristesse, ennui, chagrin, langueur, mélancolie,
Troublerez-vous toujours le repos de ma vie,
A toute heure, en tous lieux, sentirai-je vos coups,
Et ne pourrai-je pas être un moment sans vous.
Je viens dans ces déserts chercher la solitude,
Où seule loin du bruit et de la multitude,
Je puisse en liberté dire mes sentiments ;
Déserts, soyez témoins des peines que je sens.
L’esprit tout agité de nouvelles alarmes
Je viens ici cacher mes soupirs et mes larmes,
Comme aux seuls confidents de toute ma douleur.
Je viens vous découvrir les secrets de mon cœur.
Le chagrin me dévore et mon âme abattue.
Sans force et sans secours cède au coup qui la tue.
Je souffre sans savoir ce qui me fait souffrir,
Je cherche, mais en vain les moyens de guérir ;
Hélas ! tout m’est fatal, tout fait mon infortune.
Tout ce qui me plaisait aujourd’hui m’importune,
Mon esprit accablé sous des rudes combats,
Considère sa peine et ne la comprend pas ;
De mes yeux languissants un éloquent silence,
En dépit de moi-même explique ma souffrance.
Je n’ai point de repos ni la nuit, ni le jour ;
Hélas ! d’où vient mon mal, n’est-ce point de l’amour ?
Je ne puis voir Tirsis que je ne sois émue,
Je rougis de paraître interdite à sa vue.
En sa mine, en son air, en chacun de ses traits.
Je trouve des appas inconnus et secrets,
Le feu de ses regards par qui son cœur s’explique,
Etincelle de joie et me la communique :
Quand je ne le vois plus, ô Dieu ! quel changement ;
Il était mon plaisir, il devient mon tourment.
Dans le trouble fâcheux que l’absence me cause,
Ma raison incertaine à soi-même s’oppose,
L’objet que j’ai laissé ne me saurait laisser,
Tous les autres objets ne le peuvent chasser.
Incessammnent Tirsis occupe ma pensée ;
Sans le voir, je le vois, et mon âme blessée
Se trace nuit et jour ce fantôme plaisant ;
Quoi que loin de mes yeux, il m’est toujours présent.
Un transport tout de flamme éclate en son visage.
Sa majesté me plaît, et sa douceur m’engage ;
Et ce je ne sais quoi qu’on ne peut exprimer.
M’a plus de mille fois conseillé de l’aimer,
Je fuis cette belle ombre et je veux m’en défendre :
Mais partout je la vois. partout je crois l’entendre.
Trop aimable Tirsis. pourquoi mal à propos
taler tant d’appas et troubler nu>n repos ?
Veux-tu vaincre mon cœur autrefois invincible ;
Veux-tu rendre mon cœur à tes charmes sensible ?
Mais, que dia-je ? peut-être en es tu possesseur.
Peut-être est-il vaincu, peut-être est-il vainqueur.
Hélas ! je n’en sais rien, j’ignore ma défaite,
Peut-être en ce moment, la victoire est parfaite ;
Vous vous êtes, mon cœur, révolté contre moi,
Et vous m’abandonnez pour suivre une autre loi ;
Vous cédez aux ardeurs d’une flamme inconnue.
Rigoureuse fierté, qu’êtes-vous devenue ?
Que deviens-je moi-même, et quel est le pouvoir
Qui me force à sortir des règles du devoir ?
Quoi ! céder à l’amour ? quoi ! manquer de courage ?
Quitter ma liberté pour un rude esclavage,
Souffrir qu’un fier tyran sans avoir combattu.
Triomphe malgré moi de toute ma vertu ?
Non, je me veux défendre et soutenir ma gloire,
Des mains de mon vainqueur arracher la victoire ;
La raison et l’honneur me l’ordonnent ainsi,
Tout le veut, je le dois, et je le veux aussi.
Mais, que dis-je, ô grands Dieux ! je parle en insensée.
Faibles raisonnements, sortez de ma pensée ;
Ma flamme vous dément et mon cœur aujourd’hui
Se soumet à l’amour, et ne connaît que lui.
Hélas ! qu’il est changé, je le cherche en lui-même.
mon cœur n’est plus mon cœur, il fuit l’objet qu’il aime.
Pour lui seul, il respire, il consent à ses vœux.
Il soupire, il languit, il brûle de ses feux.
J’en rougis de dépit, ma vertu s’en offense ;
Quoi toute ma raison se trouve sans puissance !
Quoi ma noble fierté s’est soumise à son tour !
Il fallait ou mourir ou surmonter l’amour.
Il fallait constamment combattre pour ma gloire.
Remporter sur moi-même une illustre victoire,
Etouffer cette ardeur dont non cœur est épris.
Et pour tout dire enfin, résister à Tirsis.
Résister à Tirsis ; mais Dieu ! est-il possible ?
Pourrais— je vivre, hélas ! à ses vœux insensible ?
Ah : cela ne se peut, il n’y faut plus penser.
L’amour qu’il a pour moi, ne saurait m’offenser ;
Il m’aime avec respect, et je puis sans faiblesse
Ecouter ses soupirs, répondre à sa tendresse ;
Il sait que la vertu peut engager mon cœur,
Il voit l’art de fléchir ma sévère rigueur.
Et ménage avec soin ce moment favorable,
Qui le peut faire aimer autant qu’il est aimable,
Que ses charmes sont grands, que son transport est doux.
Quand il dit, je vous aime et je n’aime que vous ;
A ces mots il soupire, et ses yeux pleins de flâme,
Brûlent du feu secret qui brûle dans son âme,
Ils sont passionnes, ils ont de la douceur ;
Leurs regards où l'on voit la joie et la langueur,
Me disent sans parler qu’il craint et qu’il espère,.
D’un visage trop fier et d’un air trop sévère,
Je voulais éviter ce charmant entretien,
Et feignais d’ignorer ce que je savais bien ;
Ne parlez plus Tirsis de peine et de martyre.
Espérez, je vous aime, enfin je l’ose dire,
Je reçois votre cœur, je reçois vos soupirs.
Unissons notre flâme, laissons nos désirs.
Contentons notre ardeur, laissons parler l’Envie,
Jouissons des plaisirs les plus doux de la vie,
Et pour me rendre heureuse, et pour vous rendre heureux ;
Aimons-nous, aimons-nous, et chérissons nos feux.