Les Muses françaises/Mélanie Waldor

Les Muses françaisesLouis-MichaudI (p. 211-221).




MELANIE WALDOR




« Quand je fis Antony écrit Dumas dans ses Mémoires, j’étais amoureux d’une femme qui était loin d’être belle, mais dont j’étais horriblement jaloux : jaloux parce qu’elle se trouvait dans la position d’Adèle, qu’elle avait son mari officier dans l’armée, et que la jalousie la plus féroce que l’on puisse éprouver est celle qu’inspire un mari, attendu qu’il n’y a pas de querelle à chercher à une femme en puissance de mari, si jaloux que l’on soit de ce mari.

« Un jour, elle reçut du sien une lettre qui annonçait son retour.

« Je faillis devenir fou.

« J’allai trouver un de mes amis, employé au ministère de la guerre : trois lois le congé, prêt à être envoyé, disparut, déchiré ou brûlé i)ar lui.

« Le mari ne vint pas.

« Ce que je souffris pendant cette période d’attente, je n’essayerai pas de le dire au bout de vingt-quatre ans, maintenant que cet amour s’en est allé où s’en vont les vieilles lunes du poète Villon.

« Mais lisez Antony : ce que j’ai souffert, c’est Antony qui vous le racontera ».

Ainsi Mélanie Waldor — car c’est d’elle, on le devine, dont parle Dumas — s’offre à nous avec un double intérêt. Non seulement elle tient un rang honorable dans la littérature féminine, mais, encore — et ce n’est pas le côté le moins curieux de sa physionomie ! — elle aura quelque pou été l’inspiratrice de Dumas, elle aura quelque peu posé devant lui pour l’Adèle d’Hervey d’Antony.

Mélanie Waldor était la fille de M. de Villenave, un érudit dont la bibliotliècjuo et les collections furent célèbres. Elle était née î Nantes en 1796, et avait épousé un capitaine irinfanterie. — Alexandre Dumas nous a dit où il l’avait connue. C’était en 1827, il lui avait été présenté après une séance littéraire donnée A, l’d^thénéo par M. de Villenave.

Leur liaison dura doux années (1).

(1) On ne lira pas sans intérêt les deux pièces suivnntos écrites par A. Dumas pour Mélanio Waldor. (es j)ièccs n’ont jamais été piibliérs ailleurs que dans if //irr » ’. L’oritiinal « iqiartcnnit a M. Si’oelterch do Lovenjoul.

REVERIE

O toi que si souvent j’avais vue en tues s « n</es,
’/’tri que longtemps je crus une idvalitf
Kl qui de mes plus doux mensonges
Viens m’ofjrir la liberté

Sais-tu pourquoi les e/iants que ta roix fait entendre
Ont soumis mon esprit d leur charme vainqueur t
C’est que ton ca-ur est triste et tendre,
Ht que tes c/iauts vient)< ut du cœur /…

212 LES MUSES FRANÇAISES

Mélanie n’était pas belle, nous le savons par le médaillon de David d’Angers et par ce que Dumas en dit lui-même, nous lo savons aussi par cette pièce féroce : A une muse, dans laquelle Alfred de Musset a tracé de la pauvre femme un bien cruel portrait :

Quand madame Waldor à Paul Foucher (1) s’accroche, Montrant le tartre de ses dents. Et dans la valse en feu, comme l’huître à la roche, S’incruste à ses membres ardents ;

Quand sous ses longs cheveux flagellant sa pommette. De son épine osseuse elle crispe les nœuds, Coudoyant les valseurs, pareille à la comète Heurtant les astres dans les cieux ;

C’est qu’en ton sein brûlant sommeillait le génie Avant qu’à tes accents il eût donné l’essor, Comme sommeille l’harmonie Dans une harpe vierge encor !

C’est que l’heureux talent que ton âme sent naître Se trahit seul, pareil aux parfums enivrants Que la rose, sans les connaître. Abandonne au souffle des vents.

C’est que ton œil est doux lorsqu’il quitte la terre Et que, voilé d’amour, se levant vers les cieux. Il y poursuit avec mystère La lune au char silencieux !...

C’est que l’heureux mortel qui vivra dans ta vie. Qui verra ses destins à tes destins liés, Et d’amour et de poésie Pourra s’enivrer à tes pieds.

Oh ! si pour moi le ciel eût gardé cette joie. Si par un doux lien prompt à nous réunir, Nous guidant sur la même voie, Il eût mêlé notre avenir !

Si, faisant à ton cœur sa part de mon délire, Sa bonté conduisait par un double penchant Nos deux mains sur la même lyre, Nos deux voix sur le même chant !

Ma voix s’élèverait quand faiblirait la tienne. Tu serais mon appui, je serais ton soutien. Ta gloire détiendrait la mienne. Mon triomphe serait le tien !

(1) Paul Foucher, beau-frère de Victor Hugo. Page:Séché - Les Muses françaises, I, 1908.djvu/215 Page:Séché - Les Muses françaises, I, 1908.djvu/216 Page:Séché - Les Muses françaises, I, 1908.djvu/217 Page:Séché - Les Muses françaises, I, 1908.djvu/218 Page:Séché - Les Muses françaises, I, 1908.djvu/219 Page:Séché - Les Muses françaises, I, 1908.djvu/220 Page:Séché - Les Muses françaises, I, 1908.djvu/221 Page:Séché - Les Muses françaises, I, 1908.djvu/222 Page:Séché - Les Muses françaises, I, 1908.djvu/223