Les Muses françaises/Avis
es critiques d’aujourd’hui ont vraiment d’extraordinaires connaissances. Leur érudition aboutit au fabuleux ! — Pas moyen d’avoir la moindre faiblesse, de commettre le plus mince oubli : rien ne leur échappe. Omettez-vous de citer un personnage de neuf cent dixième ordre, un fait de conséquence improbable, voilà votre négligence relevée, signalée et qui prend de telles proportions que tout votre travail se trouve compromis. L’omission peut être Volontaire, d’ailleurs ; il n’importe. L’essentiel n’est pas d’être juste mais de se montrer informé. Un critique — de ces critiques dont je parle ! — doit toujours être mieux renseigné que l’auteur du livre, — que tous les auteurs de tous les livres — veux-je dire, — soumis à son jugement.
Ainsi ai-je pu me voir reprocher d’avoir oublié de citer, dans le premier tome de cette anthologie, des muses de la valeur de Mme du Boccage, de Mme Guibert, de Fanny Mouchard et une demi-douzaine d’autres, de même importance. Pourquoi ne m’a-t-on pas parlé aussi de Marie-Anne Barbier, de la présidente de Bretonvilliers, de Mme Hourlier-Dourlens, de Mme de Gomez, de Sophie Sanerno, de Mme Bourette, de Paule du Viguier, de la Comtesse d’Houdetot... Je pourrais continuer de la sorte pendant deux pages. — On a mieux aimé sans doute me prendre en faute sur l’œuvre de « haute valeur » d’une poétesse « cependant bien connue » : Clotilde de Surville.
Ce reproche, ce n’est pas une fois qu’on me l’a adressé mais Trois fois
Je suis un peu confus d’insister sur cet exemple d’érudition littéraire ; pourtant, ce que tous mes lecteurs savent certainement, dois-je le laisser ignorer à mes censeurs désinvoltes ? — Commettrai-je un pareil acte de mauvaise confraternité ?… Qu’ils apprennent donc que Clotilde de Surville n’exista jamais. Les poésies qui portent son nom sont l’œuvre de Joseph-Étienne de Surville, soldat d’aventure et joyeux mystificateur qui trouva d’ailleurs après sa mort, d’ironiques collaborateurs en la personne de Charles Nodier et de Roujoux.
Pour le présent volume, on ne va pas non plus manquer de relever les omissions. Ce sera un travail facile. J’ai réuni ici, en effet, seulement quarante-quatre noms ; j’aurais pu porter le nombre à Deux cents. — Dois-je dire que je n’ai pas prétendu composer le Bottin des muses ! — Mon intention première, néanmoins, je l’avoue, avait été de grouper toutes les poétesses contemporaines. — Comme si toutes les femmes du monde… et même du demi-monde n’écrivaient pas des vers présentement ! — Je connus bientôt mon erreur : je demandai grâce. Et je me restreignis à faire un choix. Je n’affirmerai pas, au surplus, que le lecteur y ait beaucoup perdu. Il se peut pourtant que parmi les noms écartés il y ait des talents sinon encore très mûrs et très originaux, du moins qui ne demandent qu’à mûrir et à se perfectionner. J’ai l’espoir de les retrouver un jour.
Le premier volume de cet ouvrage était consacré aux poétesses disparues ; le second devait être uniquement réservé aux vivantes. On y trouvera malheureusement deux mortes : Jeanne de la Vaudère et Marie Krysinska décédées récemment.
Le tome I était disposé selon l’ordre chronologique ; pour le tome II nous avons préféré l’ordre alphabétique. Point n’est besoin de dire pourquoi…