Les Muses du Foyer de l’Opéra

H. Kistemaeckers (p. 27-36).

LE GASCON QUI RACONTE SON HISTOIRE modifier

Dans une hôtellerie un soir jé mé présente
(Pour coucher seulement, car je soupe en chemin,
On en digere mieux et le fait est certain.)

Tous les lits sont doublés, me dit une servante,
Hors un qu’occupe seul un gros homme entiché
Dé jé né sais quel goût. Je vous entens, mignonne.

Mais bast, dé cé vilain péché
Jé né crois coupable personne :
Montons toujours, je verrai bien,
Mon coeur, ce qu’il en est : sandis, né craignez rien.

Jé monte donc, jé troube un homme fort honnête,
Jé lui tourne en deux mots ma petite requête.

Il mé dit, sans façon vite mettez-vous là.

Auprès de lui, bref, couché mé voilà ;
Rideaux tirés, lumiere éteinte,
De chose et d’autres nous jasons;
Rien de lâché qui pût mé donner crainte.

De concert pour dormir tous deux nous nous taisons.

Je sens tatonner ma chemise,
Jé né dis mot, jé crois la sienne prise
Et me souleve pour l’aider,
Tant j’ai pûr de l’incommoder.

Une main doucement se glisse sur ma fesse :
Jé né dis mot, de pareils cas
Sont chatouilleux, sont délicats
Et d’en juger imprudent qui se presse.

De son engin aussi ferme qu’un pieu,
Il mé farfouille au beau milieu;
Jé né dis mot, le pauvre sire
Pouboit rêver, le somme est pere du délire :
Il mé l’enfonce. oh, oh !. mais voyons jusqu’au bout,
Jé né dis mot, le trop de pétulance
Dans les affaires gâte tout.

De soupçonner cependant jé commence.

Il remue, il remue. ouais. ceci debient fort.

Jé né dis encor mot pour n’avoir pas le tort;
Mais jé remue aussi pour abertir mon homme ;
Il va toujours son train. Que le diable l’assomme.

Il mé mouille; halte là, criai-je avec fureur,
Bous êtes un Vougre, Monsieur.

LE VIEUX JÉROME, HISTOIRE VÉRITABLE modifier

Dans un hameau de Cambrai tout voisin
Vivoit autrefois un bonhomme ;
Manant de son métier, il avoit nom Jérôme :

Un petit pré, sa chaumiere, un jardin
Formoient son héritage, et de chaque semaine,
Sans se donner beaucoup de peine,
Il attrapoit gaîment la fin.

Suivre en tout son penchant, c’étoit là sa science;
Des enfans d’Esculape il prisoit peu l’engeance;
Jamais Casse, Séné, ni drogues du métier
N’avoient approché son palier.

Avec ce régime, mon rustre
Avoit tout doucement, sur son vingtième lustre
Un à-compte touché, sans que du poids des ans
Il eut reçu l’atteinte en aucun de ses sens.

De plus sa grande expérience
Lui valoit des égards, même un très-grand renom ;
Tous les villages du canton
Mettoient en lui leur confiance;
Sur un cas épineux, sur ceci, sur cela,
On alloit consulter Jérôme,
Et le Pape n’est pas plus écouté dans Rome
Que mon vieux manant l’étoit là.
Il avoit sû de sa logique
Si bien entêter ses voisins
Que fillettes dans sa boutique
Sans le moindre scrupule, alloient, tous les matins,
Prendre avis du barbon pour entrer en ménage.

Enfin de tout ce tripotage
Le diable sut tirer profit;
Car aux pauvres humains pour faire du dommage,
Il ne manque pas d’appétit.

Pas n’en manquoit aussi notre vieux drille
Dont l’air benin cachoit un verd-galant;
Surtout en pucelage il étoit fort friand ;
Entre quatorze et quinze, il prenoit une fille,
(La violoit, s’entend) ce n’est point peccadille;
Et lui falloit morceaux de Roi
Si novices le sont ; mais ne vois pas pourquoi ;

Je croirois au rebours que femme bien stylée
Est cent fois plus gentille en l’amoureux déduit
Qu’une pauvre innocente, une Agnès éplorée
D’effroi toute tremblante, et dont la bouche fuit
Des baisers qu’amour désavoue.

Arracher une fleur, ce n’est point être amant,
C’est être corsaire ou brigand,
Scélérat, digne de la roue,
Tout au moins de la hart; aussi dirai-je après
Comme quoi mon Jérôme y toucha de fort près.

Tant va la cruche à l’eau qu’enfin elle s’y brise :
Ce trait n’est de mon chef : un pere de l’Eglise
Ou quelque autre Docteur avant moi l’avoit dit;
Je ne veux lui voler sa gloire :
Mais il vient juste à mon récit
Et j’entends l’employer. Le héros de l’Histoire
Avec les chercheuses d’avis
Prit tels ébats dans son taudis,
Tant et tant par ses mains passèrent
Que quelques-unes en jaserent.

Telle alla toute en pleurs le dire à sa maman ;
Telle à son confesseur, telle autre à son amant :
Si bien qu’après avoir recueilli toutes choses
Confronté tous les si, les pourquoi, les comment,
On découvrit le pot aux roses.

Je vous laisse à penser quelle fut la rumeur
D’un bout du hameau jusqu’à l’autre ;
Chacun jettoit la pierre au brutal suborneur;
Votre fille l’est-elle? — Oui commere, et la vôtre?

— La mienne aussi vraiment. — Pas tant de bacchanal,
Dit le Magister du Village !

Ceci n’avance rien; d’écriture une page
En forme de procès-verbal,
Fera bien plus d’effet. En toute diligence,
On vous dresse l’écrit, et dès le point du jour
Les plaignans à Cambrai s’en vont conter leur chance

Aux gens du Roi tenant la Cour.
Aussitôt la plainte portée
Et la requête décretée
Ne firent qu’un, Dès le même matin
Archers s’en vont droit au Village ;
Ils vous ramenent mon vilain ;
Puis bel et bien on vous l’encage
Dans le fond d’un simple caveau,
Où fut prié le pauvre hère
De composer son ordinaire
D’un peu de pain arrosé d’eau.
Chacun travaille à perdre haleine
Pour prouver son délit : témoins de le charger,
Greffier d’aller son train ; Juges d’interroger,
Firent tant leur devoir, qu’au bout de la huitaine
Le procès fut mis en état
D’être jugé. Lors le Sénat
Ou si vous voulez le Bailliage
Assemblé sur les fleurs de lis
Ordonne que le gars tiré hors de sa cage
Soit sur le champ traduit en son sacré pourpris.
Dès que sur la sellette on l’eut fait comparaître,
Un des Juges lui dit : Vieux reitre !
Enfin de ton iniquité,
De tes crimes affreux la mesure est donc pleine !
Crains surtout le Ciel irrité,
Et confesses la vérité,
Si tu veux espérer de désarmer sa haine.
De deux cens témoins que voici,
Les dépositions te déclarent infâme ;
Est-il quelque moyen que ta bouche réclame
Pour te tirer de ce pas-ci ?
Je connois bien des gens qui perdroient contenance
S’ils étoient accueillis par un tel compliment :
L’homme dit, sans pâlir : En preuve d’innocence,
J’apporte mon tempérament ;

Pour la femelle, en moi, la féconde nature
Plaça tant de force et tel goût
Qu’à cent ans comme à vingt c’est toujours même allure ;
Sauf respect, Monseigneur, je n’en puis voir le bout.
Pour se disculper davantage,
Plus long ne fut son verbiage ;
A mon avis c’étoit en dire assez.
Quand il eut dit, tous les Juges placés
Vont aux opinions, et suivant la rubrique,
Arrêtent qu’en place publique,
Il sera haut et court pendu,
Après que chacun l’aura vu
Faire amende honorable à toutes les familles
Dont il a défloré les filles.
De mourir dans une heure, il pouvoit faire état
Et chacun le pensoit, alors qu’un Magistrat
D’indulgence rempli pour l’humaine foiblesse,
Juste, sage, éclairé, quelque peu réjoui,
Servant bien à la fois Thémis et sa maîtresse
Et semblable en un mot au Président Joui,
Ouvrant un autre avis, dit d’un maintien modeste :
Vous êtes tous prudens, Messieurs, mais il me reste
À vous faire observer qu’un homme est bientôt mort,
Dès qu’on vous l’a guindé : de ce malheureux sire
Vous avez décidé le sort
Un peu légérement : car s’il a su nous dire
La vérité, moi je croirois
Que nous pouvons prendre un biais
Pour le sauver, De conserver la vie
A quelque humain, c’est toujours œuvre pie,
Et puisque la nature a poussé malgré lui
Le vieux galant au fond du précipice,
Pourquoi faut-il qu’il y périsse
Lorsqu’elle peut l’en tirer aujourd’hui !
Je dis donc que si malgré l’abstinence
Qui chaque jour l’a visite

Alors qu’on lui lira sa derniere sentence,
Loin que voyiez chez lui nature en défaillance,
Il paroît tel qu’il s’est vanté,
Mon avis est qu’on doit l’absoudre,
Le cas est clair, et le lira qui veut ;
Cujas, article cinq, prit soin de le résoudre :
Contre la force nul ne peut.
Or force de nature est de toutes la pire…
Le brave Président alloit bien plus en dire,
Quand un vif applaudissement
Interrompit son argument.
Chacun le trouva juste, et jura de s’y rendre,
Excepté deux ou trois cagots,
Mais ne fallut grand peine prendre
Pour leur prouver qu’ils n’étoient que des sots.
A vrai dire, cette indulgence
Dont on usoit envers le vieux grivois
Ne tiroit point à conséquence :
Un pareil trait n’arrive pas deux fois.
La chose ainsi bien énoncée
Et le prisonnier prévenu,
Un Moine et la maréchaussée
Vont s’emparer de mon pendu.
En pompeuse cérémonie
Cette escorte l’amene à pas majestueux,
Ainsi que les chemins, la place étoit remplie
D’un peuple sot, cruel et curieux,
Au travers de la multitude,
Il arrive au pied du gibet ;
Le bourreau, d’une main impitoyable et rude
Saisit la victime au collet :
Un Juge prononçoit les paroles dernieres
De l’arrêt qui l’exile auprès du vieux Pluton :
Le capucin, pour lui, récitoit des prieres,
Et le peuple croyant que, suivant les manieres
De tout pendard honnête, il feroit un sermon,

Pour l’écouter c’étoit merveille
De voir l’un sur l’autre pressé
Et sur le bout du pied haussé,
Chacun lever la tête et lui prêter l’oreille :
Lorsque le vieillard valeureux,
Au lieu d’un discours ridicule,
Étale à tous les yeux un objet merveilleux
Digne en tout de Priape ou tout au moins d’Hercule,
Et dont tout jouvenceau seroit très orgueilleux.
Il frappa le bailliage ainsi que l’assistance.
Barbons voyant cela deviennent tout joyeux ;
Mere et fille ouvrent de grands yeux ;
Dévots baissent les leurs, criant à l’indécence :
De lunettes besoin ne fut,
De Microscope point, tant la chose parut
De belle et visible prestance.
C’étoit montrer son innocence
De la bonne maniere ! aussi l’arrêt de mort
Ayant perdu sa force, il gagna son village
Où malgré la leçon, maint et maint pucelage
Il sut déraciner encor.
La camarde enfin, dans sa ronde,
Troussa le pécheur endurci :
Mais il eut grace en l’autre monde
Tout comme il l’eut dans celui-ci.
Pour immortaliser une telle prouesse,
Le vieux Jérôme en bronze avec son attirail
Du palais de Thémis décore le portail ;
Chacun l’y voit aux pieds de l’aveugle Déesse,
Aveugle… je ne sais ; on dit ici tout haut
Et gens pas mal instruits tiennent pour chose sûre,
Qu’en cette plaisante aventure
Voulant mieux s’assurer d’un fait aussi nouveau,
La justice ôta son bandeau,
C’étoit pour une Dame un peu se compromettre,
De dire si depuis elle a sû le remettre,

D’autres s’en chargeront : je sais bien que pour moi
Prudemment je resterai coi ;
Sur de pareils sujets faut tenir bouche close :
Maïs contre une jeune beauté
Le procès le mieux intenté
Ne voudrois avoir et pour cause.
Mon récit me semble un peu long ;
Me faut pourtant passer encore une parole
De morale… sans elle aucun conte n’est bon ;
C’est est, dit-on, la rocambole,
J’ai connu plus d’un vieux barbon,
Qui sur leur mine et sur leur ton,
Etant jugés sans conséquence,
Ainsi de maint tendrons vous raffloient l’innocence ;
Tandis qu’un jeune amant tendre et plein d’une ardeur
Que le respect renfermoit dans son ame
Voyoit souvent payer sa flamme
De la plus injuste rigueur.
Puisqu’à cent ans hommes sont hommes
Et puisqu’il n’est point d’âge où le cœur soit muet,
Mere ayez toujours l’œil au guet,
Et défiez-vous de Jérôme.

(Par M. DE LILLE, capitaine de cavalerie)