Les Mort-nées (Fernand Séverin)

Parnasse de la Jeune BelgiqueLéon Vanier, éditeur (p. 237-238).


Les Mort-nées


Mes rêves, ces ailés d’ailes douces et frêles
À qui rien n’est fermé de la céleste geôle,
Se promènent, au son de pâles chanterelles,
Par les jardins aimés du maître de Fiésole.

Voici naître soudain de molles plaintes d’âmes,
Ainsi les blancs regrets des timides enfances,
L’ineffable parler des voix faibles et femmes
Nous priant à venger d’anciennes offenses !

L’oubli divin leur fit les nulles destinées
Des graines que tua le gel à peine vertes,
Et c’est triste à mourir, ô ces chères mort-nées
Qui promirent en vain les corolles ouvertes.

« Nous vous eussions donné les rares amoureuses
Dont l’absence rend vains les désirs et les rêves,
Et des baisers câlins aux passions peureuses
Et d’autres à vider les races de leurs sèves.


« Nous eussions inventé quelque idéal étrange
Qui hâtât l’agonie ineffable du vôtre,
Et lâché le frisson de ses ailes d’archange
Sur les hontes où l’âme éternelle se vautre.

« Mais de cruelles mains nous permirent à peine
D’exister un instant aux entrailles des mères,
Et sans doute l’oubli du Seigneur, ou sa haine
Fit mourir en bourgeons nos feuilles éphémères. »