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Juin Les Mois Août
Imprimerie de Quillau (Ip. 273-296).

 
L’univers existoit : mais l’univers encore
Ne voyoit point regner l’ordre qui le décore.
Enfin à ce grand-tout un dieu donna des loix,
Et destinant chaque être à d’éternels emplois,
Lui marqua son séjour, son rang et sa durée.
Il déploya des cieux la tenture azurée,
Du soleil sur son trône en fit le pavillon,
Voulut qu’il y regnât, et qu’à son tourbillon,
Il enchaînât en roi le monde planétaire ;
Que du globe terrestre esclave tributaire,
Le nocturne croissant dont Phébé resplendit,
Sous les feux du soleil tous les mois s’arrondît ;

Que d’un cours sinueux traversant les vallées,
Le fleuve s’engloutît dans les plaines salées :
Qu’on vît toujours aux fleurs succéder les moissons,
Et les fruits précéder le règne des glaçons ;
Que l’ambre hérissât la bruyante Baltique ;
Que l’ébène ombrageât la rive asiatique ;
Que le sol des incas d’un or pur s’enrichît ;
Que dans les flots d’Ormus la perle se blanchît ;
Qu’aux veines des rochers, une chaleur féconde
Changeât en diamant le sable de Golconde ;
Que le fleuve du Caire, en ses profondes eaux,
Prêtât au crocodile un abri de roseaux ;
Que le phoque rampât aux bords de la Finlande ;
Que l’ours dormît trois mois sur les rochers d’Islande ;
Que sous le pôle même, où vingt fleuves glacés
Apportent le tribut des hyvers entassés,
Éparses en troupeaux, les énormes baleines
Du sauvage océan fîssent mugir les plaines ;
Et qu’au bord de ces lacs, où cent forts démolis
Au triste Canada font regretter nos lys,
Le castor, avec nous disputant d’industrie,
De hardis monumens embellît sa patrie,

De ces républicains, nos paisibles rivaux,
Le soleil en ce mois éclaire les travaux.
Dirigés par l’instinct, dont la voix les rassemble,
Aux rivages d’un fleuve ils s’avancent ensemble :
Ils veulent, l’un par l’autre au travail excités,
D’un pont couvrir les eaux, et bâtir des cités.
En désordre d’abord répandus sur l’arène,
Ils s’y rangent en cercle, ils attaquent un frêne,
Qui robuste, noueux, élancé dans les airs,
D’épais et longs rameaux couvre les bords déserts.
Sous l’effort de leurs dents, à grand bruit, sur la plage
Il tombe ; il a perdu l’honneur de son feuillage.
Tandis que par la foule à la hâte emporté,
Le tronc au sein des eaux roule précipité,
D’autres, que dans leur marche un vieux chef accompagne,
D’arbres moins vigoureux dépeuplent la campagne,
Les portent jusqu’au fleuve, et nerveux matelots,
Les font d’un cours heureux naviger sur les flots.
Des pieux en sont formés. Une magique adresse
Dans l’onde en pilotis les enfonce, les dresse.


On enlace autour d’eux le souple balizier,
Et le saule flexible, et le docile osier.
Celui-ci va, revient ; et voyageur agile,
Sur sa queue applatie il emporte l’argile,
Qu’en ciment sous ses piés un autre ramollit.
De ce limon broyé la digue se remplit,
S’élève, sort enfin des eaux qu’elle domine,
Et déjà sur le pont le castor s’achemine.
Solide monument ! Son immense longueur
Étonne des humains l’adresse et la vigueur.
Ces travaux achevés, la sage république
Se partage en tribus, et par grouppes s’applique
À créer une ville, où sous trente maisons,
Elle doit voir renaître et mourir deux saisons.
Le travail recommence ; et le double rivage
Des arbres qu’il nourrit souffre encor le ravage.
De leurs vastes débris à la glaise mêlés,
Naissent des pavillons avec art modelés :
Ils montent, couronnés d’une cime arrondie.
Telle on vit s’élever aux champs de Numidie

La ville, où les troyens, du naufrage assaillis,
Furent par une reine en triomphe accueillis.
Ici, pour décorer l’enceinte d’un théâtre,
Le ciseau façonnoit le porphyre, l’albâtre ;
Là, regnoient dans les airs les creneaux d’une tour ;
Plus loin, s’ouvroit d’un port le spacieux contour ;
Et prodiguant par tout leurs travaux et leurs veilles,
Les arts au fils d’Anchise étaloient des merveilles.
Que les vents, désormais de sa cité jaloux,
L’assiègent ; le castor insulte à leur courroux.
Le buis et le sapin, qu’épargne la froidure,
Prêtent à son sommeil des tapis de verdure.
Les querelles jamais ne troublent ses loisirs ;
Et lorsque, ramenant la saison des plaisirs,
L’amour viendra regner sur ce peuple amphibie,
Le castor, peu semblable aux monstres de Lybie,
N’ira point, altéré de combats et de sang,
Défier un rival et lui percer le flanc :
Aimé de sa compagne, il lui reste fidèle.
Mais nous qui l’admirons, nous sert-il de modèle ?


Savons-nous comme lui, sans haîne, sans discords,
De l’ordre social respecter les accords ?
Le seul helvétien lui ressemble peut-être.
Dans ses Alpes caché, libre et digne de l’être,
Ignorant notre luxe et nos folles erreurs,
Du sol qui le nourrit il aime les horreurs.
Helvétiques tribus, sur vos roches fameuses,
D’où tombent cent torrens en ondes écumeuses,
Heureux, qui maintenant, comme vous, à longs traits,
Goûte l’air frais et pur de vos vieilles forêts !
Ah ! Tandis que sur nous le cancer règne encore,
Que sous un ciel d’airain le soleil nous dévore ;
Tandis que haletant, l’homme, ainsi que les fleurs,
Baisse un front accablé sous le faix des chaleurs,
Monts, chantés par Haller, recevez un poëte !
Errant parmi ces rocs, imposante retraite,
Au front du Grindelval je m’élève, et je voi,
Dieux ! Quel pompeux spectacle étalé devant moi !
Sous mes yeux enchantés, la nature rassemble
Tout ce qu’elle a d’horreurs et de beautés ensemble,

Dans un lointain qui fuit un monde entier s’étend.
Eh ! Comment embrasser ce mêlange éclatant
De verdure, de fleurs, des moissons ondoyantes,
De paisibles ruisseaux, de cascades bruyantes,
De fontaines, de lacs, de fleuves, de torrens,
D’hommes et de troupeaux sur les plaines errans,
De forêts de sapins au lugubre feuillage,
De terreins éboulés, de rocs minés par l’âge
Pendans sur des vallons que le printems fleurit,
De côteaux escarpés où l’automne sourit,
D’abymes ténébreux, de cimes éclairées,
De nèges couronnant de brûlantes contrées,
Et de glaciers enfin, vaste et solide mer,
Où règne sur son trône un éternel hyver ?
Là, pressant à ses pieds les nuages humides,
Il hérisse les monts de hautes pyramides,
Dont le bleuâtre éclat, au soleil s’enflammant,
Change ces pics glacés en murs de diamant,
Là, viennent expirer tous les feux du solstice.
Envain l’astre du jour, embrasant l’écrevisse,

D’un déluge de flamme assiège ces déserts :
La masse inébranlable insulte au roi des airs.
Mais trop souvent la nège arrachée à leur cime
Roule en bloc bondissant, court d’abyme en abyme,
Gronde comme un tonnerre, et grossissant toujours
À travers les rochers fracassés dans son cours,
Tombe dans les vallons, s’y brise, et des campagnes
Remonte en brume épaisse au sommet des montagnes.
Si je quitte ces lieux, si je vole aux climats,
Que jamais n’ont blanchis la glace et les frimats,
À mes regards encor ce mois offre en spectacle
Le Nil, qui fuit sa rive et roule sans obstacle.
Ce fleuve, qui long tems nous cela son berceau,
Échappé de Goyame en rapide ruisseau,
Du vaste Dambéa traverse le domaine.
Sous des isles sans nombre il recourbe, il promène
Ses flots purs, couronnés de lauriers toujours verds.
Bientôt devenu roi de vingt fleuves divers,
Entraînant avec lui leurs ondes tributaires,
Par de puissans états, par des lieux solitaires,

Aux bornes de Nubie il court impétueux.
Envain pour le dompter, mille rocs tortueux
Du sauvage mosho hérissent la contrée,
Et remparts de l’égypte, en défendent l’entrée ;
De ses flots mutinés que l’écume blanchit,
Le Nil couvre ces monts, s’enlève et les franchit ;
Il tombe : les échos, dans les rocs qu’il inonde,
Répètent longuement le fracas de son onde.
Mais qu’il roule d’un cours plus bruyant et plus fier,
Aujourd’hui qu’étalé comme une vaste mer,
Il s’est enflé des eaux, dont l’humide tropique
Couvre depuis trois mois le sol éthiopique !
Dans le calme annuel des vents étésiens,
En triomphe, il arrive aux bords égyptiens,
Y répand en grondant sa vague débordée ;
Tout nage : et cependant cette égypte inondée
Rend grâces par des jeux, des festins et des chants
Au fleuve nourricier égaré dans ses champs.
Pour elle, un mois entier n’est qu’une longue fête.
Qu’un destin différent pour l’Europe s’apprête !


Ils approchent les jours, où nos sillons dorés
Verront les moissonneurs du midi dévorés
Se noircir à ses feux, et d’une main lassée
À peine soulever la faucille émoussée :
Ils vont pousser encor des soupirs douloureux,
En recueillant des fruits qui ne sont pas pour eux.
Ah ! Du moins, si des loix dignes des tems antiques,
Par quelque fête aimable, aux fatigues rustiques
Encourageoient ce peuple, et lui rendoient plus doux
Les pénibles labeurs qu’il dévore pour nous :
Mais pourvu que les fruits de son humble héritage
Du trône et de l’autel grossissent le partage ;
Qu’importe qu’au travail il vive condamné !
Pour goûter le bonheur le peuple est-il donc né ?
Combien l’antiquité, politique plus sage,
Du suprême pouvoir fit un plus noble usage !
Pour mieux enchaîner l’homme à ses champs paternels,
Par un culte riant, par des jeux solemnels,
Elle eut soin d’embellir le cercle de l’année.
Près des eaux, sous un bois, de festons couronnée,

La foule des colons chantoit les immortels,
Et trouvoit le plaisir jusqu’aux piés des autels.
La danse, les concerts, un aimable tumulte,
Les jeux, le tendre amour se mêloient à ce culte :
L’homme, alors ranimé par des jours de repos,
En aimoit plus ses bois, ses champs et ses troupeaux.
Voyez Rome agricole, et cependant guerrière.
Avant que le cancer, au bout de sa carrière,
Lui donnât en fuyant le signal des moissons,
Aux sons du chalumeau mariés aux chansons,
Elle ouvroit pour son peuple une fête champêtre.
Le vorace animal, que le chêne voit paître,
Autour des blés, trois fois en pompe promené,
De folâtres danseurs marchoit environné.
Sur l’autel de Cérès, serpentoit en guirlandes
Le feuillage du chêne ; et de douces offrandes,
Du miel, du vin, du lait ensemble confondus
Exhaloient leurs parfums, à longs flots répandus.
La victime expiroit. Sous la verte feuillée,
La nuit parmi les jeux retrouvoit l’assemblée ;
Et quand le roi du jour lançoit de nouveaux traits,

Ils couroient plus joyeux moissonner leurs guérets.
Pour nous, à qui les mois plus lentement préparent
Les ondoyans trésors dont nos rives se parent,
Avant que du lion s’irritent les chaleurs,
Dépouillons de son miel le peuple amant des fleurs.
Mais gardons d’imiter ce maître inéxorable,
Qui, dans l’ombre des nuits aux crimes favorable,
Enflamme sous la ruche un bucher sulphureux.
Le repos, le sommeil sur cet asyle heureux
Regnoit ; et tout-à-coup la vapeur dévorante
S’élève à flots pressés dans la ruche odorante,
S’élargit, et frappant de son venin jaloux
L’abeille, accoutumée à des parfums plus doux,
Arrache à leurs palais et le peuple et la reine,
Déjà mourans d’ivresse et couchés sur l’arène.
C’en est trop : et s’il faut que les cruels humains
Signalent par le sang le pouvoir de leurs mains,
Aujourd’hui, vers les bords où l’Europe commence,
Le commerce leur ouvre une carrière immense.


Qu’ils volent à travers une mer de glaçons
Combattre et déchirer les monstrueux poissons,
Que l’océan du nord voit bondir sur son onde.
Ces monstres, relegués aux limites du monde,
À peine ont découvert à l’oeil des matelots
La masse de leurs corps allongés sur les flots,
Que s’élançant vers eux sur un bateau fragile,
L’intrepide nocher vogue d’un cours agile,
Se place sur la poupe, et d’un bras assuré
Au monstre plus voisin pousse un dard acéré.
Le féroce animal, que la rage transporte,
Pousse un long meuglement ; il s’échappe, il emporte
Avec lui sous les flots le trait qui l’a percé :
L’onde fume du sang de la plaie élancé.
Envain pour échapper au fer qui le tourmente,
Il remonte à grand bruit sur la vague écumante ;
Envain pour respirer, par ses doubles évents,
Il vomit l’onde amère et repousse les vents
La baleine, et de force et de sang épuisée,
Livre à ses ennemis une conquête aisée.


Les barbares, en foule autour d’elle assemblés,
Lui déchirent les flancs de harpons redoublés.
Elle meurt. Acharnés sur ce monstre sauvage,
Par des chaînes de fer on le traîne au rivage :
Tout mort qu’il est, sa vue inspire encor l’horreur.
Tel étoit ce python, qui, gonflé de fureur,
Rouloit son vaste corps dans la fange croupie,
Quand l’onde vengeresse eût noyé l’homme impie.
Vous cependant, nochers, dont ces reines des eaux
Ont d’une proie immense enrichi les vaisseaux,
Revenez, hâtez-vous ; craignez que la gelée
Ne hérisse la mer de glace emmoncelée.
Le midi vous rappelle ; il attend que vos mâts
Lui portent les trésors des sauvages climats.
Mais ces fanons grossiers, qui retiendroient captive
Et l’aimable jeunesse et l’enfance plaintive ;
Ah ! Rendez à la mer ce butin malheureux :
Nous n’avons su que trop, par un art désastreux,
En former des prisons, où notre extravagance

D’une taille naissante enchaînoit l’élégance.

Barbares ennemis de nos propres enfans,
Ainsi nous attristions l’aurore de leurs ans.
Pouvoient-ils déployer dans leurs dures entraves
Cet aimable gaîté, qui fuit loin des esclaves ?
Insensés ! Nous pensions leur prêter des appas ;
Et pour les embellir, nous hâtions leur trépas.
Enfin Rousseau parut. Il vit la tendre enfance
Malheureuse, opprimée ; il en prit la défense :
À son antique chaîne il l’arrache à jamais.
Enfans, rendez-lui grâce ; et vous, qui désormais
Verrez en liberté vos jeunes charmes craître,
Belles, pardonnez-lui, si trop sage peut-être
Il borna votre gloire, et d’une austère main,
De la célébrité vous ferma le chemin.
Cent exemples fameux, répétés d’âge en âge,
Vous servent contre lui d’éloquent témoignage.
Eh ! Quels arts par vos mains ne furent embellis ?
Quels lauriers, quels honneurs n’avez-vous point cueillis ?
La valeur même encor ajoute à vos conquêtes ;
Et Mars a pour Vénus des palmes toujours prêtes.


Oui, j’en atteste ici tout l’empire français ;
Beauvais, Beauvais sur-tout sauvé par vos succès.
Muse, qui des héros éternises l’histoire,
Viens, et monte ma voix au ton de la victoire.
Louis regnoit. Vassal infidèle à son roi,
Charles, dont le nom seul réveille encor l’effroi,
De Beauvais investi foudroyoit les murailles.
À ses fiers bourguignons nourris dans les batailles,
Vers les ramparts fumans, déjà l’échelle en main,
Sur les morts entassés Charles ouvroit un chemin.
Le peuple et le soldat, tout fuyoit. Une femme
S’élance ; et d’une voix que la colère enflamme :
« N’avez vous plus de roi ? N’avez vous plus d’enfans,
Lâches ? Eh bien ! Fuyez : seule, je les défends. »
Hachette, c’est le nom de la jeune héroïne,
Dit et marche. à sa voix une chaleur divine
Ranime tous les coeurs ; mais trois fois ramenés,
Trois fois les citoyens reculent consternés.
Et dans le même instant, aux yeux de la guerrière,
Des femmes, qui d’un temple ont franchi la barrière,

Cachent dans les tombeaux, cachent sous les autels
Leurs fils, qui s’attachoient à leurs bras maternels :
"Quoi ! Vous pouvez combattre, et vous versez des larmes !
Laissez à vos maris la peur et les allarmes,
Marchons ; et les forçant à rougir devant nous,
Soyez hommes pour eux, s’ils sont femmes pour vous. "
Lorsque dans les forêts une meute aboyante,
De la trompe et du cor entend la voix bruyante,
Rapide elle s’élance, et s’élevant par bonds,
Du cerf épouvanté suit les pas vagabonds ;
Tel d’audace brûlant vole un sexe timide :
Il marche aux ennemis en colonne intrépide,
Et la pique à la main, Hachette le conduit.
Du nouveau bataillon le spectacle et le bruit
Ébranlent l’assaillant : il recule, il s’étonne.
Planté sur un creneau, d’où le salpêtre tonne,
Dans la soie et l’azur de ses replis mouvans,
L’étendard de Bourgogne emprisonnoit les vents ;
Charles, déjà vainqueur, le couvroit de sa lance :
Hachette voit l’enseigne ; elle vole, s’élance,
Du prince cuirassé brave et trompe le dard :

Le bras de l’Amazone enlève l’étendard.
Privé de tous les siens, dont il pleure la chûte,
Charles seul, sans épée, à tous les traits en butte,
Charles fuit ; et les murs, à jamais raffermis,
Reposent triomphans sous l’ombrage des lys.
D’Hachette et de son nom garde bien la mémoire,
France ! Et si dans Beauvais, encor plein de sa gloire,
Moi, qui jeune aux autels formant un doux lien,
Viens à ce nom sacré d’associer le mien,
Oh ! Si je porte un jour mon filial hommage,
Entretiens-moi d’Hachette, offre-moi son image,
Que j’y puisse attacher mon oeil religieux,
Et couronner de fleurs ce front victorieux !
Quelles fleurs toutefois offrir à sa statue,
Aujourd’hui que pleurant sa vigueur abattue,
La terre voit regner aux célestes lambris
Le lion de Némée et le chien de Procris ?
Ministres de l’été, leur souffle décolore
L’émail, qu’en nos jardins le printems fit éclore ;
Sur ses bras tortueux languissamment penché,

Le triste chèvre-feuille expire desséché ;
Le pavot à ses piés voit tomber sa couronne ;
Le panache azuré dont l’iris s’environne,
Effeuillé par les vents, flotte dans les bosquets,
Le lilas tout honteux, cherche envain ses bouquets ;
De l’amoureux pastour la parure est flétrie ;
Le gazon pâlissant languit dans la prairie ;
Et jusqu’au fond des bois les chênes, les ormeaux
D’un feuillage moins verd ont bruni leurs rameaux.
Sous les feux que vomit l’ardente canicule,
Le fleuve resserré plus lentement circule.
Ô surprise ! à l’aspect d’un si foible ruisseau,
Le voyageur s’arrête, et le croit au berceau.
Son oeil demande envain aux canaux solitaires
Ces mouvantes forêts, ces barques tributaires,
Qui, voguant aux cités, leur portoient tour-à-tour
Et les trésors d’Olinde et les fruits d’alentour.
Ces magasins flottans des régions fertiles
Sur l’arène des ports languissent inutiles ;
Et près d’eux, le nocher, à regret spectateur,
De l’onde paresseuse accuse la lenteur.


La campagne brûlante et poudreuse et déserte
Offre de toutes parts sa surface entr’ouverte.
L’homme le plus robuste a perdu sa vigueur ;
Le génie épuisé s’endort dans la langueur,
Et les enfans du Pinde, à chanter inhabiles,
Sentent leur lyre d’or fuir de leurs mains débiles.
Mais que dis-je ! Ah ! Je puis, aux traits brûlans du jour,
Opposer des forêts le paisible séjour,
Jardins majestueux qu’a plantés la nature,
Et dont l’antique honneur rajeunit sans culture,
Ô forêts ! Ouvrez-moi vos sentiers tournoyans ;
Courbez-vous sur ma tête en dômes verdoyans :
Plongé sous votre ombrage aux sources du délire,
Je vais encor, je vais faire entendre ma lyre.
Ciel ! Sous leurs pavillons j’entre à peine ; et dans moi
Leur ténébreux lointain imprime un saint effroi :
Dans ce désert muet lentement je m’avance,
Et je crois habiter le palais du silence.
Qu’aisément aujourd’hui je pardonne à l’erreur,
Qui frappant nos ayeux d’une secrette horreur,

Pour eux, changeoit les bois en vénérable enceinte,
Que les dieux remplissoient de leur majesté sainte !
Eh ! N’éprouvons-nous point sous ces portiques verds
Qu’on croit sentir la main qui régit l’univers,
Que nos jeunes pensers en raison se transforment,
Et que nos passions se taisent et s’endorment ?
Le seul amour y veille. Oui, c’est dans les forêts
Qu’à notre ame attentive il parle de plus près.
C’est-là que dans le sein d’une belle ingénue,
Un trouble intéressant par degrés s’insinue ;
Que son oeil affoibli craint les rayons du jour,
Et que sa voix expîre en longs soupirs d’amour.
Vous, esclaves flétris et des cours et des villes,
Qui prodiguez votre ame à des maîtresses viles,
Vous croyez être amans ? Non, vous ne l’êtes pas.
Des palais, où Phryné vous vendit ses appas,
Le véritable amour et s’indigne et s’exile ;
Enfant de la nature, il en cherche l’asyle.
L’amour aime des bois les dédales épais,
S’enfonce dans leur ombre, et s’y nourrit en paix.

Dans les forêts

encor, les rois de l’harmonie
Assis ou vagabonds retrouvent le génie.
Là, s’égaroit Orphée, en modulant ces airs,
Par qui fut attendri le rocher des déserts ;
Là, d’Achille et d’Hector le chantre vénérable,
Ainsi que leurs exploits, rendit son nom durable ;
Là, prenant tour-à-tour la lyre et les pipeaux,
Virgile célébroit les rois et les troupeaux.
Aimables enchanteurs, nos guides et nos maîtres,
Jadis je ne pouvois, comme vous, sous des hêtres,
Tromper la canicule et défier ses traits.
Malgré moi-même, hélas ! Exilé des forêts,
Malgré moi, je vivois enchaîné dans les villes :
J’y voyois le démon des discordes civiles,
Dans le palais des rois, triompher impuni,
Et toujours aux vertus le malheur réuni.
Souvent je m’écriois ? "ô ciel ! Quand la fortune
Voudra-t-elle adoucir sa rigueur importune ?
Ah ! Si je puis trouver un terme à ses refus,
Vous me verrez alors sous vos dômes touffus,
Verdoyantes forêts ! Et vous, claires fontaines,

Qui coupez en fuyant leurs routes incertaines,
Sur vos gazons mousseux j’irai me reposer !
Les amours et leur soeur m’y viendront courtiser.
D’un long et doux sommeil j’y goûterai l’ivresse ;
Et lorsque m’arrachant à sa molle paresse,
Je voudrai des saisons célébrer les bienfaits,
Ou chanter des héros l’audace et les hauts-faits,
Je n’y trouverai point les muses indociles,
Et mes vers couleront plus doux et plus faciles. "
Ainsi, d’un doux repos mes desirs envieux
Chaque jour sans relâche importunoient les dieux ;
Mais l’oreille des dieux obstinément fermée
Laissoit mes voeux perdus s’exhâler en fumée :
Hélas ! Déjà pour moi n’existoient plus les champs.
Le ciel m’exauce enfin. Noble appui de mes chants,
L’ami du laboureur et des fils d’Uranie
Au calme des forêts a rendu mon génie ;
Sa main vient de m’ouvrir les routes du bonheur.
Oh ! Si je puis un jour y rencontrer l’honneur,
Si je puis mériter que le Pinde m’avoue,

Et m’orne des lauriers du chantre de Mantoue,
J’irai, tout rayonnant d’une noble fierté,
Les offrir à l’auteur de ma félicité ;
Et lui montrant l’envie à ses pieds étouffée,
À sa vertu modeste ériger un trophée.