Les Moines (Recueil)/Les crucifères

Les MoinesSociété du Mercure de France (p. 186-187).

LES CRUCIFÈRES


Avec leur manteau blanc, ouvert ainsi qu’une aile,
On les voit tout à coup illuminer la nuit
Dont le barbare et grand moyen âge crénèle
Le monde, où rien d’humain ni de juste ne luit.

C’est eux, quand l’Occident s’arme contre l’Asie,
Qui conduisent l’Europe à travers les déserts ;
Et les peuples domptés suivent leur frénésie,
Emportés, dans leur geste, au bout de l’univers !

C’est eux, les conseillers des pontifes suprêmes,
Qui démasquent le schisme et qui fixent les lois,
Qui se dressent debout, sous leurs vêtements blêmes,
Pour tirer d’adultère et de stupre leurs rois !


C’est eux, qui font flamber les bûchers d’or superbes,
À la gloire du Christ et des papes romains,
Où les feux rédempteurs échevèlent leurs gerbes
Et se nouent en serpents autour des corps humains !

C’est eux, les patients inquisiteurs des foules,
Qui jugent les pensers et pèsent les remords,
Avec de noirs regards traversant leurs cagoules
Et des silences froids comme la peau des morts !

C’est eux, la voix, le cœur et le cerveau du monde.
Tout ce qui fut énorme en ces temps surhumains
Grandit dans le soleil de leur âme féconde
Et fut tordu comme un grand chêne entre leurs mains !

Aussi, vienne leur fin solennelle et tragique,
Elle ébranle le siècle et jette un deuil si grand,
Que l’Histoire rebrousse en son cours héroïque,
Comme si leur cercueil eût barré son torrent.