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DEUX ÉTOILES





Affolés et surpris comme des papillons

Heurtant la flamme,

Certes, l’été dernier, tous nous nous promettions,

Au fond de l’âme,


De n’y plus revenir jamais, jamais, jamais…

Serment vulgaire

Que, par les soirs brûlants, quand on cherche le frais,

On ne tient guère !


Vrais moutons de Panurge, avalons les fadeurs

Et les cascades

Du Café de l’Horloge et des Ambassadeurs

Sans ambassades !


Voici, comme toujours, le théâtre en plein vent

Brillant de glaces,

Où huit dames, formant un éventail vivant,

Tiennent leurs places.


La bouche et les yeux peints, et les cheveux idem,

Ces vierges folles

Ont, sous les lambris d’or, un faux air de harem

Des Batignolles.


Sur les fauteuils de fer assis en rangs d’oignons,

Par ribambelles,

Voici nos bons gommeux qui lorgnent les chignons

Des demoiselles.


Voici le grand chanteur, le ténor favori

— Faux-col immense,

Habit noir et gants blancs, — chantant, tout ahuri,

Une romance.


Enfin, dans un frou-frou de jupons agités,

Sans rien qui voile

L’opulente splendeur de ses bras haut-gantés,

Voilà l’Étoile !


La voilà, la voilà, portant superbement

Sa tête fière,

Et, dès qu’elle paraît, c’est un enivrement,

Une lumière !


Le mot à double sens, l’à-propos polisson

Cinglant la foule

La font s’agiter toute avec un long frisson

comme une houle,


Et lorsque le refrain, bête à lever le cœur,

Enfin s’arrête,

Le public transporté, qui l’a repris en chœur,

Hurle à tue-tête.


L’Étoile reparaît à ce nouvel appel,

Ronge et joufflue…

Ô peuple de Paris, peuple spirituel,

Je te salue !

· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·

Cependant, à travers les marronniers touffus,

Aux longues branches,

Où le gaz éclatant met un brouillard confus

De taches blanches ;


À travers la fumée épaisse qui s’en va

Sortant des lèvres ;

À travers tout ce bruit et tout ce brouhaha,

Toutes ces fièvres,


Là-haut, dans le grand ciel calme et silencieux,

Immense voile,

Brille, repos béni de l’esprit et des yeux,

Une autre étoile.


Comme une amie ancienne et dont on connaît bien

Le doux sourire,

Elle semble avec vous engager l’entretien

Et vous attire.


Elle vous dit les champs obscurs de l’infini,

Les nuits tranquilles,

Les astres pointillant l’azur du ciel uni

Comme autant d’îles.


Et les comètes d’or fendant l’immensité

Tout éperdues,

Et l’incommensurable et sombre majesté

Des étendues…


Étoile, pure étoile au sourire charmant,

Dont la lumière,

Par ces beaux soirs d’été, met un apaisement

Dans l’âme entière,


Étoile solitaire, en ton calme éternel

Toujours sereine,

Fais-nous vite oublier, chaste fille du ciel,

Ta sœur humaine !