Les Moineaux francs/38
« ENGLISH PEOPLE ».
e matin, à la mer, sous un soleil ardent
Qui poudre d’or la plage entière,
Les voici se baignant, marchant ou regardant
La vague douce et régulière.
Les voici, revêtus, pour quelque lawn-tennis,
Du pantalon d’un blanc de craie ;
Et, le long de leur corps, tourne comme une vis
Le veston à quadruple raie.
Les voici tous, traînant à travers l’univers
Et leurs mœurs et leur idiome,
Et conservant, sous les climats les plus divers,
L’illusion de leur at home.
Des Anglais ! des Anglais !! encore des Anglais !!!
Dans leur promenade éternelle,
Ils feraient à la terre, en unissant leurs plaids,
Une ceinture… de flanelle.
À Cannes, à Menton, tout le long de la mer,
Parmi les baisers de la brise,
J’en ai vu, j’en ai vu fuyant pendant l’hiver
Les noirs brouillards de la Tamise ;
J’en ai vu, j’en ai vu sur la place Saint-Marc,
À l’heure où Venise soupire,
Promener posément, comme dans Hyde-Park,
Leurs froides figures de cire ;
À Grenade, au milieu des décors d’opéra
Qu’une lumière blonde éclaire,
J’en ai vu, j’en ai vu regardant l’Alhambra
À travers leur itinéraire.
Mais en Suisse surtout… Ô forêts de sapins !
Ô lacs ! ô torrents ! ô fontaines !
Ô rochers-promenoirs que les Méniers alpins
Couvrent d’affiches par centaines !
Ô pics de l’Engadine ! ô glaciers de Zermatt !
Pleins de crevasses azurées !
Ô tranquilles névés ! ô grottes d’un blanc mat
Par Tartarin inexplorées !
Ô splendides hôtels perchés comme des tours
Tout en haut, en haut de la côte,
Offrant aux voyageurs vos draps de lit trop courts
Et vos trop longues tables d’hôte !
Ô bateaux à vapeur portant le restaurant
Et le harpiste obligatoires !
Ô cascades d’azur où l’on paye en entrant
Comme aux baraques de nos foires !
Ô vous tous, répondez franchement, entre nous…
Lorsque la saison vous est douce,
Pendant trois mois d’été, combien en comptez-vous,
De ces fils d’Albion-la-rousse ?
Combien de baronnets, combien de clergymen
Longs comme un jour où l’on s’ennuie,
Et de misses, rêvant aux douceurs de l’hymen
Sous leur fidèle parapluie ?
Partout, je vous le dis, à l’est, au sud, au nord,
Leur interminable cortège
Circule, du sommet de l’Etna jusqu’au fjord
Le plus lointain de la Norvège !
Vous en rencontrerez sans cesse, n’importe où,
Répandus sur toute la terre…
Mais le plus incroyable encore et le plus fou,
C’est qu’on en trouve en Angleterre !