(p. 255-260).


« ENGLISH PEOPLE ».





Ce matin, à la mer, sous un soleil ardent

Qui poudre d’or la plage entière,

Les voici se baignant, marchant ou regardant

La vague douce et régulière.


Les voici, revêtus, pour quelque lawn-tennis,

Du pantalon d’un blanc de craie ;

Et, le long de leur corps, tourne comme une vis

Le veston à quadruple raie.


Les voici tous, traînant à travers l’univers

Et leurs mœurs et leur idiome,

Et conservant, sous les climats les plus divers,

L’illusion de leur at home.


Des Anglais ! des Anglais !! encore des Anglais !!!

Dans leur promenade éternelle,

Ils feraient à la terre, en unissant leurs plaids,

Une ceinture… de flanelle.


À Cannes, à Menton, tout le long de la mer,

Parmi les baisers de la brise,

J’en ai vu, j’en ai vu fuyant pendant l’hiver

Les noirs brouillards de la Tamise ;


J’en ai vu, j’en ai vu sur la place Saint-Marc,

À l’heure où Venise soupire,

Promener posément, comme dans Hyde-Park,

Leurs froides figures de cire ;


À Grenade, au milieu des décors d’opéra

Qu’une lumière blonde éclaire,

J’en ai vu, j’en ai vu regardant l’Alhambra

À travers leur itinéraire.


Mais en Suisse surtout… Ô forêts de sapins !

Ô lacs ! ô torrents ! ô fontaines !

Ô rochers-promenoirs que les Méniers alpins

Couvrent d’affiches par centaines !


Ô pics de l’Engadine ! ô glaciers de Zermatt !

Pleins de crevasses azurées !

Ô tranquilles névés ! ô grottes d’un blanc mat

Par Tartarin inexplorées !


Ô splendides hôtels perchés comme des tours

Tout en haut, en haut de la côte,

Offrant aux voyageurs vos draps de lit trop courts

Et vos trop longues tables d’hôte !


Ô bateaux à vapeur portant le restaurant

Et le harpiste obligatoires !

Ô cascades d’azur où l’on paye en entrant

Comme aux baraques de nos foires !


Ô vous tous, répondez franchement, entre nous…

Lorsque la saison vous est douce,

Pendant trois mois d’été, combien en comptez-vous,

De ces fils d’Albion-la-rousse ?


Combien de baronnets, combien de clergymen

Longs comme un jour où l’on s’ennuie,

Et de misses, rêvant aux douceurs de l’hymen

Sous leur fidèle parapluie ?


Partout, je vous le dis, à l’est, au sud, au nord,

Leur interminable cortège

Circule, du sommet de l’Etna jusqu’au fjord

Le plus lointain de la Norvège !


Vous en rencontrerez sans cesse, n’importe où,

Répandus sur toute la terre…

Mais le plus incroyable encore et le plus fou,

C’est qu’on en trouve en Angleterre !