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PARIS-PRINTEMPS





Sortant de son long sommeil,

Le soleil

Doux et bienfaisant encore,
S’étale complaisamment,

En amant,

Sur le grand Paris qu’il dore.


À ses baisers attendus

Et bien dus,

Toute la ville frissonne ;
On fait la nique à l’hiver :

« Adieu, cher !

Repassez… après l’automne ! »

Dans l’azur, au bord des toits,

Mille voix

Lancent une folle antienne ;
C’est un tas de moineaux francs

Qui, par rangs,

Chantent la Parisienne.

Les vieillards, les souffreteux

Grelotteux,

Se réchauffent dans les squares,
Tandis que les bébés blonds

Font des ronds

Sous le nez des rastaquouères.


Bien astiqués, bien peignés,

Alignés,

Comme aux heures d’exercices,
Par deux, par trois, les pioupious

À l’œil doux

Passent devant les nourrices.

La foule, sur le trottoir,

Dès le soir,

Prend le frais à l’aventure ;
Les théâtres délaissés

Sont forcés

D’annoncer leur fermeture.

Les arbres du boulevard,

En retard

Sur leurs frères des banlieues,
Tendent leurs bras nonchalants

Et tremblants

Vers le ciel aux nappes bleues.


Les femmes, le teint plus clair,

Ont tout l’air,

Dans leurs jaquettes étroites,
De beaux joujoux bien tentants

Qu’au printemps

L’Amour tire de leurs boîtes.

Les peintres ont terminé

Et signé

Leur œuvre longtemps mûrie ;
Chacun, avant son départ,

Juge l’Art

Au Palais de l’Industrie.

Au Bois, dès le matin clair,

En plein air,

On galope, on caracole ;
Et rois et reines du sport

Sans effort

Cultivent la haute école.


Par les chemins isolés,

Bien sablés,

— Fine vision qui passe, —
Madame X…, en drap mastic,

De son stick

Touche sa jument de chasse,

Et les jolis oiseaux vifs

Vont, craintifs,

Se cacher sur une branche,
Lorsque courent affolés,

Emballés,

Les cavaliers du dimanche.

Aux Acacias, plus tard,

Au hasard

Se croisent les équipages ;
Le soleil frappe en biais

Les harnais,

Et lustre les attelages.


Le soir, le Cirque d’été

Fréquenté

Par la foule moutonnière,
Montre ses chevaux savants,

Ses géants,

Ses clowns à blanche crinière,

Tandis qu’aux cafés-concerts,

Dont les airs

Au ciel montent par bouffées,
On répète avec entrain

Le refrain

Des chansons… ébouriffées.

Tout rayonne, tout fleurit,

Tout sourit

Dans la nature attendrie ;
Paris fait le joli cœur

Et, vainqueur,

Se met en coquetterie.


Cependant qu’à tous les vents

Les vivants

Vont allumant leurs ivresses,
Le printemps prodigue aux morts

Les trésors

De ses récentes caresses.

Dans les cimetières verts,

Recouverts

De tombes dépareillées,
D’un pinceau que rien n’atteint

Il repeint

Les écorces dépouillées.

Du soleil timide encor

Les flots d’or

Baignent la terre ravie ;
Sur tous nos chers endormis

Ils ont mis

Des étincelles de vie :


Les oiseaux, dans les cyprès,

Font exprès

De dire de folles choses ;
Sur les ifs au manteau noir

On peut voir

Voltiger des vapeurs roses,

Et, parmi le clair satin

Du matin,

À l’heure où Paris s’apaise,
Montmartre, doux et charmant,

Dit gaîment

Bonjour au Père-Lachaise.