Les Moineaux francs/2
PARIS-PRINTEMPS
ortant de son long sommeil,
Le soleil
Doux et bienfaisant encore,
S’étale complaisamment,
En amant,
Sur le grand Paris qu’il dore.
À ses baisers attendus
Et bien dus,
Toute la ville frissonne ;
On fait la nique à l’hiver :
« Adieu, cher !
Repassez… après l’automne ! »
Dans l’azur, au bord des toits,
Mille voix
Lancent une folle antienne ;
C’est un tas de moineaux francs
Qui, par rangs,
Chantent la Parisienne.
Les vieillards, les souffreteux
Grelotteux,
Se réchauffent dans les squares,
Tandis que les bébés blonds
Font des ronds
Sous le nez des rastaquouères.
Bien astiqués, bien peignés,
Alignés,
Comme aux heures d’exercices,
Par deux, par trois, les pioupious
À l’œil doux
Passent devant les nourrices.
La foule, sur le trottoir,
Dès le soir,
Prend le frais à l’aventure ;
Les théâtres délaissés
Sont forcés
D’annoncer leur fermeture.
Les arbres du boulevard,
En retard
Sur leurs frères des banlieues,
Tendent leurs bras nonchalants
Et tremblants
Vers le ciel aux nappes bleues.
Les femmes, le teint plus clair,
Ont tout l’air,
Dans leurs jaquettes étroites,
De beaux joujoux bien tentants
Qu’au printemps
L’Amour tire de leurs boîtes.
Les peintres ont terminé
Et signé
Leur œuvre longtemps mûrie ;
Chacun, avant son départ,
Juge l’Art
Au Palais de l’Industrie.
Au Bois, dès le matin clair,
En plein air,
On galope, on caracole ;
Et rois et reines du sport
Sans effort
Cultivent la haute école.
Par les chemins isolés,
Bien sablés,
— Fine vision qui passe, —
Madame X…, en drap mastic,
De son stick
Touche sa jument de chasse,
Et les jolis oiseaux vifs
Vont, craintifs,
Se cacher sur une branche,
Lorsque courent affolés,
Emballés,
Les cavaliers du dimanche.
Aux Acacias, plus tard,
Au hasard
Se croisent les équipages ;
Le soleil frappe en biais
Les harnais,
Et lustre les attelages.
Le soir, le Cirque d’été
Fréquenté
Par la foule moutonnière,
Montre ses chevaux savants,
Ses géants,
Ses clowns à blanche crinière,
Tandis qu’aux cafés-concerts,
Dont les airs
Au ciel montent par bouffées,
On répète avec entrain
Le refrain
Des chansons… ébouriffées.
Tout rayonne, tout fleurit,
Tout sourit
Dans la nature attendrie ;
Paris fait le joli cœur
Et, vainqueur,
Se met en coquetterie.
Cependant qu’à tous les vents
Les vivants
Vont allumant leurs ivresses,
Le printemps prodigue aux morts
Les trésors
De ses récentes caresses.
Dans les cimetières verts,
Recouverts
De tombes dépareillées,
D’un pinceau que rien n’atteint
Il repeint
Les écorces dépouillées.
Du soleil timide encor
Les flots d’or
Baignent la terre ravie ;
Sur tous nos chers endormis
Ils ont mis
Des étincelles de vie :
Les oiseaux, dans les cyprès,
Font exprès
De dire de folles choses ;
Sur les ifs au manteau noir
On peut voir
Voltiger des vapeurs roses,
Et, parmi le clair satin
Du matin,
À l’heure où Paris s’apaise,
Montmartre, doux et charmant,
Dit gaîment
Bonjour au Père-Lachaise.