Les Mines de la Sarre sous l’administration française

Général Hirschauer
Les Mines de la Sarre sous l’administration française
Revue des Deux Mondes7e période, tome 10 (p. 634-649).
LES MINES DE LA SARRE
SOUS L’ADMINISTRATION FRANÇAISE

Au moment où éclate la Révolution, le pays sarrois est terre française ; Sarrelouis en est la capitale ; la suppression des difficultés auxquelles donnait lieu l’enchevêtrement des territoires français et des pays d’Empire, avait réalisé en grande partie le projet longuement suivi par la politique française. Les places fortes de Sarrelouis et de Landau entraient dans le grand système de fortifications de notre frontière, dû au génie de Vauban. Les populations sarroises, jusqu’alors morcelées, jouirent enfin des bienfaits de l’unité administrative et politique ; la Révolution leur donna la liberté. Puis l’administration napoléonienne ouvrit dans tout le pays une ère de prospérité. A la faveur de ces événements se développa un courant de sympathie qui s’étendait dans toute la région rhénane et dont on a, depuis l’armistice, retrouvé la survivance en maints endroits. Cette sympathie existe encore, en particulier en dehors des grands centres envahis par le flot des émigrants prussiens et poméraniens ; ces derniers, abandonnant leurs pauvres plaines, sont venus, dès 1815, s’implanter en maîtres dans les riches régions de la rive gauche du Rhin. C’est la même invasion qui se produisit en Alsace après 1871 ; mais, d’une part, l’Alsace sut résister et, d’autre part, la colonisation prussienne de la Sarre dura un siècle ; elle laissa naturellement des traces profondes. Si les administrateurs de l’Empire obtinrent d’heureux et durables résultats dans la région sarroise, les techniciens français firent mieux encore.

Certains gisements carbonifères du pays étaient connus depuis le XVIIIe siècle, et quelques affleurements de surface étaient exploités pour le compte des princes de Nassau-Sarrebruck ; à l’époque de la Révolution, ils produisaient annuellement 50 000 tonnes. Napoléon donna des instructions formelles pour l’exploitation des mines existantes et décida d’entreprendre la prospection méthodique du bassin. Nos meilleurs mineurs d’alors furent envoyés en Sarre et parmi eux les ingénieurs Duhamel, Beaunier et Calmelet. Ces trois hommes explorèrent et prospectèrent scientifiquement le Bassin, puis réunirent en un atlas minier, resté célèbre, les résultats de leurs études. Napoléon fit plus ; il fonda à Geislautern une école des Mines ; puis il vint lui-même se rendre compte de l’avancement des travaux, auxquels il s’intéressa toujours personnellement. Les résultats de ses efforts ne se firent pas attendre. En quelques années, la production des mines atteignit 150 000 tonnes.

La France ne devait pas recueillir ces fruits. Bien que ces régions eussent fait partie de l’ancien royaume de France, et bien que le Traité de Paris les eût maintenues françaises, les traités de 1815 les attribuèrent à la Prusse. Celle-ci convoitait les richesses naturelles dont les études de nos ingénieurs avaient révélé l’étendue et favorisé l’exploitation. Elle les prit, exigea de la France la remise des plans et graphiques dressés par Beaunier et Calmelet, et décida de mettre les mines en valeur pour son propre compte. Pendant les cent années qui suivirent, le travail des ingénieurs français devait être la base de l’exploitation des mines fiscales de la Sarre.


Dès l’armistice du 11 novembre 1918, il était entendu qu’en compensation de la destruction des mines du Nord, les mines fiscales prussiennes et bavaroises des territoires de la Sarre devaient être cédées à la France. Aussi, dès l’arrivée de nos troupes à Sarrebruck, un service de contrôle des mines fut créé et un certain nombre d’ingénieurs, encore mobilisés pour la plupart, furent-ils délégués dans les différentes fosses. La mission de ces ingénieurs était particulièrement délicate. Ils devaient, d’une part, surveiller et contrôler l’exploitation des mines par les ingénieurs allemands ; ils avaient, d’autre part, la mission encore tacite de se familiariser avec les fosses, et de préparer sans à-coups la transmission de pouvoirs que nous étions en droit d’espérer des stipulations d’un traité équitable.

Il est inutile de dire que certains Allemands ne mirent pas toujours une très bonne volonté à documenter nos ingénieurs ; mais ceux-ci ne se laissèrent pas rebuter, se mirent avec ardeur au travail, stimulés qu’ils étaient par un patriotisme ardent, et de plus, pour certains, par leur origine des régions minières dévastées. En quelques mois, ils prirent une connaissance rapide du gisement et de son exploitation, et furent en état de suppléer, puis de remplacer les ingénieurs allemands.

On ne saurait trop rendre hommage à ces artisans des premiers mois d’après-guerre : incertains de l’avenir, ignorant pendant de longs mois ce que serait la paix, ils n’en firent pas moins preuve d’une magnifique émulation patriotique. Ils eurent à cœur de maintenir dans ces régions le prestige de la France victorieuse, s’attirant le respect et même la sympathie des populations par leur tact, leur activité et leurs connaissances techniques. Deux noms sont à citer et à retenir en évoquant h. période d’activité du contrôle des mines de la Sarre : MM. Jean Siegler et Léon Daum. Rien n’égale l’habileté dont ils ont fait preuve en des moments difficiles.


L’article 45 du traité de Versailles nous donne définitivement les mines de la Sarre possédées par l’Etat prussien. La France en reçoit « la propriété entière et absolue, franche et quitte de toutes dettes ou charges, avec droit exclusif d’exploitation. » La valeur des mines est à valoir sur le montant de la réparation des dommages de guerre. Le 18 janvier 1920, par la mise en vigueur du traité de Paix, l’Etat français prenait possession définitive des mines.

L’ensemble des installations appartenant à l’Etat français comprenait :

1° 30 sièges d’extraction réunissant un total de 156 puits dont 66 servant à la remonte du charbon, et les autres à la ventilation, au personnel, etc. ; 2° 24 lavoirs, destinés à purifier le charbon ; 3° 3 centrales électriques ; 4° une cokerie, une usine de récupération des sous-produits, une usine à briquettes ; 5° 2 ports à Sarrebruck et Luisenthal. Tout cet ensemble était desservi par 75 000 ouvriers, travaillant tant au fond qu’au jour.

Le bassin charbonnier de la Sarre ne s’étend pas seulement sur le territoire sarrois tel qu’il est délimité par l’article du traité de Versailles ; il se prolonge vers le Sud-Ouest à travers le département de la Moselle, et a encore été reconnu en Meurthe-et-Moselle, et même au delà L’étendue du bassin charbonnier est d’environ 100 kilomètres de longueur, sur 30 à 35 kilomètres de largeur. Les gisements reconnus comprennent une centaine de couches, correspondant en certaines zones à une épaisseur totale de 90 mètres de charbon. Mais, d’une part, si en des points particuliers du territoire de la Sarre, on trouve des couches affleurant le sol, elles s’enfoncent rapidement, et à Pont-à-Mousson, elles s’étagent entre 800 et 1 500 mètres de profondeur. Dans ces dernières zones, l’extraction serait très coûteuse.

Le congrès des mines tenu en 1913 à Toronto, a évalué à 16 milliards et demi de tonnes les réserves réputées certaines, dont près de 10 milliards au-dessus de 1 200 mètres ; à titre de comparaison, on dira que les mines du Nord et du Pas-de-Calais paraissent présenter une réserve totale égale à 8 milliards de tonnes.


Que vaut le charbon de la Sarre ? On distingue les charbons extraits des mines françaises en : charbons gras, charbons flambants, charbons secs à longue flamme. Les charbons gras sont surtout utilisés pour la fabrication du gaz d’éclairage, pour les chaudières des locomotives et des bateaux, pour la forge, etc.

Les charbons flambants sont très recherchés pour l’alimentation des gazogènes de fours industriels, en particulier de la métallurgie, de la céramique et de la verrerie. Leur grande facilité d’allumage et de combustion les fait apprécier dans tous les cas où il y a des coups de feu temporaires à donner, par exemple, dans les centrales électriques pour « passer les pointes », dans les cuisinières des restaurants, etc… Le charbon sec à longue flamme est surtout employé au chauffage domestique. Enfin les divers charbons sarrois, mélangés avec des charbons maigres, permettent de réaliser toute la gamme des charbons industriels et de fabriquer les briquettes de chemin de fer.

Tous ces charbons sont d’excellente qualité, par leur teneur en matières volatiles (35 à 42 pour 100), par la petite quantité de cendres produites à la combustion (5 à 8 pour 100), et surtout par leurs pouvoirs calorifiques (8 300 calories par kilogr. de charbon gras ; 8 000 pour les charbons flambants. ) Seuls ou mélangés à des charbons moins riches qu’eux en matières volatiles, les charbons gras de la Sarre sont très employés pour la fabrication du coke. Les cokes ainsi obtenus ne possèdent malheureusement pas toutes les qualités de résistance requises pour les usages de la grande métallurgie. Ils sont assez friables, et de densité trop peu élevée. Utilisables et utilisés presque exclusivement dans les hauts fourneaux de faible capacité de l’industrie sidérurgique sarroise, ils le sont plus difficilement dans ceux de 300 tonnes des usines lorraines, et dans ceux, plus grands encore, que tend à adopter l’industrie du fer.

Cette tendance très naturelle des industriels d’accroître la capacité unitaire de leurs hauts fourneaux avait préoccupé les Allemands dès avant la guerre. Pour améliorer le coke obtenu avec les charbons sarrois, et lui donner les qualités d’ordre physique qui caractérisent un bon coke métallurgique, ils avaient depuis 1912 cherché le correctif dans une voie simple et très normale ; en mélangeant des houilles de la Sarre avec des houilles d’autres provenances, plus maigres, c’est-à-dire moins riches en matières volatiles, ils avaient obtenu d’assez bons résultats.

Mais cet appel à des charbons tirés d’autres bassins et particulièrement de la Ruhr présente des inconvénients évidents ; aussi, dès 1920, l’administration des mines domaniales françaises de la Sarre s’est-elle préoccupée au plus haut point de cette question. Sans abandonner les recherches précédemment entreprises dans la voie des mélanges avec des charbons étrangers, elle a orienté plus spécialement ses efforts vers la fabrication du bon coke métallurgique, avec les seuls charbons de la Sarre. Elle a créé dans ce dessein un laboratoire de recherches à proximité de la cokerie d’Heinitz. Une nouvelle méthode de traitement des charbons de la Sarre paraît définitivement trouvée et mise au point. Elle est simple et consiste à distiller partiellement des « fines de la Sarre, » afin de les débarrasser de leur excès de matières volatiles, matières qui d’ailleurs sont recueillies et utilisées. Le charbon « semi-distillé » ainsi obtenu est ensuite mélangé aux charbons courants, et traité suivant l’ancienne formule, dans les fours à coke ordinaires. Les résultats sont, depuis plusieurs mois, sortis du domaine du laboratoire, et, dans un délai très prochain, la Sarre pourra livrer à l’industrie sidérurgique un important tonnage du nouveau coke métallurgique.


Comment ont été, sont et seront administrées les mines de la Sarre ?

Comme on est trop souvent porté à admirer sans réserves l’administration allemande, il est bon d’examiner comment elle régentait les mines fiscales (Sarre, Westphalie, Silésie, etc. ). Le grand chef des mines était, à Berlin, le ministre du Commerce et de l’Industrie. Auprès de lui, se trouvait un conseil de neuf membres et son président (Oberberghauptmann. ) A Bonn, le collège directeur de la Province minéralogique dont dépendaient les mines de la Sarre comprenait neuf membres et un président (Berghauptmann). A Sarrebruck siégeait le collège directorial des mines de la Sarre, composé de neuf membres, tous fonctionnaires d’Etat et son président (Versitzzender). Ce dernier président dépendait directement du ministre, mais, sur certains points, relevait aussi du conseil de Bonn. De plus chacun de ses neuf coadjuteurs avait un droit d’appel des décisions du président devant le ministre et devant le conseil de Bonn D’autre part, les 12 hauts fonctionnaires, chefs des 12 inspections minières de la Sarre, étaient directement responsables envers le ministre ; ils étaient seuls chargés de l’administration du budget voté spécialement pour chaque inspection, par les Chambres prussiennes.

L’élaboration des budgets des différents sièges était compliquée et devait être faite dans les plus petits détails, deux années à l’avance. Chaque année, au mois de juin, l’Oberberghauptmann ou son délégué visitait chaque direction de travaux et chaque inspection, et recevait de chaque directeur de travaux ou de chaque chef d’inspection un programme de travaux neufs Les projets de budgets correspondant à ces programmes étaient envoyés en novembre ou décembre au ministre du Commerce et de l’Industrie. Transmis par ce dernier après examen à son collègue des Finances, ils étaient toujours renvoyés et comprimés plusieurs fois. Les projets définitifs étaient enfin présentés aux Chambres incorporés dans le budget général de l’État, sans qu’il soit tenu compte des recettes des mines. C’est donc suivant la situation des finances de l’Etat prussien qu’on faisait ou non des travaux neufs.

Une administration supérieure aussi compliquée et aussi dispersée, un semblable enchevêtrement de pouvoirs, n’étaient pas faits pour faciliter la conduite de l’exploitation et son développement. Les chefs d’inspection, submergés par la paperasserie, en arrivaient souvent à se confiner dans le seul travail de bureau ; obligés de négliger l’extraction proprement dite, ils en laissaient pratiquement la direction à des fonctionnaires de second rang, les porions. Ceux-ci, assurés d’une position stable et d’un avancement automatique, ne fournissaient souvent qu’une activité bien ralentie. Les résultats de la gestion des mines fiscales prussiennes de la Sarre ont été d’ailleurs à diverses époques très sévèrement jugés en Allemagne même, mais sans aucun résultat pratique.

C’est en se substituant à cette administration que nos ingénieurs durent se mettre au courant du service après l’armistice ; dès le 23 octobre 1919, un décret instituait le régime provisoire encore appliqué actuellement.

Avant tout on créa l’unité de direction ; un ingénieur en chef du Corps des mines [1] est le directeur général des mines domaniales de la Sarre, et réside à Sarrebruck ; il a, sous l’autorité du ministre des Travaux publics, une action pleine et entière sur l’administration, l’exploitation et le personnel. Il est secondé par trois directions : celles des services techniques, des services administratifs et du personnel. On a cru devoir conserver les 12 inspections prussiennes, mais on les a réparties en trois groupes, dirigés chacun par un ingénieur en chef. La conduite des exploitations fut confiée à des ingénieurs et non plus laissée entièrement aux chefs porions ; les services de réparation, d’entretien, des lavoirs et électriques, furent séparés et concentrés dans chaque groupe d’inspection ; des bureaux centraux d’études et un service central d’essai furent organisés. Alors que, sous le régime allemand, la vente des charbons était presque entièrement monopolisée par quelques gros marchands de charbon, on créa un Service commercial et de nombreuses agences de vente en France et à l’étranger, agences dont nous aurons occasion de parler plus loin. Enfin un conseil des mines de la Sarre, institué par le décret du 23 octobre 1919, se réunit tous les mois, soit à Paris, soit à Sarrebruck ; il est composé de quinze membres : délégués des divers ministères, consommateurs de houille, exploitants, anciens ouvriers mineurs français ; ce conseil remplit des fonctions analogues à celles d’un conseil d’Administration d’une compagnie privée [2].

Telle est l’organisation qui fonctionne encore actuellement, et dont nous verrons les résultats. Cette organisation ne jouit toutefois d’aucune liberté commerciale ; elle est enserrée par les règles étroites de la comptabilité publique ; aussi le Gouvernement propose-t-il la création d’un « Office des mines domaniales. »

La Chambre a voté le projet dès le 17 juin 1921. Il est encore pendant devant le Sénat.

Le projet de loi place les mines, non plus sous l’autorité, mais sous le contrôle du ministre des Travaux publics, fait de l’Office un établissement public français, ayant son siège à Paris, possédant la personnalité civile et l’autonomie financière.

L’Office est administré par un Conseil d’administration d’une composition à peu près identique à celui qu’établit provisoirement le décret du 23 octobre 1919, mais pourvu des pouvoirs plus étendus.

L’Office, autorisé par décret contre-signé du ministre des Finances et du ministre des Travaux publics, pourra émettre des obligations hypothécaires ou non, amortissables dans un délai ne dépassant pas 50 années. Le montant de l’émission pourra atteindre les 3/4 de la valeur des mines domaniales, telle que cette valeur sera fixée par la Commission des réparations ; le produit de cette tranche de l’émission sera versé au Trésor ; de plus, le montant de l’émission sera majoré de la somme reconnue nécessaire pour faire face aux travaux neufs.

L’Etat français garantit l’intérêt et l’amortissement des obligations. Enfin, avant l’expiration du délai de quinze ans à compter de la mise en vigueur du traité de Paix, et si l’Office créé par la loi n’est pas dissous, le ministre chargé des mines devra constituer une Société anonyme à participation ouvrière pour continuer, au lieu et place de l’Office, l’exercice des droits reconnus à la France.


Quels ont été les résultats obtenus par l’administration française ? La production nette des mines de la Sarre pendant l’année 1949, dernière année d’exploitation allemande, a été de 8 970 848 tonnes. La production nette de l’année 1920, première année d’exploitation française, a été de : 9 410 432 tonnes. Soit une augmentation de : 439 584 tonnes. Ces résultats d’une première année d’exploitation sont appréciables, si l’on songe aux difficultés et aux inévitables tâtonnements d’un début.

Bien plus, les mines de la Sarre ont été livrées à la France dans un assez médiocre état. Pendant la période de guerre, seuls les travaux d’extrême urgence avaient été exécutés, parfois provisoirement, souvent par un personnel de fortune. Pendant l’année 1920, il fallut à la fois produire et améliorer l’exploitation. Il fallut aussi rétablir la discipline du personnel qui s’était particulièrement relâchée pendant les derniers mois d’exploitation prussienne. La production nette de l’année 1921, seconde année d’exploitation française, et année de sous-consommation, a été de 9 574 602 tonnes, soit une augmentation de 164 170 sur l’année précédente, malgré les grandes difficultés traversées, pendant cette année, par tout le monde industriel.


A ces résultats encourageants, l’administration des mines veut en ajouter d’autres ; en vue d’augmenter la production, et par suite de diminuer les importations de charbons étrangers, de grands travaux sont entrepris : aménagement d’un nouveau siège d’extraction, renforcement des centrales électriques, dont la puissance doit être doublée cette année, et quadruplée dans deux ans. De nouveaux compresseurs, destinés à développer l’usage de l’air comprimé dans les mines, vont être installés ; le matériel des diverses fosses va être uniformisé, « standardisé ; » sous le régime allemand, le matériel variait d’une fosse à l’autre, entraînant ainsi des complications inouïes pour les réparations et l’entretien.

La Direction, frappée du grand nombre d’accidents mortels, s’attache à les diminuer, et y réussit ; alors qu’avant la guerre, la moyenne annuelle des ouvriers tués était de 1,2 par mille ouvriers, que cette moyenne s’est élevée à 1,9 pendant la guerre, elle a été réduite à 0,9 dans les années 1920 et 1921. Cette diminution semble avoir pour causes principales : une surveillance plus active des ingénieurs français ; la généralisation absolue du boisage systématique ; l’introduction de nouveaux appareils de sécurité, et enfin, la construction de laboratoires d’essai perfectionnés.

Ces laboratoires, création française, ont pour but principal de vérifier et d’éprouver les différentes pièces dont peut dépendre la vie du personnel. Ils effectuent des essais périodiques sur les câbles d’extraction, de traînage, d’équilibre ; sur les amarrages de câbles d’extraction, etc… Ils procèdent aussi à des recherches d’ordre scientifique et de longue haleine dont les résultats auront pour conséquence des perfectionnements de fabrication. Aucun laboratoire de ce genre n’existait aux mines de la Sarre sous l’Administration prussienne. Projetés et construits pendant le courant de l’année 1920, ils rendent déjà d’importants services.


A l’époque de l’Armistice, le salaire des ouvriers mineurs n’était pas en rapport avec les conditions économiques nouvelles. Il en résulta, au début de la période du contrôle des mines de la Sarre par les Français, et pendant quelques mois après la prise de possession des mines, toute une série de revendications, auxquelles satisfaction fut donnée d’une façon échelonnée de mars 1919 jusqu’au mois de juillet 1920 ; à ce ce moment l’introduction du franc pour le paiement des ouvriers amena plus de stabilité.

C’est ainsi que par des augmentations successives consenties en mars, juin, août, septembre, octobre, décembre 1919, janvier, février, mars, avril 1920, le salaire moyen des ouvriers a passé de 10 marks en 1918, à 46 marks 75 en juin 1920 ; le salaire moyen des ouvriers piqueurs a passé, dans la même période, de 13 marks 10 à 58 marks 24.

Les tarifs de salaires en francs, furent fixés au 1er juillet 1920, sur la base d’un salaire moyen de 23 francs pour les ouvriers piqueurs, qui était à l’époque le salaire des ouvriers de même catégorie en Lorraine. Ces tarifs sont restés aussi élevés jusqu’en mars 1921, où ils ont été réduits de 4 francs pour les piqueurs, et de 3 fr 50 dans l’ensemble. Le 1er décembre 1921, nouvelle réduction de salaire de 3 francs pour les piqueurs, et 2 fr. 50 pour l’ouvrier moyen. Des indemnités sont accordées aux ouvriers chargés de famille.


Les questions ouvrières se compliquaient, au moment où nous sommes entrés dans la Sarre, d’une grave question de ravitaillement ; il s’agissait d’acheter des vivres, et de les répartir entre 55 000 familles, représentant 230 000 rationnaires au moins. L’administration allemande avait bien institué un organisme dans ce dessein ; mais dès 1918, elle dut restreindre, puis supprimer ses distributions où l’ « Ersatz » avait une place prépondérante.

L’introduction du franc, au lieu du mark, comme monnaie de paiement des ouvriers mineurs, le retour à des prix de denrées raisonnables, ont permis de suspendre le service de ravitaillement, à la grande satisfaction des négociants locaux. Grâce à ce service de ravitaillement, qui reste cependant organisé, prêt à fonctionner, les grèves ont été à peu près supprimées dans le bassin de la Sarre, alors que les mineurs du monde entier arrêtaient le travail. Les grèves de Lorraine n’eurent même pas de répercussion sensible dans la Sarre.

La construction de près de 500 maisons ouvrières, réalisée dans les années 1920 et 1921, a donné un millier de logements loués à bas prix et à perte.

L’institution des délégués à la sécurité, obligatoire d’après les lois allemandes, a été maintenue ; d’ailleurs cette institution est aussi légale en France, avec quelques différences de forme. L’ensemble des délégués à la sécurité, élus par les ouvriers, forme le Congrès ouvrier chargé de maintenir l’accord entre le personnel et le directeur des mines.

De plus, les mineurs sont presque tous membres d’un syndicat, soit syndicat socialiste, soit syndicat chrétien ; le premier syndicat, de beaucoup le plus nombreux, fait de la politique réaliste, et cherche avant tout l’intérêt personnel de ses membres ; le second reçoit son mot d’ordre du dehors.


Une mesure toute de justice, toute démocratique, prise par la direction française des mines, a fait dans le monde des mineurs une impression très favorable. On sait que les porions sont les contre-maîtres des mineurs du fond ; sur eux repose la surveillance constante du travail, du rendement et de la sécurité. Sous l’administration prussienne, seuls étaient nommés porions les candidats ayant suivi la filière régulière des cours à l’Ecole des mines de Sarrebruck ; les études théoriques y tenaient une large place, souvent aux dépens de la formation pratique. Il a paru opportun d’ouvrir la voie de l’avancement à des mineurs ayant fait preuve de capacités professionnelles et d’un caractère énergique, et d’encourager ainsi les efforts de ceux qui cherchaient à s’élever au-dessus de leur condition.

Le recrutement des porions pouvait d’autant plus facilement se faire dans le personnel ouvrier que nos ingénieurs des fosses descendent journellement dans la mine, y inspectent les travaux divers, se rendent compte de visu de l’avancement des tailles, de la direction à donner aux nouveaux travaux, des précautions de sûreté, d’hygiène, etc. Ce fait, normal dans toutes les mines françaises, a beaucoup frappé la population ouvrière, habituée à considérer comme un événement rare la présence d’un ingénieur au fond de la mine. Ainsi qu’on a pu le constater par la diminution considérable des accidents mortels, le résultat du travail personnel de nos ingénieurs ne s’est pas fait attendre.


La direction des mines s’est occupée d’une façon toute spéciale de développer l’instruction et surtout l’instruction française. L’article 14 de l’annexe au traité de paix relative aux mines de la Sarre dit en effet : « L’Etat français pourra toujours fonder et entretenir, comme dépendances des mines, des écoles primaires et techniques à l’usage du personnel et des enfants du personnel et y faire donner l’enseignement en langue française, conformément à des programmes et par des maîtres de son choix... »

Forte de ce texte, qui ne donne prise à aucune discussion, la direction des mines a voulu : 1° ouvrir aux enfants des mineurs des écoles primaires françaises ; 2° perfectionner l’enseignement des écoles existantes ; 3° développer les cours d’adultes en y introduisant la langue française. Le gouvernement de la Sarre a d’ailleurs admis que tous les Sarrois, qu’ils soient ou non employés par les mines, peuvent faire inscrire leurs enfants dans les écoles entretenues par les mines, et que, ce faisant, ils satisfont à l’obligation de la fréquentation scolaire. Cette organisation a rencontré beaucoup de difficultés : tout d’abord, l’hostilité de l’élément prussien de la population, puis le manque de locaux, l’insuffisance numérique du personnel. Toutes ces difficultés ont été surmontées.

En 1920, il y avait 7 écoles françaises sur le territoire de la Sarre ; actuellement il en existe 13 ; elles ont compté, à la rentrée des classes d’octobre, 2 731 élèves, dont 1 922 Sarrois. En octobre 1922, seront ouvertes 4 nouvelles écoles, pouvant contenir au moins 800 élèves.

Une école technique a été créée à Sarrebruck fréquentée actuellement par plus de 100 élèves. Les cours d’adultes, au nombre de 50, comptent 4 185 élèves assidus. Les cours supérieurs d’adultes, au nombre de 4, ont 120 élèves.

A ces chiffres, déjà si éloquents, il convient d’ajouter les 1 930 élèves des 22 écoles maternelles, les 495 élèves des 17 écoles ménagères, et enfin les 607 employés des mines inscrits aux cours de langue française et les suivant assidûment. L’administration des mines domaniales, en poursuivant son œuvre scolaire, n’a pas perdu de vue l’exceptionnelle importance que présentent en Sarre les questions religieuses ; catholiques et protestants reçoivent dans les écoles françaises l’instruction religieuse dans des conditions identiques à celles pratiquées dans les écoles sarroises.


Le régime des assurances ouvrières, déjà très complet, et, pourrait-on dire, très compliqué, sous le régime allemand, a été maintenu et amélioré. La plupart des caisses d’invalidité et de maladie laissées par les Allemands étaient dans une situation financière lamentable ; certaines, telle la caisse des assurances contre la maladie, avaient un passif important ; pour les autres, l’actif constitué en marks était très faible ; dans tous les cas, les pensions, payées en marks, étaient, dans la situation actuelle du change, et avec l’élévation des prix — en marks — de la vie, tout à fait insuffisantes. La direction des mines est arrivée à rétablir l’ordre dans les finances des caisses d’invalidité ou de maladie, tout en élevant le taux des pensions et en les payant en francs, toutes les fois que la chose a été possible.


Il ne s’agit pas seulement d’extraire du charbon, en quantités de plus en plus grandes, mais il faut encore et surtout le vendre dans des conditions suffisamment rémunératrices. L’organisation du service commercial des mines répond à cette nécessité.

Un service commercial français a été créé ; jusqu’au 1er mars 1921, date à laquelle le commerce des charbons est devenu libre, ce service a été un simple organe de répartition ; il est actuellement un organe de vente. Le principe qui domine l’organisation commerciale est celui-ci : « Tout consommateur industriel peut acheter directement son charbon au producteur. » Aussi peut-on acheter un wagon de charbon, directement aux mines de la Sarre : c’est la suppression du grand intermédiaire.

Le service commercial a commencé à fonctionner en un moment très difficile ; l’année 1921 a été caractérisée par la crise générale qu’a traversée l’industrie ; l’industrie houillère, qui alimente toutes les autres, a particulièrement ressenti les effets de cette crise. En 1920, on pouvait évaluer les besoins de l’industrie française, y compris les trois départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, à 70 millions de tonnes ; or ces besoins n’ont pu être intégralement couverts par les 25 millions de tonnes, de la production nationale, Sarre comprise, les 13 millions de tonnes importés d’Angleterre, les 12 millions de tonnes de réparation allemandes, soit au total 50 millions de tonnes. Mais en 1921, année de sous-consommation, les besoins de la France n’ont pas dépassé 45 millions de tonnes ; inutile de dire que l’appoint fourni par l’Angleterre a été considérablement diminué.

Cette situation de « sous-consommation » n’a pas été spéciale à la France, mais commune à tous les pays habituellement importateurs de combustibles. Il en est résulté que les pays gros producteurs de houille ont dû faire des efforts pour concurrencer les charbons indigènes ; c’est ainsi que les houillères de France et de Sarre ont, directement ou indirectement, souffert de la concurrence anglaise, qui a tout tenté pour reconquérir le marché français. Le consommateur, — que le régime de la péréquation avait déshabitué d’acheter, — attendait toujours de nouveaux cours plus bas et ne passait de marchés qu’à la dernière limite. Il faut tenir compte aussi de la nécessité de placer sur le marché français, et en particulier dans les services publics et dans les chemins de fer, les charbons de réparation ; ces derniers arrivaient à nos frontières à des prix très bas, en raison de la baisse du mark.

Telles sont les difficultés d’ordre général avec lesquelles ont été aux prises les charbonnages de France et de Sarre au cours de l’année 1921. D’autres, spéciales aux mines françaises de la Sarre, sont venues s’y joindre.


Les charbons sarrois, presque exclusivement consommés dans les pays allemands avant la guerre, étaient, en général, fort peu connus en France. Une large part de leur aire normale de vente, l’Allemagne du Sud, se trouvant en partie fermée, l’obligation de diriger vers la France le plus de tonnage possible, mettait les mines dans une situation géographique désavantageuse, placées qu’elles étaient à une extrémité, et non au centre de leur nouvelle zone de vente. Il y avait lieu aussi pour elles de ménager dans une certaine mesure les marchés anciens acquis en France par les mines françaises. Ce problème a soulevé, au cours de l’année 1921, une question de concurrence particulièrement délicate, notamment sur les marchés de l’Est et du Sud-Est. Ajoutons à toutes ces difficultés l’arrêt presque complet de la navigation sur le canal des Houillères pendant l’année 1921.

Tels sont les obstacles qu’eurent à surmonter les mines domaniales au cours des premières années où s’exerça leur activité commerciale.

En présence de cette situation, le Service commercial, entré le 1er mars 1921 dans son rôle de vendeur des produits des mines sous le régime de la liberté du commerce et de la libre concurrence, s’est attaché à établir des rapports de plus en plus serrés avec les consommateurs. Sept agences de vente en France ont été créées le 1er avril 1921 : leur action s’étend sur toute la France. Le rôle essentiel de ces agences, véritables prolongements du Service commercial central, est d’assurer dans la plus large mesure possible la vente directe aux consommateurs, tout en contrôlant le bénéfice honnête que le commerce doit retirer de la revente aux petits consommateurs dont les besoins ne comportent pas la passation de marchés directs. Les agences ont été fixées à Paris, Reims, Metz, Strasbourg, Sens, Nancy, Lyon, Belfort.

La situation du marché français étant extrêmement précaire, le Service commercial a cherché par tous les moyens diplomatiques et commerciaux à se rouvrir progressivement, au moins en partie, les anciens marchés des charbons de la Sarre en Allemagne, en Autriche, en Suisse, en Italie et en Belgique. Des Inspections commerciales furent à cet effet créées le 1er avril 1921 à Bâle, Milan, Charleroi, Liège, Ludwigshafen, etc. Agences et Inspections commerciales s’organisèrent rapidement, et, le contact avec la clientèle s’étant établi, ne tardèrent pas à donner de bons résultats.

On aurait tort de croire que les mines de la Sarre concurrencent nos mines du Centre ou du Nord ; elles doivent d’abord fournir aux besoins de la Sarre elle-même, et de trois départements réintégrés ; la fabrication du nouveau coke métallurgique permettra en particulier de satisfaire aux besoins de l’industrie sidérurgique de la Moselle.

D’autre part, nous l’avons dit, en année normale, la France devra encore importer quinze millions de tonnes de charbon, ce qui correspond à environ deux milliards d’achats à l’étranger. Faire baisser, faire disparaître cette cause d’appauvrissement, doit être le plus grand de nos soucis ; l’attribution à la France des mines de la Sarre contribue, pour une large part, à corriger notre déficit charbonnier ; peut-être une étude plus complète des procédés de chauffe dans les industries et les foyers domestiques, arrivera-t-elle à économiser la matière noire si précieuse ; les captations de houille blanche feront le reste.


Tel est l’effort réalisé depuis la prise de possession des mines sarroises par l’autorité française ; il est tout à l’honneur de notre admirable corps des Ingénieurs des mines et de tout le personnel français des mines de la Sarre.


Général HIRSCHAUER.

  1. M. Defline.
  2. Président M. A. Fontaine.