Les Mines de Diamants du Cap

Les mines de diamans du Cap
Desdemaines-Hugon


LES
MINES DE DIAMANS
DU CAP

Les champs diamantifères du Cap, que l’on exploite depuis cinq ou six ans, sont situés sur la limite de la colonie du cap de Bonne-Espérance et des états libres du fleuve Orange[1], à environ 1,200 kilomètres de Cape-Town, par 29 degrés de latitude sud et 23 degrés de longitude est, à une altitude moyenne de 1,800 mètres. Ils appartenaient d’abord à la république de l’Orange ; mais, dès que la richesse extraordinaire de ces gisemens fut bien établie, le gouvernement anglais se rappela tout à coup qu’il était cessionnaire des droits d’un ancien chef cafre dont ces terrains devaient faire partie. Il s’en empara en dépit des protestations énergiques de la république hollandaise, qui en 1871 offrait loyalement de soumettre la question à l’arbitrage de l’empereur d’Allemagne. Le gouvernement du Cap s’y refusa, et garda les mines malgré le résultat des arpentages, qui ne lui était pas favorable.

On ignore la manière dont ces mines ont été découvertes ; les uns en attribuent la connaissance première à des chasseurs d’éléphans, d’autres disent qu’un diamant trouvé parmi les déjections d’une autruche donna la première idée de faire des recherches dans les environs, d’autres encore qu’un propriétaire, ayant vu un gros diamant entre les mains d’un de ses bergers hottentots, s’informa d’où il venait, et que l’homme lui montra l’endroit où il l’avait ramassé sur la terre. On raconte aussi qu’un fermier, après avoir enduit sa cabane de boue pour en boucher les fentes, vit apparaître des points brillans qui étaient des diamans. Ces versions et bien d’autres ont été mises en avant ; il est probable que tous ces faits se sont produits simultanément et ont confirmé l’existence d’un grand dépôt de diamans dans cette région.


I

Il y a trois routes principales conduisant aux placers diamantifères. Celle de la colonie de Natal, plus courte comme distance, est peu fréquentée à cause de l’éloignement des ports auxquels doivent se rendre les personnes arrivant de l’extérieur ; il ne s’y trouve aucun service de transport établi ; le voyageur est dans la nécessité d’organiser lui-même tout son matériel et de se charger de ses vivres et des rations de ses chevaux, car il ne serait pas sûr de s’en procurer en chemin. Par le fait, on met plus de temps pour arriver de ce côté, et le voyage est plus coûteux ; la seule chose qui pourrait certes compenser les ennuis de ce pénible trajet, c’est le passage du Draken’s Berg (Montagne du Dragon), d’où le panorama est si beau, si grand, que les personnes les moins sensibles aux spectacles de la nature ne peuvent se défendre d’une admiration profonde en contemplant ce paysage vaste et riche, si digne d’inspirer un artiste.

La route de Port-Élisabeth est assez fréquentée et desservie par des voitures américaines qui font chaque semaine un voyage d’aller et un de retour qui durent cinq jours chacun. Enfin pour la troisième route, celle du Cap, on trouve deux lignes de diligences rivales qui ont chacune deux départs d’aller et deux de retour par semaine, et qui font le trajet en six jours environ. Ces voitures voyagent nuit et jour, et ne s’arrêtent que pour changer de relais aux fermes et dans les villages, où les voyageurs pendant ce temps prennent un repas quelquefois copieux, mais rarement appétissant. Quoique cette ligne soit plus longue que les autres, elle est plus suivie en raison des nombreuses stations où le voyageur peut non-seulement se ravitailler et trouver gîte pour lui et ses chevaux, quand il se sert de ses propres moyens de transport, mais aussi, en cas d’accident, recevoir assistance de tous ceux qui parcourent cette route. Lors de mon séjour au Cap, il y a trois ans, le prix du passage, par la diligence de Cape-Town aux mines était de 300 francs par personne, et les frais de nourriture et de couchée, quand on avait ce dernier luxe pendant quelques heures, pouvaient bien s’élever à 100 francs. En somme, ce ne serait pas trop cher, si l’on était un peu mieux nourri et mieux assis. Les diligences qui font ce service contiennent quatorze passagers, un conducteur, un cocher et un porte-fouet, profession peu connue en Europe, mais justifiée dans la colonie par le nombre de chevaux ou de bœufs qui constituent un attelage. On concevra en effet qu’un cocher chargé de conduire quelquefois jusqu’à douze chevaux ait besoin d’un fouet trop long pour être manié d’une main ; il a donc un aide armé d’une formidable gaule en bambou, comme un pêcheur à la ligne, avec une lanière proportionnée, dont il se sert avec une adresse surprenante qu’on aurait envie d’admirer, si l’on pouvait oublier qu’il excelle à faire claquer cet abominable engin ; outre ce fouet modèle, l’aide en a un autre plus court, en nerf de bœuf, pour les limoniers. Les dix-sept personnes qui s’embarquent dans ces diligences sont entassées, trois de front, sur des banquettes transversales pouvant à peine les contenir ; le dessous, fermé en caissons pour les colis et les diamans, dont la valeur atteint quelquefois plusieurs centaines de mille francs, empêche de remuer les jambes et contribue à rendre la position encore plus incommode. Ces lourds véhicules, destinés à rouler sans repos sur des routes remplies de fondrières, sont munis d’énormes ressorts rouillés par leur passage fréquent dans les ruisseaux et les rivières, et les malheureux voyageurs, encombrés de bagages, cahotés en tout sens, heurtés au plafond et aux boutons de la voiture, privés de sommeil, souffrant de la chaleur l’été, du froid l’hiver, arrivent souvent à leur destination avec les jambes enflées par le manque de circulation, et dans tous les cas rompus de fatigue. Pour éviter ces inconvéniens, beaucoup de voyageurs préfèrent acheter quatre ou six chevaux et une carriole à deux roues où ils empilent tous leurs bagages : tentes, meubles, etc., et sous laquelle ils suspendent les ustensiles de cuisine dont ils se servent en route, — ce qui leur donne assez l’apparence de marchands forains ou de saltimbanques en déménagement.

Ceux qui choisissent ce mode de voyage, beaucoup plus coûteux et plus long, car il faut laisser reposer les chevaux faute de relais, s’arrêtent d’ordinaire toutes les nuits soit dans les hôtels ou les fermes, soit sur la route, où ils couchent en plein air après avoir pris un repas, s’il est permis de donner ce nom à une grillade faite sur un feu de fiente de moutons, accompagnée de gros pain rassis et d’eau corrigée par quelques gouttes d’eau-de-vie. Le voyage fait dans ces conditions dure environ trois semaines, et, malgré l’excessive monotonie d’un terrain plat et dénudé où l’on est quelquefois plusieurs jours sans voir ni arbre ni verdure, il y a encore un charme indicible à se sentir dans ces régions si peu connues, si différentes de tout ce qui se voit dans les autres pays, si bien faites pour frapper l’imagination, tant par leur aspect de désolation que par les spectacles imprévus qui se succèdent sous les yeux.

Ces déserts, où le mirage se joue dans toute sa beauté, ont des propriétaires ; il y a des fermes ! Je le crois parce qu’on me l’a dit, je n’ai pas d’autres raisons. Les fermes de l’Afrique sont immenses, les plus petites n’ayant presque jamais moins de 2,000 à 3,000 hectares. Un Anglais possédait, dans les républiques de l’Orange et du Transvaal, plus de 1 million d’hectares ; mais il ne faut pas oublier que ces immensités sont incultes et arides, et que les fermiers, pour la plupart, y vivent misérablement au milieu de leurs troupeaux de moutons, dans des semblans de maisons où toute la famille couche dans une même chambre et sur des matelas communs. Il y a cependant, surtout parmi les Anglais, des fermiers riches qui mènent une vie plus aisée, et jouissent d’un luxe relatif, dû au commerce des laines, qui est leur principal revenu.

Dans ce pays où le bois et la pierre font également défaut, les fermiers, presque tous d’origine hollandaise, bâtissent en brique avec une simplicité vraiment incroyable ; ils moulent l’argile ordinaire après l’avoir délayée, et la laissent sécher au soleil. Au bout de vingt-quatre ou quarante-huit heures, les briques sont prêtes à être employées, et sont cimentées les unes aux autres au moyen de cette même terre détrempée. Comme on le voit, ces maisons ne sont faites que de terre et d’eau, et, chose étrange, elles résistent parfaitement. Néanmoins les pluies torrentielles délaient une partie de cette matière si légèrement agrégée et obligent à de fréquentes réparations, peu coûteuses il est vrai, car, lorsqu’il s’agit de remettre la maison en état, on se contente de faire un immense tas de boue dans lequel tous les membres de la famille, les manches retroussées, puisent à pleines mains, et les jeunes filles comme les enfans, armés de leurs projectiles de pâte, bombardent la maison avec un entrain qui ne tarde pas à en boucher tous les trous jusqu’à la prochaine pluie d’orage. Les fermiers riches ont naturellement recours à des moyens plus civilisés, et leurs habitations comme leurs mœurs sont toutes différentes ; mais une nécessité devant laquelle tout le monde est égal est celle du combustible, qui est invariablement fourni par les troupeaux. Le fumier est retiré des parcs sous forme de grandes briques et empilé pour faire à ces mêmes parcs des murs dont on enlève un morceau de temps en temps pour le porter à la cuisine ; le feu ainsi obtenu est très chaud, se conserve longtemps, mais n’améliore pas du tout les mets.

L’immensité des distances à parcourir et la difficulté des chemins, rendus impraticables quelquefois pendant plusieurs semaines, forcent les entrepreneurs de charrois à des stations fort longues, et pendant ces interruptions il leur faut laisser paître les dix ou quatorze paires de bœufs qui forment chaque attelage. Pour venir en aide aux voyageurs, le gouvernement accorde, de distance en distance, des concessions de terrains gratuites à des fermiers qui n’ont pas le droit d’y conserver de troupeaux pour leur compte, mais qui sont obligés de tenir une espèce d’auberge où les voyageurs puissent trouver de la nourriture, quelques provisions à emporter, et même un gîte en cas de besoin, le tout moyennant paiement, cela va sans dire ; en outre les pâturages de ces fermes sont exclusivement réservés aux attelages qui passent, et qui peuvent y séjourner sans aucune rétribution. Cette mesure a été dictée par l’intérêt général, car les fermes éloignées de tout centre se trouveraient autrement dans l’impossibilité d’écouler leurs produits, et les villes de l’intérieur n’auraient aucune communication avec le littoral. On comprendra la nécessité de ces étapes, si l’on songe que, pour aller de Cape-Town aux mines, les fourgons de marchandises mettent quelquefois trois mois et plus. Malgré les bienfaits de ces stations, où les animaux se reposent et se refont d’un labeur des plus pénibles, le voyageur qui traverse cette contrée pour la première fois remarque avec étonnement la quantité de carcasses de bœufs et de chevaux qui bordent la route comme pour lui indiquer le chemin à suivre et en même temps l’avertir de ménager ses attelages : aussitôt qu’un animal s’abat pour ne plus se relever, son propriétaire le tue, l’écorche et abandonne la chair aux oiseaux de proie, qui la dévorent avec une étonnante rapidité, et servent ainsi à empêcher les miasmes pestilentiels de se répandre dans l’atmosphère.

Outre les oiseaux de toute sorte, le gibier est très varié, et l’amateur trouve de fréquentes occasions d’exercer son adresse : les belettes, les singes cynocéphales, les dindons sauvages, les perdrix, enfin les antilopes de différentes espèces, qui vont par troupeaux considérables dans les pâturages où la vie leur est facile, tous ces élémens de chasse fournissent une distraction nécessaire au futur mineur destiné à de si rudes fatigues, et qui déjà du reste commence l’apprentissage d’une vie assez peu confortable. Les bêtes fauves existent dans les montagnes de quelques endroits, mais ne se montrent jamais, et laissent la sécurité la plus complète aux voyageurs ; elles s’attaquent seulement aux troupeaux de moutons, ce qui force les fermiers qui habitent les environs de ces montagnes d’être toujours sur leurs gardes. Je me souviens de m’être arrêté dans une ferme riche à cinq heures de la ville de Beaufort-West, où tous les meubles du salon, sans exception, étaient couverts de magnifiques fourrures de panthères, de léopards, de chats-tigres tués sur la propriété.

Il faut ajouter à cette faune nombreuse et variée les autruches appartenant à des fermiers, mais vivant à l’état sauvage, que le voyageur rencontre aussi quelquefois sur sa route. Cet intéressant échassier fournit l’un des produits les plus recherchés du commerce du Cap. Les fermes à autruches sont entourées, comme les lignes des chemins de fer, d’un barrage en gros fil métallique ayant pour but d’empêcher ces précieux oiseaux de s’échapper, — ce qui n’est pas difficile du reste, puisqu’ils ne peuvent ni voler ni enjamber, — et leur permettant cependant de vivre à leur guise, de choisir leurs pâturages et de faire leurs nids dans les vallées qui leur conviennent le mieux sans être inquiétés par le voisinage de l’homme, Tous les ans, vers l’époque de la mue, le fermier et ses aides. vont à la recherche des autruches, qu’ils chassent devant eux jusqu’à un enclos de plus en plus resserré d’où elles sont obligées d’entrer dans un endroit où on les saisit et les dépouille, pour leur rendre la liberté ensuite jusqu’à l’année suivante. Une autruche rapporte en moyenne 1,250 francs par an sans aucun frais d’entretien et sans autre débours que l’acquisition de la ferme ; les belles plumes des mâles, atteignant près de 1 mètre en longueur et. assez flexibles pour s’enrouler en spirale lorsqu’on les agite, se vendent jusqu’à 75 francs pièce dans l’intérieur, et les petites plumes fines, qui servent d’ordinaire à l’ornement des chapeaux d’enfant, valent à peine 1 sou. Ces plumes, assorties convenablement et expédiées en Angleterre, trouvent sur le marché des prix allant en gros jusqu’à plus de 2,000 francs la livre pour les belles qualités, et constituent maintenant un commerce assez étendu et fort lucratif. Aussi, le gouvernement, après avoir longtemps négligé cette branche importante, s’est enfin décidé à promulguer des lois sévères contre ceux qui se livrent à la destruction de l’espèce, et tout homme tuant un de ces oiseaux ou pillant un nid est condamné à une amende de 1,250 fr., — mesure fort prévoyante, car, outre les chasseurs qui tuaient les autruches, tant pour le plaisir et l’émotion d’une chasse à courre d’un gibier rare que pour l’avantage de se procurer des plumes à peu de frais, il se trouvait bon nombre de fermiers qui visitaient les nids pour en enlever les œufs et les manger.

On s’imaginerait difficilement, en voyant ces oiseaux massifs et lourds, qu’ils puissent courir assez vite et assez longtemps pour fatiguer un cheval ; la rapidité d’allures est cependant le seul moyen que la nature leur ait fourni pour se dérober aux poursuites acharnées dont ils sont l’objet, et c’est par un instinct naturel de prudence que les autruches se tiennent, à l’état sauvage, dans des plaines, d’où leur vue perçante leur permet de voir arriver l’homme de loin et de commencer la fuite avec une avance assez considérable pour avoir quelque chance d’échapper. On les chasse avec des carabines à longue portée et du plus gros calibre, car elles ont la vie très dure et ne se laissent pas souvent arrêter par une balle seule ; alors même qu’elles sont abattues, il n’est pas aisé de s’en rendre maître en raison de la force extrême dont elles jouissent et de l’acharnement désespéré avec lequel elles font usage de leurs pieds et de leurs ailes comme moyen de défense ; un coup de pied d’une autruche peut fort bien briser la jambe d’un homme, et beaucoup de chasseurs inexpérimentés ou trop ardens ; ont payé cher l’imprudence de s’approcher de ces victimes qu’ils croyaient en leur pouvoir.

Pour l’élève des autruches comme pour toutes les autres branches de l’industrie, le progrès s’est fait avec le temps, et les propriétaires commencent à comprendre qu’il est de leur intérêt immédiat de soigner ces animaux utiles et de les apprivoiser, afin de rendre plus facile la récolte des plumes, qu’autrefois on n’obtenait qu’après des luttes acharnées contre les autruches absolument sauvages par leur genre de vie, et habituées à considérer l’homme comme un ennemi contre lequel il fallait se défendre. Ces luttes endommageaient les plumes et faisaient quelquefois blesser l’animal par la violence qu’on employait pour s’en emparer. Afin de calmer son naturel farouche, quelques hommes de bon sens ont essayé l’emploi de couveuses artificielles, et, sans se rebuter des nombreux tâtonnemens qui les attendaient, sont arrivés à voir couronner leurs efforts d’un succès qui a dépassé toutes leurs espérances.

La population de l’intérieur est composée de Cafres et de Hottentots, dont les femmes présentent une particularité frappante dans l’expansion monstrueuse des parties charnues. L’échantillon conservé au Musée anthropologique du Jardin des Plantes en donnera meilleure idée que toutes les descriptions. Ces Hottentots s’emploient assez volontiers sur les fermes comme charretiers ou bergers ; cette dernière profession paraît surtout leur plaire tant par l’oisiveté qu’elle procure que par la facilité de voler un mouton de temps à autre sans que le propriétaire s’en aperçoive.

Si les voyageurs couchent le plus souvent en plein air ou dans des fermes assez misérables, ils font aussi des étapes dans des villes charmantes, dont le séjour leur paraît encore plus enchanteur après les plaines dénudées qu’ils ont parcourues. Beaufort-West et Victoria-West sont deux édens dont les grands arbres, les allées touffues, les jardins toujours verts, les constructions gracieuses et inattendues, ne manquent pas de faire une délicieuse impression par le contraste avec ce qui les précède. Pour ma part, j’ai conservé le plus agréable souvenir de leurs hôtels bien tenus, où la table est bonne et abondante, — justice que je ne peux pas rendre, hélas ! à tous les endroits où je me suis arrêté pour me voir rançonner sans pitié ni conscience.

Mais poursuivons notre route monotone dont chaque jour ressemble à la veille ; nous voici arrivés à Boshof, la dernière station ; nous ne sommes plus qu’à une petite distance du premier placer diamantifère, et nous touchons au terme de notre long et pénible voyage. Déjà l’on aperçoit au loin les premières tentes de Bult-Fontein, et nous foulons enfin cette terre promise où tant de richesses sont accumulées, dont la vue seule fait battre nos cœurs d’espérance et d’émotion. Lorsqu’on arrive sur les hauteurs qui dominent le camp, à l’heure où le soleil disparaît à l’horizon, et qu’à travers cette atmosphère d’une limpidité sans pareille, on découvre devant soi cette plaine immense dont l’œil ne peut embrasser l’étendue, cette ville de tentes où commencent à poindre les premiers feux du soir, ces lumières dont le nombre augmente à chaque instant et qui produisent l’effet d’autant d’étoiles s’allumant sur la terre, on éprouve comme une crainte vague de rester en route et de voir le but reculer encore. C’est qu’on a subi tant de fatigues pour y arriver, on y a tant rêvé, que l’on se demande involontairement si c’est bien là qu’on doit trouver cette fortune attendue, et pourtant, malgré l’impatience qu’on ressent, on voudrait presque ralentir sa marche, on a besoin de se recueillir ; mais les chevaux ont continué leur route, et l’on pousse enfin un soupir de soulagement en se voyant au milieu des tentes, parmi des mineurs qui reviennent de l’ouvrage les outils sur l’épaule.

Quelle chose étrange qu’une ville sans maisons, où les bureaux de l’administration, les études des notaires, les cabinets des avoués et des avocats, les hôtels, les magasins, les cantines, sont sous des tentes, où les marchandises sont laissées nuit et jour dans les rues sans nulle surveillance, où d’un simple coup de canif donné le soir dans la toile d’une tente un malfaiteur pourrait enlever tout ce qu’il convoite ! Et cependant il n’en est rien, car dans toutes les mines du monde règne la loi de Lynch, et l’on se fait justice soi-même avec son revolver, chacun prêtant main-forte à ses voisins. Aux mines de diamans toutefois les choses ne se passent plus ainsi depuis l’installation de tribunaux et d’une police régulière.

J’ai dit l’impression que l’on ressent à l’arrivée au camp, mais comment parler du bizarre assemblage que présentent les repas d’hôtels ? La première table d’hôte à laquelle je me suis assis en arrivant au placer de Du Toit’s Pan réunissait des échantillons de toutes les nations, mais n’offrait qu’un seul et unique sujet de conversation : les mines et leurs produits. Voyageurs, marchands de diamans, commerçans de toute catégorie, mineurs, ne parlaient que de ces pierres, objets de leur ardente convoitise, et l’on se passait de mains en mains des poignées de diamans pour la plupart très gros, car les petits ne valent pas la peine d’être montrés, sans avoir l’air de croire à la possibilité d’une soustraction. Le mineur qui venait ainsi de vider ses poches sur la table, et qui voyait ses pierres distribuées entre des convives que souvent il ne connaissait pas même de vue, attendait tranquillement que chacun eût fini son examen et lui eût renvoyé son trésor, qu’il rattrapait en détail sans qu’il y manquât jamais rien. Les choses ont bien changé depuis : la civilisation y a porté ses fruits sous la forme d’aventuriers toujours disposés à se tromper de poches. C’est la conséquence de toutes les grandes agglomérations d’hommes de faire le mal plus facile en en rendant la répression moins aisée. J’ai pu voir ce même soir un magnifique diamant de 115 carats extrait dans la journée par un mineur arrivé la semaine précédente, et qui venait d’acheter pour la modique somme de 625 francs un claim jusque-là stérile. Le premier propriétaire y avait travaillé trois mois sans rien trouver ; découragé, il s’était défait de son terrain, dont la stérilité devait cesser au moment même. Des faits de cette nature se représentent presque tous les jours ; on m’a cité un Irlandais qui avait acheté 25 fr. un mauvais claim, et qui après quelques heures de recherches trouvait un diamant qu’il vendait 75,000 francs. Ces gains inespérés racontés de bouche en bouche n’ont pas tardé d’attirer aux mines une population considérable qu’on a estimée à 75,000 âmes pour le New-Rush seulement, avec beaucoup d’exagération sans doute ; mais il est sûr que le nombre des personnes qui vivent aux mines est très élevé. On y construit maintenant des magasins en bois ou en tôle, et même de petites maisons qui coûtent fort cher à cause du transport, qui revient à environ 65 centimes par livre pesant, car on ne trouve absolument rien sur les lieux, et il faut faire venir tous les matériaux de Cape-Town ou de Port-Élisabeth. Une planche de sapin coûte 20 francs, une solive 80 francs, et le reste à l’avenant ; la main-d’œuvre se ressent aussi du manque d’ouvriers, et l’on ne peut se procurer un homme se disant charpentier parce qu’il sait enfoncer un clou pour moins de 25 francs par jour : aussi n’y a-t-il guère que les mineurs riches qui puissent se passer le luxe d’une maison. Ceux-là vivent d’une manière assez agréable, ayant bonne table, piano, chevaux et voitures, terrain de crocket, allant aux concerts, aux courses, aux bals, aux représentations théâtrales, car il y a maintenant tout cela, même une table de roulette. Avec le sens pratique qui caractérise les races saxonnes, les Anglais des mines ont trouvé deux moyens nouveaux d’attirer le monde à la roulette et au théâtre. Dans la salle de jeu, il y a toujours à la disposition des joueurs des cigares, des biscuits assortis et des rafraîchissemens variés et de premier choix, même du vin de Champagne, le tout à discrétion et absolument gratuit ; on ne se fait pas faute d’en user, sans indiscrétion cependant. Quant aux théâtres, afin qu’il soit possible d’en jouir sans trouble, les enfans en sont exclus par une mesure qui fixe le prix de leur place à 125 fr. Il est probable que les membres du comité qui a pris ces mesures devaient être des célibataires ; mais il faut reconnaître qu’ils ont agi dans l’intérêt public, et personne ne s’en plaint. Les femmes trouvent aux mines des modistes et des bijoutiers, les enfans des écoles, les hommes des cercles avec tous les journaux de l’Europe ; mais il ne faut pas juger de l’existence de la masse par ces exceptions, et croire que les plaisirs fassent partie de la vie des mineurs, car la plupart gagnent péniblement ce qu’ils ont, quand toutefois ils arrivent à le gagner, et en dehors des heures de travail la fatigue et les exigences du climat ne laissent guère penser au plaisir.

Cependant l’immigration continue, et les hôtels, toujours combles, sont obligés de refuser journellement des voyageurs. Pour ce qui me touche, je n’ai pu à mon arrivée trouver la moindre place où dormir ; la table d’hôte même avait été transformée en lit de camp où les arrivans, moyennant 2 fr. 50 cent., s’entassaient les uns à côté des autres tant qu’il en pouvait tenir, et j’ai dû coucher dans la rue pendant trois nuits sous une pluie battante qui ne cessait de tomber et me donnait fort à réfléchir sur les douceurs à venir. Ce n’était du reste qu’un avant-goût de ce que je devais souffrir dans un pays où les puces et les mouches sont à l’état de vrai fléau, où l’on ne peut ouvrir la bouche pour parler ou pour manger sans être exposé à y recevoir ces insectes immondes qui voltigent en nuages autour de chacun, se noient dans les tasses et les verres et s’attachent aux mets sans qu’il soit possible de s’en débarrasser. On s’y fait pourtant à la longue au point de rire du dégoût des nouveau-venus. La nuit met un terme à ce supplice, les mouches disparaissant avec le soleil ; mais le mineur n’y gagne pas grand’chose, car à peine est-il étendu sur sa couche qu’une armée de puces logées dans les fourrares et la trame des couvertures vient s’abattre sur lui avec une voracité qui l’empêche de goûter aucun repos. Ce ne sont pas du reste les seuls insectes ; les grosses sauterelles, qui font de fréquentes apparitions dans le pays, se montrent aussi fort désagréables, elles s’arrêtent sur les tentes, qu’elles rongent quelquefois comme tout ce qu’elles rencontrent ; mais en général elles sont inoffensives et causent seulement un ennui momentané en se promenant sur les lits ou en pénétrant dans les vêtemens.

Il faut vraiment avoir assisté au passage d’une nuée de sauterelles pour se représenter l’espace que peuvent occuper ces légions, aussi abondantes que les sables, et dont le nombre incommensurable obscurcit la lumière du soleil et projette une ombre sur la terre ; cette masse compacte, vue de loin, fait l’effet d’une montagne dont les contours seraient adoucis par la distance et qui s’avancerait lentement et sans interruption. En effet les sauterelles, qui s’abattent sur les champs pour se nourrir et se reposer, reprennent leur vol plus tard et se mêlent de nouveau à la troupe, tandis que d’autres à leur tour s’arrêtent pour continuer ensuite de la même manière, établissant ainsi un mouvement perpétuel que nul obstacle ne peut rompre. Une voiture surprise par cette avalanche est forcée de s’arrêter, les chevaux, aveuglés et affolés, refusant tout travail, ne sachant comment se dérober aux coups multiples de ces myriades d’insectes incapables de diriger leur vol et se heurtant contre tout ce qui se trouve devant eux, pour retomber épuisés sur la terre, où ils forment une sorte de matelas mouvant et grouillant. La nuée la plus considérable qui ait passé aux mines pendant mon séjour commença vers sept heures du matin et ne disparut qu’à une heure assez avancée de la journée ; elle couvrait environ 8 kilomètres de longueur, ne cessa pendant tout le jour de s’avancer sur cette étendue, en masse toujours renouvelée, et formait à l’horizon comme un rempart se déroulant sans interruption et donnant l’idée de l’infini. Ces nuées d’ordinaire sont accompagnées de troupes d’oiseaux insectivores que l’on s’étonne de ne pas voir plus nombreux dans le pays, au milieu d’élémens si favorables à leur existence.

Dans ces occasions, les Cafres mettent le feu aux champs ; toutes les sauterelles que la fatigue y fait tomber ont les ailes et les pattes grillées et leur fournissent des repas friands et copieux. Cette sorte de manne leur est souvent d’un grand secours lorsqu’ils entreprennent de véritables voyages au long cours, ayant à marcher un mois et plus pour se rendre de leur tribu aux mines. Ils y sont attirés en grand nombre par la certitude de trouver un emploi qui leur assure une existence facile et la perspective d’avoir un, fusil, car l’ambition de tous les Cafres est de posséder une arme à feu. Ils ne travaillent que le temps strictement nécessaire pour amasser de quoi l’acheter, cet ils se montrent alors fiers, comme des héros, lorsqu’ils ont pu, moyennant 25 ou 30 francs, se procurer un de ces fusils de rebut dont les canons ne sont que de vieux tuyaux à gaz un peu dérouillés et faits spécialement pour être vendus, non pour servir. Quoi qu’il en soit, armés de la sorte, avec une corne de bœuf pour poire à poudre, — la plus grande possible naturellement, — ils regagnent leur pays, convaincus qu’ils vont tuer tous leurs ennemis, et en attendant ils tirent à toute minute des coups de fusil en l’air pour voir si l’arme n’éclate pas, mais en prenant toujours la précaution de détourner la tête et de fermer les yeux au moment où le coup va partir. Cette manière de viser devrait bien rassurer leurs ennemis, s’ils n’en faisaient autant de leur côté ; mais chacun compte plus sur la détonation pour affecter le moral de ses adversaires que sur le mal problématique qu’il pourrait leur faire. Ces Cafres s’emploient avec les mineurs à raison de 10 ou 15 francs par semaine, plus le maïs à discrétion, la viande le dimanche, du tabac quelquefois et des coups souvent ; ils travaillent le moins possible et volent le plus qu’ils peuvent, avec l’assurance qu’ils ne seront jamais découverts, vu la difficulté d’exercer une surveillance active sur une quantité d’hommes disséminés et occupés à des travaux divers dans des endroits différens.

II

Les concessions faites à l’origine par le gouvernement hollandais, premier propriétaire du pays, stipulaient toutes que les minéraux précieux trouvés dans le sol appartenaient à l’état et que le titulaire de la concession recevrait une indemnité en échange du terrain dont il serait évincé, et c’est en vertu de cette loi, favorable au gouvernement, au fermier et au mineur, que toute ferme sur laquelle on découvre une mine est immédiatement mise sous la tutelle directe de l’état. Celui-ci établit une police chargée de percevoir un droit de patente de chaque mineur et de protéger les intérêts de tous ; ce droit de patente est partagé avec le fermier, auquel il constitue un très beau revenu. Chacun ayant le droit de chercher (to prospect), il y a beaucoup de personnes qui parcourent le pays isolément et font des fouilles là où la nature du terrain les invite à tenter fortune. Si au bout de quelques jours ou de quelques semaines, suivant la patience du chercheur, il n’a rien trouvé qui lui fasse espérer un résultat lucratif, il démonte sa tente et va fouiller ailleurs ; autrement il persévère dans son travail. Il arrive alors presque toujours qu’un voyageur quelconque ou un chasseur, apercevant une tente ainsi plantée au milieu de la plaine, s’approche pour voir ce qui s’y passe et, le cas échéant, partager l’aubaine. Le mineur répond invariablement à toutes les demandes qu’il n’a encore rien trouvé ; mais le chasseur, jugeant par la grandeur du trou du temps qu’il a fallu y employer, ne se laisse pas persuader que l’on continue à travailler sans motif dans un endroit stérile. Il prend alors des points de repère, et va chercher à son tour des outils et des amis qui viennent s’installer auprès du premier pionnier. Cette petite colonie naissante, aperçue de même par d’autres voyageurs, attire encore quelques personnes jusqu’au moment où chacun reconnaît qu’il n’y a réellement rien à y faire : alors on se sépare ; mais quand au contraire il arrive à un de ces mineurs de trouver seulement un diamant, le bruit s’en répand avec une rapidité incroyable, et de tous les points de l’horizon l’on voit accourir, se ruer, suivant l’expression anglaise (to rush), des mineurs n’ayant pour tout bagage que des outils, un pain et une gourde d’eau-de-vie. Il va sans dire qu’en même temps arrivent des bouchers, des boulangers et surtout des cantiniers, qui font les bénéfices les plus certains. Ces derniers sont quelquefois les propagateurs de la nouvelle, dont ils savent si bien tirer parti.

Lorsqu’il se découvre un nouveau placer, chaque mineur qui y vient choisit ou plutôt prend au hasard un morceau de terre de 31 pieds carrés, aux quatre coins duquel il enfonce des piquets de jardinier pour établir sa possession et en même temps ses bornes. C’est là son seul titre de propriété, et il a quelquefois à le défendre à bons coups de poing. En effet, les derniers venus, n’ayant plus de place ou se voyant relégués trop loin de l’endroit où ont été trouvés les diamans, cherchent à s’emparer d’un claim quelconque par la ruse ou par la force ; ils attendent le moment où le propriétaire, en allant déjeuner, emporte ses outils et laisse le terrain vide, pour venir s’installer à sa place et soutenir après avec impudence que ce sont eux qui ont posé les bornes ; il s’ensuit un procès qui se décide sur les lieux à la boxe, et le terrain reste au plus fort. Aussitôt qu’il est bien établi que les diamans existent réellement dans l’endroit et que la mine est appelée à vivre, les mineurs se réunissent et nomment un comité chargé de rendre la justice et de prononcer sans appel sur toutes les questions en litige, — celles du moins qui concernent la propriété et le travail, car personne ne se préoccupe des délits de la vie publique ou privée. Le premier soin de ce comité est de faire un règlement pour déterminer quand un claim peut être considéré comme abandonné. Il arrive en effet que des mineurs, ne trouvant rien au début, se dégoûtent et vont ailleurs sans en donner avis, puis reviennent plusieurs mois après lorsqu’ils ont appris que la richesse du placer est constatée. Il est donc nécessaire de se tenir en garde contre leurs réclamations, comme aussi d’empêcher les spéculateurs de s’emparer des terrains et de les garder sans les mettre en exploitation. Pour ces raisons, il est convenu que tout claim qui n’est pas travaillé d’une façon quelconque pendant trois jours entiers est supposé abandonné, et peut être pris par le premier qui vient. Ce délai de trois jours, adopté d’abord, a été plus tard fort augmenté pour faire la part de la maladie ou de toute autre cause indépendante de la volonté du mineur.

La propriété, une fois établie de cette manière sommaire, n’est plus à la merci de la force brutale, et celui qui désire se procurer un terrain doit l’acheter du détenteur, auquel il donne une somme plus ou moins forte, selon la réputation du claim. Au New-Rush, les propriétaires primitifs ont dès le début morcelé leurs claims par quarts, par cinquièmes, etc., et ces morceaux se payaient toujours fort cher, quoique chaque jour en vît diminuer la terre et par conséquent la richesse. Un de mes voisins, possédant un demi-claim (31 pieds sur 15) déjà travaillé à plus de 15 mètres de profondeur, était, lors de mon départ, en marché pour le vendre 100,000 francs. C’est pourquoi il se fait maintenant si peu de fortunes aux mines. Les débours considérables, le prix de la main-d’œuvre toujours croissant en proportion de la profondeur, la nécessité de transporter à de grandes distances les sables, qu’on ne peut plus trier sur place vu l’encombrement produit par les anciens travaux, tout cela cause une augmentation de frais notable à la charge des nouveau-venus. Autrefois chacun, exploitant la surface du sol, ou à peu près enlevait la terre dans une brouette et allait la trier à quelques pas, autour du bassin diamantifère, sans avoir besoin d’appareils d’extraction ni de travaux de soutènement, et sans perdre de temps à faire monter les seaux d’une assez grande profondeur. La terre n’était pas plus riche ; mais, comme on en travaillait davantage dans le même temps et à moins de frais, on recueillait plus de diamans et l’on avait un bénéfice plus certain, surtout quand on avait eu le terrain pour rien ou pour peu de chose. Ceux que le hasard a favorisés assez pour leur permettre d’avoir un claim au New-Rush lors de la découverte de ce placer exceptionnel ont pu s’enrichir en très peu de temps ; mais en général il ne s’y est pas fait de grandes fortunes parce que ceux qui, après quelques semaines, quelques mois peut-être, avaient le bonheur de se trouver à la tête d’un certain capital, s’empressaient de fuir un climat et un travail trop durs, pour aller jouir ailleurs de leur bonne chance. Naturellement ils vendaient, en partant leur morceau de terre, et mettaient le nouveau propriétaire à l’abri de toute réclamation en lui transférant la patente sur laquelle est porté le numéro du claim. C’est là toute la formalité requise ; elle suffit pour assurer la libre jouissance de ce bien acquis dans des conditions si peu ordinaires. On comprend que ceux qui, outre leur peine et leur temps, apportent des capitaux dans une entreprise aussi hasardeuse ne voient pas d’un bon œil le règlement qui autorise le premier venu à s’emparer de leur claim, si, pendant un temps assez difficile à constater et toujours contesté, ils ont négligé leur exploitation : aussi tous les mineurs actuels, possesseurs à la suite d’acquisitions sérieuses, sont-ils fortement opposés au maintien de cette coutume, qui n’a pu être abolie entièrement, mais qui a du moins été renfermée dans de plus justes limites ; le propriétaire malade ou momentanément absent a désormais le temps d’être prévenu par ses voisins et de venir par sa présence déjouer les calculs de mauvaise foi.

Lorsqu’une mine offre une étendue telle que les détenteurs des terrains du milieu ne pourraient exploiter leurs morceaux sans passer chez leurs voisins, on fait des rues qui traversent le bassin de bout en bout, et courent parallèlement les unes aux autres. Pour cela, chacun doit donner un espace large de 7 pieds 1/2 sur toute la longueur de son terrain ; mais, afin de diminuer le nombre des rues au profit de la largeur, on les adosse deux à deux ; l’intervalle se trouve ainsi plus grand et permet à l’air et à la lumière de circuler librement, en même temps que les charrettes-peuvent, se croiser sur un espace de 15 pieds. Chaque mineur place en terre, en travers de la route, deux ou trois solives débordant sur son claim de 1 mètre environ, de manière à former avec des planches et un rebord une sorte de plate-forme ou de caisson pour recevoir la terre qu’on y fait monter, en attendant les brouettes ou les charrettes qui l’emportent à l’endroit où se fait le triage. Chacun travaillant à sa façon et selon ses moyens, on comprend que les claims ne gardent pas le même niveau et que les uns soient arrivés à de grandes profondeurs quand d’autres souvent sont encore peu avancés. Il devient alors facile de reconnaître les différentes propriétés sans qu’il soit nécessaire de laisser entre elles aucun mur de séparation. En général, on cherche à descendre le plus vite possible, d’abord pour en finir plus tôt, puis parce que la loi de l’endroit est que toute terre qui tombe dans un claim appartient au propriétaire chez qui elle tombe, de sorte qu’on a toujours intérêt à se maintenir au-dessous de ses voisins pour recevoir tout ce qui peut s’échapper de chez eux, — non par poignées, comme on pourrait le croire, mais par charretées quelquefois, et même par centaines de tonnes dans les cas d’éboulemens. Ces éboulemens, très rares à l’origine, finissent par devenir assez fréquens lorsque les terrains ont été travaillés à de grandes profondeurs, laissant les rues debout comme d’immenses murs non étayés et ébranlés sans cesse par le passage des charrettes ; en outre les mineurs, avec une imprévoyance coupable, se laissent aller à entamer les terres au-dessous des rues, de manière que celles-ci ne représentent plus que des pyramides renversées dont le haut conserve toujours la largeur primitive, tandis qu’en bas elles n’ont guère plus de 1 mètre ou 2. Il arrive alors un moment où cette masse, de plusieurs centaines de mètres de long, s’ébranle et s’abat avec un fracas épouvantable, entraînant les plates-formes et les échafaudages, brisant tout et remplissant les claims de débris de toute sorte. Par un bonheur providentiel, ces éboulemens n’arrivent d’ordinaire que la nuit, aux heures où le changement subit de la température produit une contraction brusque des tenues. Les mineurs, en venant le matin au travail, voient toute leur installation réduite à néant, et sont obligés, avec grande perte de temps et d’argent, d’adopter un nouveau mode d’extraction, puisque les rues n’existent plus. Ils y trouvent quelquefois une compensation lorsque leurs claims, étant très profonds, ont reçu les terres, c’est-à-dire les diamans des voisins ; mais cet avantage est souvent annulé lorsque, parmi les terres diamantifères, se trouvent beaucoup des schistes formant le pourtour du bassin ; le travail est alors des plus pénibles, et, pour quelques charretées de bonne terre que l’on recueille ainsi, on est forcé de déblayer, transporter et trier des tonnes de pierres. Ce sont en général des pertes considérables, qui jettent tout le monde dans la consternation et ruinent ceux qui n’ont pas les moyens de refaire de nouveaux appareils, toujours fort coûteux. Quand ces éboulemens ont lieu de jour, ceux qui sentent la terre trembler sous leurs pieds ou qui voient la première fissure se produire donnent aussitôt l’alarme, et chacun au-dessous s’empresse de fuir pour échapper aux malheurs affreux qui en résulteraient ; mais il s’en produit quand même, car l’imprudence est excessive et l’habitude du danger fait qu’on le craint moins : aussi dans ces cas y a-t-il souvent des personnes gravement blessées ou enterrées vives sous des masses tellement énormes de matériaux que l’ardeur qu’on met à leur porter secours n’est pas toujours couronnée de succès. Ce n’est pas le seul danger qui menace le mineur à ciel ouvert, car il arrive presque tous les jours que des charrettes, en se croisant sur les rues, sont forcées de passer trop près du bord, qui s’écroule sous le poids de la charge, et charrettes, bœufs et chevaux sont précipités au fond du claim, où ils arrivent broyés. Toutefois, par un hasard extraordinaire où l’on pourrait bien voir la protection divine, il n’est jamais arrivé, à ma connaissance du moins, qu’un mineur ait été sérieusement blessé par la chute de ces corps ; s’il en était autrement, les esprits seraient trop frappés pour continuer un travail qui met incessamment la vie en danger, et personne ne consentirait à chercher une fortune problématique dont on n’aurait guère la chance de jouir.

Lorsque l’écroulement des voies de communication a rendu impossible l’exploitation des claims du centre, on établit sur le pourtour supérieur du bassin des pieux solidement fichés en terre et assujettis les uns aux autres, que l’on fait communiquer chacun avec un claim au moyen d’un câble en fil de fer galvanisé, sur lequel court une poulie armée à sa partie inférieure d’un crochet pour suspendre les seaux de terre, et que deux hommes font monter au moyen d’une corde qui s’enroule sur un tambour mû par une manivelle. Les travailleurs du fond remplissent les seaux, et la terre, une fois rendue en haut, est empilée pour être enlevée plus tard, ou versée dans des caissons d’où on la fait couler dans les charrettes qui viennent la recevoir. La vitesse avec laquelle montent les seaux ainsi tirés est telle que le balancement produit les fait souvent décrocher pour le plus grand malheur de ceux qui se trouvent au-dessous, et il est vraiment surprenant que malgré ces chutes journalières il n’y ait jamais eu à enregistrer aucun accident mortel. Quand un Cafre reçoit un seau ou une pierre sur la tête ou même sur toute autre partie moins délicate, il commence à tout hasard par tomber en syncope et par faire le mort ; on lui jette de l’eau à pleins vases, on y joint d’ordinaire quelques coups de pied dans les côtes, et le remède est souverain pour le remettre sur ses jambes, car cette race est dure au mal au-delà de tout ce qui peut s’imaginer, et supporte avec impunité des coups dont aucun autre homme ne reviendrait. Je me souviens d’avoir vu un Cafre, pris de boisson, qui avait imaginé de démolir à coups de tête un mur en pierre de taille, s’élancer contre ce mur la tête la première comme un bélier, après avoir pris un élan de quelques pas ; les chocs qu’il recevait ainsi étaient effrayans, et en apparence suffisaient pour le tuer sur place, ce qui ne l’empêchait pas de recommencer.

Les Cafres qui travaillent au fond des claims trouvent souvent des diamans en piquant, c’est-à-dire en creusant avec le pic, car il est difficile qu’un gros diamant échappe dans des conditions pareilles à un œil exercé : ils le portent alors au maître ou au surveillant, qui leur donne une récompense, à moins qu’ils n’aient la certitude que personne ne les a vus le ramasser, ce qui influe beaucoup sur leur honnêteté. La terre diamantifère que les charrettes ont transportée sur les lieux où elle doit être triée est d’abord écrasée grossièrement par les hommes qui s’accroupissent en rond armés de bûches et qui la battent à mesure qu’elle est jetée par pelletées au milieu d’eux ; cette première opération a pour but de la séparer des pierres. On la passe ensuite à travers un tamis à mailles d’environ 15 millimètres de côté qui retient les coraux, que l’on rejette malgré les diamans qui peuvent s’y trouver, car la peine qu’il faudrait se donner pour briser ces pierres ne compenserait pas la perte de temps et d’argent occasionnée par ce travail. La terre est passée dans un second tamis à petites mailles de 2 à 3 millimètres pour la débarrasser de la poussière et la mettre en état d’être triée. On la verse alors sur des tables autour desquelles les hommes sont rangés avec des espèces de racloirs faits de morceaux de fer-blanc ou de débris de vieux seaux ; chacun plonge son racloir dans la masse et attire à lui une certaine quantité de terre, une forte poignée à peu près, que du même mouvement il étale de manière à voir d’un seul regard s’il s’y trouve des diamans. La sûreté de coup d’œil qu’on acquiert avec l’habitude finit par rendre ce travail beaucoup moins minutieux qu’il ne paraît au premier abord, à ce point que les nouveau-venus, en voyant le mouvement de va-et-vient continuel du bras, ne peuvent croire à la possibilité d’un triage fait aussi vite. Cependant il est difficile de laisser passer un diamant à moins qu’il ne soit très petit, car ce cristal, quoique ne jetant aucun feu à l’état brut et n’ayant aucune couleur, saute aux yeux d’une manière étonnante au milieu des terres et des graviers, et, chose remarquable, il est toujours pur, même dans la poussière, qui ne s’y attache jamais et semble le respecter. Malgré ces conditions favorables, les terres rejetées après le triage contiennent encore beaucoup de diamans, par la raison que les Cafres employés à ce travail sont plus occupés à bavarder qu’à regarder la table, et, par paresse ou par besoin naturel de mal faire, trient en couches tellement épaisses que les diamans sont enfouis, au milieu des autres matériaux et échappent à la vue. Pour donner une idée de la négligence avec laquelle ces hommes s’acquittent de ce devoir, je dirai qu’un de mes associés, étonné de voir que nos trois claims réunis, travaillés ensemble par tous nos Cafres, nous donnaient à peine huit ou dix diamans par jour quand nous pouvions en attendre vingt-cinq ou trente, puisque chacun de nos claims fournissait une moyenne d’environ huit diamans chaque jour quand nous les travaillions nous-mêmes, eut l’idée de cacher parmi les terres qui se trouvaient sur la table, un diamant de 36 carats, c’est-à-dire plus gros que la plus belle noisette, afin de voir s’il fallait accuser la fidélité des ouvriers, et, quoiqu’il les surveillât attentivement, toute la terre fut triée devant lui sans que le diamant fût aperçu ; il avait été rejeté sous la tabule, où il fut retrouvé après des recherches. Cette même négligence nous fut confirmée du reste dans une autre circonstance : en déplaçant la table pour la transporter dans un endroit moins encombré, on trouva, parmi les sables qui avaient été triés, un diamant de 13 carats 1/2 gros comme la première phalange du doigt et qui aurait été perdu pour nous comme tant d’autres. C’est même devenu une industrie nouvelle aux mines, pour ceux qui ne peuvent acheter un claim, de repasser les terres abandonnées, ce qui est quelquefois très productif. Un de mes amis se faisait ainsi, sans avoir risqué aucun capital, un revenu de 250 francs par semaine, car, outre les diamans qui peuvent échapper à la vue pendant le triage, il s’en rencontre dans les coraux, et les terres dures qui, restent dans le premier tamis, et ces terres, après avoir, été exposées quelque temps à la pluie et au soleil, se désagrègent d’elles-mêmes et abandonnent leur trésor à celui qui a eu la patience de chercher et d’attendre. Beaucoup d’enfans et de jeunes Hollandaises passent ainsi leurs journées à fouiller à l’aventure dans les sables, et sont quelquefois largement récompensés. Dans la rue où je travaillais, un enfant trouva, parmi des terres déjà triées, un diamant de 73 carats. Quoique des hasards aussi favorables soient une exception, il n’est point rare de rencontrer dans les rues de petits diamans d’un carat et au-dessous, tombés avec la terre pendant le transport, qui s’effectue dans des charrettes à peine jointes, ou provenant des sables dont on se sert comme de gravier dans les tentes et ailleurs.

Les hommes et les femmes ne sont pas seuls à se montrer avides de ces cristaux précieux, ils ont des concurrens parmi les volailles, qui, pour un motif plus matériel, avalent les diamans, comme les autres cailloux, quand elles les rencontrent. Aussi les cuisiniers qui ont à préparer un poulet ne manquent-ils jamais d’apporter les plus grands soins à le vider, et les maîtres y gagnent sous le rapport de la propreté. Dans un restaurant où je prenais mes repas, on découvrit deux dimanches de suite un diamant dans le jabot ou le gésier des poulets, et les journaux de l’endroit ont parlé d’un cheval qui, en piétinant pour se soustraire à un médicament qu’on voulait lui faire avaler, mit à nu un diamant de 7 carats, à la grande satisfaction de son propriétaire. Ces faits, écrits par les mineurs à leurs amis d’outre-mer, racontés et amplifiés par ces derniers, sont passés à l’état de légende, et ont entouré les mines d’une auréole féerique qui séduit les esprits aventureux et leur cause bien des déboires à leur arrivée.

Un des côtés les plus caractéristiques des mines est la manière sommaire dont la justice y est administrée : aussitôt qu’un homme de service est pris volant un diamant, il est tout d’abord rossé consciencieusement par son maître et conduit au bureau du magistrat par une escorte de mineurs. Chemin faisant, ils lui appliquent par anticipation une correction de coups de poing et de coups de pied pour le cas où, son fait n’étant pas assez prouvé, il serait relaxé, ce qui est rare, attendu que le magistrat, qui a vécu de longues années parmi ces peuples, connaît leur perversité et ne se laisse pas prendre à leurs mensonges. L’homme est, pour ce vol, condamné aux travaux forcés, outre la peine du fouet, qui lui est appliquée séance tenante. Cependant, malgré la sévérité bien connue du juge, il arrive souvent que les mineurs se laissent aller à se faire justice eux-mêmes, comme au temps où le gouvernement ne se mêlait pas encore de ces questions, et dans ce cas les châtimens sont d’une rigueur vraiment exemplaire, comme cela eut lieu pour un Cafre qui fut frappé jusqu’à mort par ses maîtres. Les possesseurs de claims se montrent également inflexibles pour les cantiniers qui achètent des diamans aux Cafres, c’est-à-dire qui recèlent leurs vols. Dès que le fait est prouvé, les mineurs se réunissent le soir en meeting et vont incendier la cantine avec tout ce qu’elle contient, et le coupable se trouve ainsi réduit à la misère. Malheureusement ces exemples terribles ne produisent pas toujours l’effet qu’on en devrait attendre : la tentation d’avoir un diamant pour un verre d’eau-de-vie, jointe à l’espérance de l’impunité, séduit encore bien des malfaiteurs, qui se laissent aller à commettre ces actes répréhensibles jusqu’au jour où la passion des mineurs les pousse à ces tristes excès de sauvagerie, que la police locale fait de louables efforts pour arrêter ; mais que peuvent une centaine d’hommes, quoique bien montés et armés jusqu’aux dents, contre une foule exaspérée ? Je pourrais citer encore bien des actes de sévérité barbare, je n’en rappellerai qu’un seul. Un faux docteur fut convaincu d’avoir empoisonné une petite fille avec des médicamens administrés au hasard. Dans le premier moment d’exaspération causée par cette nouvelle, on décida non-seulement de brûler sa tente, mais de le brûler lui-même après l’avoir enduit de goudron et de plumes. Heureusement il parvint à se soustraire au supplice dont il était menacé.

Pour s’assurer que tous les diamans trouvés en possession des Cafres sont bien le produit d’un vol, on ne leur permet pas d’avoir de claims et de travailler la terre pour leur compte. S’il en était autrement, si un seul Cafre pouvait posséder légalement un diamant, il deviendrait le receleur général, et, sous prétexte de vendre ce qui lui appartient, écoulerait le produit de tous les vols. Ces gens trouvent assez d’occasions de tromper la surveillance pour qu’il soit inutile, dangereux même, de leur faciliter les moyens de mal faire. Du reste, ils avaient eu pendant un temps le droit de posséder des claims dans une ancienne mine abandonnée et improductive, et, quoique ces terres ne pussent guère rapporter de diamans, ils en avaient toujours à vendre, ce qui a fini par ouvrir les yeux et faire prendre les mesures sévères dont il est question.

Il ne sera pas sans intérêt de donner quelques détails sur la vie matérielle des mineurs. Tous ceux qui occupent une position moyenne prennent leurs repas à des tables d’hôte, où ils trouvent de grosses pièces de viande de boucherie rôtie ou bouillie, quelques légumes communs et un dessert assez simple. Ils peuvent ainsi satisfaire les plus robustes appétits à des prix rendus raisonnables par la concurrence des établissemens de ce genre, — environ 2 fr. 50 par repas, sans le vin. Chacun arrive dans son costume de travail, les manches retroussées, couvert de terre, la pipe à la bouche. La propreté et le confort laissent beaucoup à désirer à ces tables dépourvues de nappes et de serviettes, où les couteaux ne coupent guère plus de la lame que du manche, où les fourchettes de fer à deux dents ne servent que trop souvent à une foule d’usages en contradiction flagrante avec leur destination. Des hôtels tenus avec un certain luxe relatif, et qui ont des couverts en métal blanc et une table presque recherchée, offrent, pour 3 fr. 75, toujours sans le vin, des repas convenables, et sont fréquentés spécialement par les marchands de diamans, les voyageurs, les nouveaux arrivés. Cependant ces deux catégories de tables d’hôte ne peuvent suffire ni convenir à toutes les bourses et à tous les goûts ; le mineur pauvre ou économe fait sa cuisine lui-même et se contente d’un ordinaire plus que modeste ; il passe chez le boulanger et le boucher en quittant l’ouvrage, et porte sans honte ce qu’il vient d’acheter. L’existence la plus agréable et la mieux entendue sous tous les rapports est celle du mineur riche qui se joint à quelques amis. Les tentes sont alors groupées de manière à former un camp ; on l’entoure et l’on est chez soi avec des domestiques, un cuisinier et une tente consacrée uniquement à servir de salle à manger ; ceux qui se trouvent dans ces conditions vivent à leur guise, ayant bonne table, bouteilles nombreuses et variées, des visiteurs toujours, cela s’entend, et en somme ne dépensent pas beaucoup plus. Seulement chacun à son tour a l’ennui de s’occuper du ménage et d’aller au marché, où tout se vend aux enchères, depuis le poulet jusqu’à la botte de carottes. Ce marché, qui se tient tous les matins sur une grande place d’environ un kilomètre carré, offre un coup d’œil assez étrange sous le rapport de la variété. Les comestibles de toute sorte à côté de lingeries et de vieilles défroques, les fourgons de bois, les chevaux, les harnais, les objets de ménage, les tentes, les troupeaux de bœufs ou de moutons, les ferrailles, les outils, enfin tout ce qui peut se vendre y est envoyé et y trouve un acquéreur à des prix quelquefois assez modiques, à moins qu’il ne s’agisse de comestibles, car, excepté la viande de boucherie, qui est abondante aux mines, tout ce qui se consomme est fort cher. Un cuisinier ou se disant tel, sachant tout au plus faire bouillir de l’eau, se paie au minimum 150 francs par mois, et à ce prix n’a-t-on généralement qu’un empoisonneur émérite. L’usage des viandes saignantes et des boissons fortes, la rareté des légumes et peut-être aussi la mauvaise qualité de l’eau, ne tardent pas à enflammer le sang au point qu’en été la plus légère égratignure devient en quelques heures une plaie douloureuse, fait enfler tout le membre, et peut causer de grandes souffrances pendant plusieurs mois. C’est un tribut que paient la plupart des nouveau-venus.

Du climat des mines, je me contenterai de dire quelques mots, ne m’étant pas trouvé dans des conditions qui m’aient permis de l’étudier. Il m’a été affirmé que, d’après les observations faites par un médecin anglais, pendant l’hiver de 1871 le thermomètre est descendu, aux mines de rivières, à 25 degrés Fahrenheit au-dessous de glace (environ 14 degrés centigrades), et que pendant l’été il s’est élevé, à l’ombre, à 150 degrés Fahrenheit (66 degrés centigrades). Je peux déclarer à mon tour qu’au New-Rush, où les saisons sont beaucoup moins rigoureuses qu’aux mines de rivières, pendant l’hiver de 1872 (juin à septembre) mon thermomètre est descendu, en plein air, à 10 et 12 degrés centigrades au-dessous de zéro, et qu’à la fin de septembre il est monté, dans ma tente, à 39 degrés centigrades. Jugeant qu’une augmentation de température ne conviendrait pas à ma santé, je suis parti sans plus observer. Il y a toujours une grande différence entre la température des jours et celle des nuits : en été, malgré la chaleur brûlante des journées, les nuits sont presque toujours assez froides pour nécessiter l’emploi de couvertures de laine ; en hiver, quel que soit le degré de froid de la nuit, le thermomètre ne reste pas, pendant le jour, au-dessous de 6 degrés centigrades. Il se produit donc tous les jours une variation de 15 à 20 degrés dans la température pendant les premières heures de la matinée en hiver, et une variation plus forte pendant les dernières heures de la nuit en été. Ces changemens s’expliquent par l’élévation extrême du terrain d’une part, et sa nature sablonneuse de l’autre ; le rayonnement est encore augmenté dans une proportion notable par les immenses amas de sables et de coraux accumulés autour des habitations à la suite des travaux ; , et au milieu desquels chaque tente se trouve placée comme dans un foyer ardent.

Pendant tout l’été, et surtout pendant les mois de fortes chaleurs (décembre à mars inclusivement), le pays est visité par des pluies torrentielles qui font songer à cette expression de cataracte usitée dans les Écritures. En quelques minutes, les plaines se transforment en lacs ; les plus petites sinuosités de terrain se changent en ruisseaux dangereux à traverser ; les endroits encaissés deviennent les lits de véritables torrens qui déracinent les arbres sur leur passage, vont grossir les fleuves, et en peu de temps les faire monter de plusieurs mètres. Ces pluies, qui d’ordinaire viennent de Klip-Drift (mines de rivières), s’annoncent par un nuage que l’on voit poindre à l’horizon, et qui est précédé de quelques rafales ; au bout d’une demi-heure environ, le ciel entier est pris, les éclairs partent de tous les côtés à la fois, laissant à peine aux yeux le temps de se remettre ; le tonnerre gronde et tombe avec des vibrations et des éclats dont on ne peut se faire une idée sans les avoir entendus ; le feu semble couler avec l’eau, ce qui fait dire aux mineurs que le tonnerre tombe « comme la pluie. » Le 6 octobre 1872, quoique la saison des orages ne fût pas encore commencée, il y eut cinq hommes frappés de la foudre dans le bassin du New-Rush seulement. Après ces cataclysmes, le ciel se dégage en peu de temps et redevient serein ; tout se calme et rentre dans l’ordre accoutumé. Il arrive souvent que l’horizon entier est couvert et que le voyageur étonné voit briller les astres au-dessus de sa tête, alors que la ceinture de nuages noirs qui encadre cet horizon lui présente le spectacle grandiose de plusieurs orages éclatant simultanément sur divers points et se répondant avec une intensité toujours croissante. Ces convulsions de la nature frappent de terreur et d’admiration ceux qui ont la chance d’y assister, car dans cette seule région de l’Afrique probablement l’observateur peut voir une série de phénomènes électriques assez difficiles à rencontrer réunis ailleurs : ainsi il n’est pas rare d’y voir des étincelles remontantes, espèce de chocs en retour, allant de la terre aux nuages avec un petit mouvement en zigzag peu accentué, et pendant les forts orages les objets sont tellement électrisés, — quelquefois même malgré la grande humidité, — que les roues des charrettes laissent échapper des auréoles de lumière ; les haches, quand on s’en sert, émettent des étincelles si fortes, qu’un de mes hommes, occupé un jour à fendre du bois, jeta son outil et se sauva épouvanté. Les peaux d’animaux, tigres, chacals, hyènes et autres, dont on se sert comme de couvertures, donnent la nuit, au toucher, de véritables éclairs, que l’on peut renouveler presque indéfiniment, comme si elles se rechargeaient aussitôt que dégagées. Les chiens, même vivans, produisent un phénomène semblable, mais plus faible et ne s’obtenant pas à volonté. Les échanges de fluide sont tels entre la terre et les couches supérieures, que par tous les temps, même les plus calmes, alors qu’il n’y a pas un nuage au ciel, on voit se former de nombreux tourbillons plus ou moins intenses, tantôt stationnaires, tantôt parcourant les plaines. S’il est vrai, comme on l’a prétendu, que là où les diamans sont abondans l’air est toujours fortement chargé d’électricité, ce pays doit être éminemment diamantifère, et l’on aurait la chance de découvrir de nouvelles mines en observant les endroits où ces tourbillons se forment avec le plus de régularité, comme dans la plaine située entre le New-Rush, Du Toit’s Pan et Old de Beer’s.

Outre les pluies accompagnées d’orages, la région des mines est sujette à être parcourue par des « tempêtes de poussière. » Le vent souffle alors avec une violence inouïe, déchirant et soulevant les tentes, renversant tout ce qui lui fait résistance, et entraînant des nuages poudreux d’une épaisseur telle qu’ils en sont littéralement opaques. Les mineurs sont alors forcés de cesser tout travail et de s’abriter contre ce gravier qui leur cingle le visage et le corps avec une force incroyable, et d’attendre que cet ouragan se soit calmé, ce qui n’a lieu qu’au bout de quelques heures. Cette poussière rouge et fine pénètre partout, s’attache à tout, et peut être considérée comme un des plus grands fléaux de cette contrée déjà si maltraitée.

Un phénomène singulier et inexplicable est la grandeur apparente des astres ; le soleil et la lune ont pour l’œil des dimensions considérables et semblent atteindre à leur lever et à leur coucher un diamètre au moins double du diamètre habituel. Ce jeu d’optique ne provient pas des vapeurs et molécules aqueuses tenues en suspension dans l’atmosphère, car en mer, où l’évaporation est plus grande qu’au-dessus d’un désert de sable, le même phénomène ne se reproduit pas. Sans en chercher l’explication, ce spectacle est d’une splendeur incontestable, et l’on comprend le respect superstitieux dont les peuples sauvages entourent l’astre roi, lorsqu’on voit son disque énorme descendre au milieu des brumes de l’horizon avec des teintes d’une richesse à désespérer les peintres. Je termine ces remarques sur le climat par deux observations. 1° Les habitans de l’Afrique et des colonies, lorsqu’ils viennent en Europe, souffrent moins des premiers hivers que les Européens parmi lesquels ils vivent, de même que dans les colonies les Européens sont moins sensibles que les créoles aux premiers étés qu’ils y passent. De ce fait parfaitement connu, il semble résulter que le sang a la propriété d’emmagasiner le calorique pour ainsi dire, et de conserver très longtemps une température correspondante au milieu dans lequel il se trouvait. 2° A température égale au thermomètre, le froid est bien moins sensible sous les tropiques que sous les autres zones. Ainsi on a vu qu’aux mines le thermomètre descend à — 14 degrés centigrades environ, et cependant, malgré la rigueur apparente de ces hivers, aucun mineur ne fait de feu pour se chauffer, peut-être, il est vrai, à cause du prix élevé du bois. Quel que soit le motif de cette abstention, il n’en est pas moins constant qu’une population d’une quarantaine de mille âmes de tout pays et de tout âge, répartie entre les diverses mines, y vit en quelque sorte en plein air, sans autres abris que des tentes, et aux mines de rivières tous les Cafres qui allaient y chercher de l’emploi (je parle de 1870 et 1871, ne sachant pas si les choses ont changé depuis) couchaient à la belle étoile et sur la terre nue sans jamais se plaindre. Cette insensibilité relative ne provient pas de la chaleur antérieure conservée par le sang comme dans l’observation précédente, car les Anglais et les Écossais, quittant leur pays à la fin de l’hiver boréal pour arriver en Afrique au commencement de l’hiver austral, — les saisons étant opposées dans les deux hémisphères, — se montrent aussi peu frileux que les autres ; elle ne vient pas non plus, comme on pourrait le penser à tort, de l’activité donnée au sang par les travaux manuels, puisque maintenant la plupart des mineurs font faire les travaux durs par les Cafres et se réservent le triage des terres, qui n’est certes pas une besogne de nature à augmenter la circulation. Du reste, dans les montagnes de l’île de La Réunion, à l’établissement thermal de Salazie par exemple, où le thermomètre descend jusqu’à 2 degrés centigrades, et où je l’ai souvent vu à 3 degrés en 1861, les maisons, fort mal jointes, n’ont pas de cheminées, même celles destinées aux malades, qui y vont précisément en hiver, et personne n’y fait de feu et n’y porte de pardessus, sauf les Européens, qui ont l’habitude de ce vêtement ; bien plus, il n’est pas rare d’y voir des personnes prendre des bains de rivière matin et soir à la température citée plus haut ; j’en parle par expérience personnelle. Il est vrai que là, comme aux mines, le temps est toujours sec et calme, ce qui contribue puissamment à en atténuer la rigueur.

III

Les champs diamantifères sont divisés en deux catégories : les mines de rivières et les mines sèches (dry diggings). Aux mines de rivières, les diamans se trouvent sur les bords et dans le lit des cours d’eau au milieu de pierres d’une grande variété : calcédoines, agates, olivines, grenats rouges et verts, granits, feldspaths micacés décomposés, tufs, schistes alumineux contenant des pyrites de fer, micas, aragonites. Ces pierres, aux couleurs vives quelquefois, égaient la vue et empêchent la monotonie du travail. Aux mines sèches, les diamans gisent au milieu des sables et des terres d’alluvion, parmi des calcaires de toute sorte, des grenats, péridots, schistes, micas, etc., et avec un minéral noir, toujours en petits fragmens informes, de cassure conchoïdale, réfléchissant vivement la lumière et rayant le verre, qu’on appelle sur les lieux du carbone, — sans doute à cause de sa couleur.

Toutes les mines sèches sont situées au milieu de vastes plaines incultes, si plates et si unies que la vue peut s’étendre dans toutes les directions sans rencontrer autre chose qu’un horizon qui par sa régularité tranche sur le ciel absolument comme celui de la mer ; c’est à peine si de loin en loin on y aperçoit quelques arbres isolés appartenant invariablement à la famille des mimosas ; pas d’eau, pas de terre végétale, rien en un mot qui puisse donner à penser que ces régions, privées de toute condition d’existence, soient faites pour être habitées par l’homme. La terre végétale, — terre à briques, rouge et fine, sans pierres, — a une épaisseur qui varie de 10 centimètres à 3 mètres, mais ce dernier chiffre est une exception. Quoique les diamans ne se montrent en abondance que dans quelques bassins où ils ont été accumulés avec une profusion qui rappelle les merveilles fantastiques des Mille et une Nuits, il est reconnu qu’il en existe dans toute la région située aux environs du fleuve Vaal. Une circonstance assez étrange et invariable jusqu’ici pour les mines sèches, c’est qu’elles se trouvent toutes sur de faibles élévations de terrain, ou, pour parler plus justement, qu’elles sont toutes accompagnées de renflemens comme si une force intérieure avait soulevé la terre en ces endroits, ce qui a fait penser que les diamans s’y trouvent par suite d’une action volcanique. Un autre point digne de remarque, c’est que les diamans ne se rencontrent à l’état de mines que dans des bassins ou dans les environs d’un récif quelconque ayant pu former barrière, — bassin et récif intérieurs qui deviennent visibles à la suite des fouilles qui y sont opérées. Les mines sèches sont au nombre de quatre, situées dans un rayon d’environ 5 kilomètres : Bult-Fontein, Du Toit’s Pan, Old de Beer’s et de Beer’s New-Rush. Le New-Rush, la plus imposante des mines, tant sous le rapport de sa richesse que de la régularité de sa forme et de sa constitution, est un vaste bassin de 630 pieds anglais sur environ 900, ayant à peu près la forme d’une poire, et se terminant à l’ouest-nord-ouest par un goulot. Il est entouré d’une ceinture de schistes qui paraissent avoir subi l’action, du feu, et dont les lames, variant d’épaisseur, mais régulièrement superposées., sont très friables, se décomposent à l’air au bout de quelques semaines, et se désagrègent avec une grande facilité. Cette ceinture de schistes, tantôt gris, tantôt et plus généralement d’un brun-jaune marbré, descend vers le fond en pente irrégulière, et dorme au bassin l’apparence d’un cratère de volcan ; elle varie quelque peu dans sa composition, offrant dans sa partie est-nord-est une pierre dure et lisse. Du reste, en approchant du goulot, le terrain change complètement de nature ; le sable devient de plus en plus rare, tandis que la terre végétale augmente jusqu’à former la totalité du sol, en même temps que la ceinture de schistes disparaît dans la même proportion pour ne plus laisser voir partout que la terre. En deux ou trois endroits, dans l’intérieur du bassin, s’élèvent comme des récifs de pierre calcaire arrivant jusqu’à la surface même du sol. Les lames de schistes qui forment le tour du bassin sont toutes inclinées de l’intérieur à l’extérieur, comme si ces terrains, unis autrefois, avaient été soulevés du centre de manière à en faire décliner les bords du côté de la circonférence. Les terres qui remplissent, le bassin, — sables gris et verts, tufs, glaises, terres graveleuses, coraux, terres dures comme de la pierre, d’un bleu-gris très tranché, etc., sont déposées en couches parfaitement distinctes et parallèles, ou du moins suivent toutes les ondulations les unes des autres, comme cela se voit dans les terrains rapportés par les eaux. A 28 mètres de profondeur, vers le milieu de la longueur du bassin, existait un lit de pierres noires ordinaires dont les angles, arrondis ou adoucis, semblaient annoncer qu’elles avaient été roulées par les eaux ; ces pierres gisaient dans une terre brune mêlée de beaucoup d’eau. On rencontre aussi, éparses parmi les terres, des roches de dimensions plus ou moins considérables, atteignant jusqu’à 2 ou 3 mètres de diamètre. Les différentes terres qui remplissent le bassin du fond à la surface sont distribuées sans aucune régularité, et les couches, quoique parallèles, ne sont pas les mêmes partout à une profondeur égale. Ainsi tel mineur qui à 10 mètres rencontrera une couche jaunâtre verra son voisin travailler, à la même profondeur, dans une couche de couleur et de nature différentes ; de même l’une pourra être très riche, et l’autre ne rien contenir. Un mineur dont le claim (morceau de 31 pieds anglais carrés) ne présentera absolument qu’une terre graveleuse et forte d’une seule constitution se trouvera à quelques pas d’un autre dont le claim sera composé de sables ou terres meubles en couches régulières. En général, en arrivant à de grandes profondeurs, on rencontre des couches n’ayant aucun rapport avec celles qui leur étaient superposées, soit des terres grasses excessivement dures, soit des pierres en abondance, soit une terre dure bleu-gris, soit d’ordinaire une terre calcaire agglomérée, composée en grande partie de coraux.

Outre ces minéraux réguliers, il se rencontre parfois des fragmens ressemblant à des morceaux de bois minéralisé, comme cela aurait lieu, si des sels en dissolution avaient imprégné les pores et les cavités de débris végétaux et, après la cristallisation, en avaient gardé la forme et l’apparence, tandis que le végétal lui-même se décomposait et disparaissait. On a trouvé au New-Rush une écaille d’huître, un œuf d’autruche, un grain de collier en verre bleu et des os d’antilope, le tout à 7 mètres au-dessous du niveau du sol. Les deux derniers objets font partie du musée de la ville du Cap.

Les diamans commencent à se rencontrer presque à la surface du sol, car, la terre végétale n’existant pour ainsi dire pas, on arrive immédiatement en contact avec les couches diamantifères, et les gisemens continuent également à toutes profondeurs ; lors de mon départ des mines, on était descendu à près de 35 mètres, et les découvertes, étaient aussi fructueuses pour ceux qui travaillaient à ces profondeurs que pour les mineurs échelonnés à toutes les hauteurs intermédiaires.

Ces diamans, pour la plupart, sont plus ou moins cassés, et l’on trouve autant de morceaux informes que de pierres entières ; une règle assez générale est que le diamant est d’autant plus coloré en jaune qu’il est plus gros ; les plus beaux découverts jusqu’à ce jour, sous le rapport du poids, sont de 288 carats, de 166, de 144, de 115, etc. Aucune mine au monde n’a jamais donné une aussi grande abondance de grosses pierres. Ainsi, avant la découverte des champs du Cap, un diamant de 4 carats était considéré comme une fort belle pierre, et au-delà de ce poids les prix ne s’évaluaient plus d’après les calculs ordinaires, mais devenaient prix de fantaisie, tandis que maintenant l’abondance des grosses pierres, est telle sur tous les marchés que le prix en est considérablement réduit et de beaucoup inférieur relativement à celui des petites. Des diamans de 10 à 20 carats se trouvent journellement au Cap, et la richesse de ces champs est telle que le New-Rush seulement a fourni une moyenne de plus de 3,000 diamans par jour pendant plus de huit mois, la plupart de grosses pierres.

Les diamans du Cap offrent certaines particularités curieuses dignes d’être mentionnées. La première, c’est que la qualité la plus précieuse, en raison de la pureté de son eau, de forme octaèdre régulière à arêtes vives, est sujette à se briser au contact de l’air. C’est ordinairement dans le cours de la première semaine après la découverte que la pierre se gerce et se casse ; cependant il est à ma connaissance que des pierres qui avaient résisté trois mois et plus ont fini par obéir à cette loi assez commune. Ces diamans ont les faces excessivement unies, ce qui s’oppose peut-être à la libre circulation du calorique, et empêche les couches internes de se mettre en équilibre avec l’air ambiant, et de pouvoir se dilater ou se contracter en même temps que les couches externes, d’où cette tendance à éclater. Il n’y a que les diamans de cette catégorie qui soient sujets à ces accidens : je n’ai vu qu’une seule exception dans un diamant octaèdre de 16 carats qui n’avait qu’une gerçure intérieure lorsque je l’ai trouvé, et qui le lendemain avait craqué dans tous les sens, malgré la précaution que j’avais prise de l’isoler par une enveloppe de suif. Il n’y a pas d’exemple d’un diamant jaune ayant jamais craqué. Il n’est jamais arrivé qu’aucun de ces diamans, une fois taillé, se soit gercé ou brisé aux changemens de température. Or, pendant l’opération de la taille, le diamant est fortement échauffé par la pression exercée contre la roue du lapidaire tournant avec une vitesse de 1,200 tours à la minute ; n’est-il pas permis d’en conclure que, si après ce travail la pierre a perdu la propriété de se séparer en morceaux, c’est que la chaleur développée a permis aux molécules de se grouper d’une manière normale ? On pourrait aussi inférer de là que ces diamans ont dû être formés dans un milieu d’une température élevée et qu’ils ont éprouvé un refroidissement subit, une sorte de trempe. En effet, on peut fort bien supposer, en considérant la mauvaise conductibilité du cristal pour la chaleur, qu’une couche très mince à la surface se trouve, pour une cause quelconque, assez trempée pour être dans un état de dilatation très différent de celui des couches intérieures, ce qui fait qu’un changement de température en produit la rupture et détermine une fissure qui se propage dans la masse, comme cela a lieu pour les larmes bataviques. Une autre circonstance rend plus frappante encore l’analogie d’arrangement moléculaire qui existe avec le verre trempé. Les substances non cristallisées régulièrement ou appartenant au système cubique sont douées de réfraction simple, — le verre et le diamant sont dans ce cas ; mais, lorsque le verre a été trempé, il acquiert la propriété de polariser la lumière, de même que certains diamans, ce qu’on regarde dans ces deux cas comme l’effet d’un groupement forcé de molécules dû à l’action de la trempe. Il serait intéressant de savoir si les diamans qui par exception polarisent la lumière sont précisément ceux qui sont sujets à se briser. La seconde particularité des diamans du Cap, c’est que toutes les fois qu’on trouve beaucoup de grenats dans la terre qu’on travaille, c’est un signe à peu près certain qu’on y rencontrera des diamans. Les jours où les grenats sont rares, on ne trouve guère de diamans, les deux allant ensemble d’ordinaire. Cette observation cependant ne s’applique pas à toutes les terres ; les graveleuses sont pauvres en grenats, tandis que les sables en sont riches. En troisième lieu, il est très rare qu’on rencontre de gros diamans là où les petits abondent ; au contraire, les jours où l’on ne trouve pas de petites pierres, on compte fortement sur un gros diamant, et cette espérance est très souvent réalisée. Ajoutons enfin que, dans les environs d’une grosse roche ou plutôt au-dessous, on trouve presque toujours un gros diamant.

Les diamans sont distribués dans les terres de deux manières : l’une parfaitement régulière et mathématique pour ainsi dire, l’autre déjouant tous les calculs et paraissant soumise à la seule loi du hasard. Ainsi les terres situées contre le récif qui compose le pourtour du bassin sont invariablement d’une richesse immense de la surface au fond ; celles au contraire qui se trouvent dans l’intérieur sont toujours d’un produit fort irrégulier. Parmi ces dernières, les unes sont riches, tandis que celles qui les touchent ne contiennent rien ; chez les unes, les diamans se montrent à la surface, le contraire a lieu chez les autres ; dans plusieurs enfin, les filons riches alternent avec des couches où l’on travaille des mois sans faire ses frais. Une qualité de terre est reconnue la meilleure dans une certaine région quand, quelques pas plus loin, elle est réputée détestable. En un mot, il n’y a de certitude pour l’acheteur que dans les claims situés immédiatement contre le pourtour, quel que soit le genre de terre qui les compose.

Abordons maintenant les hypothèses qui ont été mises en avant pour expliquer la présence des diamans en ces lieux. Selon la première, le bassin est un cratère, et les diamans s’y trouvent à la suite d’une éruption volcanique par laquelle ils y auraient été jetés. L’apparence de la ceinture de pierre formant le pourtour du bassin peut justifier la première partie de cette proposition, mais l’examen des terres qui le remplissent et la manière symétrique dont les couches en sont disposées éloignent toute idée d’action volcanique ; en outre la présence de sulfate de chaux à l’état de cristaux, de pierres calcaires à l’état de coraux non calcinés, de débris végétaux minéralisés, enfin d’écailles d’huîtres, d’œufs, d’os et de verroteries, indique surabondamment que le produit du bassin du New-Rush est dû à une tout autre cause.

D’après la seconde hypothèse, ce seraient de violentes rafales qui auraient entraîné les diamans dans ces mines avec le sable, la terre et les débris organiques. Cette opinion, émise par un homme verra sur les lieux avec les connaissances voulues pour se prononcer en pareille matière, dit-on, à trouvé grand crédit dans le pays, — peut-être parce qu’elle semblait promettre un lieu de dépôt qui devait en contenir une prodigieuse quantité, pour avoir pu en laisser autant emporter par le vent. D’abord les diamans se trouvant dans tous les genres de terre du bassin, il est évident qu’ils ont due être entraînés avec ces terres ; mais, comme ces terres diffèrent essentiellement les unes des autres, elles ne peuvent provenir d’une même localité. Comment comprendre alors que les vents généraux aient pu faire une tournée dans le pays pour en enlever uniquement les terres diamantifères et les réunir toutes dans un même bassin sans en laisser tomber sur la route ? Ensuite les quatre mines sèches, si elles avaient été alimentées de la sorte, auraient dû se trouver sur la ligne droite représentant la direction des vents généraux, — ce qui n’a pas lieu, car elles forment un trapèze sur la carte. Enfui une objection capitale, c’est la présence parmi ces terres de roches dont les dimensions et le poids sont tels qu’aucun ouragan ne pourrait seulement les ébranler. Ces roches, n’ayant aucun rapport avec la nature du terrain environnant et, se trouvant à des profondeurs variables, doivent être venues en même temps que les terres en question. Or, les roches n’ayant pu céder à l’action du vent, il est de toute évidence que les terres qui les accompagnent n’ont pu être amenées par une rafale.

La troisième supposition présente les diamans comme ayant été formés sur place par le feu, — théorie assez mal définie au reste, et qui se contente d’une probabilité vague sans l’appuyer sur aucune preuve. L’action du feu laissant intacts des calcaires de toute sorte est une nouveauté qui se juge d’elle-même, et qui n’a pas besoin de réfutation.

Après avoir passé en revue les théories du vent et du feu, il reste à envisager celle de l’eau, — et après l’hypothèse de la formation à l’extérieur, celle de la formation sur place ; commençons par la dernière. Il faut rappeler ici que le bassin du New-Rush est plus large à la surface qu’au fond, vers lequel les bords se dirigent en pente, c’est-à-dire que ce bassin a la forme d’une immense capsule. Lorsqu’on met dans une capsule un liquide contenant des corps étrangers en suspension ou en dissolution, ces corps se déposent toujours à l’état de précipité ou de cristaux Contre les parois et le fond, les plus lourds et les plus gros d’abord. Or c’est précisément ce qui a lieu pour les diamans. Les bords et le fond du bassin sont les endroits où ils se rencontrent en plus grande abondance, — les plus gros étant beaucoup plus répandus vers les régions inférieures qu’à la surface. Cette règle, pour les derniers, est loin d’être invariable, mais elle est assez générale pourtant. La richesse bien connue des terres situées contre le pourtour rendrait assez séduisante la théorie de la formation sur place, d’autant plus que d’autres faits encore sembleraient la confirmer. Ainsi il y a des endroits où les diamans sont généralement entiers et de même nature, comme s’ils avaient été produits dans des conditions identiques, ce qui n’arriverait pas s’ils provenaient du dehors, car ils n’auraient pas eu la chance de se trouver réunis et pour ainsi dire classés. D’autre part, l’existence presque invariable de gros diamans sous les grosses roches ne peut être attribuée au hasard, et l’on est amené à supposer que ces roches, par leur abri ou leur rayonnement, ont facilité la formation du cristal. Une autre preuve serait fournie par les diamans doubles, soit deux cristaux parfaits, l’un gros et l’autre très petit, attachés ensemble, soit deux diamans collés de manière à former l’extérieur régulier d’un seul cristal ; ces attaches fragiles n’auraient pas résisté aux frottemens et aux chocs violens que les pierres auraient eu à subir, si elles avaient été lancées par le feu ou charriées par les eaux pêle-mêle avec d’autres minéraux. Enfin la règle générale qui veut que les gros et les petits diamans ne se trouvent pas ensemble pourrait bien donner à penser que la formation doit avoir eu lieu sur place, puisque là où des circonstances inconnues, il est vrai, mais propices évidemment, ont permis à la cristallisation de se faire librement, toutes les molécules se sont réunies en un seul cristal gros et entier, et d’autant plus gros qu’il y a moins de petits diamans dans les environs.

Toutes ces considérations prises dans leur ensemble feraient admettre la formation sur place d’une partie des diamans ; pourtant des raisons sérieuses peuvent aussi être invoquées en faveur d’une formation hors du bassin, suivie d’un transport par les eaux. D’abord la plupart des diamans sont plus ou moins cassés et portent les traces de bouleversemens violens ; puis il n’y a pas d’exemple qu’on ait jamais rencontré deux morceaux pouvant s’adapter comme s’ils avaient appartenu à la même pierre ; enfin les terrains dans lesquels ils gisent sont quelquefois d’une nature complètement différente du sol ordinaire de la localité, et ont dû arriver du dehors, comme le prouvent du reste l’écaille d’huître, le collier de verre, etc. Or, ces bouleversemens ne pouvant s’accorder avec la théorie d’une action volcanique, la régularité et la superposition des couches et la présence des pierres à angles arrondis nous forcent à reconnaître que ce bassin a dû être rempli par les eaux à des époques successives. Ces eaux seraient venues, selon toute probabilité, par le goulot qui s’ouvre vers l’ouest-nord-ouest, côté d’où souffle le vent et d’où arrivent toujours les orages et les pluies torrentielles.

Il ne serait pas improbable que les diamans, formés ailleurs, n’eussent été transportés par ces eaux en même temps que d’autres à l’état rudimentaire ou en voie de formation, et que ces derniers, après le cataclysme, se trouvant dans le milieu favorable à leur développement, n’eussent achevé de se cristalliser. Cela expliquerait assez les anomalies que présente la coexistence en un même endroit de pierres dont les unes paraissent n’avoir jamais subi aucun effort, tandis que les autres sont dans des conditions diamétralement opposées. Si cette théorie, que je hasarde sous toutes réserves, était sanctionnée par l’autorité d’un savant spécialiste après mûr examen des lieux, on serait fondé à croire qu’en recherchant les traces du torrent original et en le remontant suivant les indications des localités, on pourrait arriver au point initial d’où sont partis ces diamans et les surprendre pour ainsi dire en voie de formation. On se procurerait ainsi, outre l’éclaircissement d’une très intéressante question scientifique, une nouvelle source de richesses incalculables. Un fait qui viendrait dans une certaine mesure confirmer cette idée, c’est qu’aux mines de rivières, situées dans la direction du goulot et d’où viennent tous les orages et les grandes pluies, presque tous les diamans sont entiers, — ce qui semblerait indiquer que c’est à partir de ce point ou un peu plus haut seulement qu’ont commencé les débordemens qui ont charrié les diamans et les ont brisés.

Si les observations qui précèdent ont été faites avec assez d’exactitude pour établir qu’une partie au moins des pierres ont pris naissance à l’endroit même qu’elles occupent dans le bassin du New-Rush, il demeurera acquis que la cristallisation du diamant n’exige ni température très élevée, ni pression extraordinaire, ces conditions n’ayant pu être remplies à la surface du sol, à 1,800 mètres d’élévation et au milieu de calcaires non calcinés.

Il n’est pas inutile d’ajouter qu’en dehors des bassins diamantifères il y a encore des gisemens de minéraux ayant l’apparence de l’anthracite ou du bog-head, et parmi lesquels se rencontre du fer sulfuré.

Quel sera maintenant l’avenir réservé aux champs diamantifères du Cap ? Tous les placers mis en exploitation jusqu’ici, étant de peu de surface, ont été bien vite épuisés ; seuls Du Toit’ s Pan et le New-Rush continuent à maintenir leur production en dépit des quantités considérables de pierres précieuses qui en sont extraites, et il serait téméraire d’assigner un terme à cette fécondité. Du reste la région comprise entre le Vaal et l’Orange est si vaste qu’il se passera encore bien des années probablement avant qu’elle ait été sondée dans toutes ses parties ; le champ reste donc ouvert aux suppositions.


DESDEMAINES-HUGON.


  1. Oranje Vrij Staat, république hollandaise.