Les Merveilleux Voyages de Marco Polo dans l’Asie du XIIIe siècle/Partie II/Chapitre 59

CHAPITRE LIX

L’Île de Madagascar


À mille milles au sud de Scoira est l’île de Madagascar. Les habitants pratiquent le culte de Mahomet. L’île est belle et est parmi les plus vastes qui soient, car elle a quatre mille milles de périmètre. Les éléphants y sont plus nombreux qu’en toute autre région. On en trouve aussi dans une île voisine appelée Zanquibar. Il se fait dans ces deux îles un grand commerce d’ivoire. Les habitants de Madagascar ne mangent pas de viande, sinon celle des chameaux. Ils en tuent chaque jour un si grand nombre qu’on ne le croirait pas sans l’avoir vu. Ils disent qu’aucune viande n’a meilleur goût et n’est plus saine. Les arbres de santal croissent en quantité dans l’île. On y trouve de l’ambre parce que la mer abonde en baleines et en cachalots, énormes poissons semblables aux baleines[1]. Les forêts sont pleines de léopards, d’ours, de lions et d’autres bêtes féroces. Aussi des marchands fréquentent l’île et s’y livrent à un commerce fructueux.

Madagascar est avec Zanquibar, la dernière île du Sud où les navires peuvent atteindre. Le courant qui se dirige vers le Sud est si fort et si constant qu’il leur serait impossible de revenir. Pour aller de Maabar, à Madagascar et à Zanquibar, les navires, malgré la grande distance, ne mettent que vingt jours ; mais, pour retourner, il leur faut trois mois, car ils ont à lutter contre la violence du courant.

Dans les autres îles qui se trouvent plus au midi et où les marchands ne vont jamais par crainte de n’en pouvoir revenir, on dit qu’à certaines saisons de l’année se montrent les oiseaux Grif[2]. Ils ne sont point faits nomme nous le disons. Des marins qui sont allés là-bas et les ont vus ont raconté à messire Marco Polo qu’ils ressemblent à l’aigle, mais sont plus grands et d’envergure plus large. Leurs ailes couvrent trente pas et leurs plumes sont longues de dix pas. Ils sont assez forts pour saisir un éléphant entre leurs serres et l’enlever à une grande hauteur, ils le laissent alors retomber et quand il est mort, ils se repaissent de sa chair. Les indigènes les appellent nur[3]. Je ne sais si ce sont les oiseaux que nous connaissons sous le nom de griffons. En tout cas, ils ne sont point moitié aigle, moitié lion.

Le grand Khan envoya dans ces régions pour s’informer de ces merveilles et aussi pour délivrer un de ses messagers qui y avait été retenu. Les hommes à qui il confia cette mission délivrèrent le captif et firent au grand Khan les étonnants récits que j’ai reproduits. Ils rapportèrent aussi deux défenses de sanglier qui pesaient chacune plus de quatorze livres : on juge de l’énormité de la bête qui les possédait. Les envoyés racontèrent que là-bas vivaient des sangliers grands comme de gros buffles, des girafes, des ânes sauvages et quantité d’animaux inconnus.

  1. L’ambre gris provient, en effet, de certains cachalots et paraît être une concrétion formée dans leur estomac ou leurs intestins.
  2. Les griffons.
  3. C’est l’oiseau roch des Mille et une Nuits.