Les Merveilleux Voyages de Marco Polo dans l’Asie du XIIIe siècle/Partie II/Chapitre 11

CHAPITRE XI

Les idoles de Tangut


Après avoir chevauché trente jours dans ce désert, on atteint une cité qui est appelée Saciou[1] et qui est au grand Khan. La province s’appelle Tangut[2]. Elle est peuplée d’idolâtres : on y trouve quelques chrétiens nestoriens et quelques musulmans. Il y a là force abbayes et monastères emplis d’idoles variées que les indigènes entourent de respect et de dévotion.

Tous ceux qui ont des enfants élèvent un mouton consacré à un dieu.

Au nouvel an ou à la fête du dieu, ils sacrifient l’animal et le mangent avec leurs enfants devant l’idole. Puis ils font cuire d’autres moutons qu’ils apportent en grande pompe aux pieds du dieu. Ils les y laissent, pendant qu’ils prient pour attirer sur leurs enfants, sa protection. Ils prétendent que l’idole mange la substance de la chair. Après quoi, prenant les moutons, ils les remportent chez eux, et en font un grand festin avec leurs parents. Après avoir mangé la chair, ils recueillent les os et les serrent bien soigneusement dans un meuble.

Sachez que tous les idolâtres du monde font brûler les corps des défunts. Ils les portent en cérémonie au bûcher. Au milieu du chemin que doit suivre le cortège, les parents du mort construisent un édifice en bois qu’ils recouvrent d’étoffes d’or et de soie. Lorsque le corps passe à cet endroit, le cortège s’arrête et l’on répand en abondance du vin, de la viande et d’autres aliments. On prétend que le mort recevra semblable accueil dans l’autre monde. Quand on est arrivé là où le corps doit être brûlé, les parents découpent dans du parchemin et du papier des figures d’hommes, de chevaux et de chameaux ainsi que des ronds en forme de monnaie ; ils brûlent tous ces objets avec le cadavre. Ils assurent que, dans l’autre monde, le mort aura avec lui esclaves, bêtes et richesses, autant qu’on aura brûlé de figures en papier. Devant le corps vont sonnant tous les instruments de la ville.

Sachez que ces gens ne feraient pas brûler le cadavre sans avoir demandé à leur astrologue quel jour sera bon pour la cérémonie. Quelquefois ils conservent le cadavre six mois, tantôt plus, tantôt moins, suivant que l’astrologue leur a dit par son art. À cet effet, ils fabriquent une caisse avec des planches bien jointes. Ils la peignent soigneusement et la recouvrent de belles étoffes : ils placent dedans une grande quantité de camphre et d’autres épices pour que le cadavre ne sente point. Chaque jour, tant qu’ils le gardent, ils mettent devant le mort une table chargée de viandes. Ils disent que l’âme vient, mange et boit ; aussi laissent-ils la table, pendant le temps que dure un repas. Ainsi font-ils chaque jour. Parfois leurs devins les entraînent à des superstitions plus étranges encore et leur disent qu’il n’est pas bon de sortir le corps par la porte. En ce cas, ils pratiquent une ouverture dans le mur et y font passer le cadavre pour le conduire au bûcher. Ces pratiques sont communes à tous les idolâtres de ces contrées.

  1. Cha-Tcheou, aujourd’hui Tun-houang.
  2. Thang-chou.