Les Merveilles et les excellences du salmigondis de l’aloyau


Les merveilles et les excellences du salmigondis de l’aloyau, avec les Confitures renversées.

1627



Les merveilles et les excellences du salmigondis
de l’aloyau, avec les Confitures renversées.
À Paris, chez Jean Martin, 1627. In-8.

Le Roux, ta gentille humeur
Merite bien qu’un rimeur,
Des plus gentils de sa race,
Pour toy grimpe sur Parnasse.

Un jour, beuvant rejouys
À la santé de Louys
Et de Charles ton bon maistre,
Il t’en souviendra peut-estre,
Tu laissas les mets royaux
Pour manger les alloyaux.
Tu me fy promestre, en somme,
Sur la foy d’un galant homme,
Qu’en vers je celebrerois
Ces morceaux dignes des rois.
Je m’acquitte de ma debte
En monnoie de poëte.
Si Rouillard s’est esbatu
Sur le renom d’un festu1
Qu’un miserable asne mange ;
Si Pasquier, en sa loüange
De la puce de Poitiers2
A du bruict en nos quartiers,
Loüant l’aloyau, j’espère
La faveur autant prospère,
Voire plus, car le subject
Est plus noble et moins abject.

Arrière donc, ô viandes
Delicates et friandes,
Et de quy l’enorme coust
Faict à maint perdre le goust !
À la table epicurée
Vous servirez de curée ;
Soient de vos morceaux disnez
Les hommes effeminez !
Vous fistes perdre Capoue :
Aux vils corbeaux je vous voüe.

Hercule ne vouloit pas
Vous avoir en ses repas ;
Au goust des Alcibiades
Vous eussiez esté trop fades :
Le bœuf seul les contentoit ;
Un aloyau seul estoit
La solide nourriture
Convenable à leur nature.

Aux geants membrus et forts,
Aux athlètes grands de corps,
Les chairs grosses et charnues
Plaisent mieux que les menues ;
Les poussins, les pigeonneaux,
Les bizets3, les estourneaux,
Les moineaux, les allouettes,
Sont pour les marionettes,
Pour les petits marjolets,
Pour les petits hommelets
Quy n’osent paroistre en rue,
Tant ils ont peur de la grue4.
Tant de mets et d’entremets
Ne furent propres jamais
Aux phylosophes antiques.
Je m’en rapporte aux ethiques.

Les diverses qualitez
Amènent des cruditez ;
Les cruditez indigestes
Sont à la santé molestes ;
De là viennent les douleurs
Tant aux intestins qu’ailleurs,
Les choliques, les tranchées,
Sinistres aux accouchées ;
Les vertiges du cerveau
Avec la fièvre de veau5.
Quy soi-mesme se commande,
Et quy, sobre, ne demande
Qu’un aloyau pour tout mets
N’est point malade jamais.

Un aloyau profitable
Repare tout une table
Du beau lustre coloré
De son rouge sur-doré.
Il paist nostre faim plus grosse,
Et l’on retrouve en la sausse
L’appetit perdu souvent :
De mort il le rend vivant.

Nutritive est la fumée
À la personne affamée ;
Et, si vous ne me croyez,
Feuilletez les plaidoyez.
Entre la Rotisserie,
Jadis, et la Gueuserie,
Il se mut un gros procez.
N’ayant mangé leurs pains secz,
Mais, au flair de la viande,
Les gueux payèrent l’amende6 ;
Et mesmement aux faulx dieux
Le flair en est gracieux :
Il les contente, où leur prestre
Veult la chair pour en repaistre.
Les prestres et les devins
Des sacrifices divins,
Aux solennelles journées,
Enlevoient les charbonnées :
C’est tout un et l’aloyau,
J’en croy le boucher Croyau.

Il sera de bonne sorte,
Et tel qu’on nous en apporte
De Sainct-Etienne-du-Mont7
Ou de nostre Petit-Pont8.
Ceux de la pièce première
N’ont pas la gloire dernière.
Les uns sont à deux costez,
Et les autres, escourtez,
N’en ont qu’un : c’est au choix vostre
Que de prendre l’un ou l’autre.
Les plus gras sont les meilleurs.
Manquent-ils, allez ailleurs.
La viande est tant plus franche
Que la graisse en est plus blanche,
Et plus tendre elle sera.

La dame l’embrochera
D’une gentille manière,
Sinon vostre chambrière,
Ou bien vostre marmiton.
À la guerre, un long baston
Sert bien souvent d’une broche.
Le feu ne sera trop proche,
D’autant qu’il le haviroit9
Plustost qu’il ne le cuiroit.
Moyenne soit la distance.
C’est au feu qu’est l’importance :
Il doibt estre bel et bon ;
Le meilleur est de charbon.
Celuy quy vire et quy tourne
Ordinairement sejourne
Sur le plus espais costé.
Qui le brusle soit frotté.
Il vaut mieux que l’on n’y mette
Qu’une personne discrette.
Ne tournez pas au rebours :
Je hais trop les mauvais tours
À l’ancienne coustume.
Cuite est la chair quy ne fume ;
Sèche, elle a moins de saveur.
Je tiendrois à grand’faveur
Qu’elle mouillast mon assiette.
Sur l’espaule une serviette,
Vous le desembrocherez,
Au plat vous le poserez.

Le sel et l’eau sont la sausse.
Tel y a quy la rehausse
Avec du vinaigre aux aulx ;
Mais ce sont les Champenaux.
Il n’est meilleure poyvrade,
Meilleure capylotade,
Ny meilleur salmygondis,
Tel qu’en apprestoit jadis
Nostre maistre La Fontaine,
La Fontaine Marmitaine.
L’amy que j’ayme d’amour
Avoit dict qu’à mon retour
J’en trouverois un en broche.
L’heure du souper approche :
Je m’en vay voir s’il est cuit.
Adieu, bonsoir, bonne nuit.

Les Confitures renversées.

Quy veult empescher un vilain,
Il luy faut mestre un œuf en main.
Que tu m’empeschas, ô Voicture10,
Avec tes pots de confiture !

Il te souvient qu’à mon depart
J’en pris en mes mains bonne part,
Ayant serré l’autre partie
Dans ma pochette appesantie.

De chez toy chez nous y a loin,
Et tout du long de ce chemin
Il n’y eut fils de bonne mère,
Quy ne me creust apothicaire.

Ayant les deux mains à mes pots
(Ils cuidoient choir à tout propos),
Le moyen de faire l’honneste !
Mon chapeau tenoit à ma teste,

Les uns m’estimoient desdaigneux,
Les autres m’appeloient teigneux.
Je ne sçay qui disoit : Malherbe,
Qui sçait bien, n’est pas tant superbe.

En evesque, non autrement,
Je les saluois froidement,
Rasserenant ma triste mine,
En tournant le col vers l’eschine.

Quoy qu’assez chiche de salut,
Le malheur toutefois voulut
Que je repandisse la saulce
Tant sur le manteau que la chausse.

De mal en pis, un autre effect
Dedans ma pochette se faict :
Tout pesle-mesle se renverse,
Et n’est doubleure qu’il ne perse.

Mes vers se trouvèrent dessous,
Bon Dieu ! que mes vers estoient doux !
Ma bienheureuse gibecière
En fut enduicte toute entière.

Il ne fut sol ny carolus11
Quy ne fust lors pris à la glus.
Alors j’appris que chose aucune
N’est si douce que la pecune.

Du travers de la cuisse au corps
La douceur me passa dès lors.
Si Dieu veut qu’elle y persevère,
Je ne seray plus tant sevère.

Le plus petit chien de chez nous
Me trouva plus que son laict doux ;
Il fut si friand de la sausse,
Qu’il a presque avallé ma chausse.

Tant et tant ce petit coquin
En barbouilla son musequin,
Qu’il n’est chien au mont Sainct-Hilaire
Quy ne le suive et ne le flaire.

Amy Voicture, étant sur tous
Et plus que confiture doux,
Ne me donne plus confiture
Sans un laquay pour la voiture.




1. Allusion au livre singulier dont voici le titre : La magnifique doxologie du festu, par M. Sebastien Roulliard, de Melun, advocat au parlement. Paris, 1610, in-8º.

2. C’est la fameuse puce qu’Estienne Pasquier, étant à Poitiers pour les Grands jours, aperçut sur le sein de la belle Catherine des Roches, et au sujet de laquelle il ouvrit une sorte de concours poétique. Tous les célèbres auteurs y prirent part, non seulement ceux qui écrivoient en françois, mais ceux qui faisoient des vers grecs, latins, italiens et espagnols. Aussi le P. Garasse a-t-il dit : « Cette puce a tant couru et sauté dans les esprits fretillans des François, des Italiens, des Flamands, qu’ils en ont fait un Pégase. » (Recherche des recherches, liv. V, ch. 10.) Pasquier fit un recueil de tous ces vers, qu’il dédia à M. Achille du Harlay, président des Grands-jours, et qu’on trouve à la fin de son volume : la Jeunesse d’Estienne Pasquier et sa suite, Paris, Jean Petit-Pas, 1610, in-8º. Le recueil a lui-même pour titre : La Puce, ou jeux poétiques françois et latins composés sur la puce aux Grands jours de Poitiers, en 1579. Il avoit déjà paru isolément en 1581 et 1583, sous le titre de : La Puce de madame des Roches.

3. Le biset est un pigeon sauvage un peu plus petit que le ramier, ayant les pieds et le bec rouges.

4. Comme les pygmées d’Homère, que les grues dévorèrent.

5. On appeloit ainsi l’espèce de malaise mêlé de frissons qui suit les débauches de bonne chère. « Il a fièvre de veau, il tremble quand il est saoul. » (Adages françois, XVIe siècle.)

6. « À Paris, en la roustisserie du Petit-Chastelet, au devant de l’ouvroir d’ung roustisseur, un facquin mangeoit son pain à la fumée du roust, et le trouvoit, ainsy parfumé, grandement savoureux. Le roustisseur le laissoit faire. Enfin, quand tout le pain fust bauffré, le roustisseur happe le facquin au collet, et vouloit qu’il luy payast la fumée de son roust. Le facquin disoit en rien n’avoir ses viandes endommaigé, rien n’avoir du sien prins, en rien luy estre debiteur. La fumée dont est question evaporoit par dehors : ainsi, comme ainsi se perdoit-elle, jamais n’avoit esté dit que dedans Paris on eust vendu fumée de roust en rue. Le roustisseur replicquoit que de fumée de son roust n’estoit tenu nourrir les facquins, et renioit, en cas qu’il ne le payast, qu’il luy osteroit ses crochets. Le facquin tire son tribart, et se mettoit en deffense. L’altercation fust grande ; le badaud peuple de Paris accourut au debat de toute part. Là se trouva à propos Seigni Joan, le fol citadin de Paris. L’ayant aperceu, le roustisseur demanda au facquin : Veulx-tu sus nostre differend croire ce noble Seigni Joan  ? Ouy, par la sambre guroy ! respondit le facquin. Adonc Seigni Joan, ayant leur discord entendu, commanda au facquin qu’il luy tirast de son bauldrier quelque pièce d’argent. Le facquin luy mist en main ung tournois Philippus. Seigni Joan le print et le mist sur son espaule gausche, comme explorant s’il estoit de poids ; puis le timpoit sur la paulme de sa main gausche, comme pour entendre s’il estoit de bon alloy ; puis le posa sus la prunelle de son œil droict, comme pour veoir s’il estoit bien marqué. Tout ce fust faict en grand silence de tout le badaud peuple, en ferme attente du roustisseur et desespoir du facquin. Enfin le feit sur l’ouvroir sonner à plusieurs fois ; puis, en majesté presidentale, tenant sa marotte au poing, comme si feust un sceptre, et affublant en teste son chaperon de martres singesses, à aureilles de papier fraisé à poinct d’orgues, toussant prealablement deux ou trois bonnes fois, dist à haulte voix : La cour vous dict que le facquin qui a son pain mangé à la fumée du roust civilement a payé le roustisseur au son de son argent ; ordonne la dicte cour que chascun se retire en sa chacunière, sans despens, et pour cause. » (Rabelais, liv. III, ch. 36.)

7. Il veut parler des boucheries voisines de cette église, et qui, dès le XIIe siècle, avoient fait donner à la rue Montagne-Sainte-Geneviève le nom de rue des Boucheries.

8. On vendoit toutes sortes de denrées sur le Petit-Pont. V. notre Paris démoli, 2e édit., p. xlv.

9. Vieux mot que la langue culinaire a seule conservé. Havir se dit pour l’action du feu trop vif, qui dessèche la viande par dehors sans la cuire à l’intérieur. C’est, selon Ménage, le mot grec ανειν, rôtir, bruler.

10. C’est Voiture le poète ; nous le reconnaissons bien à ce cadeau de friandises.

11. Petite pièce de billon mise en cours par Charles VIII, et tout à fait baissée de valeur à l’époque où ces vers furent écrits. Elle ne valoit alors que dix deniers.