Les Martyrs/Remarques sur le livre XVII

Garnier frères (Œuvres complètes de Chateaubriand, tome 4p. 506-515).

LIVRE DIX-SEPTIÈME.


1re Remarquepage 230.

Terre où règnent un souffle divin et des génies amis des hommes.

Platon, in Republ.


2e. — page 230.

Qui me donnera des ailes, etc.

Οἰκείων δ᾽ ὑπὲρ θαλάμων
Πτέρυγας ἐν νώτοις ἁμοῖς
Λήξαιμι θοάζουσα,
Χοροῖς δἑ σταίην, ὅθι καὶ
Παρθένος εὐδοκίμων γάμων,
Παρὰ πόδ᾽ εἱλίσσουσα φίλα
Ματρὸς ἡλίκων θιάσους,
Ἐς ἁμίλλας χαρίτων
Χαίτας ἁβρόπλουτον ἔριν,
Ὁρνυμένα, πολυποίκιλα φάρεα
Καὶ πλοκάμους περιβαλλομένα
Γένυσιν ἐσκίαζον.

(Eurip., in Iph. Taur.)

Ἦ ῥοθίοις εἰλατίνοις
Δικρότοισι κώπαις
Ἔπλευσαν ἐπὶ πόντια κύματα,
Νάιον ὄχημα
Λινοπόροις αὔραις, 410
Φιλόπλουτον ἅμιλλαν
Αὔξοντες μελάθροισιν;
............
............
Παράλιον αἰγιαλόν

Ἐπ᾽ Ἀμφιτρίτας ῥοθίῳ
Δραμόντες ; ὅπου πεντήκοντα κορᾶν
Τῶν Νηρῄδων χοροὶ
Μέλπουσιν,
etc.
(Eurip., in Iph. Taur.)


3e. — page 230.

Déjà Sunium.

En sortant d’Athènes, je me rendis à un village nommé Keratria, situé au pied du mont Laurium, où les Athéniens avoient leurs mines d’argent. Nous allumâmes des feux sur la montagne, pour appeler un bateau de l’île de Zéa, autrefois Ceos, patrie de Simonide. Ce fut inutilement. La fièvre que j’avois prise dans le marais de Lerne redoubla, et je passai huit jours dans le village de Keratria, ne sachant si je pourrois aller plus loin. M. Fauvel m’avoit donné pour me conduire un Grec, qui, me voyant ainsi arrêté, retourna à Athènes, loua une barque au Pirée, et vint me prendre sur la côte dans une anse, à trois lieues de Keratria. Nous arrivâmes au coucher du soleil au cap Sunium. Je me fis mettre à terre, et je passai la nuit assis au pied des colonnes du temple. Le spectacle étoit tel que je le peins ici. Le plus beau ciel, la plus belle mer, un air embaumé, les îles de l’Archipel sous les yeux, des ruines enchantées autour de moi, le souvenir de Platon, etc., ce sont là de ces choses que le voyageur ne trouve que dans la Grèce.


4e. — page 230.

Prête à descendre avec Pâris, etc.

Voyez l’Iliade.


5e. — page 231.

La veillée des fêtes de Vénus, etc.

Consultez ce que j’ai dit au sujet de cet hymne et de la méprise des critiques sur la nature de mes imitations. Ce n’est point du tout ici le Pervigilium Veneris attribué à Catulle.


6e. — page 231.

Qu’il aime demain, etc.

Cras amet qui nunquam amavit ;
Quique amavit, cras amet.

(Pervigil.)


7e. — page 231.

Âme de l’univers, etc.

Hominum divumque voluptas,
Alma Venus !
Te, Dea, te fugiunt venti, te nubila cœli,
Adventumque tuum…
Tibi rident æquora ponti.

(Lucret.)


8e. — page 231.

C’est Vénus qui place sur le sein de la jeune fille, etc.

Ipsa jussit mane ut udæ
Virgines nubant rosæ,
Fusæ aprugno de cruore,
Atque Amoris osculis.
.........
Totus est armatus idem
Quando nudus est Amor.

(Pervigil.)


9e. — page 231.

Le fils de Cythérée naquit dans les champs, etc.

Ipse Amor puer Diones
Rure natus dicitur.
.......
Ipse florum delicatis
Educavit osculis.

(Pervigil.)

Omnis natura animantum
Te sequitur cupide, quocumque inducere pergis
, etc.
(Lucret.)

Avia tum resonant avibus virgulta canoris,
Et venerem certis repetunt armenta diebus
, etc.
(Virgil, Georg.)


10e. — page 231.

Île heureuse, etc.

Cette strophe entière est de moi : j’ai inventé la fiction des Grâces qui dérobent le fuseau aux Parques ; on ne s’en est pas aperçu, tant on connoît bien aujourd’hui l’antiquité !


11e. — page 232.

Se réunissent à une troupe de pèlerins, etc.

Il n’y a point ici d’anachronisme. Les pèlerinages à Jérusalem remontent jusqu’aux premiers siècles de l’Église. Saint Jérôme, qui nous a laissé, après Eusèbe, la description des Lieux Saints, dit que de son temps il venoit à Jérusalem des pèlerins de toutes les parties du monde. Une autre circonstance heureuse, c’est que j’aie pu et que j’aie dû peindre dans les Martyrs Jérusalem en ruines, telle que je l’ai vue. À l’époque de la persécution de Dioclétien, le nom même de Jérusalem étoit si totalement oublié, qu’un martyr ayant répondu à un gouverneur romain qu’il étoit de Jérusalem, celui-ci crut que le martyr parloit de quelque ville factieuse bâtie secrètement par les chrétiens. Jérusalem s’appeloit alors Ælia, du nom d’Aurélien, qui avoit rétabli quelques maisons sur les immenses ruines entassées par Titus. Enfin, il n’y a point de contradiction quand je présente de beaux édifices s’élevant à la voix d’Hélène au milieu des débris : d’un côté, le désert et le silence ; de l’autre, la population et le bruit. Selon l’histoire, la pieuse mère de Constantin fit bâtir ces grands monuments à Jérusalem, parce qu’elle fut saisie de douleur à la vue du délaissement et de la pauvreté des Lieux Saints. On voit encore aujourd’hui à Jérusalem des églises très-riches, une grande foule à quelques époques de l’année, et partout ailleurs, et dans tout autre temps, la désolation et la mort. Au reste, comme Cymodocée suit exactement et avec beaucoup de détail mon Itinéraire, je n’ai presque rien à ajouter au texte : je ne ferois que me répéter.


12e. — page 233.

Le guide s’écrie : Jérusalem !

Il faut voir comment les chroniqueurs contemporains ont parlé de l’arrivée des croisés à Jérusalem :

« O bone Jesu ! ut castra tua viderunt, hujus terrenæ Jerusalem muros, quantos exitus aquarum oculi eorum deduxerunt ! et mox terræ procumbentes sonitu oris et nutu inclinati corporis sanctum sepulchrum tuum salutaverunt ; et te qui in eo jacuisti, ut sedentem in dextera Patris, ut venturum judicem omnium, adoraverunt. (Bob., Monach., lib. ix.)

« Ubi vero ad locum ventum est, unde ipsam turritam Jerusalem possent admirari, quis quam multas ediderint lacrymas digne recenseat ? Quis affectus illos convenienter exprimat ? Extorquebat gaudium suspiria, et singultus generabat immensa lætitia. Omnes, visa Jerusalem, substiterunt, et adoraverunt, et, flexo poplite, terram sanctam deosculati sunt : omnes nudis pedibus ambularent, nisi metus hostilis eos armatos incedere debere præciperet. Ibant, et flebant ; et qui orandi gratia convenerant, pugnaturi prius pro peris arma deferebant. Fleverunt igitur super illam, super quam et Christos illorum fleverat : et mirum in modum, super quam flebant, feria tertia, octavo idus junii, obsederunt. Obsederunt, inquam, non tanquam novercam privigni, sed quasi matrem filii. » (Baldric., Histor. Jeros., lib. iv.)

Le Tasse a imité ce passage, ainsi que moi :

Ecco apparir Gerusalem si vede ;
Ecco additar Gerusalem si scorge ;
Ecco da mille voci unitamente
Gerusalemme salutar si sente
, etc., etc.

Les strophes qui suivent sont admirables :

Al gran piacer che quella prima vista
Dolcemente spiro nell’altrui petto,
Alta contrizion successe, etc.

Mais je suis fâché qu’il ait manqué le non tanquam novercam privigni, sed quasi matrem filii. Moi qui n’ai peint qu’une caravane paisible, je n’ai pu faire usage de ce beau trait.


13e. — page 233.

Entre la vallée du Jourdain, etc.

Quelques lecteurs se rappelleront peut-être d’avoir vu une partie de cette description dans un article du Mercure de France (août 1807).


14e. — page 235.

Le bois consacré à Vénus.

Eusèbe, dans la Vie de Constantin, dit que c’étoit un temple, et qu’il fut démoli par ordre de ce prince.


15e. — page 235.

La vraie croix étoit retrouvée.

Sainte Hélène, comme on sait, retrouva la vraie croix au bas du Calvaire. On a bâti dans cet endroit une espèce d’église souterraine, qui se réunit à l’église du Saint-Sépulcre et à celle du Calvaire.


16e. — page 235.

Hélène avoit fait enfermer le Sépulcre, etc.

C’est la description exacte de l’église du Saint-Sépulcre telle qu’elle existoit lorsque je l’ai vue. Eusèbe nous a laissé de longs détails sur l’église que Constantin ou plutôt sa mère fit bâtir sur le saint tombeau ; mais j’ai mieux aimé peindre ce que j’avais examiné de mes propres yeux. Je ne puis m’empêcher de remarquer que j’ai été une espèce de prophète en racontant l’incendie de l’église du Saint-Sépulcre dans Les Martyrs. Les papiers publics nous ont appris que cette église avoit été détruite de fond en comble par un semblable accident, à l’exception du tombeau de Jésus-Christ. Plusieurs personnes m’ont fait l’honneur de m’écrire pour me demander ce que je pensois de ce miracle. Tout ce que je puis dire, c’est que la description de l’église, telle qu’on l’a donnée dans les journaux, est d’une grande fidélité. Le Saint-Sépulcre, environné d’un catafalque de marbre blanc, a pu, à la rigueur, résister à l’action du feu ; mais il est pourtant très-extraordinaire qu’il n’ait pas été écrasé par la chute de la coupole embrasée, et qu’en même temps la chapelle des Arméniens, adossée au catafalque, ait été brûlée. Si un pareil malheur étoit arrivé il y a un siècle, la chrétienté se seroit réunie pour faire rebâtir l’église ; mais aujourd’hui j’ai bien peur que le tombeau de Jésus-Christ ne reste exposé aux injures de l’air, à moins toutefois que de pauvres esclaves schismatiques, des Grecs, des Cophtes et des Arméniens, ne se cotisent, à la honte des nations catholiques, pour réparer un tel malheur.


17e. — page 235.

On voyoit la ville sainte, etc.

C’est la Jérusalem délivrée, gravée sur les portes de l’église du Saint-Sépulcre. J’ai ramené dans ce morceau le souvenir de la patrie, et j’ai essayé de traduire les fameux vers :

Chiama gli abitator dell’ombre eterne
Il rauco suon della Tartarea tromba,
etc.

« Le bruit d’abîme en abîme roule et retombe : » Romor rimbomba.


18e. — page 236.

Elle étoit vêtue d’une robe de bysse, etc.

Il est souvent parlé du bysse dans l’Écriture. C’étoit une étoffe légère, de couleur jaune. Les grenades d’or, les bandelettes de cinq couleurs, les croissants, etc., sont des parures marquées dans les prophètes. Je ne pouvois, au surplus, manquer de peindre la semaine sainte à Jérusalem. La sévérité, la grandeur de cette fête chrétienne forment contraste avec la dissolution des fêtes d’Amathonte. Il y a bien loin du chameau de l’Arabe, des souvenirs de Rachel et de Jacob, des lamentations de Jérémie, aux cérémonies des druides, aux chants de Teutatès, aux tragédies de Sophocle à Athènes, et aux danses de l’île de Chypre. Mais tel est, si je ne me trompe, l’avantage de mon sujet, de pouvoir faire passer sous les yeux du lecteur le spectacle choisi de ce qu’il y a de plus curieux, de plus agréable et de plus grand dans l’antiquité.


19e. — page 236.

Comment la ville autrefois pleine de peuple, etc.

« Quomodo sedet sola civitas plena populo ?… Quomodo obscuratum est aurum, mutatus est color optimus ? Dispersi sunt lapides sanctuarii… Facta est quasi vidua domina gentium… Viæ Sion lugent… Omnes portæ ejus destructæ. Sacerdotes ejus gementes ; virgines ejus squalidæ. » (Jerem., Lament.) Certes, ce cantique de Jérémie n’a à redouter aucune comparaison des plus beaux morceaux d’Homère et de Virgile.


20e. — page 236.

Et tes ennemis plantèrent leur tente, etc.

Seul trait qui ne soit pas de Jérémie. J’ai profité de la belle remarque de Baronius. Il observe que Titus établit une partie de son camp sur le mont des Oliviers, à l’endroit même où Jésus-Christ pleura sur la cité coupable et prédit sa ruine. J’ajouterai que la première attaque sérieuse des Romains eut lieu de ce côté.


21e. — page 237.

Sur un mode pathétique, transmis aux chrétiens, etc.

J’ai dit dans le Génie du Christianisme que le chant des Lamentations de Jérémie me paroissoit hébreu d’origine.


22e. — page 237.

La Voie douloureuse.

J’ai parcouru trois fois la via Dolorosa, pour en conserver scrupuleusement la mémoire. Il n’y a pas un coin de Jérusalem que je ne connoisse comme les rues de Paris. Je réponds de la vérité de tout ce tableau.


23e. — page 237.

On sort par la porte de Bethléem, etc.

Je faisois tous les matins, en sortant du couvent de Saint-Sauveur, la route tracée dans cette page. J’ai constamment achevé le tour de Jérusalem à pied dans cinq quarts d’heure, en passant sous le temple et revenant par la grotte de Jérémie. C’est auprès de cette grotte que se trouve le beau tombeau d’une reine du nom d’Hélène, dont parlent Pausanias et presque tous les voyageurs aux Saints Lieux. Quant au torrent de Cédron, il roule ordinairement vers Pâques une eau rougie par les sables de la montagne des Oliviers et du mont Moria. Lorsque j’ai vu ce torrent, il étoit à sec. Il y a encore neuf à dix gros oliviers dans le jardin de ce nom. Ce jardin appartient au couvent de Saint-Sauveur. On sait que l’olivier est presque immortel, parce qu’il renaît de sa souche. On peut donc très-bien croire, comme on l’affirme à Jérusalem, que ces oliviers sont du temps de Jésus-Christ.


24e. — page 238.

Plus loin l’Homme-Dieu dit aux femmes, etc.

La tradition, à Jérusalem, a conservé beaucoup de circonstances de la Passion qui ne sont point dans l’Évangile. On montre, par exemple, l’endroit où Marie rencontra Jésus chargé de la croix. Chassée par les gardes, elle prit une autre route, et se retrouva plus loin sur les pas du Sauveur. La foi ne s’oppose point à ces traditions, qui montrent à quel point cette merveilleuse et sublime histoire s’est gravée dans la mémoire des hommes. Dix-huit siècles écoulés, des persécutions sans fin, des révolutions éternelles, des ruines entassées et toujours croissantes, n’ont pu effacer ou cacher la trace de cette divine Mère qui pleuroit sur son fils.


25e. — page 238.

Ô fils, ô filles de Sion !

Encore un simple chant de l’Église, rappelé au milieu des beautés des plus grands poëtes. Forme-t-il une si grande disparate ? et n’est-il pas simple, noble et poétique ?


26e. — page 238.

Déjà s’avance vers Jérusalem, etc.

J’ai déjà fait observer que l’action faisoit un pas à chaque livre. On ne peut donc pas se plaindre des descriptions, puisqu’elles n’interrompent jamais la narration.


27e. — page 239.

Il découvre avec complaisance le lac Averne, etc.

Nous voici revenus à Virgile ; et après avoir entendu le prophète du vrai Dieu, nous allons voir la prophétesse du démon.


28e. — page 239.

Les remords, couchés sur un lit de fer, etc.

Vestibulum ante ipsum, primisque in faucibus Orci.
Luctus et ultrices posuere cubilia Curæ,

Pallentesque habitant Morbi, tristisque Senectus,
Et Metus, et malesuada Fames, ac turpis Egestas,
Terribiles visu formæ ; Letumque, Laborque ;
Tum consanguineus Leti Sopor, et mala mentis
Gaudia, mortiferumque adverso in limine Bellum,
Ferreique Eumenidum thalami, et Discordia demens,
Vipereum crinem vittis innexa cruentis.

(Virg., Æneid., VI, v. 273.)

J’ai pris à Malherbe la rude et naïve traduction de ce dernier vers :

La Discorde aux crins de couleuvres.


29e. — page 239.

Consacra… ses ailes.

Redditus his primum terris, tibi, Phœbe, sacravit
Remigium alarum.

(Æneid., VI, v. 18.)


30e. — page 239.

Quatre taureaux, etc.

Quattuor hic primum nigrantes terga juveneos
Constituit......
Voce vocans Hecaten, Cœloque Ereboque potentem.
.....Ipse atri velleris agnam
Æneas matri Eumenidum, magnæque sorori
Ense ferit......
Tum Stygio regi nocturnas inchoat aras.

(Æneid., VI, v. 243 et seq.)


31e. — page 239.

Il est temps, etc.

Poscere fata
Tempus, ait : Deus, ecce deus.

(Æneid., VI, v. 45.)


32e. — page 239.

Les traits de la sibylle s’altèrent, etc.

.........Cui talia fanti
Ante fores, subito non vultus, non color unus,
Non comptæ mansere comæ ; sed pectus anhelum,
Et rabie fera corda tument, majorque videri,
Nec mortale sonans.

(Æneid., VI, v. 46.)


33e. — page 240.

La prêtresse se lève trois fois, etc.

On voit comme j’ai changé la scène de Virgile : c’est ici une sibylle muette, au lieu d’une sibylle qui déclare l’oracle.