LES
MARINS DU XVIe SIECLE

I.
SEBASTIEN CABOT ET SIR HUGH WILLOUGHBY


I

On sait par quel enchaînement de circonstances le riche trafic de l’Orient échappa, dans le cours du XVIe siècle, aux républiques italiennes[1]. Presqu’à la même époque, les villes anséatiques se virent supplantées sur les marchés du nord. Demeuré jusqu’alors à l’état d’enclave et soumis à la surveillance ombrageuse de la marine allemande, l’empire russe se trouva brusquement affranchi, — la chose est à noter, — par des mains anglaises. Cette émancipation, si grosse de conséquences, fut encore un des effets imprévus du merveilleux progrès réalisé, dans le court espace de quelques années, par l’astronomie nautique.

Le mouvement maritime avait pris, vers la fin du moyen âge, un développement sur l’importance duquel l’histoire n’a peut-être pas suffisamment insisté. Si l’on veut considérer ce mouvement dans son ensemble, on ne saurait mieux faire que de se transporter en premier lieu à Bruges, reliée par un canal au fameux port de l’Écluse, un peu plus tara, à Anvers. C’est là que, pendant près de trois siècles, s’échangèrent avec une régularité que les événemens les plus graves eurent à peine le don d’interrompre, les produits de l’Orient et de l’Occident, ceux du midi et du nord. Chaque année, aux premiers jours du printemps, une immense caravane s’ébranlait pour rayonner de Venise vers tous les points de la Méditerranée. Une portion considérable de cette flotte prenait la direction de l’Océan. Avant de franchir le détroit de Gibraltar, elle touchait à Manfredonia, à Brindes, à Otrante, à Messine ; elle faisait escale à Tripoli, à Tunis, à Alger, à Oran, grossissant peu à peu ses cargaisons sur la route. Entrée dans l’Océan, elle serrait d’aussi près que possible les côtes de l’Andalousie, du Portugal, de la Galice et de la Biscaye ; elle s’accrochait ensuite aux rivages de la Fiance, multipliant à dessein ses étapes, prenant mille précautions pour n’être pas entraînée au large. Elle arrivait enfin, soit au port de l’Écluse, soit à l’embouchure de l’Escaut. Elle n’allait pas plus loin. A Anvers comme à Bruges, le placement de ses marchandises était assuré ; les chargemens de retour se trouvaient déjà prêts. Les vaisseaux de Lubeck, de Hambourg et de Brème étaient venus des embouchures de la Trave, de l’Elbe et du Weser au rendez-vous que la reine de l’Adriatique leur avait assigné.

Quelle était donc cette marine rivale, assez puissante pour mesurer à Venise sa tâche et son domaine, assez active pour accomplir à elle seule tous les transports qu’elle s’était réservés ? On la vit naître le jour où les chevaliers teutoniques, revenus d’Asie à la fin des croisades, reprirent l’œuvre de Charlemagne au point où ce grand civilisateur l’avait laissée, le jour où, s’établissant sur les bords de la Baltique, l’ordre nouveau s’unit en 1237 aux chevaliers porte-glaives pour faire reculer pas à pas le monde païen. A dater de ce moment, aussi important dans l’histoire de la navigation que dans celle de l’humanité, la longue péninsule, jadis occupée par les Cimbres, cessa de marquer la limite extrême où venaient s’arrêter les vaisseaux. De vastes territoires avaient été mis en culture. On ne tarda pas à en écouler vers les cités industrieuses des Flandres les principaux produits : le blé et les bois de charpente. Ce n’étaient là que les produits du sol ; la mer en gardait d’autres dont nous ferons sans peine apprécier la richesse. Qui ne sait en effet avec quel religieux scrupule le moyen âge observait les prescriptions Un carême ? Le poisson étant devenu pour tous les peuples chrétiens une denrée de première nécessité, la récolte annuelle du stock-fish) de la morue pêchée sur les côtes de la Norvège et sur celles de l’Islande, occupa dès le XIe siècle une grande place dans l’alimentation de l’Europe[2]. L’exploitation des bancs de harengs, qui tous les ans, vers le mois de janvier, surgissent en troupes innombrables du fond des abîmes qu’ils ont choisis pour refuge, devait en acquérir une plus considérable encore. On a pu constater les divers chemins que suivent ces immenses colonnes dans leurs migrations périodiques. Leur itinéraire n’a pas toujours été le même. On l’a vu se modifier soudainement et vouer à la stérilité telle portion de l’Océan réputée naguère entre les plus fécondes. Le Sund et, dans la Baltique, les abords de l’île Rugen, furent jusqu’à la fin du XIVe siècle des parages particulièrement favorisés. Les bancs y étaient si denses que l’emploi des filets devenait superflu. On eût pu ramasser le poisson à la main, ou, suivant l’expression de Philippe de Maizières, voyageur français du temps de Charles VI, « le tailler à l’épée. » Pendant deux mois, en septembre et octobre, 40,000 bateaux ne faisaient autre chose que « prendre le hareng ; » 500 grosses nefs s’employaient à le recueillir ; sur la côte de Scanie, on le salait. 300,000 hommes vivaient de cette industrie, et, grâce à leur labeur, l’Allemagne, la France, l’Angleterre, d’autres pays plus éloignés encore « se trouvaient repus en carême. » Voilà ce que nous apprend, dans son naïf et pittoresque langage, « le vieux pèlerin » qui errait vers l’année 1380 sous ces latitudes.

A la vue de cette manne, plus sûre dans ses promesses que le grain de blé confié à la terre, l’antique piraterie laissa tomber ses armes. Les rivages de la Baltique n’avaient pas encore de moissons que déjà la mer qui les baigne se montrait couverte de pêcheurs. C’est ainsi que commença la fortune de Lubeck, qui, par sa position, se trouvait dotée d’un accès facile aux salines d’Oldesloe et de Lunebourg. Le commerce des grains porta bientôt cette fortune à son apogée.

Une prospérité si soudaine ne pouvait manquer d’exciter l’envie. Fière de ses richesses et de la protection impériale, Lubeck résolut d’opposer la force aux prétentions des Danois et des Norvégiens. Deux autres villes, séparées de Lubeck par toute la presqu’île du Jutland, partageaient les profits de la florissante cité. Les navires de Brème, les vaisseaux de Hambourg apportaient dans la Trave les marchandises qui, de tous les points de l’Allemagne et de l’Italie, se rassemblaient à Bruges. Lubeck leur livrait en échange une partie des divers produits que ses marins se chargeaient d’aller récolter Jusqu’au fond du golfe de Finlande. Ces trois cités avaient les mêmes ennemis et des intérêts identiques ; elles cherchèrent leur sécurité dans l’association. Le contrat qui les lia, vers l’année 1241, devint l’origine de la célèbre ligue avec laquelle les plus grands rois devaient bientôt avoir à compter. Composée d’abord de trois villes, la ligue anséatique finit par en embrasser quatre-vingt quatre. Elle exploita les côtes de la Poméranie, de la Livonie, de l’Esthonie, de l’Ingrie. De Brème à Narva on comptait, en y comprenant l’entrepôt central de Wisby sur l’île de Gotland, plus de vingt ports ouverts aux vaisseaux des osterlingues[3]. Les eaux du Rhin, de l’Ems, du Weser, de l’Elbe, établissaient une circulation continue entre l’Océan et l’intérieur de l’empire germanique ; celles de la Trave, de l’Oder, de la Vistule, du Pregel, du Niémen, de la Duna, aspiraient par vingt bouches les arrivages qu’accueillait la Baltique. Trois comptoirs fondés, le premier à Novgorod, le second à Bergen, le troisième à Londres, complétaient le réseau dans lequel Venise et la Hanse semblaient s’être entendues pour enlacer le monde.

Le déploiement de tant d’activité n’amena néanmoins aucun progrès sensible dans les procédés de l’art naval. La seule navigation que connaisse le moyen âge, c’est la navigation qui va de cap en cap, en d’autres termes, la navigation de cabotage. Le pilote côtier tient lieu de boussole, d’astrolabe et de carte marine. Sur les deux rives de la mer d’Allemagne stationnaient constamment de nombreux lamaneurs, relais échelonnés qui devaient, à l’instar de nos maîtres de poste, se passer, avec une fidélité scrupuleuse, les flottilles marchandes de main en main. Tel pilote prenait les vaisseaux sur la côte de Flandre et les conduisait à l’entrée du détroit de Douvres ; tel autre les ramenait le long de la côte d’Angleterre, au nord des bancs de Yarmouth. Le guide avec lequel on franchissait le Pas-de-Calais n’était pas celui qui vous faisait doubler l’île de Batz. Ce dernier vous livrait à un nouveau pratique, si vous deviez pousser jusqu’à Vannes. La Rochelle, Bordeaux, Lisbonne même, sont des postes de pilotage mentionnés par le code maritime de Wisby à côté de Travemunde, le port de Lubeck, de Sluys[4], le port de Bruges, d’Amsterdam, le grand entrepôt du Zuiderzée. Cette marine puissante ne serait probablement jamais sortie de l’enfance. Sûre de son monopole, elle n’avait aucun intérêt à tenter des voies inconnues. Nous la retrouverions encore aujourd’hui avec ses lisières, si, du foyer allumé au sein des cités lombardes, quelque étincelle n’eût jailli jusqu’aux rivages de la Grande-Bretagne.

Un Génois pouvait se vanter en l’année 1505 « d’avoir fait don des Indes au roi d’Espagne. » Un autre Génois rendit à l’Angleterre un service non moins signalé peut-être, en lui apportant ces notions de cosmographie générale si répandues alors en Italie, si peu familières en revanche aux pilotes du nord dont le suprême exploit consistait à passer des Orcades aux Shetland, des Shetland aux Féroe, des Féroe en Islande[5]. Le fauconnier ne se contente pas de faire tomber le chaperon des yeux du gerfaut. A l’oiseau impatient, il désigne du doigt la proie lointaine et, par ses cris, l’excite à déployer toute son envergure. Tel fut à cette époque le double rôle d’un des compatriotes de Christophe Colomb vis-à-vis des marins anglais. Jean Cabot, chevalier aux éperons d’or, — miles auratus, — était né aux environs de Gênes. Il ne devint citoyen de Venise qu’à partir de l’année 1476, en vertu de lettres patentes qui lui furent octroyées par le sénat[6]. La plupart des gentilshommes italiens s’adonnaient à cette époque au commerce. Cabot alla fonder un établissement commercial à Bristol. Il y arriva en 1477 avec sa femme et ses trois enfans, Louis, Sébastien et Sanche. Qui disait commerçant, disait au XVe et au XVIe siècle voyageur. Ce négociant italien, que le soin de ses affaires avait plus d’une fois conduit des bords de l’Adriatique aux terres du Soudan d’Égypte, devint en Angleterre le père de la navigation hauturière. On n’a pas encore exactement mesuré l’étendue des découvertes accomplies par les navigateurs qui partirent de Mayorque ou de Dieppe longtemps avant que l’écuyer du prince Henri fût revenu du cap Bojador, mais on peut affirmer sans crainte que les marins anglais, privés du concours de la science italienne, auraient difficilement atteint les rivages du Nouveau-Monde. Nous trouvons, dès l’année 1480, trois ou quatre navires de Bristol, occupés à la recherche des îles fabuleuses de Brasil, de Saint-Brandan, d’Antilia. Qui avait été l’instigateur de ces entreprises ? Tout porte à croire que ce fut Jean Cabot. Qui se chargea de les diriger ? Celui-là même qui les avait conçues, s’il est permis de reconnaître le savant cosmographe génois dans cette simple mention : magister navis scientificus marinarius totius Angliœ.

Suivant les idées universellement admises au moyen âge, Cabot ne pouvait poursuivre qu’une île se rattachant par d’invisibles racines à quelque continent voisin. En dehors de cette condition, l’esprit ne concevait que des masses éternellement errantes au sein d’un océan alors jugé sans fond. Les Açores étaient un rameau des montagnes de Cintra ; Porto Santo et Madère se rattachaient à la chaîne des Algarves ; l’île d’Antilia devenait le prolongement naturel de l’Irlande. Ce mystérieux archipel, annoncé par Toscanelli, ne cessait pas cependant de fuir devant les navires de Bristol. En 1491, en 1492, en 1493, on ne l’avait pas encore trouvé. Jean Cabot poussa la poursuite jusqu’à 700 lieues, et le 24 juin 1494, à cinq heures du matin, il recueillit le prix de sa persévérance. La terre que son fils devait désigner cinquante ans plus tard sous le nom de Tierra de los Buccalaos venait de surgir à l’horizon. Dans un second voyage, le chevalier vénitien dépassa cette terre de Prima-Vista ; il alla jusqu’au continent. Cabot avait probablement retrouvé le Vinland des anciens Scandinaves, mais, comme Christophe Colomb, il s’imaginait avoir abordé au Cathay. Les Anglais, auxquels il montrait vers la fin du mois d’août 1497, non pas des perroquets, des Indiens et des palmes vertes, mais des pièges tendus pour prendre le gibier et une navette propre à confectionner des filets, le crurent aisément sur parole. Les Espagnols n’étaient donc plus les seuls qui se pussent vanter d’avoir atteint l’Orient par l’Occident ! L’enthousiasme populaire fut immense. On vit les habitans de Londres « courir après Jean Cabot comme des fous » et le saluer du nom de grand-amiral. « Vêtu de soie et gratifié sur la cassette royale d’une première libéralité de 10 livres sterling, » l’heureux aventurier savourait son triomphe. Tout à coup sa figure s’efface ; son nom, que répétaient toutes les correspondances, n’éveille plus d’échos. Le chevalier génois a disparu subitement de la scène. Son second fils, Sébastien, heureusement l’y remplace. La science cosmographique ainsi que le commerce étaient chez ces Lombards, rivaux et successeurs du juif industrieux, une tradition de famille et jusqu’à un certain point un art héréditaire. Devenu chef d’expédition à son tour, Sébastien Cabot se prépare à traverser de nouveau l’Atlantique.

Le roi Henry VII lui a fourni six navires d’environ 200 tonneaux de jauge ; il a fait plus, il lui a ouvert ses prisons. Sébastien Cabot peut y enrôler autant de bandits qu’il lui convient. La campagne de 1497 s’était faite sur une chétive barque montée par 18 hommes ; elle avait réussi au-delà de toute espérance. Jean Cabot, dans le court espace de deux mois, reconnut près de 300 lieues de côtes. En dépit de ses vastes préparatifs, la campagne de 14A98 fut beaucup moins heureuse. La moitié des équipages succomba aux fatigues et aux privations du voyage. Pour prix du généreux concours qu’Henry VII lui avait prêté, que pouvait offrir Sébastien Cabot à ce souverain, qui espéra un instant devancer à la cour du grand-khan Ferdinand le Catholique et Emmanuel le Fortuné ? Il pouvait lui offrir l’éclaircissement d’un point resté jusque-là douteux. Les profils de l’entreprise se chiffraient par la perte d’une illusion. Pas plus que les Espagnols, les Anglais n’avaient à aucune époque foulé les lointaines contrées décrites par Marco-Polo. La terre sur laquelle en 1497 Jean Cabot avait débarqué ne conduisait ni à Quinsaï ni à Khaabalich ; elle était au contraire, selon toute apparence, une barrière interposée entre l’Europe occidentale et l’orient de l’Asie. Ce ne fut qu’au bout de dix-huit ans qu’un nouveau souverain anglais accueillit la pensée de vérifier si l’obstacle était continu et s’il n’existait pas quelque ouverture par laquelle on le pût franchir. Qu’on jette les yeux sur le grand planisphère que Cabot traça en l’année 1544 de sa propre main, — ce planisphère fait partie des trésors de notre Bibliothèque nationale, — on y verra figurés les résultats de l’expédition équipée aux frais d’Henry VIII et dirigée, comme celle de 1498, par l’illustre astronome vénitien associé cette fois à un chevalier anglais, sir Thomas Pert. L’apparition des glaces n’a pas découragé le généreux émule de celui que tous les cosmographes appelaient encore par excellence « el almirante. » Sébastien Cabot s’est avancé jusqu’au 67e degré de latitude nord. Les deux détroits, dont l’un porte aujourd’hui le nom de Davis, l’autre le nom d’Hudson, seront visités, explorés, soixante-huit ans, quatre-vingt-seise ans plus tard ; en 1516, ils sont déjà découverts.

Ainsi deux italiens ont complété, dans l’espace de vingt-quatre années, l’œuvre de l’école astronomique de Mayorque et de la célèbre académie de marine en cap Sagres. Les Portugais et les Catalans avaient, les premiers, osé perdre à dessein la terre de vue. Guidés par Christophe Colombo les Espagnols ont dissipé les chimériques horreurs de la mer Ténébreuse. Sous la conduite de Sébastien Cabot, les Anglais ont fait évanouir les terreurs beaucoup mieux justifiées que pouvaient inspirer les parages situés au nord de la neuvième. zone[7]


II

L’idée de patrie au XVIe siècle n’avait pas encore la puissance que lui ont fait acquérir les grandes luttes auxquelles la passion populaire s’est mêlée ; l’ambition inconstante y pouvait sans remords porter de cour en coursa fidélité nomade. Compatriote de Vasco de Gama et compagnon d’Albuquerque dans les Indes, Magellan alla mourir au service de l’Espagne ; employé d’abord par François Ier, Verazzano perdit la vie en pilotant deux navires d’Henry VIII ; fils d’un père né à Gênes et naturalisé à Venise, Sébastien Cabot, qu’un séjour de quarante années sur les bords de l’Avon avait fait plus qu’à demi Anglais, nous apparaît en 1518 installé à Séville et y remplissant les fonctions successivement confiées au Florentin Améric Vespuce et au Castillan don Juan Diaz de Solis. Cabot va continuer ainsi, en qualité de pilote-major du roi Charles-Quint, le Patron real ce grand tableau des positions géographiques officielles inauguré le 22 mars 1508. Il va « interroger les pilotes espagnols sur l’emploi de l’astrolabe et du quart de cercle, s’assurer qu’ils réunissent la connaissance de la théorie à la pratique. » Ces fonctions sédentaires l’ont bientôt lassé. Son métier, à lui, est de découvrir, car, ne l’oublions pas, c’est encore le seul nom qu’on puisse opposer à celui de Christophe Colomb. En 1526 il part pour les Moluques et croit y arriver en s’enfonçant de plus en plus avant dans la Plata. Il passe ainsi cinq années entières à explorer ce fleuve Enfin en 1548 sa première patrie d’adoption le reconquiert. Charles-Quint lui avait alloué par an 300 ducats ; Edouard VI d’Angleterre lui accorde une pension de 166 livres sterling.

Sébastien Cabot débarquait sur le sol anglais avec sa fameuse mappemonde elliptique. Il y débarquait aussi avec son infatigable 2 et avec un bagage de connaissances considérablement accru, quoique encore encombré de beaucoup de chimères. Le pilote-major de Séville ne pouvait ignorer aucun des secrets de l’hydrographie espagnole. L’heure était propice pour concevoir de nouvelles entreprises maritimes, car les Anglais, enflés d’un juste orgueil par le développement de leur prospérité intérieure, ne supportaient plus qu’avec impatience l’ascendant importun de Lubeck et de Hambourg. La ligue anséatique avait vu se détacher peu à peu de ses liens la plupart des cités que couvrait, depuis l’année 1434 le puissant patronage des ducs de Bourgogne ; les villes impériales Cologne entre autres, s’étaient, en plus d’une occasion, montrées des alliées peu sûres ; la confédération n’en conservait pas moins à la veille des événemens qui devaient porter une atteinte mortelle à son vieux privilège, le monopole à peu près exclusif du roulage maritime dans les régions du nord. Un seul chiffre suffira pour faire ressortir l’inégal partage auquel se résignait alors ; la navigation anglaise : « La compagnie teutonique exporta en 1551 d’Angleterre 44,000 pièces de drap ; tous les marchands anglais réunis n’en avaient expédié que 1,100. »

Partout où la ligue allemande prenait pied, elle réclamait et obtenait de gouvernemens peu éclairés encore les concessions les plus exorbitantes. Admis à Bergen, les anséates Y auraient bientôt fondé une colonie, si le roi Haquin n’eût eu soin de leur interdire d’hiverner sur la terre de Norvège ; introduits à Londres en 1256, ils ne se contentèrent pas d’y accaparer le commerce d’exportation ; ils s’attribuèrent dans la cité même tous les droits d’une corporation nationale. Vainement Edouard III, après lui Richard II, tentèrent-ils de protéger et de stimuler la navigation de leurs propres sujets ; le pli était pris, l’élan contraire donné. En 1474, le comptoir de Londres ne fut pas seulement agrandi ; il eut deux succursales : Lyn dans le comté de Norfolk, Boston dans le comté de Lincoln. Tour à tour souple ou arrogante, la Hanse avait capté la faveur d’Henry VI ; elle imposa ses volontés à Edouard IV ; Henry VII, à diverses reprises, essaya de lutter contre ses exigences. En 1491, les négociateurs qu’il chargea de le représenter à la diète d’Anvers, firent entendre à la ligue de hautaines paroles. Ils déclarèrent que les Allemands seraient, pour l’exercice de leur commerce, traités, en Angleterre, comme les Anglais le seraient eux-mêmes dans les villes anséatiques. La menace, par malheur, était sans portée. Ni l’industrie, ni la navigation anglaise n’étaient, à cette époque, en mesure de se passer du concours des anséates. Pendant plus de soixante ans encore, l’Angleterre devait rester tributaire, non-seulement de Lubeck et de Hambourg, mais aussi de Cadix et de Lisbonne. Jamais nation ne fut plus vivement sollicitée par sa situation à devenir une nation maritime, et ne supporta, faute d’avoir compris assez tôt sa fortune, un asservissement commercial plus complet.

Dès l’année 1527 cependant, un négociant anglais, Robert Thorne, qui avait longtemps résidé à Séville, mesurant sur le globe les diverses distances des états de l’Europe aux Moluques, ne pouvait s’empêcher de faire remarquer à Henry VIII que, de tous ces états, le royaume de la Grande-Bretagne était encore celui devant lequel s’ouvrait la plus courte voie vers les îles à épices. « En effet, lui disait-il, comment y arrivent les Espagnols ? D’Espagne, ils se rendent aux Canaries ; des Canaries, ils vont couper la ligne et se dirigent au sud jusqu’au cap Saint-Augustin. De ce cap au détroit de Todos Santos[8], il y a de 1700 à 1800 lieues. Le détroit de Todos Santos traversé, les Espagnols remontent vers la ligne équinoxiale jusqu’aux îles à épices, qui sont éloignées du détroit de 4,200 à 4,300 lieues. La route des Portugais est plus courte. Elle part du Portugal, va au sud vers le Cap-Vert, puis du Cap-Vert au cap de Bonne-Espérance ; entre ce dernier cap et Lisbonne, on compte 1,800 lieues. Il y en a 2,500 du cap aux Moluques. La route totale s’élève à 4,300 lieues. Quelle serait pour nous la distance à parcourir ? Nous ne sommes éloignés du pôle que de 39 degrés ; de la ligne au pôle, il y en a 90. Les deux chiffres ajoutés font 129 degrés ou 2580 lieues. Si, entre les terres nouvelles que nous avons découvertes et la Norvège, la mer vers le nord demeure navigable, nous pouvons arriver aux îles par une route qui nous fera gagner. 2,000 lieues au moins sur les Portugais, plus de 3,000 sur les Espagnols[9]. On a dit, il est vrai, qu’au-dessus de la septième zone, la mer n’était que glace, le froid impossible à supporter. Ne disait-on pas également que sous la ligne la chaleur était telle qu’aucun être humain n’était capable d’y vivre ? Nulle zone n’offre, au contraire, meilleure température, climat plus délicieux. Nihil fit vacuum in rerum naturâ. Aucune terre n’est inhabitable, aucune mer n’existe qu’on n’y puisse naviguer, »

Sébastien Cabot était loin de nourrir en 1548 les illusions qui pouvaient trouver encore un si facile accès auprès de Robert Thorne en l’an 1527. Quelque horreur que pût avoir la nature pour les créations inutiles, Cabot savait parfaitement, par sa propre expérience, par celle de Cortereal et d’Estevan Gomez, qu’il était de vastes bassins où la Providence ne nous avait pas ménagé la faculté de pénétrer. Il n’en songeait pas moins à réaliser le projet accueilli à deux reprises différentes par Henry VIII, car après vingt années d’absence, la lecture de Pline et de Cornélius Nepos le ramenait convaincu qu’on devait trouver au nord-est ce qu’on avait jusqu’alors inutilement cherché au nord-ouest. La mer qui baigne les côtes de Tartarie n’était pas seulement, si l’on en croyait le vieux cosmographe, navigable ; au temps des anciens, on y avait navigué. Comment, si l’Océan scythique n’eût été en communication directe avec la mer des Indes, le roi des Suèves aurait-il pu jadis adresser à un proconsul des Gaules « des Indiens que la tempête avait jetés, avec leur navire et leurs marchandises, sur les côtes de la Germanie ? » Ces naufragés ne venaient pas évidemment de l’Afrique. Ils auraient dans ce cas rencontré sur leur route les îles du Cap-Vert, les Canaries, les côtes d’Espagne, la France, l’Angleterre ou l’Irlande. Ils ne pouvaient pas davantage venir de l’occident. Les peuples du Nouveau-Monde, lorsque Colomb mit le premier le pied sur leurs rivages, semblèrent considérer les navires espagnols comme des objets étranges, les Espagnols eux-mêmes comme des êtres tombés du ciel ; il était donc impossible d’admettre que ces peuples naïfs se fussent jamais livrés au moindre essai de commerce maritime. Les naufragés offerts à Quintus Metellus n’avaient pu arriver que les contrées situées à l’orient du promontoire extrême qui termine au sein des mers hyperboréennes le grand continent de l’Asie. La tempête avait emporté cette épave, à travers l’océan des Scythes, jusqu’aux plages où le roi des Suèves s’était trouvé prêt à la recueillir. Pourquoi le chemin que ces Indiens avaient sans doute suivi ne conduirait-il pas d’autres navigateurs aux lieux d’où la barque égarée était involontairement venue ? Il suffisait de reprendre la même route dans le sens opposée

Si l’on met en regard la mappemonde de Martin Behaim et le planisphère de Sébastien Cabot, on verra d’un coup d’œil quel prodigieux chemin avait fait la science géographique dans le court espace de temps qui sépare l’année 1492 de l’année 1544. Le contour général des deux grands continens n’a plus rien qui nous fasse sourire. L’Afrique et l’Inde, le Cathay, le Japon, l’Amérique jusqu’au détroit de Magellan, sont connus ; mais, dès qu’on jette les yeux sur la partie septentrionale de notre hémisphère, dès qu’on veut s’avancer de ce côté au-delà du 53e degré de latitude, on s’arrête étonné. Comment s’expliquer que la cosmographie du XVIe siècle ait pu rassembler des notions si exactes sur les portions les plus récemment découvertes du globe, quand elle en est réduite à tracer encore les rivages de la Baltique, les côtes de la Norvège, sur la foi des huit livres et des vingt-six tables de Ptolémée ? C’est qu’au-delà du 53e degré commence le domaine de la ligue anséatique. Le port de l’Écluse sur la côte de Flandre, celui d’Anvers à l’embouchure de l’Escaut, — nous l’avons déjà signalé, — marquèrent pendant toute la durée du moyen âge l’extrême limite que s’étaient engagées à ne jamais franchir les escadres marchandes de Venise. Les autres nations se hasardaient parfois à empiéter sur la zone que s’étaient réservée les anséates ; elles n’y pénétraient jamais sans combat, et ce fut en vain qu’en l’année 1437 les Hollandais arborèrent en tête de leurs mâts un balai pour faire connaître au monde qu’ils venaient de purger la mer de ses tyrans. La Baltique n’en resta pas moins aux osterlingues, comme l’Adriatique aux doges. L’état des connaissances géographiques résultait en 1544 de ce double et jaloux privilège. Les Italiens, observant soigneusement le gisement des côtes, comptant leurs pas, notant dans chaque direction leurs routes, avaient pu tracer dès l’année 1497 d’excellens portulans. De Venise à Bruges, on trouverait encore une sécurité relative à se laisser guider par Freduci d’Ancône. Il faudrait se garder de suivre Sébastien Cabot, — à travers l’Oceanus germanicus et le Pontus Balceatus, — sur les côtes du Denmarca, de la Norvegia, de la Scandia et de la Finmarchia.

Les Allemands, les Danois, les Flamands, les pêcheurs du nord de l’Ecosse, sont les seuls marins qui aient encore fréquenté ces parages. Sébastien Cabot gagnerait peu à les consulter. « Ces gens-là » n’ont pas cessé de mériter la dédaigneuse exclamation du prince Henri : « ils n’entendent rien à l’emploi des cartes marines et de la boussole. » Un point lumineux ne laisse pas cependant de briller à travers l’épaisseur des antiques ténèbres. Là où vous iriez aujourd’hui chercher Hammerfest, le cap Nord, le fiord de Varanger, vous verrez indiquée sur le planisphère de 15ûû, au fond d’un large golfe, la forteresse danoise de « Varduus[10] ! » Ni Martin Behaim, étendant jusqu’au pôle sa Laponie sauvage, ni Juan de la Cosa, ni le cosmographe inconnu d’Henri II, n’ont fait mention de cette station extrême. Sébastien Cabot la montre au navigateur comme la borne à doubler pour entrer dans la mer de Tartarie, et, chose merveilleuse, il s’en faut de bien peu qu’il ne l’ait mise à sa place[11]. L’Islande est, il est vrai, remontée à tort de toute sa hauteur ; elle figure indûment au-dessus du cercle polaire arctique ; mais la côte septentrionale du Finmark, cette côte qui se prolonge au loin sur le même parallèle, a réellement le droit d’occuper, comme l’entend Sébastien Cabot, le 70e degré de latitude. C’est là que finit l’Europe, et, pour un cosmographe sérieux, c’est là aussi que doit finir le monde. Un seul mortel en effet a franchi les vingt degrés qui séparent Varduus du pôle, et pour les franchir, il lui fallut invoquer l’aide des puissances infernales. Ce mortel audacieux était un frère mineur qui avait jadis étudié les mathématiques à Oxford. En 1360, sous le règne d’Edouard III, il quitta les Orcades muni de son astrolabe. Nulle barque ne le porta au terme de son voyage, ce fut à travers les airs qu’il atteignit le 90e degré de latitude. L’extrémité de l’axe du monde apparut alors à ses yeux. A moitié caché dans les nues, le pôle, noir îlot, occupait le centre d’un bassin vers lequel l’Océan faisait irruption par quatre côtés à la fois. L’impétuosité du flot torrentueux était telle, qu’en aucune saison la gelée n’en suspendait le cours. Tourbillonnant sans cesse autour du haut. rocher, l’onde allait s’engouffrer dans l’ouverture béante, qui la vomissait de nouveau par mainte issue secrète. Malheur au navire qu’un sort fatal eût entraîné dans de pareils parages ! Une fois saisi par le tourbillon, il lui eût été impossible d’en sortir. Le vent même lui aurait fait défaut, car le vent qui souffle au pôle, assurait le frère Nicholas de Lynna, « ne ferait pas tourner la meule d’un moulin. »

Sébastien Cabot ignorait-il l’exploration magique dont Gérard Mercator devait prendre la peine, vingt-cinq ans plus tard, de traduire, sous forme de projection polaire, l’étonnant résultat ? La mappemonde elliptique est muette à cet égard. Le rôle de Cabot n’était pas d’ailleurs de prêter l’oreille aux rumeurs de tout genre que le moyen âge avait mises en circulation. La crédulité trop facile dont il eût fait preuve aurait pu ébranler la confiance des navigateurs qu’il voulait convertir, à son grand projet. Assez de dangers certains, incontestables, se trouvaient malheureusement accumulés sur la route, sans qu’il fût besoin d’y ajouter les fantômes évoqués peut-être par une imagination en délire. Dans l’Océan scythique, aussi bien que dans la Mer-d’Islande, on devait s’attendre à rencontrer ces terribles murènes, ces serpens gigantesques qu’on a vus si souvent attaquer les navires, pour y dévorer « matelots et capitaines. » En avançant, on trouverait, sur le revers des monts hyperboréens, une nation tout à fait sauvage. Ces hommes ne connaissent ni le pain, ni le vin ; ils sont venus à bout d’apprivoiser des cerfs, et, cavaliers étranges, ont pris l’habitude de les monter. Ils sont sans cesse en guerre avec un autre peuple qui habite plus au nord et qu’on nomme les Nocturnes. Véritables enfans des ténèbres, les Nocturnes peuvent vaquer de nuit à leurs affaires, ou publiques, ou privées, avec autant d’aisance que nous en trouvons à nous occuper des nôtres à la lumière du jour. Il a bien fallu qu’il en fût ainsi, car dans ces régions boréales les jours, du 14 septembre au 10 mars, sont si courts, qu’il n’y a pas une heure de clarté. La nation des Nocturnes est méchante et voleuse. Aucun navire n’ose aborder la côte où elle a fixé sa résidence ; les équipages Y seraient à l’instant pillés ou massacrés.

Le voyageur qui poursuivra sa route vers le sud-est, le long des rivages de la Tartarie, ne tardera pas à se trouver en présence d’êtres monstrueux, non moins à redouter que les Nocturnes. Les uns ont tout le corps d’une personne humaine, mais leur tête ressemble à celle d’un porc, et leur langage n’est que le grognement d’un pourceau ; d’autres se montrent avec des oreilles qui leur descendent jusqu’à la ceinture.

Plus loin, vers l’Orient, vivent des peuples dont les genoux et les pieds sont dépourvus d’articulations. Les Sylvestres occupent, dans la province de Balar, longue de cinquante journées de marche, des forêts et des monts d’où jamais ils n’ont consenti à sortir. Plus loin encore, et toujours plus à l’est, sont agenouillés les adorateurs du soleil. Toutes ces tribus diverses, toutes ces races étranges reconnaissent la domination du grand-khan. Il en est dont le culte et les hommages s’adressent à un simple morceau de drap rouge attaché au bout d’une lance ; quelques-uns se prosternent devant le premier objet qui, au moment où le jour se lève, a frappé leurs regards. En somme, chez les Tartares, chacun paraît adorer ce qui lui convient. Leur empereur, le grand-khan, est un très grand et très puissant monarque ; il s’intitule le roi des rois et le seigneur des seigneurs. Il a coutume de donner à ses barons un costume complet treize fois Fan, à l’occasion de treize grandes fêtes. La valeur de ces costumes varie suivant la qualité des personnes. A chacun le khan donne une ceinture, des chaussures, un chapeau garni d’or et de pierres précieuses. Il distribue 150,000 vêtemens par année. Quand il meurt, on le porte sur une montagne nommée Alcay[12], où l’on enterre les empereurs des Tartares. Les gens qui accompagnent son convoi tuent tous ceux qu’ils rencontrent sur leur passage, leur disant : « Allez servir notre maître dans l’autre monde ! » Quand mourut Mongui-khan[13], on tua 300,000 hommes que leur mauvaise fortune plaça sur la route des soldats qui allaient l’enterrer.

Peu à peu cependant, si vous continuez de naviguer à l’est, vous approcherez du point où la terre fuit et où la région qui s’étend au-delà du mont Imaüs[14] commence à descendre rapidement vers le sud. Entre le 175e et le 185e degré de longitude, prenant pour point de départ les îles Fortunées, vous couperez très probablement le méridien sous lequel gisent les îles Moluques et le Cabo de Peiscadores, extrémité orientale de la Chine. Vous contournerez alors la terre des anthropophages, et laissant les états du grand-khan sur la droite, l’île de Zipangri, qui en est éloignée de 1,500 milles environ, sur la gauche, vous pourrez aller à votre guise aborder au Cathay ou aux îles à épices. Le voyage est périlleux sans doute ; remarquez cependant qu’il y a bien peu de cet océan septentrional qui n’ait été déjà visité par les anciens navires partis de Cadix et des colonnes d’Hercule ; n’ont-ils pas souvent, au mois d’août, dépassé le promontoire des Cimbres et touché les rivages de la Scythie ? Dans l’Océan indien, la flotte de Macédoine, sous le règne de Séleucus et d’Antiochus, ne s’est-elle pas élevée au nord du parallèle de la nier Caspienne ? La part de l’inconnu est donc infiniment moins grande qu’au premier abord on serait porté à le croire. Ainsi raisonnait le savant cosmographe à son arrivée de Séville. La seule question, suivant lui, à résoudre concernait l’existence d’une communication encre les deux mers. Martin Behaim ne l’avait pas admise, Cornélius Nepos l’affirmait ; c’était ce dernier que Cabot voulait croire. Il ne s’agissait plus que de trouver des aventuriers assez hardis pour se charger d’aller vérifier sur les lieux l’une et l’autre hypothèse.


III

Nous voici revenus par un long détour à l’âge héroïque où les navigateurs plongeaient dans l’inconnu, et devaient jouer leur vie sur un simple pressentiment scientifique. Certes on ne saurait faire à ces imaginations en travail le reproche d’avoir, par leurs ingénieuses fantaisies, atténué ou dissimulé les obstacles ; leur tendance habituelle nous paraît avoir été, au contraire, de les exagérer ; en retour, il se trouvait alors des hommes dont l’audace se laissait tenter par les difficultés mêmes que l’amour du merveilleux lui opposait. Ce qui suspendit pendant cinq années l’exécution des projets de Sébastien Cabot, ce ne fut pas l’embarras de trouver des marins disposés à courir l’intrépide aventure que ruminait depuis une dizaine d’années son esprit, ce fut l’état troublé du royaume. Le 20 mars 1549, le grand-amiral d’Angleterre portait sa tête sur l’échafaud ; le 22 décembre 1551, le lord-protecteur était à son tour décapité à Tower-hill. Toute cette agitation, aggravée par « la malice des Écossais, des Français et de l’évêque de Rome, » était peu favorable aux visées pacifiques d’un pilote-major. Les choses parurent prendre une meilleure tournure quand la tutelle politique d’Édouard VI eut passé aux mains de lord Dudley, comte de Northumberland. Une souscription publique fut alors ouverte ; bien que le montant de chaque souscription individuelle ne dût pas dépasser 25 livres sterling, la somme de 5,000 livres se trouva en très peu de temps rassemblée. Les souscripteurs avaient élu un conseil composé « de personnes graves et prudentes ; » ce conseil nomma Sébastien Cabot « gouverneur de la mystérieuse compagnie des marchands aventuriers pour la découverte des régions, domaines, îles et lieux inconnus. » Cabot s’occupa immédiatement de prendre les dispositions nécessaires pour qu’on pût, dès le printemps prochain, « aller à la recherche des parties septentrionales du globe. » On acheta d’abord trois navires, et ces navires ne furent pas seulement soigneusement réparés ; ils furent reconstruits en partie[15]. La foi dans le succès était telle, que ce ne fut pas contre la pression ou contre le choc des glaces qu’où se mit avant tout en devoir de les prémunir, on se préoccupa d’abord du ravage des tarets. Christophe Colomb se plaignait de trouver ses carènes, après un long séjour dans les mers tropicales, perforées et percées « comme des rayons de miel : » la Compagnie des lieux inconnus voulut épargner cette épreuve à ses bâtimens. Elle les fit doubler de minces lames de plomb. Artillerie, munitions, armes de toute espèce, rien ne leur fut refusé de ce qui pouvait les mettre en état de faire sur les côtes de Chine bonne figure. Quant aux vivres, on en calcula l’approvisionnement sur la durée probable de la campagne. Cabot supposait qu’on n’arriverait pas avant six mois au Cathay ; il y faudrait peut-être hiverner ; on emploierait six autres mois à opérer le retour. Il était sage de fixer à dix-huit mois au moins la quantité de vivres embarqués. Le conseil ne lésina pas sur cet article ; malheureusement il ne suffit pas d’entasser du biscuit et des salaisons dans la cale ; il faut que ces provisions s’y conservent. Le déchet fut grand dès les premiers jours, et le mécompte qui en résulta ne fut probablement pas étranger à la catastrophe.

Il ne s’agissait plus que de donner un chef à l’expédition. Sébastien Cabot ne pouvait prétendre à la conduire en personne. Il devait avoir alors plus de soixante-seize ans, puisque nous avons déjà signalé sa présence à Bristol en 1477 et que nous l’avons vu diriger la campagne de 1498. Se fût-il d’ailleurs trouvé d’âge à s’engager dans un nouveau voyage de découvertes, qu’il n’est pas très certain qu’on ne lui eût pas adjoint cette fois encore un chevalier anglais. Dans ces sortes de campagnes, il faut bien distinguer le commandement militaire du commandement maritime. L’officier que le souverain a pourvu d’une commission est « le capitaine ; » celui que la compagnie investit du soin de préparer et de manœuvrer le navire s’appelle « le master » ou « le maître. » Au capitaine appartient la responsabilité de l’expédition, et par conséquent le pouvoir suprême. « L’amiral » est le premier capitaine, en d’autres termes, « le capitaine-général » de la flotte. Le second capitaine prend le titre de « vice-amiral. » Ce sont là du reste des fonctions essentiellement temporaires ; elles n’ont jamais eu que la durée de la campagne. Quant au « pilote, » il ne commande rien ; il répond de tout, puisque c’est à lui que se trouve la plupart du temps dévolu le soin « de donner la route. » Le maître et le pilote ont peu de chose à faire quand l’escadre a pour chef un Christophe Colomb ou un Magellan. Leur tâche garde plus d’importance si ce chef s’appelle sir Thomas Pert, Cortès, Albuquerque ou Vasco de Gama.

Le commandement d’une expédition au Cathay était assurément de nature à tenter l’ambition de la jeune noblesse qui entourait le trône d’Edouard VI. Plus d’un personnage complètement étranger au métier de la mer n’hésita pas en effet à se présenter. Sir Hugh Willoughby, chevalier-baronnet, originaire de Riseley dans le comté de Derby, l’emporta sur tous ses concurrens. Sa haute stature, son aspect imposant, ne le recommandèrent pas seuls au choix du conseil. On le citait pour son extrême vaillance et pour son habileté à la guerre. Après le général, rien n’était plus urgent que de trouver le pilote. Un jeune seigneur qu’affectionnait particulièrement Edouard VI, gentilhomme fortuné dont la faveur devait se continuer sous trois règnes, Henry Sidney, se chargea de procurer à la compagnie l’homme de mer en qui devait reposer le principal espoir du succès. A l’exemple des sénateurs romains, tout grand seigneur anglais se faisait gloire alors d’entretenir de nombreux cliens. Il n’était guère de comte ou de baron qui, des bribes de sa table, des libéralités de sa bourse, ne nourrît, en même temps que le cortège armé qui l’accompagnait en tous lieux, des poètes et des savans que l’aumône faisait vivre, inspirait souvent et n’humiliait pas. Dans la clientèle qu’Henry Sidney couvrait de son patronage se rencontra, par la plus heureuse des coïncidences, un pilote. Sidney l’amena devant le conseil. « Mes dignes amis, dit-il à l’assemblée de marchands qui l’écoutait avec une respectueuse déférence, je ne puis qu’approuver votre honorable projet. J’en attends un grand profit pour notre nation, un immortel honneur pour notre pays. La noblesse est toute disposée à vous seconder. Elle ne possède rien de si précieux qu’elle ne soit prête à le mettre au service d’une semblable cause. Pour moi, je me réjouis de pouvoir lui consacrer la haute intelligence dont jusqu’à cette heure j’ai pris soin. Voici l’homme qui me semble, sous tous les rapports, le plus capable d’aider à l’accomplissement de votre entreprise. Quand je me montre ainsi disposé à me séparer de Richard Chancelor, gardez-vous de penser que je ne l’apprécie pas à sa juste valeur ou que son entretien me soit devenu à charge ; jugez au contraire par ce sacrifice jusqu’où peut aller pour vous mon bon vouloir. » La délibération fut courte : la réputation de Chancelor était faite depuis longtemps ; le conseil à l’unanimité lui déféra les fonctions de pilote-major. « Vous connaissiez l’homme par son beau renom, ajouta Sydney ; moi, je le connais pour avoir éprouvé son savoir. Maintenant n’oubliez pas à combien de périls il va s’exposer pour vous. Nous risquons dans cette aventure quelque argent, Chancelor y jouera sa vie, c’est-à-dire ce que tout être humain a de plus cher. Pendant que nous serons ici, tranquilles, n’ayant autour de nous que des visages amis, il vivra au milieu de matelots grossiers et turbulens qu’il lui faudra sans cesse maintenir dans le devoir, ramener à l’obéissance. Nous continuerons d’habiter l’Angleterre, Chancelor ira visiter des royaumes inconnus, se livrer à la foi de peuples sauvages, affronter les monstrueux et terribles habitans des mers. Vous devez donc considérer à la fois la gravité des fonctions qu’il accepte et l’étendue des hasards qu’il encourt. Si le ciel vous le rend après un heureux voyage, il vous appartiendra de le récompenser suivant ses mérites. »

On possédait quelques renseignemens sur le Cathay ; on n’en avait pas sur le pays des Scythes, sur les régions glacées qui devaient border la nouvelle route. Seul, en 1529, un Portugais nommé Damien de Goës avait poussé à travers les Flandres, le Danemark, la Gothie, la Norvège, jusqu’au 70e degré de latitude nord. Quelques membres du conseil se souvinrent qu’il existait dans les écuries du roi deux palefreniers tartares dont un interprète s’offrait à traduire les paroles. On les fit comparaître et l’on tenta de les interroger sur les conditions politiques de leur contrée natale, sur les mœurs et les goûts des habitans. Il fut impossible d’obtenir de ces êtres à demi sauvages le moindre éclaircissement. Comme l’un d’eux l’avouait avec ingénuité, « ils s’étaient toujours beaucoup plus occupés de vider des pots que d’étudier la constitution des états ou les dispositions morales des peuples. »

Dans les premiers jours de mai, Sébastien Cabot remit à Willoughby ses instructions : il lui recommandait de faire quotidiennement inscrire « par les marchands et autres personnes habiles en écriture, la navigation du jour et de la nuit. » Ainsi fut institué, pour la première fois, dans cette occasion mémorable, « le journal de bord. » Sur ce journal, on devait noter les terres en vue, les observations de courans, l’état de l’atmosphère, les hauteurs du soleil, le cours de la lune et des étoiles. Une fois par semaine, le capitaine-général assemblerait les maîtres et les pilotes. On comparerait les divers journaux, et s’il y avait discordance, on arrêterait, après un sérieux débat, la conclusion qui devrait être inscrite sur le grand livre commun à toute la flotte. Ce livre deviendrait le mémorial de la compagnie.

Passant à un autre ordres d’idées, Cabot faisait appel à sa propre expérience pour guider Willoughby au milieu des épreuves dont Henry Sidney avait décrit avec une généreuse émotion les dangers. « Il ne sera nullement nécessaire, lui disait-il, que vous fassiez devant les nations étrangères l’éclatante confession de votre foi religieuse. Mieux vaudra passer ce sujet sous silence, et vous conformer aux coutumes des pays où vous aborderez. Si vous pouvez attirer quelque habitant à bord, pour obtenir de lui des renseignemens, usez de persuasion plutôt que de violence. La bière et le vin peuvent, mieux que les menaces, faire sortir les secrets des cœurs. Ne provoquez pas les peuples que vous rencontrerez par des marques de dédain ou par des railleries. Agissez toujours avec circonspection et ne vous arrêtez pas longtemps au même endroit. Si vous voyez des gens occupés à ramasser des cailloux sur la plage, faites approcher doucement vos embarcations afin de vous assurer si ce ne serait pas par hasard de l’or ou des pierres précieuses qu’on recueille. Donnez en même temps l’ordre à vos tambours de battre, à vos trompettes de sonner ; la musique a généralement le don de captiver l’attention des sauvages. De toute façon, gardez-vous de montrer aucune intention hostile. » À ces sages conseils, Sébastien Cabot ajoutait encore maint avis. Toutes ses prescriptions témoignent d’un esprit éminemment pratique et préoccupé avant tout de maintenir la propreté à l’intérieur du navire, la santé et le bon ordre dans les rangs de l’équipage.

Si endurcie qu’ait pu être son âme par cinquante années de vicissitudes, le vieux nocher, au moment de donner le signal du départ, ne put se défendre de quelque attendrissement. « On ne s’est pas fait faute, dit-il à Willoughby, de répéter aux quatre coins de Londres que ce voyage ne saurait réussir. Les uns ont insisté sur le climat rigoureux du pôle ; d’autres ont nié avec véhémence l’existence d’un passage. Tous ces bruits ont porté les esprits hésitans à se retirer de notre entreprise et même à essayer d’en dissuader les autres. Quand vous aurez surmonté les dangers dont on vous menace, la grosse mer, les glaces, le froid intolérable, tâchez de nous en faire donner avis : sa majesté le roi, les lords de son conseil, toute notre compagnie, vos femmes, vos enfans, vos parens, vos alliés, vos amis, vos connaissances mêmes, vont attendre avec impatience de vos nouvelles. »

Le navire-amiral était la Bona-Esperanza. William Gefferson en fut le master, Roger Wilson le second ; 6 marchands, William Gittons, Charles Barett, Gabriel Willoughby, John Andrews, Alexandre Woodford, Ralph Chatterton, eurent la mission de veiller sur la cargaison et de procéder pendant le voyage aux échanges ; 1 maître canonnier, 1 maître d’équipage, A quartiers-maîtres, 2 charpentiers, 1 tonnelier, 1 purser, 2 chirurgiens, 1 coq, 6 aides, 12 matelots, complétèrent l’équipage au chiffre de 46 hommes. Ce fut sur ce bâtiment que s’embarqua sir Hugh Willoughby. Richard Chancelor monta l’Édouard-Bonaventure en qualité de capitaine et de pilote-major. La compagnie lui donna pour master Stephen Burrough, George Burton et Arthur-Edwards pour commis ; un ministre du culte réformé trouva place également à bord de l’Edouard-Bonaventure. L’effectif de ce second navire fut ainsi porté à 48 personnes. La Bona Confidentia n’était qu’un yacht de 90 tonneaux. Montée par 28 hommes, elle eut pour commandant un simple master, Cornélius Durforth.

Tout était prêt enfin : il ne restait plus qu’à recevoir le serment des deux capitaines et le serment distinct des masters. Sir Hugh Willoughby et Richard Chancelor jurèrent sur la Bible : d’agir en fidèles et loyaux sujets du roi, de mettre toute leur énergie, toute leur intelligence, au service de l’entreprise qui leur était confiée, de ne l’abandonner, de ne la suspendre même sous aucun prétexte, tant qu’il n’y aurait pas péril imminent pour la flotte. Ils s’engagèrent en outre à donner à la compagnie de bons, de sincères, d’honnêtes renseignemens, et promirent, quoi qu’il pût arriver, de ne révéler à qui que ce fût au monde ses secrets.

Les masters vinrent ensuite et posèrent à leur tour la main sur le livre saint. Toute la science qu’ils pouvaient posséder, toute leur expérience de marin, devaient être employées à conduire à bon port le navire dont ils se trouvaient être, par l’autorité de la compagnie, « les maîtres après Dieu. » C’était à eux de le charger, de le décharger, de le recharger encore, d’y arrimer les nouvelles marchandises, le tout au plus grand profit de l’association. Il leur était surtout sévèrement interdit de se livrer à aucun trafic particulier ou de tolérer que d’autres à bord s’y livrassent.

Bien qu’on eût mis à la tête de l’expédition un homme de guerre, le voyage n’en restait pas moins purement et sans arrière-pensée un voyage commercial. Ni les souscripteurs qui en avaient fait les frais, ni le roi qui l’avait autorisé ne se proposaient d’accomplir la moindre conquête, ils ne songeaient pas davantage à travailler à la conversion des infidèles. Edouard VI, « par la grâce de Dieu roi d’Angleterre, de France et d’Irlande, » ne demandait « aux rois, princes, chefs, juges et gouverneurs » qu’il supposait habiter « les parties nord-est du globe terrestre, dans le voisinage du puissant empire du Cathay, » que de favoriser des échanges qui ne pouvaient manquer d’offrir un égal avantage aux deux pays. Écrite en arabe et datée de l’an 5515 de la création du monde, la lettre royale fut, par surcroît de précaution, transcrite en langue grecque et dans la plupart des idiomes qui étaient alors connus. « Dieu avait inspiré à l’homme, disait Edouard VI, plus encore qu’à toute autre créature vivante, le désir de se mettre en communication avec ses semblables, le besoin d’aimer et d’être aimé, de donner et de recevoir. C’était un devoir pour tous les conducteurs de peuples d’encourager, d’accroître, s’il était possible, cette disposition. Il était juste surtout de montrer une spéciale bienveillance à ceux qui, mus par leur inclination sociable, venaient pour la satisfaire de pays lointains. Plus long était le voyage qu’ils avaient accompli, plus manifestement se montrait leur sympathie ardente. Entre tous ces hommes, il fallait surtout distinguer les marchands. Ceux-là parcouraient le monde et par terre et par mer pour apporter les produits de leur pays dans des régions éloignées, pour en rapporter les objets qui convenaient à leurs compatriotes, car le Dieu du ciel et de la terre, dans sa prévoyante sollicitude, n’a pas voulu que tous les objets dont l’humanité a besoin se trouvassent réunis dans un seul pays. Il fallait, pour que l’amitié s’établît entre tous les hommes, que les diverses contrées de la terre eussent besoin l’une de l’autre. »

N’est-il pas évident qu’un esprit nouveau vient de naître et que. le moyen âge, vivant encore quand Christophe Colomb partait de Palos, quand Vasco de Gama saluait d’un suprême adieu la tour de Belem, a enfin rendu le dernier soupir ? Tout se lie et s’enchaîne en ce monde. Le progrès des sciences mathématiques avait singulièrement favorisé l’essor des deux monarchies de la péninsule ; par contre-coup, ce progrès servit la cause du catholicisme, intimement liée à la fortune des fervens destructeurs des Maures ; mais le XVe siècle ne fut pas seulement l’âge de la boussole et de l’astrolabe, il fut aussi le siècle de l’imprimerie. Les réformateurs possédèrent, à leur tour, le moyen d’aller loin et de marcher vite. Rapidement propagés, grâce à l’invention de Guttenberg, des principes inconnus jusqu’alors se font jour ; la lutte du libre examen et de la foi s’engage. C’en est fait à jamais des illusions naïves dont aime à se bercer la jeunesse des peuples.

Les temps ne seront pas moins féconds peut-être, ils seront assurément plus tristes. Dans l’astre pâle et terne qui monte à l’horizon, l’humanité inquiète ne reconnaît plus son soleil ; on dirait que la terre se refroidit. Ne nous flattons donc pas, en suivant la navigation hauturière dans son développement, de rencontrer rien qui soit comparable à ce cycle radieux qu’on voit s’ouvrir en 1415 sous les murs de Ceuta, se fermer un siècle plus tard au pied des remparts de Tenochtitlan[16], de Diù et d’Ormuz. La Providence s’était plu à marquer cette époque d’un caractère exceptionnel de grandeur, — inappréciable don que les races les plus favorisées ne reçoivent qu’une fois dans leur vie. Tout était à cette heure poésie et rayonnement. Pendant plus de cent ans, les marins de la péninsule nous ont fait vivre en pleine épopée ; d’autres navigateurs nous réservent des émotions plus sobres. La poésie s’évanouit peu à peu de l’histoire ; la certitude, en revanche, y prend place. Nous n’avons plus de ces lettres pompeuses dont le lyrisme inspiré semble conserver à dessein quelque chose de l’obscurité sacrée des oracles ; nous possédons un document bien autrement sérieux, « le journal de bord. » Plus de doute sur la nature des épreuves traversées, plus d’indécision sur l’étendue de la tâche accomplie. Nous prenons la mesure exacte de nos héros.

De vaillans compagnons se sont engagés par un contrat à vouer leur énergie, leur existence jusqu’à son dernier souffle, au succès d’un lointain voyage. Ni l’incertitude de la route, ni les périls grossissans de l’heure présente ne les décourageront. Ils persévéreront sans phrases, sans éclat, souvent même sans la moindre apparence d’enthousiasme. Ils persévéreront parce qu’ils ont promis « aux intéressés » de persévérer. C’est l’héroïsme de la charte-partie, Quand l’épreuve se prolonge, cet héroïsme peut devenir, dans sa ténacité, presque aussi digue d’admiration que l’autre.


IV

Le 10 mai 1553[17], l’escadre appareilla de Ratcliffe[18] à l’heure du jusant, repartit le 11 de Deptford[19]et continua de descendre la Tamise. Chaque vaisseau, sous petites voiles, entraîné lentement par la marée, se faisait remorquer par ses deux embarcations, — la pinnace et le boat. — La cour se trouvait en ce moment à Greenwich. Pour défiler devant le fils d’Henri VIII, les matelots avaient revêtu les fameuses jaquettes bleues que leur fournissait la compagnie, costume de gala destiné, suivant les recommandations expresses de Sébastien Cabot, à ne voir le jour que dans les occasions solennelles. La flottille, qui emportait les vœux de l’Angleterre et du prince, ne tarda pas à être aperçue du palais. — Greenwich est à 1 mille à peine de Deptford. — À cette annonce, le conseil privé leva la séance et se porta aux fenêtres, les courtisans gravirent en hâte jusqu’aux plates-formes des tours ; les plus jeunes coururent à la plage, où le menu peuple se pressait derrière eux. Insensiblement cependant les vaisseaux approchaient ; on pouvait déjà distinguer les rameurs penchés sur leurs bancs, les avirons plongeant tous à la fois dans l’eau et en sortant avec un merveilleux ensemble. Un nuage de fumée a soudain enveloppé la flotte. Le bruit du canon éclate ; la vallée renvoie en grondant l’écho lointain des salves. C’est le roi Edouard VI qu’on salue. À ce tonnerre joyeux, les matelots, debout dans les haubans, debout sur les hunes et sur les vergues, mêlent le bruit de leurs acclamations. Mille autres acclamations du rivage leur répondent. Les officiers, à bord de chaque navire, se sont rangés sur La poupes. Eux aussi, par leurs cris, par leurs gestes, ils envoient au jeune souverain, espoir de ce pays que Rome et l’Espagne en secret menacent, un dernier adieu. Ce sont, hélas ! des condamnés à mort qui s’inclinent devant un mourant. « Le bon roi Edouard, » en l’honneur de qui toute cette cérémonie était préparée, ne se trouvait pas là pour en jouir. Une cruelle maladie le retenait confiné dans sa chambre, et, peu de temps après ce départ triomphal, le lamentable accident de sa mort avait lieu[20].

Pour gagner le mouillage d’Harwich en dehors des bancs de la Tamise, c’est-à-dire pour parcourir une distance de 65 milles environ, les vaisseaux n’employèrent pas moins de dix-huit jours. Ils passèrent successivement devant Blackwall, Woolwich, Erith, Gravesend, Tilbury, Hole-haven, Leigh, Saint-Osyth, Naze, s’arrêtant sur presque tous les points avant d’aller jeter l’ancre à l’embouchure de l’Orwell. C’est de ce mouillage qu’après avoir assemblé le conseil et délibéré longuement sur la route à suivre, Willoughby et Chancelor voulurent prendre, le 29 mai 1553, leur élan, vers les mers polaires. Plus d’un regard, ce jour-là, se reporta involontairement en arrière, plus d’un œil se voila de larmes ; mais l’émotion n’exclut pas les résolutions fermes, et les Anglais partaient bien décidés à mener leurs navires jusqu’en Chine. Ils n’allèrent pas cependant cette fois plus loin que Yarmouth ; un vent violent de nord-est les rejeta vers le sud, et le 23 juin ils étaient encore mouillés devant Orfordness. Enfin une belle brise de sud-ouest s’éleva, l’escadre mit sous voiles, la terre natale disparut à l’horizon. Le 27 juin, Chancelor se supposait à 42 lieues environ dans le sud-sud-est de la côte d’Ecosse. Il avait l’intention de la reconnaître et de rectifier ainsi son estime, mais le vent, en tournant insensiblement à l’ouest, la loi fit manquer. Au vent d’ouest succédèrent des brises incertaines et variables. L’escadre « traversant et croisant dans tous les sens la mer, » gouvernant tantôt au nord-ouest et tantôt au sud-est, erra, sans voir autre chose que le ciel et l’eau, du 27 juin au 14 juillet ; l’astrolabe indiquait 66 degrés environ de latitude. Le lu juillet, la terre se montra enfin à l’orient ; les vaisseaux tournèrent sur-le-champ la proue de ce côté. Une chaîne de petites îles en quantité innombrable semblait défendre l’accès du continent. Le vaisseau-amiral mit sa chaloupe à la mer et l’envoya explorer ce pays inconnu. Le planisphère de Sébastien Cabot devenait déjà d’un faible secours. L’embarcation poussa jusqu’à terre-Une trentaine de huttes, mais nul habitant, voilà tout ce que les matelots débarqués parvinrent à découvrir. les pilotes estimaient que depuis le départ d’Orfordness, on devait avoir fait 250 lieues au nord quart nord-est. On en avait fait en réalité 275, et l’on était tombé au milieu de cette poivrière qui porte aujourd’hui sur nos cartes les noms d’îles Vegen[21] et d’îles Donnæs-öe[22]. C’était la portion de côte d’où venaient jadis les pirates normands et que le roi Alfred, instruit par les ennemis mêmes qu’il avait vaincus, désignait, à la fin du IXe siècle, sous les noms d’Ægeland et de Halgeland. Après les îles Donnæs-öe vinrent les îles Trænen[23] enfin l’archipel de Rost par 67° 31’ de latitude[24]. Là, pour la première fois on vit des habitans. Occupés à faucher et à faner leurs foins, les insulaires suspendirent leur travail pour se porter au-devant de la pinnace. L’apparence d’étrangers ne parut ni les effrayer ni les surprendre. Les Anglais même se firent entendre sans peine et apprirent à leur grande satisfaction qu’ils venaient d’aborder sur les terres du roi de Danemark. Le vent cependant était alors contraire. Les vaisseaux jetèrent l’ancre, — car c’est le propre des navigations primitives de mouiller partout où l’on peut trouver fond ; — ils restèrent trois jours entiers à ce mouillage.

Le 27 juillet, le vent redevint favorable et permit à l’escadre de remonter des îles de Rost aux îles Lofoden[25]. On allait lentement, comme il convient quand on marche sur un terrain peu sûr. Willoughby désirait vivement rencontrer un port. Il n’avait mouillé jusqu’alors qu’à l’abri de sa bouée. Ce fut encore la pinnace qui fit cette découverte. Elle conduisit l’escadre au fond d’une de ces anfractuosités que présentent sur divers points du groupe les îles Lofoden. La Speranza, la Confidentia, le Bonaventure entrèrent l’un après l’autre dans le Steens Fiord[26]. Les îles étaient très peuplées, les habitans remplis de courtoisie ; on ne put toutefois tirer d’eux que peu de renseignemens. Ils semblaient ignorer à quelle distance leurs îles se trouvaient de la terre ferme. L’estime seule suffisait heureusement pour montrer que cet archipel était à 30 lieues environ au nord-nord-est de Rost. On gagnait donc peu à peu du terrain vers le nord. Pas à pas, on se rapprochait de la contrée connue des pêcheurs écossais sous le nom de Finmark. Sir Hugh Willoughby était un homme prévoyant. Avant de quitter le mouillage de Steens Fiord, il arbora son pavillon, signal convenu pour assembler le conseil. Ce conseil avait été composé par la compagnie de douze membres. Il comprenait : sir Hugh Willoughby, Richard Chancelor, George Burton, — le premier marchand, Richard Stafford, — le ministre, — un autre marchand, Thomas Langlie, — un simple gentleman, James Delabare, — les trois maîtres, William Gefferson, Stephen Burrough, Cornélius Durforth, — les trois seconds, Roger Wilson, John Buckland, Richard Ingram. Il fut arrêté que, si quelque séparation avait lieu, chaque vaisseau ferait tous ses efforts pour gagner Varduus, port et château que la carte indiquait comme une dépendance du royaume de Norvège. Le 30 juillet, vers midi, l’escadre reprit la mer et, faisant route le long des îles, au nord-nord-est, elle ne cessa pas un instant de tenir la terre en vue. Une clarté presque perpétuelle favorisait d’ailleurs sa manœuvre. Exposée à tous les accidens qui sont le lot de semblables voyages, elle y échappa heureusement et put arriver sans encombre, le 2 août, par 69° 35’ de latitude, à 30 lieues environ de Steens Fiord. Willoughby crut devoir serrer alors de plus près la côte. Un esquif se détacha de terre et vint à sa rencontre. Willoughby trouvait encore là des sujets du roi de Danemark. L’île en vue se nommait Senien[27] ; elle n’offrait d’autres marchandises que du poisson séché et de l’huile de poisson. Que pouvait-on attendre de plus sous ces latitudes ? Ce n’étaient pas d’ailleurs des objets d’échange que Willoughby voulait se procurer ; c’était un pilote qui le conduisit au Finmark. Il le demandait avec instance. Des pilotes en état de conduire un navire au mouillage de Varduus n’étaient pas chose rare dans l’île de Senien ; mais, pour obtenir ce secours, il ne suffisait pas de l’attendre au large, il fallait venir le chercher dans un port. L’île manquait-elle donc de bassins où l’on pût jeter l’ancre ? L’escadre avait précisément sous la main un de ces fiords dont les murailles abruptes semblent avoir été tranchées d’un coup de hache dans le vieux granit Scandinave. Willoughby fit passer sa chaloupe en avant, et les trois navires se disposèrent à la suivre. On se trouva bientôt engagé entre deux montagnes d’une grande hauteur. Il en descendait à chaque instant de si violentes rafales, de tels tourbillons de vent, que l’escadre, après avoir inutilement tourmenté ses voiles, pris d’un bord sur l’autre, risqué plus d’une fois d’aller se heurter à la côte, dut enfin céder à la brise qui la rejetait au large, Willoughby cria de sa voix la plus forte à Chancelor de ne pas s’éloigner, de n’abandonner la Speranza sous aucun prétexte. Comment Chancelor eût-il pu obtempérer à cet ordre ? La marche de la Speranza était très supérieure à- celle de y Edouard-Bonaventure, et Willoughby ne. prenait aucunes dispositions pour ralentir sa fuite. Toujours couvert de voiles, il fut bientôt hors de vue. La Confidentia ne tarda pas non plus à disparaître ; Quant à la chaloupe du vaisseau-amiral, elle ne pouvait trouver de refuge qu’à bord de l’Edouard-Bonaventure ; vers minuit, elle essaya d’accoster ce bâtiment et vint se briser contre le bord. Tout l’équipage se noya sons les yeux de Chancelor, incapable, au milieu d’une telle tourmente, de lui porter le moindre secours. Varduus était le rendez-vous assigné par le conseil. Ce fut vers Varduus que se dirigea, dès qu’il se vit seul, le pilote-major de la flotte.

C’était aussi à ce mouillage connu que Willoughby prétendait, en ce moment, atteindre. Il avait mis le cap au nord quart nord-est pour remonter le longue la côte. La violence du vent le contraignit à faire ce que le soin de conserver l’escadre réunie eût probablement conseillé à un vieux marin d’exécuter plus tôt. Il serra toutes ses voiles et naviguant désormais « à mâts et à cordes, » se laissa dériver, le travers à la lame, sans faire aucun effort pour assurer sa route. Bientôt le jour se fit et la brume commença de se dissiper ; Willoughby promena ses regards autour de lui. La mer était déserte. Ce fut un instant de consternation, la consternation qu’éprouva le fils d’Anchise dans la mer de Sicile. Par bonheur, au bout de quelques instans, on découvrit sous le vent un, navire également en travers, ballotté à sec de voiles par la lame. La Speranza déploya sur-le-champ un coin de sa misaine et fit route vers ce compagnon retrouvé. Le navire qu’elle parvint ainsi à rejoindre était le Yacht de l’escadre, la Confidentia. Quant à l’Edouard-Bonaventure, Willoughby n’était pas destiné à en avoir en ce monde des nouvelles.

La tempête cependant finit par s’apaiser. Le 4 août, la Speranza et la Confidentia avaient repris leur route vers Varduus. Quand Willoughby eut fait 50 lieues au nord-est, il donna l’ordre de sonder. La sonde rapporta 160 brasses. D’après tous les calculs on eût dû se trouver plus près de la côte. « La terre n’était donc pas conforme à la mappemonde. » Willoughby changea de route le 6 août, et, bien résolu à rallier à tout prix Varduus, il mit cette fois le cap au sud-est quart sud ; 48 lieues de chemin au sud ne conduisirent en vue d’aucun rivage ; elles ne changèrent même pas la profondeur de l’eau. Les deux navires se retrouvèrent encore par 160 brasses. Où donc était la côte ? Le 8 août, le 9 août, le 10 août, Willoughby, ne sachant plus à quel rhumb s’arrêter, se laissa d’abord dériver avec des vents d’ouest-nord-ouest, fit ensuite 25 lieues au nord-est avec des vents de sud-sud-est ; puis 48 lieues au sud-est, quand la brise eut hâlé le nord. Enfin le 11 août, un coup de sonde donna 40 brasses ; le 14, après s’être avancé encore de 30 lieues à l’est, on reconnut la terre. Willoughby n’avait plus de chaloupe pour l’envoyer à la découverte ; il lui restait son canot. Le canot ne put arriver à la plage, tant la côte était sur ce point encombrée de glaces. Aucune trace d’ailleurs d’habitation sur cette terre inconnue, dont la latitude fut trouvée de 72 degrés.

Les pilotes revirent soigneusement leurs calculs : ils estimaient avoir fait, depuis le départ de Sienen, 160 lieues environ à l’est quart nord-est. Augmentons cette distance d’un tiers, nous serons plus près de la vérité. Les pilotes ne tenaient en effet aucun compte du temps considérable pendant lequel ils étaient restés à la merci du vent. Les courans polaires avaient mis ce temps à profit pour entraîner l’escadre dans la direction du nord-est, et Willoughby, en cherchant Varduus, venait de découvrir la partie méridionale de la Nouvelle-Zemble. Quelle terre s’imaginait-il avoir rencontrée ? Se crut-il arrivé au fameux promontoire que doublèrent jadis les Indiens recueillis par le roi des Suèves ? Le journal de la Speranza n’en dit rien. On voit cependant les deux navires, qui sont venus butter contre l’impassible obstacle, s’acharner pendant quelque temps à le franchir. Le 15, le 16, le 17 août, ils essaient de remonter au nord. Le 18, le vent passe au nord-est, la Confidentia fait eau. Il faut chercher un port avant de songer à pousser jusqu’en Chine. Une nouvelle odyssée commence. Essayons d’en tracer les tours et les détours sur la carte de l’Océan-Arctique, non pas la carte de Sébastien Cabot, mais celle, qu’en 1872 ont dressée, à l’aide de toutes les explorations modernes, les hydrographes de Washington. Partis de la terre de l’Oie, — côte occidentale de la Nouvelle-Zemble, — la Speranza et la Confidentia, après avoir fait 70 lieues au sud-sud-est, jettent enfin la sonde par 10 et par 7 brasses. Nulle terre n’est en vue. Les Anglais ont rencontré la côte basse que visitent parfois les Samoïèdes, à l’est de l’île Kolguev[28], non loin du golfe formé, sous le 68e degré de latitude, par les alluvions de la Petchora[29]. Ce n’est plus vers la Chine que les voyageurs lassés se dirigent. A dater de ce jour, tous leurs efforts tendent vers l’Occident. Tantôt le vent du nord-est les favorise, tantôt le vent d’ouest s’oppose à leurs progrès. Ils vont ainsi, de bordée en bordée, circulant autour de l’île Kolguev, rasant le cap Kanin[30], traversant à leur insu l’entrée de la Mer-Blanche. Le 12 septembre, ils ont gagné la côte de la Laponie. C’est là, si l’on en croyait Sébastien Cabot, que doivent vivre les Scythes hippophages, los que cavalgan en ciervos y los monstruos de las grandes orejas. Partout cependant le pays semble inhabité. Le 14 septembre, après avoir jeté l’ancre à 2 lieues de terre par un fond de 60 brasses, Willoughby envoie son canot explorer la côte.

Le canot revient : il a trouvé « deux ou trois bons ports, » nul être humain pourtant ne s’est encore montré. L’escadre reprend la mer. Elle cherche des conseils, du combustible, des vivres. Après deux jours de lutte, il lui faut se résigner à revenir sur ses pas. Le vent d’ouest reporte en quelques heures les Anglais au point qu’ils ont quitté le 15 septembre. Le 18, Willoughby entre dans le port ; il y mouille sur un fond de 6 brasses. Le havre qu’il a choisi s’enfonce de 2 lieues environ dans les terres. Pas de Scythes, il est vrai, mais des veaux marins et « d’autres grands poissons » en abondance, des ours, des renards, des rennes, des animaux étranges, des êtres aussi merveilleux qu’inconnus.

La fortune des hommes de mer s’incline sous le moindre souffle qui vient de l’horizon. Willoughby devait aux vents d’ouest la découverte de la Nouvelle-Zemble. Ces mêmes vents décidaient de son sort et lui fermaient à jamais l’accès de l’Angleterre, en le retenant à 65 lieues à peine de Varduus. Le havre dans lequel l’escadre se réfugiait n’était autre que l’entrée de la Varsina[31], située par 68° 21′ de latitude nord — 36° 7′ de longitude à l’est du méridien de Paris. Willoughby n’avait voulu chercher qu’un abri temporaire ; la rigueur de la saison l’enchaîna par malheur à ce fatal mouillage. Neige, grêle, verglas, tout se réunissait pour le dissuader d’aller braver de nouveau la tempête au large. Après une semaine d’hésitation, il prit son parti et les deux bâtimens se disposèrent à passer l’hiver sous un climat dont nul Européen n’avait encore affronté les rigueurs.

Abandonnons un instant à la solitude qui les environne la Speranza et la Confidentia. Une heureuse séparation a préservé l’Édouard-Bonaventure d’une communauté de fortune qui n’eût été probablement qu’une communauté de désastre. L’Édouard-Bonaventure a désormais sa destinée distincte, et cette destinée est de découvrir l’empire russe.


E. JURIEN DE LA GRAVIÈRE.

  1. Voyez, dans la Revue du 1er septembre 1874, la Navigation hauturière, et, dans la Revue du 15 novembre 1874, les Découvertes maritimes et la grande Armada.
  2. « La morue, nous apprend Sébastien Cabot, se pêche en hiver, et on la fait sécher à l’aide du grand froid qui règne sur les côtes de l’Islande. Ce poisson séché est si dur que, pour le manger, il faut le battre avec des marteaux de fer sur des pierres qui aient elles-mêmes la dureté du marbre. On le met ensuite à tremper un jour ou deux dans l’eau et on l’apprête alors avec du beurre de vache. » (Légende de la mappemonde de 1544. Tabula prima, n°9.)
  3. C’est sous ce nom qu’étaient connus à Londres et à Anvers les marins de la Baltique.
  4. Sluys, nom flamand du port de l’Écluse.
  5. On compte, des Orcades aux Shetland, 15 lieues, — des Shetland aux Féroe, 52 lieues, — des Féroe en Islande 90 lieues.
  6. On peut consulter à ce sujet le remarquable travail de M. d’Avezac intitulé les Navigations Terre-Neuviennes de Jean et Sébastien Cabot, Paris 1869.
  7. Les zones de l’hémisphère boréal étaient comprises entre les latitudes suivantes :
    La 1re entre 10° 45’ et 20° 30’
    La 2e entre 20° 30’ et 27° 30’
    La 3e entre 27° 30’ et 33° 40’
    La 4e entre 33° 40’ et 39° 0’
    La 5e entre 39° 0’ et 43° 10’
    La 6e entre 43° 10’ et 47° 0’
    La 7e entre 47° 0’ et 50° 30’
    La 8e entre 50° 30’ et 53° 16’
    La 9e entre 53° 10’ et 56° 0’
  8. C’est sous ce nom que fut d’abord connu le détroit de Magellan.
  9. La route des Espagnols était en réalité d’environ 6,000 Houes, celle des Portugais de 4,000. Par le nord-ouest, il eût fallu faire, pour aller d’Angleterre en Chine, 3,000 lieues, — 2,100 pour accomplir le même trajet par le nord-est.
  10. Vardoëhuus, sur l’Ile de Vardoë, dans le diocèse de Tromsoë, ville de 200 habitans, située par 70° 22’ de latitude nord et 28° 47’ de longitude est.
  11. 70° 38’ de latitude nord, au lieu de 70° 22’, — 40° de longitude à l’est du méridien de Paris, au lieu de 28° 47’.
  12. L’Altaï, auquel les Chinois ont donné le nom de Tien-chan (Mont Céleste), se prolonge sur une étendue de plus de 1,400 kilomètres, entre le pays des Kirghiz et celui des Mongols.
  13. Mongou-khan, petit-fils de Djinghis-khan, avait été couronné en 1250. Il périt en 1259 en assiégeant une des villes de la Chine. C’est à Mongoa-khan que saint Louis, partant pour faire la guerre aux Sarrasins d’Égypte, voulut envoyer une ambassade.
  14. Grande chaîne de montagnes dans laquelle on a pu reconnaître l’Himalaya des Indiens (séjour de la neige). L’Imaüs séparait la Scythie d’Asie en deux régions distinctes.
  15. Ni les caravelles de Christophe Colomb, ni celles de Vasco de Gama n’avaient eu des dimensions inférieures à celles des trois « shippes » de la Tamise. La Bona-Esperanza était un navire de 120 tonneaux, l’Edouard-Bonaventure en jaugeait 160, la Dona-Confidentia 90.
  16. Tenochtitlan est le nom que portait encore la ville fondée par les Aztèques en 1325, quand Fernan Cortès la prit, le 30 août 1521, et on fit le centre de la domination espagnole au Mexique.
  17. Le 10 mai est la date du journal de Willoughby ; la relation de Chanceler, rédigée en latin par Clément Adams, dit « le 20 mai. » Willoughby se servait du calendrier adopté en 325 par le concile de Nicée ; Clément Adams du calendrier réformé en 1582 sous le pontificat de Grégoire XIII. L’équinoxe s’était avancé de dix jours entre ces deux époques ; il coïncidait non plus avec le 21 mars, mais avec le 11. Pour lui restituer la date convenable, on réduisit à vingt jours un des mois de l’année où s’opéra l’indispensable réforme, et l’on introduisit dans la supputation du temps des modifications destinées à prévenir le retour d’un mécompte semblable.
  18. Ratcliffe, sur la rive gauche de la Tamise, à 3 milles environ au-dessous de Charing-Cross.
  19. Deptford, sur la rive droits de la Tamise, à 1 mille 1/2 de Ratcliffe.
  20. Dans la seizième année de son âge et la septième de son règne.
  21. L’Ile Vegen est située par 65° 40’ environ de latitude, 9° 30’ de longitude orientale.
  22. L’Ile Donnœs-ôe est située par 66° 7’ de latitude, 10, 5’ de longitude est.
  23. Iles Trænen : par 66° 30’ de latitude nord, 9° 45’ de longitude est.
  24. Hes de Röst : par 67° 31’ de latitude nord, 9° 47’ de longitude est.
  25. Iles Lofoden ou Lofoten : par 68° 15’ de latitude nord, 11° 30’de longitude est.
  26. Steens Fiord : par 68° 15’ latitude nord, 11° 12’ longitude est.
  27. Le phare de Hekkingen, au nord de l’Ile Senien, est situé par 69° 36’ de latitude nord, 15° 29’ de longitude est.
  28. Ile Kolguev ou Kolgouev : par 69° 0’ de latitude nord, 40° 30’ de longitude est.
  29. L’embouchure de la Petchora est située par 68° 15’ de latitude nord, 52° 0’ de longitude est.
  30. Le cap Kanin, — Kanin Noss, — à l’entrée de la Mer-Blanche, est situé par 68° 40’ de latitude nord, 41° 8’ de longitude est.
  31. La rivière Varsina tombe dans la partie occidentale du golfe de Nokonevski. L’embouchure en est assez large et forme une espèce de baie au milieu de laquelle on trouve de 30 à 10 mètres, fond de roche. Dans la rivière même, il n’y a aujourd’hui que 4 pieds d’eau à marée basse ; mais la montée du flot sur la barre est de 3 mètres. Les lodias (barques du pays) entrent dans cette rivière à mer haute et vont s’échouer sur la rive gauche dans une petite anse à l’abri de tous les vents. Sur la rive droite, à 1 kilomètre de l’embouchure de la rivière, se trouve un village d’été que viennent habiter les Lapons de la paroisse des Sept-Iles. En hiver, ces mêmes Lapons vivent à 100 kilomètres de la côte, près des lacs d’où sort, suivant eux, la Varsina. Ils sont au nombre de vingt-cinq chefs de famille.