Les Marines comparées de la France et de l’Angleterre depuis 1815/02

LES MARINES
DE LA FRANCE ET DE L'ANGLETERRE
DEPUIS 1815

II.
LA MARINE A VAPEUR.


I. — LE VAISSEAU A VAPEUR.

Le 1er octobre 1853, par une magnifique matinée d’automne, le paquebot sur lequel j’avais pris passage, le Caire, commandé par M. Garbeyron, alors lieutenant de vaisseau, reconnaissait à toute distance devant lui les hautes terres de la Troade et la flotte anglo-française mouillée dans la baie de Bésika, à l’ouvert et dans l’est du détroit des Dardanelles. Je n’ai pas besoin de dire que c’était un beau spectacle : à gauche, Lemnos, Imbro, Ténédos ; à droite, la côte de l’Asie-Mineure ; devant nous, la plage où s’était, il y a trois mille ans, vidée pour la première fois cette question d’Orient qui reparaissait alors d’une façon si menaçante, et en avant de cette plage l’armée navale la plus parfaite que le génie de la guerre eût encore rassemblée sur les flots. C’était le dire des marins, et je me serais bien donné garde de penser autrement qu’eux.

Ce brillant armement sur lequel nous nous dirigions, et qui devenait à chaque instant plus distinct à nos yeux, se composait de dixneuf vaisseaux de ligne, accompagnés d’un nombre encore plus considérable de navires à vapeur et de bâtimens légers. Pour quiconque portait intérêt aux affaires de la politique ou de la marine, c’était une vue dont on ne pouvait se détacher. Il y avait cependant une ombre au tableau, c’étaient deux vaisseaux mouillés sous Ténédos, loin de tous les autres, et sur lesquels les Anglais évacuaient les cas de fièvre, assez nombreux, qui se déclaraient dans leurs équipages. La plage de la baie de Bésika passe pour n’être pas très salubre ; elle est bordée par places de marécages et d’eaux stagnantes dont l’influence se faisait sentir sur les vaisseaux après plus de cinq mois de séjour dans ce voisinage pittoresque, mais empesté[1].

Sur les dix-neuf vaisseaux, dix étaient français et neuf anglais. Pour la plupart, c’étaient encore d’anciens vaisseaux à voiles, mais alors on ne remarquait plus entre eux et dans les détails de leur armement les différences si frappantes que, dix ans plus tôt, on aurait pu observer. Le Britannia, le Trafalgar, l’Albion, la Ville-de-Paris, le Valmy, le Henri IV et les autres avaient entre eux beaucoup de points de ressemblance, comme je pus m’en convaincre en les visitant plus tard, lorsque les flottes combinées furent entrées dans le Bosphore. Toutefois il y avait dans la composition des deux escadres un fait digne de remarque, car il concordait peu avec idées ordinairement reçues en matière de machines et de navigation à vapeur : c’était que, sur les trois vaisseaux pourvus de machines que les escadres possédaient entre elles deux, il n’y en avait qu’un qui appartînt aux Anglais, le Sans-Pareil ; les deux autres, le Charlemagne et le Napoléon, étaient français. Il est vrai que les Anglais prenaient leur revanche par le nombre de frégates et de bâtimens à vapeur qu’ils traînaient après eux ; mais d’un autre côté, dans le premier effort que les deux escadres allaient faire en commun un mois plus tard pour franchir le détroit des Dardanelles, on allait voir neuf vaisseaux français sur dix réussir en une matinée à surmonter le courant et la force du vent de nord, tandis que les neuf vaisseaux anglais, voire le Sans-Pareil[2], échoueraient dans l’entreprise et seraient obligés d’attendre pendant plusieurs jours, avant de pouvoir nous rejoindre, qu’il plût aux vents de passer au sud. C’était un beau succès, et qui allait être encore confirmé l’année suivante, lors du débarquement des armées alliées sur la plage de Old-Fort.

Savions-nous donc déjà construire des bâtimens et des machines à vapeur supérieurs à ceux de nos rivaux ? ou bien avions-nous de meilleures méthodes pour tirer parti de ces instrumens ? Ce sont la des questions qu’il serait inutile, d’approfondir pour le moment, pas plus, qu’il ne serait opportun de revendiquer les titres que nous pouvons avoir à la découverte de la machine à vapeur, ou de reprendre les discussions historiques qui prouveraient que des bateaux munis d’appareils évaporatoires et mus par des roues ont été expérimentés sur nos rivières longtemps avant que Fulton vînt ouvrir d’infructueuses négociations, avec le premier consul. Le point important pour, mous, c’est de montrer la part, que nous avons eue dans la découverte et dans l’application de l’hélice comme moyen de propulsion des navires. En effet, l’hélice qui permet d’établir les machines au-dessous de la flottaison, à l’abri des coups de l’ennemi, a véritablement résolu la question de l’emploi de la vapeur sur les bâtimens. de guerre ; mais c’est dans la guerre de Crimée seulement qu’elle a montré par l’expérience, tout le parti que l’on pouvait tirer d’elle en l’employant avec intelligence, et hardiesse. Dans l’histoire de la marine à vapeur, elle mérite une attention toute spéciale.

L’hélice est une invention deux fois françaises En 1803, lorsque le gouvernement du premier consul rejetait les propositions de Fulton et les plans de ses bateaux à roues, vivait à Paris, dans un quartier retiré, un certain M Dallery, qui jadis avait été facteur d’orgues à Amiens. La révolution, en fermant les églises, lui ayant enlevé son gagne-pain, il avait d’abord essayé de mettre à profit dans sa ville natale les connaissances de mécanique qui étaient nécessaires à l’exercice de sa première profession, et les rares talens dont la nature l’avait doué ; mais, en vertu sans doute de l’axiome qui dit que nul n’est prophète dans, son pays, M. Dallery n’avait réussi, au milieu de ses concitoyens, qu’à compromettre une partie de son modeste avoir, et il était venu chercher fortune, à Paris. En agissant ainsi cependant, il avait peut-être quitté la proie pour l’ombre. Si l’a province en effet n’ouvre pas un aussi grand théâtre que la capitale aux ambitions et au mérite, elle a par contre cet avantage, qu’un homme distingué et de bonne conduite y est beaucoup plus sûr de se faire apprécier. Il peut devenir à bien meilleur compte une des illustrations locales, tandis qu’à Paris l’homme d’un génie même éminent court le risque de périr isolé dans ce grand désert d’hommes, comme l’appelait M. de Chateaubriand, s’il n’a pas quelques amis ou quelques relations pour le mettre en lumière, s’il n’a pas au moins une certaine dose d’habileté pour se faire valoir. Or il paraît que M. Dallery, comme la plupart des grands inventeurs, était complètement dépourvu de savoir-faire. Toujours est-il qu’entendant parler autour de lui de projets de descente en Angleterre et de la nécessité de construire une flotte spéciale pour cette entreprise, il produisit, lui aussi, un plan de navire. Or ce n’était pas moins qu’un navire à hélice, et ce qui était peut-être plus extraordinaire encore, c’était que l’appareil évaporatoire de ce navire se composait d’une chaudière tabulaire. Ces deux inventions, dont une seule aurait dû suffire pour faire la fortune et la gloire d’un homme, il les produisit dans la demande du brevet qu’il prit au Conservatoire des arts et métiers de Paris le 29 mars 1803. Les pièces originales et authentiques existent encore ; elles ont été réimprimées par les descendans de M. Dallery, et l’Académie des Sciences, saisie par eux de la question, l’a résolue à l’avantage de l’inventeur en votant, dans sa séance du 17 mars 1845, les conclusions d’un rapport qui lui fut présenté par MM. Arago, Dupin, Poncelet et Morin.

Le projet de M. Dallery reçut un commencement d’exécution. Ayant réuni toutes les ressources dont il pouvait disposer, 30,000 fr. environ, somme considérable pour l’époque, il entreprit de construire sur le quai de Bercy un modèle du bateau qu’il proposait ; mais, comme nous l’avons dit, M, Dallery n’était pas un homme d’affaires : les 30,000 francs ne suffirent pas, l’auteur ne put réussir à trouver des prêteurs, et l’œuvre resta inachevée jusqu’au jour où M. Dallery, saisi d’un accès de désespoir, la fit démolir par les ouvriers, lui-même donnant le signal de la destruction en y prêtant la main. L’invention allait pour longtemps rentrer dans l’oubli[3].

L’hélice devait renaître cependant, et renaître encore dans l’esprit d’un Français, d’un capitaine du génie dont le nom mérite d’être conservé, M. Delisle. Attaché vers 1820, avec un emploi de son grade, à la place de Boulogne-sur-Mer, il assista aux premiers débuts des services réguliers à vapeur, et son imagination fut frappée des ressources que la guerre pourrait tirer de cette puissance nouvelle ; mais, pour l’employer tout à fait utilement, il sentait bien qu’il fallait pourvoir les navires d’un autre appareil que celui des roues, dont les organes restaient exposés sans défense aux coups de l’ennemi. Il se mit donc en quête d’un système qui permît de placer la machine à l’abri des boulets, et c’est après de longues recherches poursuivies dans cette voie qu’en 1823 il mit la dernière main aux plans d’un vaisseau de 80 canons mû par une hélice. C’était un patriote ardent, qui était surtout préoccupé du désir de donner à son pays une arme supérieure : aussi, lorsqu’il crut avoir résolu la question, il expédia son mémoire et ses plans par la voie hiérarchique au ministère de la guerre, duquel il relevait, pour qu’ils fussent transmis, comme un secret d’état, au ministère de la marine. Je ne sais quelles illusions le brave officier pouvait s’être faites sur la manière dont son projet allait être accueilli ; mais ce qui est certain, c’est que, s’il s’en fit aucune, il fut cruellement désappointé. Il ne paraît pas qu’il ait jamais pu obtenir aucune réponse sérieuse de l’une ou de l’autre administration, si bien qu’après un an de démarches infructueuses, se croyant enfin libre d’un secret dont on semblait faire si peu de cas, il se décida en 1824 à publier son mémoire dans les Annales de la Société des Amateurs de Lille[4]. L’idée était tombée par le fait dans le domaine public. J’ignore si depuis ceux qui se sont présentés, eux aussi, comme des inventeurs ont pu puiser dans cette publication ; mais il n’est sans doute pas hors de propos de faire remarquer que les deux personnages qui depuis, en France et en Angleterre, se sont le plus vivement disputé le mérite de l’invention avaient tous les deux habité Boulogne-sur-Mer, où le capitaine Delisle avait longtemps résidé et où il avait fini par perdre patience. J’ajouterai encore que, de leurs discussions mêmes, il résulte que le projet de réalisation qui fut exécuté en Angleterre est ne aussi à Boulogne-sur-Mer.

L’idée est donc française, mais c’est à l’Angleterre que revient l’honneur de l’avoir appliquée la première. Dans ce pays où l’administration publique se montre en général très peu favorable aux inventeurs et très peu douée elle-même d’esprit inventif, comme le prouvent tous les faits que nous exposons, le public semble au contraire toujours prêt à encourager les idées nouvelles. Lorsque celle-ci lui fut enfin apportée, il se forma aussitôt par » souscriptions particulières un fonds pour l’expérimenter. On sait comment on acheta un vieux navire charbonnier qui fut rebaptisé pour l’occasion sous le nom d’Archimède, et comment, en 1840, ce navire, après avoir fait, le tour complet de la Grande-Bretagne, mit hors de discussion la valeur de l’hélice, en révélant même à son avantage des qualités qu’on ne paraissait pas avoir encore soupçonnées, comme par exemple, la puissance extraordinaire qu’elle communique au gouvernail. Le succès était complet. Voyons comment il a été mis à profit dans les marines militaires des deux pays.

L’amirauté, qui paraît avoir antérieurement repoussé l’hélice, est bien forcée cette fois de l’accueillir ; mais qu’en fait-elle ? L’inspiration de l’amirauté, l’inspiration à laquelle elle restera attachée opiniâtrement pendant plus ; de dix ans, cette inspiration, si elle n’est pas rétrograde, est au moins rétrospective. L’hélice, en débarrassant le navire à vapeur de ses tambours, permet de lui rendre les formes des anciens navires à voiles : c’est ce que l’amirauté semble considérer presque exclusivement, dans ses combinaisons nouvelles. Refaire de l’ancien, cela lui paraît admirable, et le nouvel instrument deviendra, un simple auxiliaire de la voile. L’amirauté prépare en conséquence, toute une flotte de vaisseaux du genre qu’on a appelé mixte ; elle paraît ne rien voir au-delà, ni se douter que l’hélice puisse être employée à un autre titre.

Je m’exagère pas, car, s’il faut s’en rapporter aux dates fournies par M. Hans Busk dans son excellent livre[5], on verra que les neuf vaisseaux (vaisseaux de ligne s’entend) que l’amirauté a pourvus les premiers d’hélices n’ont reçu chacun que des machines d’une force inférieure à 500 chevaux. Il en est même cinq sur le nombre dont les machines sont de la fonce de 200 chevaux seulement. Je sais, bien que ces vaisseaux ne comptent plus sur la liste active de la marine, et qu’ils ont été relégués comme block-ships dans le service des gardes-côtes ; mais ce premier essai n’indique-t-il pas jusqu’à l’évidence l’esprit qui animait l’amirauté lorsqu’elle connut le résultat des expériences faites par l’Archimède ? En se rapportant toujours au même document, on voit que c’est en 1852 seulement que l’amirauté eut à sa disposition un navire armé de machines véritablement puissantes, le Duc de Wellington, de 780 chevaux de force nominale. Encore convient-il de signaler que c’est un vaisseau à trois ponts, rallongé pour être converti en vaisseau à hélice, et armé de 131 canons. L’amirauté s’en tient toujours, autant qu’il lui est possible, au système du vaisseau mixte. Si plus tard elle a la main en quelque sorte forcée par les exemples qui lui viendront du dehors, elle témoignera encore de son attachement à ses premières idées en conservant les mâtures et les voilures, qu’elle maintient jusqu’à ce jour sur ses plus rapides vaisseaux, et qu’elle vient d’imposer encore à la frégate cuirassée le Warrior, qui porte la mâture d’un vaisseau à voiles de 90 canons.

Je n’exagère rien non plus en disant que l’application de l’hélice comme instrument de propulsion des navires n’avait presque rien appris à l’amirauté, car en 1851 elle mettait encore en chantier je ne sais plus combien de vaisseaux de ligne à voiles, et il lui fallut attendre jusqu’en 1859 pour s’apercevoir qu’avec notre budget relativement modeste nous étions arrivés à posséder un nombre de vaisseaux à hélice presque égal à celui que possédait alors la marine anglaise, et de vaisseaux pourvus de machines beaucoup plus puissantes. L’amirauté reconnut seulement alors qu’elle avait fait fausse route, et tout aurait été pour le mieux dans le meilleur des mondes, si, au lieu de s’emporter contre nous comme on le fît encore en cette occasion, on avait loyalement avoué que l’on avait employé peu judicieusement les ressources de la nation. À coup sûr, il n’y avait là rien qui fût de notre faute, ou, pour mieux dire, qui ne fût pas de la faute de l’amirauté.

Tandis que la marine anglaise entrait et s’opiniâtrait dans ces erremens, voyons ce que produisait en France l’application de l’hélice à la navigation.

L’idée du vaisseau mixte, la première qui se présente à l’esprit, eut d’abord chez nous aussi ses partisans, et même on lui fit quelques sacrifices : le Charlemagne, le Jean-Bart, le Saint-Louis, le Donawerth, etc., tous pourvus de machines de 450 chevaux. C’est le minimum de force que nous ayons donné à nos vaisseaux, à moins que l’on ne rappelle l’expérience insignifiante ou concluante, comme on voudra l’entendre, qui a été faite à bord du Montebello, lequel d’ailleurs ne compte plus dans la flotte et achève, lui aussi, sa carrière comme vaisseau-école des canonniers. Néanmoins l’idée vint bien vite à nos marins que la proposition à laquelle le vaisseau mixte devait sa naissance gagnerait sensiblement à être renversée, c’est-à-dire à ce qu’on fit de la voile l’auxiliaire de l’hélice et non pas de l’hélice l’auxiliaire de la voile. Au lieu d’avoir à compter avec les caprices des vents et de ne pouvoir y remédier qu’au moyen d’un engin peu puissant, on aurait sous la main un instrument à force certaine, à effet constant. Le vent viendrait en aide quand bon lui semblerait. On prendrait pour règle le certain et le connu, sauf à profiter, lorsqu’il y aurait lieu, du variable et de l’inconnu.

Tel était le principe de ce qu’on a appelé le vaisseau à vapeur, par opposition au vaisseau mixte. Maintenant que l’excellence du principe a été démontrée par d’éclatans succès, la chose parait toute simple, et l’on s’étonne presque qu’elle n’ait pas été découverte du premier coup. Le fait est cependant qu’on n’y est pas arrivé tout de suite. D’ailleurs, à côté de la condition de certitude et de régularité, il s’en présentait une autre qui n’était pas moins importante : on pouvait obtenir du nouvel instrument les plus grandes vitesses, et cette considération complétait absolument le système. Dans la politique comme dans la guerre, dans les opérations que l’on entreprend au loin comme sur le champ de bataille, la vitesse et la sûreté dans l’exécution sont deux avantages prépondérans. Dussent-ils coûter cher, il y a toujours en fin de compte bénéfice pour un gouvernement et pour une marine militaire à posséder les instrumens les plus rapides et les plus réguliers. On dépense certainement moins quand on sait ce que l’on fait que lorsqu’on doit se garer contre l’incertitude. et même dans le cours de la vie ordinaire, dans les transactions du commerce, la rapidité des mouvemens est toujours une source féconde d’économies : l’exemple des chemins de fer suffirait à le prouver. À plus forte raison combien cela est-il vrai quand on songe aux conséquences que peut entraîner la perte ou le gain d’une bataille ! D’ailleurs l’expérience allait montrer, au moins en ce qui concerne la marine militaire, que si les appareils à grande puissance coûtent plus cher que les autres en frais de premier établissement, ils peuvent dans la pratique regagner la différence en rendant des services meilleurs et moins coûteux, dût-on borner la question au seul point de vue de la dépense.

Par qui ces idées qui fermentaient dans les têtes furent-elles pour la première fois formulées en un corps de doctrine ? Qui eut l’avantage de présenter le premier un plan de vaisseau à vapeur calculé pour la coque et les aménagemens, pour l’armement et les machines, sur les propriétés du nouvel instrument ? C’est une question que je ne saurais résoudre avec quelque certitude ; mais, pour ne parler que de ce qui m’est connu, je vois que des 1844 le projet d’un vaisseau à hélice de cent canons et de la force de 1,000 chevaux était présenté au ministère de la marine. L’auteur de ce projet était l’amiral Labrousse, dont le nom revient toujours sous la plume quand il est question des progrès réalisés depuis trente ans par la marine française. Toutefois ce projet ne fut pas exécuté ; il fallut encore trois ans pour qu’un ministre osât prendre sur lui d’ordonner la construction d’un pareil vaisseau, soit qu’on trouvât que les projets n’étaient pas encore suffisamment mûris, soit, ce qui semble encore probable, que l’on reculât devant les dépenses que devait entraîner une pareille construction. On a fait depuis des choses beaucoup plus coûteuses : mais alors le prix de revient d’un vaisseau à vapeur effrayait presque les imaginations. Quoi qu’il en soit, c’est à M. Guizot, ministre de la marine par intérim, que revient l’honneur d’avoir rendu l’arrêté en vertu duquel on mit en chantier notre premier vaisseau à vapeur, le premier qui ait été construit par aucune marine. Et ce qui ne fait pas moins honneur à la décision du ministre, c’est qu’il ne craignit pas de prendre parti pour les plans d’un jeune ingénieur déjà distingué dans son corps, mais encore inconnu du public. Sous quelque régime que ce soit, il n’arrive pas tous les jours que les ministres se hasardent à assumer sur eux de pareilles responsabilités. Au reste M. Guizot fut bien récompensé, car l’ingénieur à qui il donnait gain de cause s’appelait M. Dupuy de Lôme, et le vaisseau dont la quille fut posée à Toulon en janvier 1848 devait s’appeler le Napoléon[6].

Lancé en 1850, armé en 1852, le Napoléon donna à ses essais des résultats qui frappèrent d’admiration tous les marins ; mais c’était surtout pendant la guerre d’Orient qu’il devait montrer tout ce qu’on pouvait attendre de lui comme instrument militaire, quoique la réserve de l’ennemi ne lui ait pas permis de faire ses preuves dans un combat naval. Au passage des Dardanelles, il enlevait triomphalement, sous les yeux des deux armées, un vaisseau à trois ponts, la Ville-de-Paris, qui portait le pavillon de l’amiral Hamelin. Plus tard, lorsqu’il fallut renforcer en toute hâte l’armée qui faisait le siège de Sébastopol, il rendait des services vraiment incomparables. Dans une de ces courses, étant allé embarquer des troupes à Bone en même temps que le Fleurus (de 650 chevaux) et le Jean-Bart (de 450), il battit comme vitesse ces deux vaisseaux, quoiqu’il n’eût pendant la traversée que la moitié de ses fourneaux allumés, tandis que ses compagnons marchaient à toute vapeur. Il les gagna de plus de deux jours sur la distance de Bone à Constantinople, prouvant par une expérience pratique qu’un vaisseau de 900 chevaux de force pouvait transporter en moins de temps et à moindres frais plus d’hommes et de matériel que les navires moins puissans que lui. En effet, outre le temps gagné, il avait, comparativement au Jean-Bart, économisé par vingt-quatre heures plus de 20 tonneaux de charbon, plus de 30 par rapport à la consommation du Fleurus. Et quand il fallait pourvoir à l’approvisionnement de l’armée, quel autre vaisseau, quel autre navire prêta un concours aussi utile que le sien ? On le vit une fois entrer au port de Kamiesch, traînant après lui quatorze bâtimens chargés de troupes et de matériel qu’il amenait à sa remorque depuis le Bosphore :

She was a host in herself.

S’il y avait eu quelque hésitation encore, les services rendus par le Napoléon pendant la guerre de Crimée auraient achevé de dissiper tous les doutes, mais on doit croire que depuis quelque temps déjà il n’en existait plus parmi les marins. Les pièces qui ont été publiées de l’enquête parlementaire ordonnée en 1849 par l’assemblée législative en font foi[7], elles prouvent quelles étaient les tendances de l’administration supérieure, et elles expliquent comment, sans bruit et sans efforts désordonnés, nous, qui dès 1844 avions adopté en principe de ne plus construire un vaisseau qui ne dût être pourvu d’une machine à vapeur, nous en étions arrivés en 1859, tandis que l’Angleterre s’égarait dans le passé, à présenter vis-à-vis de nos voisins le tableau comparatif que voici, et dont, j’emprunte les élémens à M. Hans Busk :

Nombre de vaisseaux à hélice que les marines de France et d’Angleterre avaient à flot en avril 1859 :


L’Angleterre La France
Vaisseaux de 400 chevaux de force. 12 «
Vaisseaux de 450 chevaux de force. 2 7
Vaisseaux de 500 chevaux de force. 7 5
Vaisseaux de 600 chevaux de force. 8 4
Vaisseaux de 650 chevaux de force. « 7
Vaisseaux de 780 chevaux de force. 1 «
Vaisseaux de 800 chevaux de force. 5 1
Vaisseaux de 900 chevaux de force. « 7
Vaisseaux de 1,200 chevaux de force. « 1
Total des vaisseaux 35 32
Total des chevaux de vapeur 18,780 19,900[8]

Quoiqu’il convienne d’ajouter à l’avoir de. la marine anglaise un vaisseau à trois ponts, le Windsor-Castle, qui est seulement indiqué comme recevant ses machines, et les neuf block-skips, je crois que ce tableau n’a pas besoin de commentaires ; on en est cependant encore aujourd’hui à se demander au nom de quel principe de justice il a pu nous mériter les réflexions peu aimables qui nous ont été prodiguées, lorsqu’il fut produit par sir J. Pakington à la chambre des communes ? J’aurais compris qu’entre bons voisins on profitât de l’occasion pour nous adresser quelques petits complimens sur le parti que nous savions tirer de ressources relativement inférieures, mais je ne comprends pas qu’on ait pu y trouver matière à tant d’accusations.


II. — LES BATTERIES FLOTTANTES.

La guerre de Crimée n’a pas seulement constaté les qualités du vaisseau à vapeur, elle a aussi fait passer dans le domaine de la pratique une combinaison qui couvait en germe dans l’esprit des constructeurs depuis bientôt un siècle, mais que l’on n’avait pas encore pu réaliser jusque-là. Je veux parler des navires cuirassés, qui viennent de fournir à la mauvaise humeur des Anglais contre notre marine une nouvelle occasion de s’exercer.

Le combat du 17 octobre 1854 venait de démontrer que les murailles de bois, même pourvues de la plus puissante artillerie, n’étaient pas de force à soutenir la lutte contre de grands ouvrages de granit ou de maçonnerie. Vingt-six vaisseaux de ligne présentant à l’ennemi un front de presque douze cents pièces de canons des plus gros calibres avaient, pendant plus de quatre heures, fait un feu furieux sur les défenses de mer de Sébastopol, qui pouvaient leur opposer tout au plus deux cents pièces, et ils avaient fait perdre beaucoup de monde à l’ennemi (le rapport du prince Mentchikof accuse un millier d’hommes tués ou blessés), mais ils n’avaient pas produit de résultats bien sensibles sur les ouvrages russes. L’expérience fut regardée comme décisive, et on ne la renouvela ni dans la Mer-Noire ni dans la Baltique, ni même à Sveaborg, qui ne fut attaqué, comme on se le rappelle sans doute, que par des bombardes tirant à longue portée et brûlant l’arsenal russe à l’aide de feux courbes.

Pour attaquer par eau des forteresses aussi puissamment armées que celles des Russes, il fallait d’autres navires que ceux dont les alliés pouvaient disposer, d’autant plus que ces forteresses étaient presque toutes situées au fond de chenaux très difficiles et très étroits, entourées presque toujours d’eaux peu profondes où les vaisseaux et les frégates, pas même les corvettes, ne pouvaient pénétrer. L’esprit des Anglais s’arrêta sur les canonnières, dont ils construisirent un grand nombre avec une merveilleuse rapidité ; les Français donnèrent la préférence à ce qu’ils appelèrent les batteries flottantes : de vilains navires au point de vue pittoresque, très peu faits pour tenir la mer, c’était encore très certain, mais qui avaient l’avantage précieux, dans les circonstances particulières au problème du moment, de tirer très peu d’eau, de porter une artillerie considérable par le nombre et par le calibre, et surtout de porter cette artillerie sous la protection d’une cuirasse de fer qui, à bonne distance, devait rester impénétrable aux coups de l’ennemi. Quant au fond, l’idée n’était pas nouvelle ; on avait cherché dans tous les siècles, notamment dans le dernier, à procurer aux murailles des navires une force de résistance au canon plus considérable que le bois ne pouvait leur en donner. Le général Paixhans avait même pendant longues années proposé et préconisé l’emploi du fer pour cet objet ; mais les tentatives antérieures qu’on avait faites avaient échoué, et les propositions du général Paixhans avaient été écartées sans aucun essai de réalisation, comme n’étant pas praticables ou étant trop coûteuses. On raconte que cette manière de voir persistait encore dans beaucoup d’esprits, lorsqu’on réveilla le projet de construire des bâtimens cuirassés, et qu’il ne fallut rien moins que l’autorité et la fermeté de l’empereur pour obtenir que la chose fût expérimentée. L’accroissement des ressources mises à la disposition de la marine, les progrès merveilleux qu’avait faits depuis trente ans l’industrie métallurgique, ne suffisaient point pour entraîner toutes les convictions. Quoi qu’il en soit, on ne niera sans doute pas que l’initiative de ces constructions ne soit venue de France, ni même, je pense, que les batteries flottantes construites par les Anglais en même temps que les nôtres, le Meteor, le Glatton, le Trusty, n’aient été faites sur des plans communiqués directement par l’amirauté française. Est-ce cette tache d’origine qui empêcha les Anglais de faire autant de diligence que nous et de se trouver prêts, comme le furent la Dévastation, la Lave et la Tonnante, à la réduction de Kinburn ?


III. — LES FREGATES CUIRASSEES.

Le succès des batteries flottantes à Kinburn peut être regardé comme l’occasion d’où naquirent les frégates cuirassées ; mais à qui revient la priorité d’invention ? Je ne vois pas qu’elle soit jusqu’ici réclamée par personne ; aussi, comme pièce au procès qui s’engagera peut-être plus tard à ce sujet, qu’il me soit permis de dire ce qui est venu à ma connaissance.

Il y a quelque temps, lorsqu’il était si fort question des frégates cuirassées dans le parlement et dans la presse anglaise, un de mes amis me contai l’anecdote suivante. Se trouvant de passage à Toulon en 1856, il était allé voir les batteries flottantes qui revenaient de la Mer-Noire, et après les avoir bien examinées, il en avait causé avec M. Dupuy de Lôme qui était alors sous-directeur des constructions natales à Toulon. La conversation porta naturellement sur ce que mon ami venait de voir, et comme il revenait toujours sur cette idée, que les batteries flottantes devaient nécessairement devenir le germe de quelque chose, fournir le sujet d’une idée nouvelle dans l’art des constructions navales, son interlocuteur, qui avait d’abord montré une grande réserve, finit par lui dire qu’il était tout à fait de son avis, qu’il pensait même que ce quelque chose allait peut-être se faire.

— Comment ?

— Eh bien ! un grand navire pouvant tenir la mer et naviguer comme les autres, jouissant d’une grande vitesse, et revêtu enfin d’une armature de fer qui le rendra, au moins dans la plupart des cas, invulnérable à l’artillerie. C’est une idée qui a dû fermenter dans. beaucoup de têtes, et qui m’occupe moi-même depuis des années déjà. Tenez (et il montrait un très gros manuscrit), voilà l’étude et le plan d’une frégate qui réunirait toutes les conditions, que je viens de vous dire, et ce n’est pas fait d’hier !

— Comment se fait-il alors que vous ne l’ayez pas proposé plus tôt ?

— Non-seulement je ne l’ai pas proposé, mais je n’en ai encore parlé à presque personne.

— Pourquoi ?

— Parce qu’on m’aurait peut-être ; pris pour un fou, et parce qu’à coup, sûr je n’aurais eu aucune chance de voir adopter ma proposition. Quand on a en tête des innovations aussi considérables, il faut attendre l’occasion convenable de les faire réussir, autrement on se brise, sans profit pour personne, contre l’étonnement des gens que l’on surprend et que rien n’a préparés à vous entendre. Maintenant c’est différent : les batteries flottantes ont réussi, le vaisseau à vapeur a réussi ; à eux deux ils feront l’affaire. Le Napoléon a déployé des qualités qui l’ont rendu cher à tous les marins ; mais on lui reproche encore d’avoir des murailles trop facilement pénétrables à l’artillerie. Les batteries flottantes au contraire viennent de prouver qu’on peut faire des cuirasses qui résistent au canon : eh bien ! ’ il faut donner une cuirasse de ce genre au Napoléon. Otez-lui sa batterie supérieure, réduisez sa mâture, et vous l’aurez allégé d’un poids de 8 ou 900 tonnes, qui représentent à peu près exactement le poids de la cuirasse à donner à la frégate que vous aurez produite par cette transformation. Aujourd’hui tout le monde comprendra cela ; mais il n’y a pas longtemps encore que c’eût été qualifié d’utopie, et peut-être même d’utopie dangereuse chez un homme du métier. Aussi n’en ai-je encore parlé qu’à très peu de monde, et il me paraîtrait contraire plutôt qu’utile aux intérêts de la chose qu’on en parlât trop avant qu’elle ait pris un corps. Quand le public aura vu sur les chantiers ma frégate ou celle d’un collègue plus habile et plus heureux que moi, alors tout sera jugé admirable ; mais jusque-là veuillez ne pas ébruiter cette conversation.

Deux ans après, c’est-à-dire en 1858, la frégate cuirassée la Gloire était mise en chantier à Toulon, et M. Dupuy de Lôme avait l’honneur, bien rare assurément, d’avoir produit en dix ans deux navires qui auront été considérés chacun comme le point de départ d’une révolution dans la marine militaire. La construction de la Gloire et de ses frères et sœurs, le Solferino, le Magenta, la Couronne, l’Invincible, la Normandie, se poursuivit d’abord sans que personne, pas même l’amirauté anglaise, eût l’air d’y prendre garde. C’est en 1859 seulement, lorsque la Gloire allait être mise à l’eau, que l’on commence à s’en préoccuper sérieusement du côté des Anglais, et que sir John Pakington, premier lord de l’amirauté, fit décider la construction du Warrior, suivi bientôt après, par les ordres du nouveau ministère, du Black Prime, du Defence et du Résistance, de l’Hector, du Valiant. Les quatre premiers de ces bâtimens sont à flot, et le Warrior même est complètement armé. Toutefois on peut croire que l’ordre de construire le Warrior fut d’abord une concession faite à l’opinion plutôt que le résultat de la confiance de l’amirauté dans la valeur des bâtimens de cette espèce, car encore au mois d’avril 1861 sir John Pakington semblait en douter. Il est vrai que six semaines plus tard il tenait un tout autre langage.

J’essaie seulement de refaire l’histoire du passé, et je me récuse moi-même en tant qu’autorité capable d’estimer les conséquences à prévoir de l’apparition de ces nouveaux modèles, ou de traiter avec compétence les problèmes nombreux et compliqués qu’ils soulèvent. C’est aux hommes spéciaux qu’il convient d’en parler. J’indiquerai seulement les principales questions que les navires cuirassés ont suscitées ; mais, avant de le faire, je crois que le lecteur me saura peut-être gré de mettre sous ses yeux quelques renseignemens généraux sur chacune des deux frégates de la nouvelle espèce qui, les premières, ont été armées de l’un et de l’autre côté du détroit ; c’est entre elles que la controverse va se trouver engagée, et l’on sera sans doute satisfait de connaître quelques points de comparaison sur l’exactitude desquels on puisse compter. Voici les données principales de la frégate la Gloire :

Longueur à la flottaison 78 met.
Largeur hors cuirasse au fort 17
Hauteur de batterie au milieu en charge 1 m. 90
Tirant d’eau moyeu en charge 7 m. 75
Déplacement ou poids total en charge 5,620 tonneaux.
Dont pour poids de coque, d’aménagemens et de cuirasse 3,440 —
La cuirasse seule avec ses chevilles 840 —
La différence entre le chiffre du déplacement total (5,020 tonneaux) et celui du poids de la coque, des aménagemens et de la cuirasse (3,440 tonneaux) représente le poids de l’armement, des machines, du charbon, de l’artillerie, des vivres,

de l’eau, du personnel, etc. ; il est de

2,180 —

Ce dernier chiffre se décompose à son tour ainsi qu’il suit :

Une machine de la force nominale de 900 chevaux, un approvisionnement de charbon de 675 tonneaux, 36 canons de 30 rayés correspondant au calibre de 100 de sir William Armstrong et approvisionnés à 155 coups par pièce au lieu de 110, qui formaient jusque-là l’armement régulier ;

Un équipage de 570 hommes, plus que suffisant pour le service de la machine et de l’artillerie, mais porté à ce chiffre pour renforcer la garnison en cas d’abordage ;

Vivres pour deux mois et demi et pour 570 hommes ;

Eau pour un mois et pour 570 hommes.

L’épaisseur des plaques qui composent la cuirasse varie entre 11 et 12 centimètres.

La mâture de la frégate est très légère, propre seulement à appuyer le navire dans les gros temps ou à regagner un port quelconque en cas d’avaries, le navire devant faire route d’habitude soit à grande, soit à petite vitesse.

Sur le pont se trouve un blockhaus crénelé pour la mousqueterie, cuirassé et destiné à abriter la roue, les timoniers et le commandant.

L’approvisionnement de charbon correspond à huit jours de consommation à toute vitesse.

À l’expérience, car la Gloire navigue presque depuis deux ans déjà, voici les résultats qui ont été obtenus :

La vitesse en calme et à toute vapeur a varié entre 12 nœuds 50 et 13 nœuds 50, soit en nombres ronds entre 24 et 25 kilomètres à l’heure. Avec la moitié des feux allumés, la vitesse est descendue seulement à 11 nœuds ; avec le tiers des feux, elle a été encore de 8 à 9 nœuds. Ceci revient à dire que, marchant à toute vapeur et de beau temps, la Gloire peut franchir avec son charbon une distance de 800 lieues marines (de 20 au degré géographique ; , eu allumant la moitié de ses fourneaux une distance de 1,200 lieues, et de 1,600 lieues avec le tiers de ses feux.

Avec vent debout, grosse mer et coup de vent de mistral très violent, la vitesse de la Gloire n’a été réduite qu’à 10 nœuds, et par le même temps, avec toute sa voilure orientée au plus près du vent, la vitesse s’est relevée à 11 nœuds 50. Quoi qu’on en ait dit, la Gloire s’est toujours bien comportée à la mer par tous les temps ; ses mouvemens de tangage et de roulis sont même d’une douceur remarquable, et malgré les fatigues qu’elle a déjà subies, elle n’accuse aucun mouvement d’arc dans sa coque, ni de fatigue dans sa menuiserie. Du reste ses qualités en tant que bâtiment de mer ont été sérieusement prouvées des l’année dernière déjà, lorsqu’en revenant d’Alger en compagnie de l’Eylau, vaisseau à hélice de 900 chevaux, ou l’a vue rentrer à Toulon filant 10 nœuds par un coup de vent de nord qui forçait le vaisseau impuissant à laisser porter pour aller gagner piteusement le mouillage des lies d’Hyères.

La frégate anglaise diffère de la nôtre à beaucoup d’égards. S’il est vrai de dire que, le jour où l’administration se décida à ordonner la construction du Warrior, l’amirauté obéit à l’impulsion du dehors, et se trouva presque prise au dépourvu quant à l’étude des principes sur lesquels elle allait commencer son œuvre, il est vrai aussi que depuis deux ans la question des navires cuirassés avait été soigneusement discutée dans la presse ou dans les réunions des sociétés d’ingénieurs, qu’elle avait occupé les méditations d’une foule d’officiers et de constructeurs. L’amirauté, qui mettait encore en chantier des vaisseaux de ligne, était presque seule novice dans la matière, si novice même qu’elle dut s’adresser à l’industrie privée pour la construction du Warrior comme des autres navires de cette famille, et qu’elle se trouva, sans avoir elle-même de parti-pris, en butte à un grand nombre d’inventeurs et de faiseurs de projets qui lui arrivaient chacun avec un système particulier. Ainsi qu’on devait s’y attendre en pareille circonstance, le résultat de ce concours fut d’essayer de produire une frégate qui réunît autant qu’il serait possible les avantages spéciaux de chaque projet, mais qui à nos yeux, pour nous autres Français, avec nos habitudes d’esprit méthodiques et rigoureuses, devra représenter une œuvre passablement décousue. Cette situation s’est continuée même pendant la construction, où les plans primitifs ont éprouvé une série de modifications telle qu’il est devenu assez délicat de fournir des chiffres exacts sur la plupart des détails du Warrior. Ce qui était vrai il y a un an ne l’est pas toujours aujourd’hui, et il est d’autant plus difficile de se retrouver au milieu de ces causes d’erreur que les travaux de construction ont été entourés d’un certain mystère. On a fait ce qu’on a pu pour les soustraire aux regards des profanes et des étrangers.

Voici cependant quelques données principales dans l’exactitude desquelles nous avons confiance :


Longueur totale 420 pieds anglais.
Longueur a la flottaison. 380 — —
Largeur 58 — —
Hauteur totale 41 — — 6 pouces.
Hauteur de batterie 9 — —
Tirant d’eau moyen en charge 26 — —
Déplacement de la coque 6,170 tonneaux.
Poids de la cuirasse. 914 —
Épaisseur des plaques 4 pouces 1/2
Déplacement en charge aux essais 8,800 tonneaux.
Approvisionnement de charbon aux essais 760 —
Vivres aux essais 4 mois.
Eau aux essais (N’a pas été indiqué.)
Force de la machine (nominale). 1,250 chevaux.
Force effective donnée aux essais de 5,560 —
Poids de la machine 890 tonneaux.

Diamètre de l’hélice, en bronze 24 pieds 6 pouces.
Pas de l’hélice 30 —
Poids de l’hélice 20 tonneaux.
Nombre de chaudières 10 —
— de fourneaux 40 —
Longueur des chaudières 14 pieds.
Largeur 10 — 3 pouces.
Hauteur. 12 — 4 —
Nombre des tubes dans chaque chaudière 440
Poids de l’eau dans-les chaudières 19 tonneaux
Contenance 4,256 gallons.
Consommation d’eau par heure à toute vapeur 16,250 —
Longueur des condensateurs 15 pieds.
Largeur 12 —
Hauteur. 9 —
Diamètre des cylindres. 9 — 4 pouces
Course des pistons 4 —
Nombre normal des révolutions 50[9]

Nous ne pouvons pas faire encore la critique ou la comparaison de ces deux navires ; l’expérience prononcera. Pour le moment, nous devons nous contenter de signaler les principales différences qui les caractérisent.

Les Anglais, venus après nous et ayant commencé la construction du Warrior dix-huit mois après que la Gloire avait été mise en chantier, ont voulu produire quelque chose de plus considérable et de plus puissant, que la frégate française. Cela ressort évidemment des chiffres que : nous venons de citer. En thèse générale, ils ont augmenté de plus du- tiers les proportions sur lesquelles la Gloire avait été construite : force de machines, déplacement, longueur, etc. Il ne reste d’à peu près pareil que l’épaisseur des plaques de la cuicasse, 4 pouces 1/2 contre 12 centimètres, et l’armement, trente-six pièces de canon à âme lisse du calibre de 68 livres contre trente-six pièces rayées du calibre de 30 se chargeant par la culasse et lançant des projectiles de 30 kilogrammes. À cet armement, les Anglais ont ajouté sur le pont six pièces Armstrong, dont deux dites de 100 et correspondant à notre calibre de 30, et quatre dites de 40, correspondant à notre calibre de 12. C’est une addition que nous pourrons faire à l’armement de la Gloire quand bon nous semblera ; mais serait-ce utile ?

Sauf l’épaisseur des plaques et le chiffre de l’armement en pièces de gros calibres, tout le reste est différent dans les deux frégates anglaise et française. Toutefois, la volonté de faire plus, sinon mieux que nous, a conduit les Anglais à des résultats assez singuliers. Tandis que chez nous on proportionnait les dimensions de la Gloire et de nos autres bâtimens cuirassés à la grandeur et à la profondeur des bassins qui auront à les recevoir dans les arsenaux, les Anglais produisaient un cheval plus grand que les écuries où il pouvait être logé. La longueur et le tirant d’eau du Warrior ne permettaient, à l’époque où il a été construit, d’entrer dans aucun des bassins appartenant à la marine militaire. C’est seulement à l’aide de travaux et de dépenses assez considérables qu’on est parvenu, en réunissant deux des bassins de Portsmouth, à se procurer provisoirement un lieu où l’on a pu terminer l’armement du Warrior, encore ne peut-il entrer dans ce bassin ou en sortir que dans les marées de vive-eau, c’est-à-dire une fois tous les quatorze jours. C’est aux mêmes conditions que l’on a obtenu à Chatham la forme sèche où l’amirauté commence à construire elle-même l’Achilles, un navire de plus grandes dimensions encore que le Warrior. Le parti-pris de persévérer dans ces immenses constructions et même de les développer encore ajoutera nécessairement, comme M. Reed le faisait remarquer dans une des séances du British Association, un gros chiffre pour travaux hydrauliques au chiffre déjà si élevé du budget de la marine anglaise.

Les Anglais ont voulu faire un navire plus rapide que la Gloire ; y ont-ils réussi, et à quelles conditions ? Le Warrior a donné aux essais une vitesse supérieure de presque un nœud à celle de la frégate française, et c’est un avantage dont nous ne sommes pas disposé à faire fi, car nous sommes très enclin à penser qu’entre deux navires, celui-là possède une supériorité réelle sur l’autre qui peut jusqu’à un certain point imposer ou refuser le combat, et dans tous les cas achever ses opérations bien plus rapidement ; mais la puissance des machines, qui est la principale des raisons de cette vitesse, entraîne aussi pour conséquence nécessaire une consommation de charbon plus considérable. Par suite encore, tandis que l’approvisionnement de la Gloire (675 tonneaux) peut suffire à une consommation de huit jours de marche à toute vapeur, l’approvisionnement de 950 tonneaux alloué par les devis primitifs au Warrior ne peut suffire qu’à six jours et demi de consommation. Encore faut-il dire qu’aux essais de vitesse du Warrior il ne portait, d’après le témoignage des Anglais eux-mêmes, que 760 tonneaux de charbon. Pourquoi ? Était-ce pour faire produire à la frégate le maximum de vitesse qu’elle peut fournir, et qu’elle n’aurait pas atteint avec son chargement normal ? Était-ce pour lui conserver cette hauteur de batterie que les Anglais considèrent avec maison comme un avantage, mais qu’ils exagèrent peut-être ? Dans tout ce qu’ils ont dit de la Gloire pour la déprécier, il n’est pas de sujet sur lequel ils soient revenus plus fréquemment que le peu de hauteur comparative du seuillet de ses sabords au-dessus de l’eau. Le chiffre s’en est trouvé réduit, avec chargement complet, à 1m88 ; mais d’abord, lorsqu’il fait un temps par lequel il faudrait fermer des sabords aussi élevés au-dessus des flots et par conséquent renoncer à se servir de ses canons, quel est le navire qui pourrait s’en servir utilement ? Ensuite ne suffit-il pas de quelques heures de chauffe pour faire émerger un navire à vapeur de 900 chevaux de force ?

Après la puissance de la machine, l’autre procédé principal auquel ont eu recours les constructeurs anglais pour faire un bâtiment très rapide, ç’a été de le faire très étroit. Tandis que dans la Gloire le rapport de la largeur à la longueur est de plus du quart, il est moins que du sixième sur le Warrior. Le procédé n’est pas nouveau, mais on sait qu’il entraîne aussi pour la stabilité du navire certaines conséquences prévues dans ce vieil adage de nos anciens : grand rouleur, grand marcheur. Les roulis, qui déroutent l’adresse des canonniers, s’annonçant comme devant être très considérables sur le Warrior, deux quilles en fer, de 2 pieds de profondeur chacune, ont été placées latéralement sur la carène de chaque côté du navire et sur toute sa longueur. L’expérience montrera le degré d’efficacité du remède et en fera connaître l’influence sur la facilité d’évolution de la frégate. La Gloire n’a pas de pareils appendices.

Toutefois ce n’est pas là encore ce qu’il y a de plus saillant dans les différences qui caractérisent les deux navires. La plus remarquable, et la chose soit dite sans vouloir la tourner en plaisanterie, c’est que l’un, la Gloire, est complètement cuirassé de bout en bout, tandis que l’autre, le Warrior, ne l’est qu’à demi ou tout au plus aux deux tiers. La frégate française, construite en bois, est revêtue purement et simplement, et de l’avant à l’arrière, d’une cuirasse dont l’épaisseur ne varie que, dans le sens de la hauteur du navire, entre 11 et 12 centimètres, tandis que la coque de la frégate anglaise, construite en fer, membrures et doublage, est recouverte d’une armure en bois de teck qui a, selon les circonstances, 20 ou 24 pouces d’épaisseur, 20 dans les parties où elle est à son tour recouverte par les plaques de la cuirasse, 24 dans celles qui ne sont pas cuirassées. En effet, sur la longueur totale de la frégate, qui est à la flottaison de 380 pieds, il n’y a de chaque bord, et au centre de la frégate, qu’une longueur de 213 pieds qui soit revêtue de plaques de fer. Il y a avant et arrière 167 pieds de longueur à la flottaison, et 207 pieds de tête en tête, qui n’opposent à l’ennemi que des murailles de bois. Des dix-huit pièces que la batterie présente de chaque bord, il n’y en a que treize qui soient protégées par la cuirasse de fer. Il est inutile d’ajouter sans doute qu’une disposition qui laisse une si grande partie du navire en butte aux effets ordinaires de l’artillerie, aux obus et aux boulets incendiaires de toute espèce, a été fort critiquée, même en Angleterre. L’on a supposé en effet, ce qui n’était pas difficile à imaginer, que, dans un combat contre un navire complètement cuirassé, celui-ci, en s’acharnant sur les parties non défendues par les plaques de fer, arriverait assez vite à désemparer un adversaire aussi incomplètement protégé, et par suite le réduirait sans trop de peine. On ne s’est pas montré rassuré par les précautions que les constructeurs ont prises en partageant l’édifice en un grand nombre de compartimens étanchés, pour que, le cas échéant où l’avant et l’arrière du navire seraient emportés, il pût continuer à se battre sous sa cuirasse comme une caisse ou comme une tortue flottante. On n’a montré aucune confiance dans ce système, et les critiques ont été si vives que l’amirauté a promis de ne plus rien faire de pareil à l’avenir.

Ce n’était pas sans motif cependant que l’amirauté était entrée dans cette voie, en apparence si bizarre. Elle avait cherché un compromis entre les avantages qu’au point de vue de la navigation on attribuait aux anciennes constructions et les qualités militaires qui appartiennent aux bâtimens cuirassés. En allégeant l’arrière et l’avant du poids de la cuirasse, elle se proposait de faire un navire plus marin, qui se comporterait mieux à la mer, qui évoluerait plus facilement que ne pourrait le faire un bâtiment à murailles de poids à peu près uniformes dans toutes ses parties ; mais en même temps, par une sorte de contradiction qui se renouvelle presque perpétuellement dans les actes d’un corps aussi singulièrement constitué que l’amirauté anglaise, elle donnait à pleines voiles dans le système, un moment populaire, des vaisseaux dits béliers, c’est-à-dire de vaisseaux qui, se considérant eux-mêmes comme d’immenses projectiles, combattraient l’ennemi non pas avec le canon, mais en l’écrasant de leur masse multipliée par leur vitesse. Obéissant à cette idée, elle donnait à l’avant du Warrior un poitrail, un éperon d’une solidité exceptionnelle, garantie à l’intérieur par huit ponts que relie entre eux- un échafaudage de pièces de fer des plus grandes dimensions. Poids pour poids, on y aurait trouvé de quoi compléter, au moins en partie, ce qui manquait à la cuirasse.

Il y aurait encore d’autres différences de détail à signaler entre les frégates anglaise et française ; mais elles seraient probablement sans intérêt pour le plus grand nombre des lecteurs. Nous citerons seulement la mâture et le puits qui sert à remonter l’hélice dans la frégate anglaise, mais qui n’existe pas sur la Gloire. L’idée d’un puits qui permît de visiter l’hélice, de la changer au besoin ou de la ramener à l’intérieur lorsque, le bâtiment naviguant seulement à la voile, elle oppose à sa marche un obstacle sensible, cette idée fut à l’origine très populaire aussi parmi nos officiers de marine. Quelques-uns des premiers vaisseaux qui chez nous furent armés d’hélice, le Charlemagne, l’Ulm, etc., furent aussi pourvus de puits. L’expérience cependant a fait voir que les occasions où le puits aurait pu rendre des services étaient excessivement rares, que, dans le beaucoup plus grand nombre des accidens qui arrivent d’ordinaire aux bâtimens à hélice, le puits ne peut leur être de presque aucune utilité, et que par contre il offre le défaut permanent et certain de nuire dans une proportion considérable à la solidité des bâtimens. Le puits, c’est en réalité une solution de continuité dans leur colonne vertébrale, et c’est un inconvénient qui est particulièrement dangereux sur des navires que leur système de propulsion affecte de mouvemens de vibration très marqués. Aussi la marine française a-t-elle abandonné le système des puits : les avantages à en espérer ne compensent pas les inconvéniens sérieux et inévitables qu’il faut en craindre. L’amirauté anglaise y persévère cependant.

C’est en suivant chacune son sillon que les deux administrations ont, l’une donné au Warrior la mâture d’un ancien vaisseau de 90 canons, et l’autre réduit la mâture de la Gloire aux proportions d’une simple mâture de fortune. Les Anglais n’ont pas adopté aussi franchement, aussi résolument que nous, l’idée du navire à vapeur. Ils ont peine à abandonner la voile, sous l’empire de laquelle ils ont remporté tant de glorieuses victoires ; et d’ailleurs la loi des retraites, qui agit chez eux avec infiniment moins de sévérité que chez nous, laisse encore à la tête de la marine anglaise une foule d’officiers qui, dans le temps de leur activité réelle, n’ont jamais connu que les navires à voiles. Ils ne peuvent pas se résoudre à les voir disparaître complètement, et ils emploient leur influence, qui est toujours grande, à conserver sur leurs vaisseaux tout ce qu’il est possible de sauver de voiles et de mâts. Il est cependant très douteux que cet attachement à la tradition soit raisonnable. Sans entrer dans le calcul de ce que la marche ou la navigation en temps ordinaire d’un bâtiment à vapeur et à grande vitesse peut perdre ou gagner à avoir ou à n’avoir pas de voiles, il est une série d’accidens qui se sont déjà reproduits assez fréquemment à bord des bâtimens à hélice pour donner tort aux amans trop exclusifs de la tradition, surtout s’il fallait considérer spécialement les choses au point de vue du combat. L’hélice, en imprimant au bâtiment sa vitesse, établit sur ses flancs un courant proportionnel à cette vitesse, et qui appelle sur les branches mêmes de l’organe tout ce qui peut flotter le long du bord. Il en résulte que les objets sollicités par ce courant peuvent venir s’engager dans la cage de l’hélice et arrêter les mouvemens de cet organe vital. Les exemples d’accidens de ce genre sont assez nombreux, et même il a quelquefois suffi d’objets de très faibles dimensions pour les produire. Dans le démâtage de la frégate l’Isly, de 600 chevaux, on a vu l’un des bouts de corde que l’on avait dû couper et jeter en toute hâte par-dessus le bord venir s’enrouler autour de l’hélice et la condamner à l’inaction. Le beau temps revenu, on fit de vains efforts pour la débarrasser de cette entrave, si misérable en apparence. Même avec le secours de la cloche à plongeur, on n’y put réussir ; il fallut renvoyer la frégate dans les bassins de Toulon. Aussi la Gloire, si elle se présentait au feu, ne le ferait-elle qu’après avoir amené sur le pont sa mâture et son gréement. C’est un parti qui semble être pris chez nous d’une façon définitive. Les Anglais n’ont pas encore adopté cette solution rigoureuse, mais, par un nouveau compromis entre l’esprit ancien et moderne, l’amirauté vient de décider que les bas mâts de ses nouvelles frégates seraient en fer forgé, au lieu d’être en bois. C’est un moyen de tourner la difficulté jusqu’à un certain point.

Ajoutons que l’expérience permet aujourd’hui de commencer à se faire une opinion sur le mérite relatif des deux bâtimens. La Gloire, armée depuis bientôt deux ans, n’a pas cessé de naviguer. Elle a fait trois voyages, aller et retour, à Alger, elle en a fait un à la voile en Corse ; elle a fait de très nombreuses sorties du port de Toulon, et surtout par les mauvais temps, que l’on a recherchés. comme occasions d’études et moyens d’éprouver les qualités nautiques de cette frégate. Nous ne dirons que la vérité simple en affirmant qu’il n’est pas une de ces épreuves dont elle ne se soit tirée à son honneur. À la mer, elle n’a rien perdu de la vitesse qu’elle avait donnée aux essais, et quoiqu’elle ait affronté les coups de vent les plus redoutables, comme celui par exemple où la mer furieuse démolit les parois de poulaine du vaisseau de 900 chevaux l’Algésiras, qui naviguait de conserve avec la Gloire, elle n’a pas fait une avarie qui l’ait forcée, même pour un seul jour, d’entrer au bassin ou au port. Elle est restée en tout temps, à toute heure, prête à tous les services dont on aurait voulu la charger. Le Warrior n’a pas subi autant d’épreuves. Après une course au large de quelques jours, il a fait cet hiver le voyage de Lisbonne et de Cadix, d’où il est revenu pour entrer au mois de mars dans le bassin de Keyham, où il se trouve encore en réparation. Nous ne connaissons pas assez exactement l’histoire de ce voyage pour, pouvoir en parler avec certitude ; nous savons cependant que l’effet produit dans l’opinion des marins anglais n’a pas été très favorable. Le Warrior est accusé d’avoir perdu au large une bonne proportion de la vitesse qu’il avait accusée aux essais dans les eaux tranquilles de la rade de Portsmouth. On lui reproche d’avoir des roulis d’une amplitude extraordinaire, et qui réduisent à bien peu de chose la hauteur de batterie qu’il avait présentée dans le bassin ; on lui reproche surtout de n’obéir que très mal à son gouvernail, et c’est pour remédier à tous ces défauts qu’il est aujourd’hui à Keyham.

Quoi qu’il en soit de ces considérations, il est certain que ces deux bâtimens, la Gloire et le Warrior, sont les deux plus formidables instrumens de guerre qui aient jamais flotté sur les océans. Doués d’une invulnérabilité relative, ils pourraient affronter avec toutes les chances de succès pour eux tout ce que les hommes ont su construire jusqu’ici de plus puissant. Leurs trente-six pièces auraient facilement raison des cent trente canons de la Bretagne ou du Marlborough. Une escadre composée de bâtimens de leur famille détruirait toutes les flottes en bois de l’Angleterre et de la France malgré la valeur et le nombre de leurs équipages, malgré la supériorité numérique des navires et des canons. Aussi les bâtimens cuirassés font-ils loi pour un certain avenir, et quelque chose qu’on leur reproche, quelques progrès nouveaux qu’on leur demande, quelques perfectionnemens que puisse recevoir encore la science de l’artillerie, c’est par le nombre des navires de ce genre qu’il faut désormais compter les ressources que possèdent non pas pour la guerre de chicane et de détail, mais pour les batailles navales, qui aujourd’hui comme toujours décideront du sort des guerres, les marines militaires des diverses puissances, comme autrefois on comptait par le nombre des vaisseaux de ligne.

C’est à ce titre que nous croyons intéressant pour le lecteur de connaître ce qui se fait en matière de navires cuirassés tant en France qu’en Angleterre :

La France possède armés, à flot ou en chantier, seize bâtimens cuirassés : la Gloire armée, la Normandie et l’Invincible, la Couronne, qui ont fait leurs essais, le Magenta, le Solferino, qui feront prochainement les leurs[10]. En chantier et commencés seulement pendant l’hiver de cette année, nous avons la Flandre, la Gauloise, le Magnanime, la Valeureuse, l’Héroïne, la Surveillante, la Guyenne, la Provence, la Savoie, la Revanche, dont aucune ne pourra être lancée avant le courant de 1863. Il convient d’ajouter que dans l’état actuel de nos arsenaux et de notre industrie la construction et l’armement d’un bâtiment de ce genre, en supposant le travail ordinaire et régulier, demande environ deux ans.

Les bâtimens cuirassés que possède la marine anglaise sont : le Warrior armé, le Black-Prince, semblable au Warrior, et dont l’armement est très avancé, la Résistance, la Defence, l’Hector, le Valiant, dits corvettes de 600 chevaux de force et de 22 canons ; l’Achilles, frégate que l’amirauté construit pour son compte à Chatham ; le Royal-Oak, le Royal-Alfred, le Caledonia, l’Océan, le Triumph, construits pour être des vaisseaux de ligne, que l’on rallonge de dix-huit pieds, et que l’on rase pour en faire des frégates, dont le déplacement sera de presque 7,000 tonneaux, dont les machines seront de 1,000 chevaux de force. C’est au mois de juin 1861 que cette conversion a été résolue. En outre le gouvernement a demandé à la chambre des communes et a obtenu le vote d’un crédit provisoire de 2,500,000 livres sterling destiné à la construction de cinq frégates cuirassées. Trois de ces navires, le Minotaur, l’Agincourt et le Northumberland, arrêtés, ont été adjugés à l’industrie privée et seront lancés en 1864. Ils seront des plus grandes dimensions, complètement cuirassés, d’un déplacement de 7,000 tonneaux, armés de 60 canons, pourvus de machines de 1,250 chevaux, et aménagés pour porter un approvisionnement de 12 à 1,500 tonneaux de charbon. La coque sera en fer comme celle du Warrior, mais la muraille de bois sera réduite de 20 pouces d’échantillon à 11, la différence étant rachetée par l’accroissement d’épaisseur des plaques, qui serait portée de 4 pouces 1/2 à 5 1/2. Le poids de la cuirasse serait dans ce nouveau système d’environ 2,000 tonnes. Toutefois l’amirauté s’est réservé dans un délai donné la faculté de pouvoir faire supprimer la muraille de bois pour la remplacer, ainsi que les plaques de 5 pouces 1/2 d’épaisseur, par d’autres plaques de 6 pouces 1/2. La résolution à prendre à cet égard dépend du résultat des expériences qui se poursuivent à Shoeburyness pour étudier la force de résistance du fer au canon. Les deux autres frégates que le parlement a permis de construire encore seront prochainement adjugées, et compléteront pour l’Angleterre un nombre de seize bâtimens cuirassés armés, à flot ou en construction. Ajoutons que le Warrior a été construit et armé en vingt mois, mais que sa construction a été retardée par les modifications qui ont été apportées au plan primitif pendant le travail. À raison de ce fait, l’amirauté a dû renoncer à appliquer aux constructeurs les pénalités qui avaient été prévues dans le marché pour le cas où l’époque de la livraison excéderait certains délais, qui ont en effet été dépassés. Personne ne paraît douter en Angleterre que dix-huit mois doivent suffire à la construction et à l’armement de la plus grande frégate cuirassée.

Enfin, pour être complet sur ce point, il faut dire encore que la Russie fait construire une frégate cuirassée en Angleterre et en construit une chez elle, que l’active et puissante compagnie française des Forges et Chantiers de la Méditerranée a déjà livré à la marine italienne deux bâtimens de ce genre construits dans ses ateliers de la Seyne, et qu’elle en fait encore un autre pour l’Espagne, qui, de son côté, a mis aussi en chantier une frégate cuirassée ; l’Autriche enfin construit dans ses arsenaux de Pola deux navires du même genre.

Pour compléter ce que nous avons à dire sur ce sujet, on trouvera peut-être qu’il conviendrait de parler du Merrimac, du Monitor et des bâtimens plus ou moins réellement cuirassés que les Américains viennent de construire, d’improviser presque. Nous ne pensons pas que cela soit nécessaire, ni même utile. Ce n’est pas que nous traitions avec dédain ce qui se fait de l’autre côté de l’Atlantique, bien au contraire. Il faudrait être insensé pour ne pas considérer avec un grand intérêt et presque comme un enseignement pour l’Europe l’immensité des ressources militaire et maritimes que les États-Unis viennent de produire tout d’un coup, avec une rapidité que très peu d’autres peuples certainement seraient capables d’égaler. Néanmoins, quelles que soient l’activité, l’industrie, la puissance dont les Américains aient fait preuve, il ne s’ensuit pas qu’en un an ils aient pu concevoir et exécuter des choses supérieures ou même équivalentes à celles qui sont en Europe le résultat des études et des travaux de plusieurs générations d’hommes spéciaux, parmi lesquels les talens n’ont jamais manqué. On le croit peut-être à Washington ou à New-York, mais ce n’est pas une raison pour que nous en soyons convaincus à notre tour. Nous comprenons l’intérêt que la rencontre du Merrimac et du Monitor, le forcement des passes du Mississipi, la destruction des navires cuirassés du sud par les canonnières en bois du commodore Ferragut, l’échec subi devant le fort Darling par les navires cuirassés du nord, ont excité dans le public ordinaire ; il n’y a pas cependant, au point de vue technique, de leçon à tirer pour nous de ces événemens, pas même des faits et gestes du Monitor, quoique le constructeur, M. Erricson, ait dit dans une lettre peu gracieuse qu’il l’avait ainsi nommé comme un avertissement à l’adresse de l’Europe. C’est quelque chose qu’il ne faut accepter qu’avec une très grande réserve, comme la véracité des bulletins militaires, qui était passablement contestée jusqu’ici, et que les bulletins datés des bords du Potomac ou du Wabash n’ont pas relevée à nos yeux. Ce qui fait honneur aux Américains dans cette circonstance, c’est la prodigieuse fécondité de ressources qu’ils ont déployée, c’est l’industrie avec laquelle, par exemple, les gens du sud, réduits aux moyens d’un arsenal ruiné, comme celui de Norfolk, étaient parvenus à composer tant bien que mal une armure au Merrimac. Ce qui fait qu’on ne doit pas parler légèrement du matériel qui est en quelque façon sorti de terre aux États-Unis, c’est qu’en définitive ce matériel, conçu pour une guerre à poursuivre sur un territoire particulier, et exécuté avec une rapidité merveilleuse, a suffi pour de grandes opérations et pour de grands résultats. Voilà qui est juste et vrai ; mais, auprès de nos Gloires et de nos Warriors, les Merrimacs et les Monitors ne pourraient que perdre énormément à la comparaison. D’abord ce sont des navires qui ne peuvent pour ainsi dire pas tenir la mer ; en second lieu, ils sont armés d’une artillerie qui paraît presque plus capable de faire du mal à ceux qui l’emploient qu’à ceux contre qui elle est employée, comme on l’a vu à la dernière sortie du Merrimac, comme on vient de le voir encore devant le fort Darling à bord du Nangatuck. En troisième lieu, si l’artillerie de ces navires est fort inférieure à celle qui arme nos bâtimens européens, leur système défensif ne pourrait probablement pas non plus souffrir la comparaison avec nos plaques et nos cuirasses. Nous avons rappelé le sort des bâtimens cuirassés du sud qui auraient été détruits par des navires en bois ; nous pouvons également invoquer l’exemple de ce qui vient d’arriver sur le James-River devant le fort Darling. Le rapport du lieutenant Jeffers, commandant le fameux Monitor, nous dit que son navire et la Galena, combattant les batteries de la terre à une distance qu’il estime à environ mille yards et l’un à côté de l’autre, ont été tous les deux atteints par les projectiles de l’ennemi, des boulets sphériques de huit pouces. Le Monitor, dit-il, a reçu trois boulets, un sur la guérite qui porte ses deux pièces de canon, les deux autres sur la cuirasse de ses flancs. Aucun de ces coups n’a traversé, mais les plaques en ont été bended, faussées, gauchies. Il suffit d’accuser de pareils résultats pour que plaques et artillerie soient jugées. Or plaques et artillerie ne sont pas seulement des détails, c’est aussi l’expression la plus certaine dès qualités militaires du bâtiment cuirassé, et c’est un sujet qui mérite une étude parti culière.


XAVIER RAYMOND.

  1. Je dois dire cependant que des officiers anglais, dont un certain nombre vint rejoindre le paquebot pour aller avec nous à Constantinople, m’assurèrent que la fièvre et le besoin de changer d’air pour les fiévreux n’étaient qu’un prétexte officiel pour l’éloignement de ces deux vaisseaux. Selon ces officiers, c’était réellement une mesure de discipline que l’amiral Dundas avait prise à l’égard de ces navires, une sorte de pénitence qu’il leur infligeait en les mettant ainsi en quarantaine. Je passai la matinée du même jour à bord du vaisseau-amiral français, et j’y entendis aussi parler de cas de fièvres ; mais on les disait très peu nombreux.
  2. Après cet échec, les officiers anglais disaient moitié en plaisantant, moitié en maugréant, qu’ils espéraient bien que le Sans-Pareil justifierait son nom et qu’on ne lui donnerait pas de frère. Aujourd’hui le Sans-Pareil existe encore, mais il a été en quelque sorte dégradé de son rang de bâtiment de guerre ; il est employé dans le service des transports, et il était tout récemment encore employé à ce service au Mexique. De notre côté le Valmy, de 120 canons, resta seul en arrière.
  3. Si l’on était curieux de plus amples renseignemens sur M. Dallery et sur ses travaux, car il a encore inventé beaucoup d’autres choses, on les trouverait dans un petit écrit publié chez Firmin Didot, sous ce titre : Origine de l’hélice propulso-directeur et de la chaudière tabulaire. in-8o, Paris, 1855.
  4. L’histoire rapporte, mais je ne saurais garantir qu’elle dit vrai, que non-seulement M. Delisle ne put jamais obtenir de réponse sérieuse à son envoi, mais que de plus le mémoire et les plans s’étaient égarés dans le chemin que M. Delisle avait suivi pour les faire parvenir à qui de droit. — Voir, pour plus amples détails sur cette affaire, le remarquable article publié en 1843 par l’amiral Labrousse dans la Revue d’Architecture sous ce titre : Des Propulseurs sous-marins.
  5. The Navies of. the World, their present State, and future Capabilities (les Marines du monde, leur état présent et les chances de leur avenir), par Hens Busk, maître ès-arts de l’université de Cambridge ; 1 vol. in-18, Londres, chez Routledge,- 1859. — Ce livre est rempli de faits très instructifs, très exacts, si nous devons en juger par ce qui est relatif à la marine française, et qui ont sans doute été fournis à l’auteur par voie semi-officielle. Par une coïncidence qui ne fut peut-être pas fortuite, il parut en même temps que sir J. Parkington présentait à la chambre des communes son fameux budget pour la première reconstruction de la marine anglaise. Il est fâcheux que ce livre n’ait pas été traduit dans son temps. Aujourd’hui, la question portant sur les frégates cuirassées, il présenterait moins d’intérêt.
  6. On lit à ce sujet dans le livre que l’amiral comte Bouët-Willaumez a publié en 1855 sous le titre : Batailles de terre et de mer :
    « Désireux de connaître officiellement l’histoire de la création de ce vaisseau qui a ouvert le premier une ère nouvelle aux marines militaires de l’Europe, ce ne fut pas sans peine que j’y parvins ; son berceau avait été entouré de troubles révolutionnaires de nature à en faire perdre la trace. Qui avait, donné l’ordre de le mettre en chantier ? M. Guizot, me répondait-on. La chose me paraissait assez singulière, et pour l’éclaircir j’écrivis au célèbre homme d’état en mai 1853. Voici sa réponse :
    « Pendant que j’étais chargé du ministère de la marine par intérim, entre la retraite de l’amiral de Mackau et l’arrivée de Naples du duc de Montebello, nommé pour lui succéder, Mgr le prince de Joinville m’écrivit (mai 1847) pour me recommander chaudement le projet de construction d’un grand vaisseau de ligne à vapeur d’après les plans de l’ingénieur M. Dupuy de Lôme, et je pris en effet une décision pour ordonner cette construction, qui fut aussitôt commencée et qui est devenue le beau vaisseau le Napoléon. Si j’avais mes papiers sous la main, je vous donnerais les dates en termes précis ; mais je ne puis en ce moment vous dire que le fait lui-même, auquel je me félicite d’avoir pris quelque part.
    « Croyez, je vous prie, à mes anciens et bien sincères sentimens pour vous.
    « GUIZOT.
    « Paris, 18 mai 1853. A. M. le comte Bouët-Willaumez. »
  7. Deux volumes in-4o publiés en 1851 par l’Imprimerie Nationale. Le document n’est pas complet. La publication en a été, pour des raisons qui n’ont jamais été dites, suspendue après le coup d’état du 2 décembre. Quoi qu’il en soit, c’est, en ce qui concerne notre marine, le recueil le plus instructif et le plus sincère qui ait jamais paru, même aujourd’hui, même après tout ce qui s’est fait depuis lors, il a encore plus qu’une valeur rétrospective. S’il m’était permis, j’y signalerais particulièrement au lecteur les dires de l’amiral Charner, qui était l’un des commissaires. On y saisira l’esprit qui animait alors la marine et le principe de tous les progrès qui se sont accomplis depuis cette époque ; l’on y sentira la valeur de l’homme dont la carrière pourrait être citée comme un exemple digne d’être médité par les jeunes officiers. Combien n’en entend-on pas qui se plaignent, qui se prétendent oubliés, qui déclament contre les lenteurs et contre les chances de l’avancement ! De toutes les professions cependant il n’en est pas une telle que le noble métier du marin dans ses rudes épreuves de tous les jours pour offrir au véritable mérite des occasions plus certaines de se faire distinguer, de s’imposer presque, fut-on le plus modeste des hommes et le plus inhabile à se faire valoir soi-même. Lorsqu’il fut enfin promut au grade d’officier supérieur, l’amiral Charner pouvait, lui aussi, se croire négligé, car il comptait déjà presque vingt-cinq ans de bons services ; entré au service en 1812, capitaine de corvette en 1837. Aujourd’hui cependant il est sénateur, il est parmi les plus anciens dans le cadre des vice-amiraux ; le commandement en chef qu’il vient d’exercer en Chine et en Cochinchine et les services qu’il a rendus dans ces pénibles campagnes le mettent au premier rang de ceux qui peuvent aspirer à la dignité d’amiral, au bâton de maréchal de France. Que les jeunes officiers, apprennent donc à ne désespérer jamais, se crussent-ils encore plus modestes et plus désintéressés que l’amiral Charner. Leur profession n’est pas seulement une des plus honorables, elle est aussi l’une des moins ingrates qui soient ouvertes à l’ambition des gens de cœur.
  8. Mais au lieu de compter seulement les vaisseaux à flot, si l’on considérait aussi les réserves, des deux marines, les Anglais reprenaient bien vite l’avantage. En effet, tandis que nous avions seulement à cette époque sept vaisseaux en chantier ou en voie de conversion, les Anglais en avaient seize dans la même position. Sur ce nombre, il en est dix dont la force de machines est indiquée par M. Hans Busk, et l’on y voit figurer un seul navire de 400 chevaux, un seul encore de 600, mais six de 800 et deux de 1,000. C’était cette fois un bel hommage rendu à l’idée française du vaisseau a grande puissance, et à grande vitesse. À ce chiffre des réserves, il conviendrait aussi d’ajouter, du côté de l’Angleterre, quarante-trois anciens vaisseaux de ligne à voiles, dont une quinzaine au moins pouvaient encore être convertis en vaisseaux à hélice, et du côté de la France seulement onze anciens vaisseaux à voiles ; , parmi lesquels il n’en était peut-être pas deux qui pussent être appropriés au nouveau système.
  9. Les machines sont sorties des ateliers de la célèbre maison Penn et fils. Aux essais qui se sont faits à Stokes-Bay pour calculer la marche du Warrior, elles lui ont imprimé dans le cours de six épreuves une vitesse moyenne de 14 nœuds 354, soit de plus de 26 kilomètres à l’heure en eau calme et de beau temps.
  10. L’Invincible et la Normandie sont des reproductions exactes de la Gloire ; cependant ces deux frégates ont donné dans leurs essais des vitesses supérieures à celle de leur aînée. On attribue ce fait aux perfectionnemens introduits dans la construction de leurs machines. Dans une traversée qu’elle a faite de Brest à Cherbourg, la Normandie a donné plusieurs lochs supérieurs à quatorze nœuds. Le Magenta et le Solferino devraient être qualifiés de vaisseaux plutôt que de frégates, car ils ont deux batteries couvertes portant une artillerie de cinquante canons. Ils sont complètement cuirassés à la flottaison et par le travers du faux pont, mais au-dessus de la flottaison avant et arrière ils ne le sont pas. Toutes leurs pièces cependant sont à l’abri. — La Couronne est sensiblement du même type que la Gloire, mais sa membrure et son doublage sont en fer, comme ceux du Warrior. Il y a trop peu de temps qu’elle navigue pour que nous puissions savoir si cette différence en aura produit une dans les résultats.