Les Marchands de Voluptés/18

Édition Prima (p. 109-114).

XVIII

Révélations


Cependant, le personnage avait reçu sans sourciller la question embarrassante et il se demandait quelle réponse y faire.

Il se décida pour la sincérité. C’était un conseil souvent entendu par lui, dans les mastroquets où les grandes fripouilles se réunissent et délibèrent touchant leur activité : « Réponds selon la tendance de ton interlocuteur. »

L’interlocutrice, en cette minute, mettait bas toutes les pudeurs verbales et toutes les prudences de conversation. Il l’imiterait.

Il dit donc :

— Précisément, madame, je suis marchand de femmes. À votre service, si vous voulez !

Elle le stupéfia en répondant froidement :

— Je ne dis pas non…

Il reprit :

— Nous pourrions aller converser ailleurs.

— C’est mon avis.

— Tenez, voulez-vous ce petit café ?

— Non ! affirma froidement Amande, qui voulait en avoir le cœur net, et venait de décider qu’elle contrôlerait en quoi ces hommes qui font commerce des femmes sont supérieurs aux autres. Et elle reprit en regardant l’autre bien en face :

— Allons à l’hôtel, je vous prie !

Il est inhabituel de voir une femme inconnue vous faire une proposition pareille et si peu enveloppée. L’homme fut un peu stupéfié par une telle atteinte aux usages. Mais il suivit le train :

— Allons !

Ils furent, cinq minutes après, dans une chambre luxueuse, et s’assirent.

Chacun attendait de se conduire comme l’autre le rendrait nécessaire.

Amande, la première, d’un petit air détaché, dit avec douceur :

— Je vais me déshabiller.

— Oui ! commanda le « marchand de femmes » avec curiosité.

Elle le fit sans hâte et sans façons, sans pudeur aussi, malgré un peu de gêne intime qu’elle dominait.

Quand elle fut nue, elle se mit sur un fauteuil avec naturel.

— Serais-je bonne à vendre ? demanda-t-elle doucement.

— Assurément.

— Suis-je aussi bonne à prendre ?

— N’en doutez pas.

— Eh bien ! prenez-moi donc !

Il hésitait :

— Vous me stupéfiez un rien. Vous me demandez cela avec une tranquilité…

— Qui élimine toute idée de passion et de désir, n’est-ce pas ce que vous entendez ?

— Exactement.

— Eh bien, inspirez-moi donc cette passion. Je vous apporte ce que je possède, à vous de mettre le reste.

Il était tout à fait assis et se tut.

— Faut-il, questionna Amande avec hauteur, que je me rhabille.

— Non ! dit l’homme en se dévêtant à son tour. Mais je dois vous avouer n’avoir jamais trouvé personne qui vous ressemble.

— Je l’espère bien, nota Amande en riant.

— Ni personne qui unisse une si complète absence de chichis à une si totale maîtrise de soi.

— Mais, riposta Amande, qui commençait à se fâcher, cette maîtrise, je ne demande qu’à la perdre. Cela ne dépend pourtant pas de moi seule. Je me présente dans ce costume… absent, pour vous inciter à faire le nécessaire.

— Je ne sais si je parviendrai…

— Essayez ! Je suis plus naïve que vous ne pensez.

— Voyons cela…

Il l’avait étreinte et la caressait avec une évidente habileté, à laquelle Amande fut tout de suite sensible.

Il la vit fermer les yeux et frissonner.

Et il pensa qu’en effet cette petite femme charmante devait être bien plus ingénue que sa conversation ne le manifestait. Cependant leur intimité devenait plus profonde. Amande, qui ne désirait que de connaître les délices de la volupté, tendait toutes les forces de son être pour les percevoir, pour les deviner, pour les attirer.

Et ce bon vouloir violent, cette passion crispée, non pour l’amour, mais pour les fièvres qu’il pourrait contenir, firent sur cet homme habitué à des transports moins sincères, l’effet d’un aphrodisiaque.

Il pensa :

« Elle est exquise cette inconnue, et il faut que je la récompense de son naturel. »

Il usa des méthodes que son expérience et l’expérience millénaire des manieurs de femmes ont prouvées aptes à secouer les systèmes nerveux.

Amande se pâma comme si la foudre l’avait frappée. Amusé et curieux, l’amant mettait en acte toutes les roueries de la science d’Eros. Cela agissait sur la jeune femme avec une force inattendue, comme si c’était là autant de choses nouvelles dont elle n’eût jamais entendu parler.

Bientôt, Amande se sentit pareille à un chiffon de chair que le plaisir secouait comme l’onde secoue un fétu. Elle entrait sans cesse dans des paradis nouveaux qui dépassaient en splendeur et en délicatesse tout ce qu’elle avait rêvé.

Elle dit :

— Ah, mon ami, vous êtes prodigieux.

Il fut encore un peu ahuri de cette parole, qui coïncidait si mal avec les mots habituels des femmes heureuses.

Et il répliqua :

— Comment vous nommez-vous ?

— Je suis Amande.

— Et bien, Amande, vous êtes la plus étonnante femme que j’aie connue de ma vie…

Et il ajouta à mi-voix :

— J’en ai pourtant connu beaucoup.

Elle eut un sourire, sans ouvrir ses yeux, car il lui semblait connaître mieux les délices de sa chair en restant les regards clos :

— C’est vrai cela ?

— Oui, vous vibrez comme un violon.

La comparaison plut à Amande.

— C’est un reproche ?

— Pas du tout. Je vous aime infiniment : belle, spirituelle, ardente et sincère, mais vous êtes plus extraordinaire que tout.

— Tant mieux. Et vous êtes un amant parfait.

Ils s’embrassèrent, heureux tous deux.