Les Marchands de Voluptés/10

Édition Prima (p. 61-66).

X

La cérémonie


Oh ! ce jour de mariage, quel trésor de souvenirs amusants, cocasses et inattendus il laissa dans l’âme de la moqueuse Amande !

Il y eut d’abord le lever, on s’en rend compte, car il n’est pas coutumier de marier les filles au lit. Un lever plein de bruit et de fébriles allées ou venues. Les servantes couraient comme des folles dans l’appartement paternel, en montrant leurs jarrets vêtus de soie viscose rose tendre.

Puis on invita Amande à commencer sa toilette de jeune mariée. Selon les tempéraments une telle toilette peut être le comble de l’embêtement ou de la drôlerie. La jeune fille était justement, ce matin-là, d’une humeur charmante et tout l’amusait. Elle se laissa donc vêtir avec des rires perpétuels.

Et quelle vêture, Seigneur !… Ce n’étaient que satins immaculés et mousselines virginales. L’impression faite par cette tenue supercandide fut si grande, sur la femme de chambre qui aidait Amande, que la pauvre fille se mit à pleurer comme une Madeleine en songeant qu’elle n’en aurait sans doute pas autant à ses épousailles, malgré un désir violent comme le lumbago. Pour cette jeune personne, qui d’ailleurs aimait ensemble tous les garçons livreurs, les facteurs et les commis bouchers, le rêve était en effet de se marier un jour avec une combinaison de satin immaculé, une robe de tulle candide et un bouquet de fleurs d’oranger authentiques, venu de Nice par avion…

Ainsi vont les choses que dans chaque classe de la société les joies ont une valeur différente et souvent opposée. Car, en vérité, Amande se fichait des cérémonies du mariage autant que des contes de Perrault. Elle se serait bien mariée en costume de ville, en chemise, ou nue, elle aurait volontiers remplacé la symbolique fleur d’oranger par des lilas, des orchidées ou des gueules-de-loup, sans y attacher plus d’importance. Et ce qui la divertissait c’était exclusivement le côté théâtral et primitif de ce cérémonial antique et un peu risible dont elle se gaussait sans façons.

Elle dansa même un petit charleston, toute seule, en sa combinaison si étroite qu’elle lui plaquait sur la chair de façon un rien ostentatoire et faillit la faire craquer.

La femme de chambre lui disait :

— Mademoiselle, cela vous portera malheur si vous riez en ce moment sacré…

— Pourquoi, sotte ? demandait Amande. Qu’est-ce qu’il y a de sacré là-dedans ?

— Mais, mademoiselle, songez que vous allez vous marier tout à l’heure…

— Est-ce que tu fais tant des chichis, toi, lorsque tu vas avec un de tes amants ?…

— Mais ce n’est pas cela qu’on nomme se marier.

— C’est l’essentiel du mariage, ma pauvre Marie. Le reste c’est la décoration extérieure.

Et elle continuait à danser.

— Mademoiselle, vous allez faire découdre votre combinaison.

Amande éclatait d’un rire amusé

— Sois tranquille, elle tient bien !

Et elle s’arrêtait devant la mine allongée de la servante.

— Mais on dirait que tu prends ça au sérieux, Marie ?

— Certainement, mademoiselle ; moi si je portais ces pareilles choses je me tiendrais bien sage.

— Tu te refuserais même au facteur des imprimés ?

— Oh ! ça, je ne dis pas… Vous savez, quand on a comme moi le sang chaud…

— Ah bon ! et Amande pouffait follement.

— Oui, mais je quitterais ma robe blanche, parce qu’il ne faut pas rire avec cela.

La jeune fille trouvait un sel exquis à ces sentiments puérils, qui attribuent une espèce de valeur magique aux décors des réalités.

Enfin les préparatifs furent faits et on se dirigea vers la mairie.

Là, un adjoint, en jaquette et ceinturé de tricolore, accomplit tous les rites, posa toutes les questions avec rigueur en consultant un petit livre — le guide du parfait officier municipal sans doute — et fit un discours plein d’humour et de bon vouloir.

Puis, les signatures données, tout fut consommé. On était époux… Il fallait maintenant aller à l’église, car la famille de Baverne d’Arnet tenait à une bénédiction faite selon les règles latines.

Rien de mieux, un prêtre vêtu d’une aube de dentelle du Puy fit, à son tour, les menues cérémonies ecclésiastiques. Mais il ne consentit point à un discours parce qu’il était pressé par une pénitente qui, tous les mois, lui apportait de menus petits cadeaux à cette heure même.

Et tout le monde sortit sous le feu de trois photographes, brandissant leurs appareils avec une fureur très provisoire mais agressive.

Le mariage d’Amande était conclu.

Le reste du jour se passa dans la liesse artificielle de ces divertissements galants et pudiques. Il y eut un repas discret et plein de réflexions mondaines ; puis, vers la sixième heure de l’après-midi, Amande et son mari sautèrent, parmi quelques vœux bien choisis, dans une auto qui les mena à la gare de Lyon.

Avant ce départ, une vague tante, qui inaugurait pour la circonstance une parenté toute neuve, prit Amande à l’écart et lui confia la nécessité de faire bientôt le sacrifice de toutes ses pudeurs.

— Ma chère enfant, dit la duègne avec un air faussement attendri, comme ta mère n’est plus, je prends sur moi de te faire des recommandations indispensables.

— J’écoute, fit Amande en se retenant pour ne pas rire.

— Te voilà mariée…

— On le dit, reconnut la jeune femme.

— Et tu as de nouveaux devoirs.

— Oh ! ce ne sont pas des devoirs urgents.

— Si, ma chère enfant. Tu vas aujourd’hui même avoir une grande surprise.

— Merci de m’en avertir.

— Et souffriras peut-être.

— Ah ! bah. Je prendrai un cachet d’aspirine.

— Tu verras… Mais ce que je dois te recommander, c’est de ne pas refuser ce que ton mari te demandera.

— Bon. Mais il faut qu’il le demande avec politesse…

Et Amande, ne pouvant plus se retenir, éclata d’un rire fou. La tante garda son sérieux.

— Ris, mon enfant, mais sache que si tu es docile aux désirs de ton mari, cela te sera bientôt agréable et c’est essentiel.

— Quoi donc « cela » ?

— Cela, c’est…