Les Méthodes de dressage du cheval de selle depuis la Renaissance jusqu’à nos jours

Les méthodes de dressage du cheval de selle depuis la renaissance jusqu’à nos jours
F. Musany

Revue des Deux Mondes tome 122, 1894


LES METHODES DE DRESSAGE
DU CHEVAL DE SELLE
DEPUIS LA RENAISSANCE JUSQU'A NOS JOURS

Ce qu’on se propose lorsqu’on entreprend le dressage d’un cheval de selle, c’est d’arriver par les moyens les plus sûrs et les plus prompts à le rendre facilement maniable en tous sens, au pas, au trot et au galop, de développer la vitesse et la légèreté de ces trois allures selon les aptitudes de l’animal, afin qu’on en soit toujours maître en toutes circonstances, sur tous les terrains, et qu’il puisse supporter sans fatigue la plus grande somme possible de travail.

Quiconque n’a pas lu attentivement les écrits des maîtres ne peut se figurer combien de procédés différens ont été successivement préconisés pour obtenir des résultats en somme assez simples, et il est difficile à celui qui veut pouvoir juger en connaissance de cause de ne pas perdre un peu la tête au milieu de tant de théories confuses et souvent contradictoires.

Pour n’avoir pas tous parlé avec autant de présomption que le duc de Newcastle, la plupart des écuyers ne s’en sont pas moins montrés trop enclins à se critiquer les uns les autres, chacun prétendant se particulariser par quelque doctrine nouvelle, voulant donner la plus haute importance à des détails qui souvent en avaient fort peu. Jamais ils n’ont songé à se réunir pour discuter les points sur lesquels ils n’étaient pas d’accord : bien au contraire ils semblent avoir toujours exagéré ou du moins s’être exagéré à eux-mêmes les différences de leurs systèmes.

En présence de ces contestations continuelles, il ne faut ; pas trop s’étonner si, de nos jours, les cavaliers militaires et civils font peu de cas des théories et prétendent, à l’imitation des Anglais, se tirer d’affaire tout seuls, sans principes, sans études, guidés par le seul bon sens et l’expérience de chaque jour.

Est-ce à dire pourtant que tant de travaux considérables doivent être à jamais perdus ? N’est-il pas certain que les connaissances que l’on acquiert à grand’peine par vingt années de pratique peuvent s’acquérir en quelques mois par des études qui nous font profiter de toute l’expérience des anciens et qui nous permettent, au fur et à mesure que nous devenons nous-mêmes plus expérimentés, de mieux appliquer et quelquefois d’améliorer les règles qu’ils nous ont laissées ?

Tous les hommes de cheval sérieux sont unanimes à reconnaître qu’une bonne méthode de dressage doit prévenir la ruine d’un grand nombre de chevaux qui, faute d’être convenablement conduits, sont usés prématurément ou deviennent dangereux et occasionnent de graves accidens. Il est d’ailleurs incontestable que si la même méthode était invariablement suivie partout, si tous les chevaux dressés par les mêmes procédés pouvaient être indistinctement et facilement montés par tous les cavaliers ayant de leur côté reçu les mêmes principes, il en résulterait des avantages immenses dans la pratique, surtout au point de vue militaire.

Mais à quelle méthode s’arrêter ? Il devient ici fort difficile de s’entendre, chaque écuyer ayant ses idées personnelles dont il ne veut pas démordre, peut-être parce qu’on n’a jamais comparé entre eux tous les systèmes successivement adoptés. C’est cette dernière tâche que je vais m’efforcer d’accomplir. Comme je voudrais pouvoir intéresser toutes les personnes ayant quelque goût pour les questions hippiques, je prie les hommes de cheval de me permettre d’entrer quelquefois dans des explications qui seraient inutiles si je m’adressais à eux seuls et, d’autre part, j’espère que les lecteurs imparfaitement initiés voudront bien m’excuser si je ne puis pas toujours éviter certains détails techniques. Après avoir passé en revue les principales méthodes de dressage employées jusqu’ici, je dirai quels enseignemens il nu ; semble qu’il faut tirer de cette étude rétrospective.


I

Lorsque, à l’époque de la Renaissance, l’équitation fut remise en honneur en Italie, les procédés de dressage se ressentaient nécessairement des coutumes barbares qui venaient de régner en l’Europe ; ils devaient s’en ressentir pendant longtemps et, aujourd’hui encore, ils n’en ont pas complètement perdu l’empreinte. Frédéric Grison, un des premiers écuyers de ce temps qui ont écrit, sinon le premier, apporta de fort bons préceptes. Son livre, — intitulé : l’Ecurie du S. Frédéric Grison, gentilhomme napolitain, imprimé à Paris en 1579 par Guillaume Auvray, rue Jean de Beauvais, à l’enseigne du Bellérophon couronné, et dédié par ce dernier à puissant et illustre seigneur, messire François d’Escourbeau, — montre que l’auteur avait à un haut degré ce qu’on appelle le sentiment équestre. Mais l’ouvrage est un peu gâté par des considérations étrangères au sujet ; par la naïveté pompeuse de certaines théories ; par le crédit que Grison accorde à des moyens empiriques qu’en style de métier on nomme des « trucs » ou des « ficelles », enfin par le manque de divisions dans le texte, ce qui le rend difficile à consulter.

Après avoir dit « qu’il n’y a, en tout l’art militaire, discipline plus belle que celle qui enseigne à dompter, piquer et dresser les chevaux » ; après avoir fait le panégyrique obligé du cheval : « Or qui pourroit jamais dire à plein les louanges et la grand vertu du cheval ? Qui est celuy qui ne le recognoist Roy des animaux, ains une roche inexpugnable et transfidèle compagnon des rois ? » après avoir rappelé les mérites de Bucéphale et de Pégase, il nous déclare que la qualité du cheval dépend des quatre élémens et se conforme plus avec celui duquel plus elle participe : « S’il tient de la terre plus que des autres, il sera mélancolic, terrein, pesant et de peu de cœur : et est coustumièrement de poil moreau, ou de couleur de Cerf, ou pommelé, ou de poil souris, ou de telles autres couleurs meslées. Si plus de l’eau, il sera phlegmatique, tardif, et mot ; et le plus souvent il est blanc. Si plus de l’air, il sera sanguin, gaillard, prompt et tempéré en ses mouvemens : et a coustume d’estre bay. S’il tient plus du feu, il sera colère, léger, ardent et sauteur, et n’avient guiere qu’il soit fort nerveu, et est communément roux alezan, ressemblant à la flamme ou plustost à charbon ardent. Mais quand avec la deuë proportion il sera participant de tous les élémens ensemble, alors il sera parfaict. Or entre tous les poils, le Bay chastain, etc. » Les renseignemens de ce genre abondent dans les anciens ouvrages hippiques, et même dans les modernes.

La méthode de dressage de Frédéric Grison est fort simple. Dès que le jeune cheval suivra sans résistance et sans se faire tirer l’homme qui le mène avec le caveçon, on le conduira en le flattant et le caressant et en le faisant quelquefois menacer par quelqu’un qui sera près de lui et qui le frappera des mains du côté droit pour le placer près du montoir ; puis quand l’animal sera bien placé, on l’assurera doucement en lui passant la main sur le col et la croupe et, l’ayant ainsi monté, « on le chevauchera plaisamment, toujours le mignardant pendant quelque temps, » puis on l’arrêtera sans lui laisser faire aucun mouvement, le caressant souvent en lui passant la main sur le col ; on le fera marcher en avant deux ou trois petits pas, tout doucement ; on arrêtera de nouveau et aussitôt après on commencera à le faire travailler en lui faisant faire tout doucement six voltes, deux à droite, deux à gauche, et deux autres à droite.

« S’il arrive que le cheval ne veuille pas approcher du montoir, alors il faut lui donner du bâton entre les oreilles et sur la tête (mais gardez les yeux) et sur tous les endroits de son corps où il vous viendra mieux à propos ; et par ce moyen, si malin soit-il ou si incorrigible, il le faudra châtier et encore, le menaçant avec voix rude et terrible, de sorte qu’il deviendra doux au montoir comme un agneau ; mais aussi faudra-t-il le mignarder et caresser toutes les fois qu’il s’y rendra de son gré et fera ce que vous voudrez…

Il faut que vous le chevauchiez et demeuriez sur lui, non seulement avec grand courage et sans aucune crainte de lui, mais encore avec cette opinion que lui et vous n’êtes qu’un corps et n’avez qu’une volonté…

Jusqu’à ce que le cheval soit en état de porter la bride, il lui sera plus commode de n’être monté qu’avec la bardelle. Quand le temps sera venu de lui mettre la selle, il faudra la placer plus sur le devant que sur le derrière, car ainsi elle ne fera pas seulement le cheval plus beau et joli, mais encore plus aisé. »

Quand le cheval sera bien assuré, vous le mènerez au trot par la campagne, dans une terre fraîchement labourée ; vous le ferez travailler en cercle, puis avant de descendre vous lui ferez faire environ trois petits pas en arrière, puis tout doucement le ramènerez où il était et l’arrêterez ; mais s’il se met en défense, ne le forcez pas, car il s’en retirera bien avec le temps et par le moyen des instructions qui suivront.

Ensuite on continuera les voltes au pas et au trot, en en faisant faire une de plus chaque jour « ijusques à ce que vous arriviés aux unze voltes et demie ». Pendant ces voltes il faut se servir de la jambe opposée, c’est-à-dire de la jambe droite pendant que le cheval tourne à gauche et vice versa. Si le cheval n’est pas assez gaillard, prompt et éveillé, on le stimulera avec la voix, l’appel de langue, et on lui fera sentir les deux talons. On commencera aussi dès maintenant à se servir des éperons comme aides, soit pendant les voltes, soit en allant en trot, « car si l’on attend que les chevaux soient dressés et devenus puissans et forts en sage, ils résistent souvent à l’éperon, deviennent rétifs et rebelles. »

Les chevaux qui se montrent superbes et orgueilleux, impatiens des éperons ou qui ont pris l’habitude de se défendre, doivent être trottes et galopes en cercle dans un champ, et on leur fera sentir les éperons fréquemment jusqu’à ce qu’ils soient en sueur et devenus insensibles à la douleur ; alors ils vous obéiront et feront ce que vous voudrez et se corrigeront de leurs vices, surtout si après vous les caressez.

Ensuite vous irez et viendrez de droit en droit en voilant à chaque bout ; vous arrêterez le cheval et lui ferez faire tout doucement environ quatre petits pas en arrière, puis le reporterez en avant et le caresserez.

Puis vous l’habituerez à parer[1] au trot et au galop et à faire la pesade[2]. S’il ne la fait bien, vous le châtierez avec les éperons et la baguette et recommencerez.

Outre les voltes et les ronds, il sera bon tous les matins d’exercer le cheval à monter et descendre de longues côtes, soit sur les chemins, soit dans les terres labourées.

Parce qu’il se trouvera des chevaux tenant toujours le mufle et le col de travers, il sera bon pour quelques jours, du côté duquel il sera dur, de lui attacher un bout de lanière ou courroie au mors ou à la muserolle et l’autre bout à la sursangle, toutefois un cavalier fondé en bonne doctrine lui ôtera, sans tout cela, ce vice et tout autre avec les ordonnances et les règles et les bons discours du maître qui l’enseigne.

F. Grison veut que le cheval ait l’encolure courbée, le mufle rapproché du poitrail : « Et n’en desplaise aux ieunes et modernes qui ont soustenu le contraire : car plus un cheval porte sa teste libre, estendant le mufle en avant et alongeant le nez, tant plus ira-il avec l’eschine abandonnée et lasche, tellement que le plus souvent il fera le maniement despiteux, couché et large et sans ordre aucun et plus aisément perdra l’haleine ; mais quand il portera le mufle plus retiré dessous vers la poictrine et plus fort il s’embridera pour aller férir du front, tant plus d’heure à autre se renforcera-il d’eschine, dont encore lui viendra plus grande légèreté et plus prompte adresse et plus grande force aux reins et facilité plus grande à se manier. » Il y a dans ce passage de grosses exagérations, mais on y voit l’ébauche du principe de la « mise en main » qui consiste à donner à la tête et à l’encolure la position qui convient aux mouvemens qu’on veut exécuter. Quand les allures sont très rapides, comme dans nos courses d’aujourd’hui, le cheval doit « étendre le mufle en avant et allonger le nez » ; aux allures modérées, le nez ne doit pas « être retiré dessous vers la poitrine », l’encolure doit rester haute, mais légèrement arrondie au sommet ; la décontraction de cette partie du corps indique la décontraction générale, donne de la légèreté aux mouvemens et permet à l’animal de faire sans fatigue une plus longue route.

Grison dit qu’on doit commencer le dressage quand le cheval a atteint l’âge de trois ans ou trois ans et demi ; qu’on pourrait le commencer dès qu’il aurait passé les deux ans, mais qu’il vaut mieux attendre jusqu’à trois ans et qu’il n’y a cheval qui, en suivant les règles et les ordonnances, qu’il donne, ne puisse être complètement dressé en quatre ou six mois au plus, qu’il y a cependant des chevaux de certaines races qui sont tardifs et, bien qu’ils sachent toutes les règles et ordonnances, toutefois ne feront démonstration ni de force, ni de valeur, ni de bonté avant l’âge de cinq ou six ans. Ceci ne montre-t-il pas que, malgré l’opinion de beaucoup d’anciens écuyers qui ont voulu qu’on ne commençât le dressage qu’après cinq, six et même sept ans, les chevaux de cette époque étaient aussi précoces que ceux d’aujourd’hui ? Nos chevaux actuels, même ceux de pur-sang, — dont la dentition n’est pas achevée avant celle des chevaux les plus communs, — ne devraient pas être montés avant l’âge de trois ans et ne devraient courir que plus tard. Les tares de toutes sortes dont sont couverts tous ceux qui sortent de l’entraînement en sont une preuve irréfutable.

Les deux premiers livres de l’ouvrage de F. Grison sont excellens pour une époque où il n’y avait pas encore de manèges, et l’on ne pouvait certainement donner alors un enseignement plus sage et plus pratique ; mais ensuite il entre dans toutes sortes de détails sur les différens mors qui conviennent selon les résistances multiples que présentent les chevaux. On trouve à la fin du volume 51 planches représentant autant de mors différens et très compliqués alors en usage. Les successeurs de Grisou, continuant les mêmes erremens, ont encore enrichi la collection d’un grand nombre d’engins nouveaux auxquels ils attribuèrent des vertus spéciales.

Pour tous les désordres auxquels peuvent se livrer les chevaux rétifs, Grisou est sans pitié. Il est persuadé que l’animal agit avec intention et il veut qu’on le châtie avec la dernière rigueur, qu’on redouble les coups d’éperons, qu’on lui fasse démonstration d’une grande férocité avec voix haute et cris horribles, le menaçant et le battant d’un bâton entre les oreilles et de tous les deux côtés de la tête, et plus du côté où il volte plus volontiers, lui tirant et secouant la bride, sans lui donner de repos jusqu’à ce qu’il soit vaincu. S’il est rétif par manque de cœur, on le chevauchera sur un long chemin fermé de murs et de hautes haies et on mettra derrière le cheval des hommes avec des hâtons et d’autres avec des pierres pour lui donner bastonnades et coups de pierres sur les jambes et sur les jarrets et le molester de cris et de menaces à haute et horrible voix. On voit encore aujourd’hui employer des pratiques analogues dans les concours hippiques, au Palais de l’Industrie, quand les chevaux s’arrêtent devant la porte de l’écurie.

En cas de grande nécessité, on prendra un chat, le plus mauvais qu’on pourra trouver ; on le liera à la renverse, le ventre dessus, au bout d’une longue perche, mais de sorte que la tête et les pieds demeurent libres, et quand le cheval fera semblant de faire le rétif, un homme à pied prendra cette perche et mettra le chat soit entre les jambes, soit aux jarrets, soit entre les cuisses ou sur la croupe du cheval qui sera par ce moyen contraint de se rendre et aller en avant ; mais encore faudra-t-il toujours que le cavalier qui sera monté dessus se tienne coi et se taise et que seulement il prenne garde à le caresser toujours quand il commencera à bien faire.

Il recommande encore l’usage d’un clou ou d’un poinçon avec lequel on piquera bien fort près de la queue ; d’un hérisson ou d’un petit chien mordant attaché à la queue ; d’un long bâton au bout duquel on attachera un petit botteau de paille ou d’étoupe qu’on allumera et qu’on mettra sous le nez du cheval ou par derrière. Pour un cheval qui se couche dans l’eau, on lui tiendra de force la tête sous l’eau en lui donnant force bastonnades, ou on passera un nœud coulant autour des génitoires et on tirera la corde, etc.

Il est vrai qu’en mentionnant tous ces procédés, Grison semble seulement vouloir montrer qu’il n’ignorait rien de ce que faisaient ses prédécesseurs sans en être lui-même très partisan, car il ajoute : « Et partant prenez pour résolution que tous tels chastiemens sont de peu d’importance et qu’il vaudra beaucoup mieux suivre les ordonnances et les reigles que je vous ai baillées par-avant avec soing et diligence, car il n’y a cheval tant rétif qui par le moyen d’icelles ne se corrige de son vice. Toutesfois je ne vueil pas nier qu’il ne soit bien séant à un escuyer ou chevalier d’avoir cognoissance de ces chastiemens et de tous autres quelques petits et de peu d’importance qu’ils soient et de tout ce qui peult servir à corriger toujours le vice d’un tel cheval : desquels combien que je vous peusse parler plus amplement : toutesfois pour ce qu’ils ne me semblent point profitables, j’ay mieux aimé vous en finir ici le compte pour passer outre à vous dire choses de plus grand effect et de plus grande substance. » Grison parle dans son livre de plusieurs airs de haute école. C’est peut-être lui qui a le mieux décrit la manière de faire faire jambette à un cheval et par conséquent les moyens d’obtenir le pas et le trot espagnols.

On a pu voir que toute la méthode de Grison repose sur les caresses et les châtimens. Il considère le cheval comme un animal capable de raisonner, de vouloir quelque chose. Il faut, dit-il, le corriger aussitôt qu’il a commis une faute : « après qu’il s’en sera corrigé, il cognoistra clairement que sa malice en fut cause… Et pour ce qu’on me pourroit dire qu’il semble quasi impossible que le cheval ayt tel discours : à cela je réponds, qu’estant le cheval créé de Dieu pour s’asservir et se conformer à la volonté de l’homme, ne se faut point esmerveiller s’il est en partie conforme à nostre entendement. Et quelle asseurance en voulons-nous plus grande que celle que l’expérience nous en montre tous les jours, non seulement de l’intelligence, mais encore de l’obéissance et de la promptitude d’esprit que le cheval nous fait apparoir en ses opérations ?… »

C’est bien évidemment parce que Grison croit que le cheval a conscience de ses fautes et comprend ce qu’on se propose en le corrigeant, qu’il prescrit de le frapper avec la dernière rigueur toutes les fois qu’il « ne veut pas obéir », afin de soumettre sa volonté, « d’unir son vouloir au nostre ».

J’ai insisté longuement sur cet ouvrage, parce que tous les auteurs s’en sont depuis inspirés et que beaucoup, encore de nos jours, lui font des emprunts, peut-être sans s’en douter. Je ne m’occuperai plus désormais que des méthodes les plus saillantes.

Laurentius Rusius qui vivait vers la même époque, recommande comme Grison d’employer la douceur au début du dressage, de faire promener le cheval en main, à la campagne et à la ville pour l’accoutumer à tous les objets et à tous les bruits, ce qui est très sage. Mais quand il s’agit d’un cheval rétif, il faut, dit-il, renfermer dans une écurie pendant quarante jours sans sortir ; puis, pour le monter, le cavalier se munira de grands éperons et de verges ou d’un bâton en fer terminé par trois crochets pointus qu’il mettra sur la croupe pour tirer le cheval en avant s’il recule ; ou bien on fera chauffer une corne et on la lui mettra sous la queue, le piquant de toute sa force avec les éperons. L’auteur fait mention d’un grand nombre de mors appropriés aux différens cas.

Bientôt on eut l’idée de construire des manèges pour y enseigner l’équitation et y dresser les jeunes chevaux. Ce fut un grand progrès, car les animaux enfermés dans un espace restreint et tranquille, travaillant sur un terrain égal et assez mou, devaient subir presque instantanément la domination du cavalier, sans qu’il fût besoin d’employer la violence. Cependant les pratiques brutales nées de la routine ne devaient pas pour cela disparaître.

La Broue, le premier écuyer français qui ait écrit, nous a laissé un bon livre : le Cavalerice françois. Il recommande déjà de ne pas faire de grands mouvemens à cheval, de ne pas étourdir l’animal par des cris. Il prescrit la douceur et la patience, mais il ajoute que certains chevaux sont rétifs par malice, qu’il faut les frapper vigoureusement à coups d’éperons et de nerf de bœuf, faire tirer la queue avec une corde, lier les génitoires avec un gros ruban de soie ou de laine attaché à la selle et que le cavalier tirera quand le cheval se défendra, ou lancer l’animal contre un mur ou un précipice. Il attachait une grande importance aux flexions de l’encolure et faisait plier celle-ci latéralement jusqu’à ce que le cheval prît de l’herbe tenue entre le pied et l’étrier.

César Fiaschi se servait beaucoup de la musique, chantait des airs à ses chevaux et prétendait que cela était très utile pour les rendre dociles, régler et cadencer leurs allures.

Claudio Corte prescrivait un mors spécial et un châtiment spécial pour chaque défaut du cheval.

Pour forcer plus facilement dès le début la soumission de l’animal, on inventa très ingénieusement le pilier, auquel on l’attachait par le licol ou le caveçon et autour duquel on le faisait tourner à droite et à gauche en se servant d’une gaule pour faire mouvoir l’arrière-main.

Pluvinel, qui fut le maître du jeune roi Louis XIII, introduisit en France l’usage du pilier emprunté à l’Ecole italienne et inventa le travail des deux piliers. Il montra infiniment de jugement et de tact dans toutes ses appréciations générales sur l’équitation. Il dit qu’il faut que l’homme, en montant sur un cheval, « se résolve de souffrir toutes les extravagances qui se peuvent attendre d’un animal irraisonnable » et il montre comme ce bel exercice est utile à l’esprit puisqu’il l’accoutume d’exécuter nettement et avec ordre toutes ses fonctions parmi le tracas, le bruit, l’agitation et la peur continuelle du péril. Son Manège Royal, contenant les discours qu’il fit au roy pour lui apprendre l’art de bien monter à cheval, est rempli de réflexions fort judicieuses, dignes d’un philosophe autant que d’un écuyer.

Pour éviter les difficultés et les accidens qui peuvent se produire au commencement du dressage, il veut qu’on sorte le jeune cheval avec le filet, sans selle, qu’on lui mette un caveçon de fer ou mieux de cordes pour ne pas lui faire de mal, qu’on l’attache au pilier et qu’on le fasse tourner autour, d’abord au pas, puis au trot et au galop. Ensuite on l’attachera entre les deux piliers et on lui fera ranger la croupe à droite et à gauche. On répétera ces exercices avec la selle, les étriers pendant le long du corps du cheval ; puis le cavalier le montera avec beaucoup de précaution, lui fera exécuter quelques mouvemens, suivi d’un homme tenant la longe et la gaule ou la chambrière, et le replacera dans les piliers, ce qui permet de lui faire sentir un talon et les deux. Pluvinel recommande toujours une extrême douceur : il y a, dit-il, fort peu de chevaux qui ne veulent pas obéir. La gaule et la chambrière ne sont employées que par petits coups, pour stimuler l’animal. Aussitôt il est question de faire lever alternativement l’avant-main et l’arriêre-main pour exécuter les airs de manège appelés pesade, ruade, courbette, ballottade, capriole. Le travail du manège commençant, on s’occupe de mettre le cheval dans la main et dans les talons en déplaçant l’arrière-main à droite et à gauche, en lui faisant faire des voltes et des demi-voltes et en lui pliant toujours la tête du côté où il tourne, le ramenant dans les piliers ou autour du pilier toutes les fois qu’il y a des résistances.

Il veut que le cheval prenne plaisir à tout ce qu’il fait, qu’il conserve sa « gentillesse ». Avec les chevaux colères, impatiens et méchans, il montre l’absurdité d’employer les moyens violens qui exposent toujours à des accidens ; il recommande toujours la prudence et ne corrige pas : « Il faut, dit-il, faire plus de peur que de mal. »

Dans la dernière partie de son livre, il revient sur les airs de manège, et parle des embouchures dont il réduit, d’une manière générale, le nombre à douze. D’un bout à l’autre, il insiste beaucoup sur la nécessité des piliers, et reprend vertement ceux qui en blâmaient l’usage : « Plusieurs sortes de gens se meslent de censurer beaucoup de choses, desquelles si on leur demandait eu conscience les raisons, ils n’en pourroient dire aucune valable, mais ils allégueraient l’ordinaire qui est que devant les ignorans, il n’est que de trouver à redire sur tout, afin de faire estimer qu’ils feraient beaucoup mieux s’ils vouloient en prendre la peine… disant que tout nostre moyen n’est que les piliers, et que ce sont des estrapades qui gastent autant de chevaux que l’on y en mot ; que hors de là ils ne font chose du monde et qu’il faut toujours porter des piliers avec nous et des lieux resserrés[3] pour faire manier nos chevaux, autrement nous ne pourrons faire rien de bon. Mais il est très certain que ceux qui chantent ce langage ne sont pas les plus sçavans ; car s’il leur plaisait de mettre le cul sur la selle, ils feroient juger à ceux qui croyent une partie de leurs dires (bien que peu entendus en la science), le peu de raison qu’ils ont de parler et leur peu de jugement, en ce qu’on les verroit si mal placez dans la selle et taster un cheval de si mauvaise grâce que l’on ne rechercherait autre tesmoignage de leur insuffisance. »

Le duc de Newcastle, qui laissa pourtant la réputation d’un gentilhomme instruit et d’un très habile écuyer, tourna en ridicule tout ce qui avait été fait avant lui, y compris le travail des piliers, et se rendit ridicule lui-même par l’emphase avec laquelle il parla de l’excellence de sa propre méthode, la meilleure qui eût jamais vu le jour : « En toutes choses il n’y a qu’une seule vérité qui est unique partout. Si ma méthode est l’unique, il s’ensuivra vraisemblablement qu’elle est la véritable… C’est la quintessence de toutes les règles ; et pour mettre en pratique celle dernière méthode j’ay quitté absolument toutes les autres pour m’attacher uniquement à celle-cy… Je puis respondre que mes livres sont escrits aussi clairement et aussi intelligiblement qu’on le peut sur cette matière… »

Avec beaucoup de raison, Newcastle recommande de s’occuper du poulain depuis sa naissance pour le rendre familier ; il veut qu’ensuite on le monte en selle à picquer avec un caveçon de corde, ou licol, ou un caveçon commun, mais couvert d’un cuir doux pour ne pas le blesser et qu’ainsi on lui donne les premières leçons. Cependant, s’il s’agit d’un poulain plus âgé, désobéissant et peu traitable, il le met au pilier sans personne dessus et, pour combattre certaines défenses, notamment l’emballement et le cabrer, il a recours aux deux piliers. Il eût donc mieux valu commencer par là, puisqu’on aurait prévenu tout désordre.

Il décrit assez longuement les allures, mais de la manière la plus erronée, quoique avec son assurance habituelle. Toutes les fois d’ailleurs qu’il traite les questions qui se rattachent à la science, il ne manque pas de prendre le ton d’un homme infaillible pour dire souvent des énormités ; ses démonstrations, particulièrement au sujet de l’emploi des rênes et des jambes, sont extrêmement fatigantes à lire, parfois presque inintelligibles. Solleysel, son traducteur, a blâmé les chapitres VIII, IX, X, XI et XII de la seconde partie, sur les effets de la bride, qui en réalité sont absurdes.

La chose sur laquelle Newcastle insiste le plus et qui constitue selon lui la grande nouveauté de sa méthode est l’emploi du caveçon avec une rêne de chaque côté attachée au pommeau de la selle, ou aux sangles, ou tenue dans la main du cavalier, pour forcer le cheval à plier l’encolure du côté où il travaille. Or, nous avons vu plus haut que Grison mentionna ce moyen, tout en ajoutant qu’il vaut mieux s’en passer.

Newcastle dit que le meilleur âge pour dresser le cheval est de six à huit ans, et que si on commence le dressage à trois ans, l’animal n’ayant pas la force de le supporter, on ne réussira pas, ou bien, si l’on réussit, il sera estropié de quelque partie de son corps en même temps qu’il sera dressé. Avis encore aux Sociétés d’encouragement et à MM. les propriétaires de pur sang et de trotteurs.

Il recommande beaucoup le travail en cercle au pas, au trot et au galop avec la longe au caveçon, les passages fréquens du trot au galop et du galop au trot. Il ne conseille qu’un petit nombre de mors, dit avec raison que l’ignorance des écuyers fait plus de chevaux vicieux que la nature, et que les vices proviennent généralement de souffrances ou de mauvaise conformation rendant pénible au cheval l’exécution de certains exercices.

Les Académies d’équitation étaient devenues nombreuses. Le célèbre La Guérinière ne tarda pas à donner à son tour une méthode qui surpasse encore celle de Pluvinel par le bon ordre qui y règne, et qui marque un très grand progrès dans l’enseignement équestre. Toute la première partie de son Traité d’équitation, consacrée à l’extérieur du cheval, à la ferrure, au harnachement, à l’hygiène, ne peut plus être aujourd’hui d’une grande utilité, les spécialistes ayant publié depuis des travaux beaucoup plus complets, plus exacts et plus en rapport avec les besoins nouveaux ; mais la seconde partie, où il traite du dressage, est une œuvre admirable que l’on consultera toujours avec fruit.

Il étudie d’abord la nature du cheval et reconnaît deux causes à l’indocilité ; d’abord les défauts qu’il appelle extérieurs, la faiblesse des membres, des reins, des pieds ou de la vue ; ensuite ceux qui forment le caractère de l’animal : la timidité, la lâcheté, la paresse, l’impatience, la malice et les mauvaises habitudes venant le plus souvent des exigences excessives ou de la maladresse des cavaliers. Il veut que le premier dressage des jeunes chevaux soit confié à des cavaliers patiens, habiles et expérimentés.

Il s’occupe ensuite de définir le mécanisme des diverses allures qu’il classe en naturelles et artificielles. Les allures naturelles sont elles-mêmes subdivisées en allures parfaites : pas, trot et galop, et en allures défectueuses qui sont l’amble, l’entrepas ou traquenard et l’aubin. Les allures artificielles sont celles qu’un habile écuyer sait donner aux chevaux qu’il dresse et qui constituent les airs de manège. Bien que l’auteur commette encore beaucoup d’erreurs dans cette étude consciencieuse de la locomotion, ses définitions sont beaucoup plus justes que celles de Newcastle et de tous les écuyers précédens.

C’est par le trot, dit La Guérinière, qu’il faut commencer le dressage du jeune cheval, afin de lui dégourdir les membres et de le rendre léger à la main. A cet effet, on lui mettra tout d’abord un caveçon auquel on attachera une longe ou longue corde de la grosseur du petit doigt et on le fera trotter en cercle à droite et à gauche, un homme tenant la longe au centre du cercle, un autre suivant l’animal et le chassant en avant avec la chambrière. Ensuite, on monte le cheval, on lui fait répéter le même travail, toujours avec l’aide de la longe et de la chambrière, et on l’habitue ainsi graduellement à céder aux rênes et aux jambes. On le met alors au pas le long du mur du manège et, quand il obéit facilement, on enlève la longe et le cavalier le dirige seul, d’abord au pas, sur la ligne droite, puis au trot, réglant de mieux en mieux son allure, le faisant tourner à droite et à gauche. Si l’on rencontre quelque résistance, on revient au travail à la longe. Après avoir fait des arrêts, des départs et quelques pas de reculer, La Guérinière passe aussitôt à la leçon de l’épaule en dedans, qui est, dit-il, « la plus utile de toutes celles qu’on doit employer pour assouplir les chevaux » et qu’on exécute le long du mur du manège, en se servant de la rêne et de la jambe du dedans. C’est là le point capital de sa méthode.

Ensuite il passe à la croupe au mur, ne voulant pas qu’on commence par la tête au mur, qui aurait de grands inconvéniens, et, là seulement, il commence à donner le pli du côté de la marche.

Il se déclare alors partisan des piliers, non seulement pour découvrir la ressource, la vigueur, la gentillesse, la légèreté ; et la disposition d’un cheval, mais encore comme un moyen de donner ces dernières qualités à ceux qui en sont privés.

Quand le cheval a acquis la première souplesse ; au trot d’une piste, sur la ligne droite et sur les cercles, qu’il obéit bien aux talons, on le met au passage, la première allure, dit La Guérinière, qui regarde la justesse ; et ce n’est qu’en dernier lieu qu’on s’occupe du galop et des airs relevés. L’auteur donne ensuite d’excellens préceptes pour le dressage et la conduite des chevaux de guerre et de chasse. Il blâme les gens qui pensent que la façon de dresser ces chevaux est opposée aux règles du manège : « Une opinion si mal fondée et malheureusement trop générale fait négliger les vrais principes. N’ayant donc pour guide que la fausse pratique de ceux qui ont fait naître et qui favorisent cette erreur, on n’acquiert qu’une fermeté sans grâce et une exécution forcée et sans fondement. Pourrait-on, avec un peu de jugement, avancer qu’un cavalier capable de pratiquer les principes d’une bonne école et par lesquels il est eu état de juger de la nature de son cheval et de lui former un air, n’a pas plus de facilité encore pour assouplir et rendre obéissant celui qu’on destine à la guerre et pour étendre et donner de l’haleine à celui qu’il juge propre pour la chasse ? »

C’est encore La Guéri ni ère qui a le premier prescrit au cavalier une tenue en selle qui lui donne autant d’aisance que de solidité. Avant lui, les étriers étaient trop longs, les cuisses trop descendues, les jambes trop droites. La position donnée par La Guérinière est encore aujourd’hui, sur nos selles anglaises, la seule qui soit gracieuse, correcte et qui permette au cavalier d’user librement de tous ses moyens d’action.


II

On peut reprocher aux écuyers, depuis qu’il y eut des académies d’équitation, d’avoir un peu trop pontifié ; de l’avis même de Newcastle, ils exagéraient les difficultés, faisaient traîner en longueur l’instruction des cavaliers et le dressage des chevaux pour augmenter ainsi leur propre prestige aux yeux de leurs élèves et des profanes. Cet abus n’a pas encore disparu de nos modernes Ecoles d’équitation et de dressage et leur a fait sans doute beaucoup de tort dans l’esprit du public. On a trop voulu compliquer un art qui, pour admirable qu’il soit, n’en doit pas moins rester simple. Ou prétendit en faire une science de plus en plus transcendante et l’on prépara ainsi la venue de Baucher, qui devait plus tard parler en paraboles, comme un nouveau messie.

Quoi qu’il en soit, La Guérinière avait donné une méthode aussi claire que savante, résumant on ne peut mieux tout le savoir acquis jusque-là. Il eût fallu l’adopter partout et n’y apporter dans la suite que des modifications très prudentes approuvées par un conseil d’écuyers. Mais de tous temps les écuyers se sont considérés entre eux comme des rivaux, et c’est ainsi qu’il n’y eut jamais d’unité dans l’enseignement, que chaque progrès suscita des tempêtes et que la confusion augmenta de plus en plus.

Dupaty de Clam, ancien mousquetaire ayant quitté le service pour s’adonnera la science, membre de l’Académie de Bordeaux, plus écrivain qu’écuyer, prétendit ‘appliquer à l’équitation l’anatomie, la mécanique et la géométrie et donner une méthode supérieure aux précédentes : « L’étude de l’équitation, dit-il, est d’autant plus difficile que nous avons été obligés jusqu’ici de recueillir, comme à la volée, les leçons des maîtres. Les meilleurs n’ont point écrit : les anciens se sont perdus dans un labyrinthe de mots : presque tous ont fait consister l’art dans une suite de pratiques et d’usages. Ils se sont peu appliqués à expliquer les principes, à les rendre clairs et incontestables. J’ai donc cherché les principes indépendamment de la pratique, de cette méthode dans laquelle la mode influe toujours beaucoup. J’ai tâché de rassembler les bonnes lois de l’équitation, ces lois fondamentales si strictement observées dans les manèges royaux. Quelques années d’habitude m’ont appris à leur donner un ordre… »

Après de telles déclarations, on est en droit de se montrer sévère pour celui qui entreprenait de refaire l’œuvre de La Guérinière. Or, la Pratique de l’équitation ou l’art de l’équitation réduit en principes est un livre assez diffus où il y a bien moins d’ordre et de clarté que dans le Traité d’équitation du célèbre écuyer.

L’auteur commence par une grosse erreur en voulant que le tronc du cavalier soit supporté non seulement par les ischions, mais encore par le coccyx. Il parle longuement de la tenue, des effets des rênes et des jambes, discute, critique sans cesse les prescriptions de La Guérinière. Dès que le cheval trotte bien à la longe, on le monte en bridon, les rênes séparées, on le fait tourner à droite et à gauche, puis reculer quelques pas, mais en prenant patience s’il ne veut pas obéir. Quand il cède aux mouvemens des mains, on commence à se servir des jambes qui, d’après l’auteur, « ne doivent jamais travailler avant la main » ; on s’occupe aussitôt de rendre l’avant-main légère en asseyant le cheval sur les jambes de derrière, en marquant des demi-arrêts ou, au besoin, en le faisant reculer ; ensuite on fait quelques pas de côté ; mais ici, Dupaty blâme beaucoup l’épaule en dedans de La Guérinière ; il veut que l’on commence sur une ligne oblique, puis sur des cercles avec la croupe en dedans ; c’est seulement ensuite que viennent l’épaule en dedans, le travail de deux pistes sur des voltes et sur des voltes renversées, les pirouettes, changemens de main, arrêt et reculer ; enfin les courbettes. A la fin de son livre, il parle des allures ; il renvoie pour cela à La Guérinière qui, dit-il, a très bien traité cette question. En somme, l’ouvrage de Dupaty ne contient rien de saillant, ne réalise aucun progrès et inaugure les polémiques fatigantes qui vont bientôt s’élever entre tous les maîtres.

Si les principes de La Guérinière ne furent pas universellement et officiellement adoptés, ils restèrent cependant on honneur à l’Académie de Versailles, qui, tant qu’elle exista, fut reconnue pour la première du monde. Chaque écuyer voulut pourtant se distinguer par des procédés spéciaux ; dans chaque ouvrage nouveau l’auteur, non seulement exposa ses idées personnelles, mais surtout discuta celles des autres ; ce furent des controverses interminables sur l’emploi de la rêne du dedans et de la rêne du dehors, sur la question de savoir si l’action des mains doit précéder ou suivre celle des jambes, ou si les deux doivent être simultanées ; si pour le départ au galop à droite il vaut mieux se servir de la jambe droite ou de la gauche, ou des deux ; bref sur tous les détails d’exécution. Et ces disputes durent encore.

Un désaccord de plus d’importance devait bientôt s’élever entre les maîtres civils d’une part et les maîtres militaires de l’autre. La haute école a toujours tenté les cavaliers ambitieux de briller. Peut-être l’école de Versailles s’occupait-elle un peu trop des airs de manège et prêtait-elle ainsi le flanc à la critique des écuyers militaires qui voulaient une équitation plus pratique et plus perçante ? Mais ceux-ci eurent souvent le tort de tomber d’un excès dans un autre et de prétendre rejeter comme inutile le travail du manège.

Le général de Bohan traite de singeries les allures artificielles de La Guérinière. Comme la plupart des cavaliers militaires, il semble d’ailleurs ne pas connaître grand’chose au premier dressage des jeunes chevaux ; mais ses conseils sont assez pratiques pour les chevaux de remonte qui ont déjà été plus ou moins débourrés. Il ne veut pas de rassembler, demande l’agrandissement des manèges, ce qui peut en effet avoir des avantages pour le travail d’ensemble, mais présente de grands inconvéniens pour le dressage. Il commence par le dressage à la longe, ne veut pas des piliers ; ensuite on monte le cheval sur la ligne droite, puis sur des cercles en lui laissant étendre ses mouvemens ; puis viennent le galop et enfin les pas de côté qu’il reconnaît nécessaires parce que, dans les manœuvres militaires, les chevaux sont souvent obligés d’appuyer à droite ou à gauche, mais dont il ne voit pas l’importance comme premier moyen de domination. Il fait des réflexions fort justes au sujet des embouchures et veut « qu’on s’occupe moins de toutes ces inspections de bouches et de toutes ces divisions entre bouches trop sensibles, bouches ardentes, bouches fortes, bouches qui évitent la sujétion du mors, barre sourde, barre tranchante, barre ronde, barre grasse, barre maigre, etc., etc. ; que l’on se borne à donner à toutes ces bouches, à toutes ces barres et à toutes ces barbes l’embouchure la plns douce, un simple canon entier, ajusté à la proportion de la bouche, c’est-à-dire qui ne soit ni trop large ni trop étroit et dont l’angle formé par les deux canons donne assez de liberté à la langue ; que les branches du mors soient seulement plus ou moins longues. » Les Anglais, qui n’ont jamais eu d’autre écuyer que leur fameux duc de Newcastle, qui n’ont même pas dans leur langue un mot équivalant à celui d’écuyer, étaient revenus à l’équitation instinctive, sans règles ni principes.

En France l’enseignement de l’école de Saumur devait nécessairement se ressentir du désaccord qui régnait entre tous les maîtres[4] et aussi des progrès que firent bientôt chez nous les modes anglaises, particulièrement pour tout ce qui avait rapport aux choses hippiques ; les écuyers civils blâmèrent toujours cet engouement, auquel ils donnèrent le nom d’anglomanie.

Ducroc de Chabannes et Cordier, le premier élève de l’Ecole militaire, le second élève de l’Ecole de Versailles, tous deux premiers écuyers à Saumur, ne firent rien pour s’entendre et s’inspirèrent toujours d’un parti pris de contradiction. L’ouvrage qu’a laissé Cordier, plus savant que celui de Ducroc de Chabannes, est tellement surchargé de détails et de controverses qu’il en perd beaucoup de sa valeur au point de vue de l’application.

Le comte d’Aure, merveilleux praticien et excellent professeur, comprit admirablement et démontra par son exemple comment devaient se concilier les différentes Ecoles. Il est certainement le plus parfait écuyer que nous ayons eu depuis La Guérinière. Il laissa un excellent Cours d’Equitation, celui qui fut adopté officiellement et enseigné à l’Ecole de cavalerie et dans les corps de troupes à cheval par décision de M. le Ministre de la guerre en date du 9 avril 1853. Les quelques pages qui dans ce livre sont consacrées à l’éducation et au dressage du cheval ne contiennent toutefois rien de nouveau.

C’est alors que parut Baucher, qui se posa en réformateur. Baucher, dont l’habileté comme écuyer de cirque n’a jamais été contestée par personne, obtenait de ses chevaux un travail très compliqué, exécuté avec une grande justesse. Il eut le tort de croire que cela l’autorisait à vulgariser les moyens qu’il employait. Il écrivit plusieurs ouvrages dans lesquels il exposa sa méthode, affirmant même, comme autrefois Newcastle, qu’elle était la seule bonne et qu’il fallait l’appliquer à tous les chevaux. Je ferai d’abord remarquer que, si le travail du manège est indispensable à tout cheval de selle, il n’en est pas de même du travail de cirque qui n’a aucune utilité pratique. On dit d’ailleurs à ce sujet que Baucher eût été incapable de tirer un bon parti d’un cheval à l’extérieur. N’ayant en vue que les acrobaties équestres, il prétendit « détruire les forces instinctives pour les remplacer par les forces transmises, assouplir isolément chaque partie du corps au moyen de toutes sortes de flexions. » Les piliers, le travail à la longe, n’existent plus. Le cheval ayant dès les premières leçons une bride complète, on le l’ait pendant longtemps travailler sur place : ce sont d’abord des flexions directes et latérales de la mâchoire, de l’encolure, de la croupe ; puis le reculer, les pas de côté, la flexion directe de la tête ou ramener, mobilisation de la croupe autour des épaules, rotation des épaules autour des hanches, enfin marcher à main droite et à main gauche ; puis le même travail est répété sous le cavalier.

Tout ce système d’assouplissemens dont on a fait tant de cas ne saurait en réalité s’appliquer au dressage des jeunes chevaux. Comme le disent les Anglais, l’exercice que le poulain a pris en liberté dans les prairies a été pour lui la meilleure gymnastique ; il est certainement, à trois ans, aussi souple dans toutes les parties de son corps qu’il pourra jamais le devenir, ainsi que le montrent tous les mouvemens qu’il exécute de lui-même, à l’écurie et dehors ; il est même trop souple, trop mou de partout, et ses muscles, particulièrement ceux de l’encolure, ont plutôt besoin d’être durcis pour qu’on puisse le diriger sûrement en tous sens.

En outre, forcer les attitudes et les mouvemens, comme le voulait le chef de la nouvelle Ecole, en vue d’obtenir de tous les chevaux le même « équilibre », est par conséquent contraire à la nature et aux principes de l’art. Cela peut séduire, par des dehors brillans, des spectateurs peu éclairés, mais je suis profondément étonné que des écuyers d’une grande valeur s’y soient laissé prendre, eux qui devaient savoir que le vrai talent du dresseur consiste à juger les aptitudes diverses des divers chevaux et à en tirer le meilleur parti sans les forcer.

La célébrité que s’était acquise Baucher par les représentations du cirque, le travail fort curieux de ses chevaux, les airs nouveaux qu’il avait inventés, parmi lesquels le reculer au galop et les pirouettes renversées sur trois jambes, qui venaient encore augmenter toutes les inutilités de l’équitation « savante, » eurent un grand retentissement. Pour ma part, je n’hésite pas à déclarer que, malgré son très réel talent, je considère Baucher comme l’homme qui a fait le plus de tort à la saine équitation.


III

De nouvelles disputes s’élevèrent, plus ardentes que jamais entre les Bauchéristes et les d’Auristes, ceux-ci partisans du comte d’Aure. Le nouveau système fit cependant de grands progrès ; chacun voulut « bauchériser » ses chevaux. Que d’animaux furent ainsi martyrisés et que de flots d’encre coulèrent inutilement ! L’engouement nouveau dura longtemps et, tout récemment encore, on essaya, d’ailleurs sans succès, de le ranimer. L’ancienne équitation, celle de La Guérinière, que les écuyers militaires jugeaient trop compliquée, était beaucoup plus rationnelle et plus pratique que celle de Baucher et de ses successeurs qui, prétendant « quintessencier » de plus en plus leurs théories, nous ont conduits au chaos actuel en dégoûtant de l’étude la plupart des jeunes cavaliers et en inspirant à quelques autres le désir de se faire remarquer par des excentricités ridicules.

Le comte Savary de Lancosme-Brèves, écuyer très habile, auteur de plusieurs ouvrages et entre autres de la Théorie de la Centaurisation, accomplit un véritable tour de force en menant à bien, dans son manège de la rue Duphot, l’instruction équestre de vingt jeunes recrues et le dressage de vingt chevaux neufs appartenant au 1er et au 2e régiment de carabiniers et qui lui furent confiés par ordre du maréchal Randon, ministre de la guerre. Après soixante-quinze séances, les hommes et les chevaux furent trouvée suffisamment instruits pour entrer à l’école d’escadron. Ce résultat toutefois ne me paraît avoir aucune signification pratique, attendu qu’il vaudra toujours mieux donner les premières leçons d’équitation sur des chevaux dressés et faire dresser les jeunes chevaux par de bons cavaliers. Lancosme-Brèves prétend que l’équitation est une « science positive » fondée sur la physiologie, l’anatomie et la mécanique ; les moyens qu’il indique ne diffèrent de ceux de ses prédécesseurs que par un point important : il montre que l’aide du corps, c’est-à-dire l’action de tourner, d’incliner le haut du corps, de tel ou tel côté en pesant davantage sur l’un ou sur l’autre étrier, a une influence considérable sur l’exécution facile des mouvemens du cheval, et il indique très exactement les différentes attitudes que devra prendre le cavalier selon les cas. La Guérinière avait effleuré le sujet, mais ses prescriptions étaient quelquefois fausses, comme lorsqu’il prescrivait « de peser sur l’étrier du dehors pour presser et faire aller de côté un cheval en dedans. »

Le capitaine Raabe, mon très aimé maître, s’illustra par une autre découverte d’une très grande portée. Frappé des erreurs qu’il avait reconnues dans les théories de tous les maîtres sur le mécanisme des allures, il se mit à l’étudier à son tour, s’y passionna et, par ses seules observations et ses calculs, il trouva les véritables lois de la locomotion qui se trouvèrent confirmées longtemps après par la photographie instantanée. Il put alors préciser l’instant que le cavalier doit saisir pour déterminer chaque mouvement et montrer que, s’il agit à tout autre moment, il ne pourra réussir, et souvent provoquera ainsi des résistances ou des défenses de la part de l’animal. Le capitaine Raabe eut malheureusement le tort, à mon avis, d’adopter les idées de Baucher sur les assouplissemens. Comme le colonel Gerhardt, il poussa très loin le dressage à la cravache. Ses chevaux étaient presque complètement dressés à pied avant qu’il les montât. Il faisait aussi, une fois en selle, un usage immodéré de l’éperon et m’écrivit à ce sujet en 1879 : « Nos deux écoles sont aux antipodes. Vous ne voulez pas : 1° de la cravache ; 2° des éperons ; et pour moi les jambes font tout, tout, TOUT. » Il y avait un peu d’exagération dans cette remontrance, car j’ai toujours voulu de la cravache et des éperons, sans leur donner toutefois un rôle aussi exclusif que le capitaine Raabe ; et mon école, comme il me faisait déjà l’honneur de l’appeler, a toujours accepté les enseignemens que le maître a tirés, pour l’emploi des aides, de ses merveilleuses études sur la locomotion.

Depuis Lancosme-Brèves et Raabe, de très nombreux ouvrages ont paru sur l’équitation et le dressage. On a de plus en plus cherché la petite bête et discuté à perte de vue sur des minuties, ou au contraire on a prêché le retour à l’équitation sans principes et sans maîtres, mais, en somme, les auteurs n’ont mis en lumière rien de nouveau.

Le plus remarquable de ces auteurs fut sans contredit le comte de Montigny, qui joignait à un savoir très étendu un grand sentiment du cheval et une expérience consommée et qui, peut-être à cause de cela, hésita souvent dans son enseignement. Dans les dernières années de sa vie, il ne voulait plus de pli du côté du mouvement et recommandait même de n’employer que les effets latéraux qui donnent le pli du côté opposé ; selon moi, l’écuyer doit toujours s’inspirer pour cela des difficultés qu’il rencontre, de la conformation et des dispositions de chaque cheval, mais la perfection est de donner le léger pli de la tête sur l’encolure, tel que le comte de Montigny l’a fort bien défini dans ses premiers ouvrages. A la même époque, il eut une autre idée, fort jolie celle-ci, qu’il n’eut pas le temps de publier, et qui consistait à commencer toujours le travail au galop par les départs à faux. On arrive facilement ainsi à avoir des chevaux qui ne galopent jamais de travers et qui changent de pied très facilement.

M. Barroil, un des élèves préférés du capitaine Raabe, a su présenter avec autant de clarté que d’exactitude, dans son bel ouvrage l’Art équestre, toute la doctrine de l’éminent écuyer. Cette méthode que, pour ma part, je n’approuve pas, est en tout cas bien supérieure aux écrits de Baucher. L’auteur veut que le dresseur se fasse « comprendre » du cheval et « lui inculque la connaissance du bien et du mal au point de vue de l’exploitation par l’homme ». Les procédés d’éducation doivent « s’adresser au moral » de la bête, et leur efficacité sera d’autant plus grande qu’ils seront mieux en rapport avec la « psychologie et la physiologie hippiques. » Les cinq premiers chapitres sont consacrés au travail à pied, à la cravache : assouplissement de l’encolure et de la mâchoire ; assouplissement de la croupe par les pirouettes renversées et des épaules par les pirouettes ordinaires ; assouplissement du rein par le reculer, exercices au pas d’une et de deux pistes ; rassembler de pied ferme, puis au pas et au petit trot ; passage, piaffer. Puis le cavalier monte à cheval et recommence la même série d’assouplissemens, d’abord en place, puis en marche.

Le comte Raoul de Gontaut-Biron, ancien écuyer à San mur, publia dernièrement un livre intitulé : Travail à la longe et dressage à l’obstacle. Il recommande l’usage de la longe au début du dressage, l’emploie très fréquemment pendant de longues séances et dit s’en trouver bien ; il s’en sert également pour le dressage à l’obstacle, ainsi qu’on fait généralement aujourd’hui. Il étudie longuement le mécanisme du saut, prétend que le cheval, pour sauter, commence par retirer la tête et l’encolure sur le tronc pour décharger l’avant-main, puis allonge l’encolure pendant que l’arrière-main passe l’obstacle et au moment où les membres antérieurs prennent terre. C’est exactement le contraire qui a lieu, ainsi que le prouvent les nombreuses photographies instantanées de Del ton et celles de chevaux sautant en liberté que le capitaine Picard a réunies dans son bel Album d’hippiatrique et d’équitation de l’Ecole de cavalerie. Ainsi les indications données pour l’emploi des aides dans le livre du comté de Gontaut-Biron sont complètement fausses.

A l’Ecole de Saumur, où l’on pratique l’équitation avec beaucoup de vigueur et de goût, renseignement équestre a toujours péché, comme je l’ai dit, par le manque d’unité. Chaque écuyer en chef a successivement fait prévaloir ses idées, de sorte que les élèves et même les écuyers en sont arrivés à n’avoir plus guère de confiance dans toutes ces théories diverses et prétendent que tout s’apprend bien mieux par la seule pratique. La méthode qui, actuellement, est le plus en honneur à l’Ecole de cavalerie, sans toutefois être officiellement adoptée, est celle du commandant Duthil, ancien écuyer en chef de l’Ecole. Le capitaine Sieyès l’a rédigée avec beaucoup de soin sous le titre : Dressage du cheval de guerre et du cheval de chasse. Ce livre fourmille d’erreurs sur le mécanisme des allures. L’auteur dit que les aides « sont un langage qu’il faut arriver à faire comprendre au cheval » et prescrit en conséquence de lui infliger des punitions s’il n’écoute pas ; il rejette les flexions, reconnaissant que le jeune cheval n’a nullement besoin d’être assoupli au début ; il ne fait ces assouplissemens que plus tard et. toujours en marchant ; mais il insiste alors beaucoup sur la flexion d’abaissement qui. à mon avis, est non seulement inutile, mais très mauvaise, le cheval monté ne devant jamais avoir la tête basse ; il entre trop minutieusement dans une foule de détails, comme s’il était possible de déterminer dans un livre les causes de chaque mouvement du cheval et de prescrire exactement pour chaque cas des moyens spéciaux ; il parle de l’aide du corps, mais l’emploie souvent mal ; dit que « l’éducation du cavalier doit suivre une voie parallèle à celle du cheval » alors que, selon moi, ce sont deux choses fort différentes, car les mouvemens qu’un élève-cavalier obtiendra plus facilement d’un cheval dressé ne sont pas ceux qu’un cheval non dressé exécutera avec moins de peine. Le dressage commence par la leçon du montoir et le travail en bridon ; marcher, arrêter, demi-tours sur les épaules, passer du pas au trot et du trot au pas, changemens de direction et demi-tours fréquens ; en cas de désobéissance, coups de cravache. Le travail à l’extérieur, les mains basses, au pas, au trot et au galop, a lieu, à mon gré, trop tôt. Les éperons et surtout le caveçon sont employés comme moyens de correction avec une brutalité qui rappelle les procédés des premiers écuyers. On revient au manège pour achever le dressage : travail en cercle, mouvemens de deux pistes ; tête au mur avant la croupe au mur ; pour le travail en bride on commence par employer les deux mors simultanément ; les départs au galop se font d’abord par allongement d’allure.

Le dressage du cheval d’après le dernier Règlement sur les exercices de la cavalerie ne commence qu’à l’âge de cinq ans. Les principes sont fondés principalement sur l’appât des récompenses et la crainte des châtimens (éperons, cravache, chambrière et caveçon). Travail à la longe en cercle, d’abord sans cavalier, puis monté ; on commence presque aussitôt à faire sentir les éperons et l’on corrige avec le caveçon si le cheval ne se porte pas en avant ; ensuite on entreprend de passer et de franchir les obstacles, le cavalier à pied tenant la longe, puis le cheval monté. La série des mouvemens de l’école du cavalier s’adapte également à l’éducation du cheval, c’est-à-dire : marcher, arrêter, tourner à droite et à gauche ; passer du pas au trot et du trot au pas, doubler, changement de main ; volte, demi-volte ; allonger et ralentir les allures : partir au galop ; enfin appuyer.


IV

Quand, il y a plus de vingt ans, j’ouvris. — avec quel respect ! — les livres des écuyers anciens et modernes, je fus d’abord frappé du désaccord qu’il y avait entre eux, ainsi que du manque d’ordre et de clarté de la plupart des méthodes, défauts dont on a pu juger par ce qui précède, bien que j’aie laissé de côté tous les détails pour ne m’occuper ici que des points fondamentaux. Cependant il me sembla que toutes les dissensions qui séparaient les maîtres étaient plus apparentes que réelles, et je m’efforçai, en pratiquant le dressage des poulains et des chevaux rétifs, en expérimentant chaque jour les différens systèmes, de choisir un peu partout les moyens qui fussent les plus pratiques et en même temps les plus susceptibles de former un tout homogène.

Le savant Traité des résistances du lieutenant-colonel Gerhardt arrêta particulièrement mon attention sur la question de l’intelligence du cheval. Jusque-là, j’avais cru, comme tout le monde, à un certain degré d’intelligence chez cet animal ; je pensais qu’il fallait lui faire comprendre ce qu’on voulait qu’il fît et je tâchais d’employer les moyens les plus convenables. Je remarquais cependant de plus en plus que, décidément, les chevaux ne sont pas doués d’une perspicacité bien merveilleuse. C’est alors que, dans la deuxième partie du Traité des résistances, intitulée : Philosophie hippique, au chapitre De l’instinct et de l’intelligence, je trouvai cette phrase : « Or je le demande en conscience à tous nos hippiatres, à tous nos écuyers, à tous nos hommes spéciaux en matière chevaline, quels sont les signes de l’intelligence si surprenante que quelques-uns persistent à attribuer au cheval et que, pour mon compte, je n’ai jamais pu saisir ? » phrase qui malheureusement est fréquemment contredite dans le même livre. Je réfléchis à cela longtemps, longtemps ; je me mis à lire les ouvrages spéciaux et surtout à observer attentivement non seulement les chevaux, mais encore les chiens, à faire chaque jour de nouvelles expériences, et j’arrivai à me convaincre qu’en réalité il est impossible, si l’on veut examiner les faits sans parti pris, d’y trouver aucune manifestation d’intelligence, c’est-à-dire de choix libre, de volonté.

Or, il me semble, comme à La Guérinière, que les deux choses fondamentales que doit connaître quiconque veut entreprendre le dressage des chevaux sont :

1° La nature de l’animal ;

2° Le mécanisme de ses allures.

Le capitaine Raabe nous a révélé les lois de la locomotion d’une manière très exacte et assez complète pour permettre aux écuyers de savoir en toutes circonstances à quel instant précis ils doivent agir pour obtenir ce qu’ils désirent et comment l’animal peut l’exécuter. Ce point est donc acquis définitivement. En ce qui concerne ce qu’on appelle le « moral » du cheval, il serait très désirable que les savans, physiologistes et psychologues, nous lissent enfin connaître la vérité ; mais en attendant qu’ils se mettent d’accord, ce qui vraisemblablement n’arrivera pas de sitôt, il me paraît raisonnable de rester tout au moins dans le doute, d’agir par conséquent comme si l’animal cédait fatalement, machine vivante, à toutes les sensations physiques qu’il reçoit des objets environnans, et de ne pas se préoccuper des réflexions qu’il peut ou ne peut pas faire. Ce parti sera d’autant plus sage que, de même que je délie qu’on cite un seul fait expérimental prouvant que le cheval ait un degré quelconque d’intelligence, je défie qu’on me cite dans tous les ouvrages hippiques, même dans ceux dont les auteurs ont accordé au cheval le plus d’intelligence, un seul exemple d’un mouvement déterminé à l’aide d’un moyen autre qu’une sensation physique. Tous les procédés de dressage, le prétendu langage conventionnel établi entre le cavalier et l’animal, consistent invariablement dans les moyens mécaniques, ainsi que l’ont reconnu formellement beaucoup de maîtres dans différens passages de leurs livres ; tout se réduit en somme à la fameuse formule : « Tirez dessus et tapez dedans » qui, bien comprise, résume d’une manière pittoresque toute la science du cavalier, mais dans laquelle malheureusement les ignorans cherchent l’excuse de toutes les brutalités.

Si l’on admet qu’il soit possible que l’animal n’ait pas conscience de ses actes, on doit nécessairement supprimer tout châtiment et n’employer le caveçon, les éperons et la cravache, que pour produire des sensations proportionnées non pas à la gravité de la prétendue faute commise, mais à la seule sensibilité de l’animal. Ce qui est certain, en effet, c’est que les chevaux ont un système nerveux plus ou moins impressionnable, contractent rapidement des habitudes très diverses selon les impressions différentes qu’ils ont reçues, et qu’il dépend entièrement du dresseur de faire naître telles ou telles habitudes en produisant telles ou telles impressions et en évitant avec le plus grand soin toutes celles qui pourraient avoir des effets opposés à ce qu’il se propose. Aussi, avec La Guérinière, je pense que le premier dressage, le débourrage du poulain est ce qui a le plus d’importance ; et je ne crains pas d’affirmer que, si l’on ne provoque pas maladroitement de mauvaises habitudes, aucun cheval ne deviendra rétif.

Voilà donc deux premières règles établies :

1° Tout se fait en dressage, sans le concours de l’intelligence du cheval, par le moyen des sensations et des habitudes ;

2° Le dresseur doit connaître suffisamment le mécanisme des allures pour ne jamais exiger un mouvement quand il est impossible au cheval de l’exécuter[5].

Reste à faire un choix parmi tous les moyens qui ont été successivement préconisés par les maîtres. Nous voyons tout d’abord que, si les premiers écuyers ont exercé les chevaux dans les terres labourées, c’est parce que la lourdeur du terrain rendait les mouvemens du cheval difficiles, par conséquent l’empêchait de s’emporter ou de se défendre longuement ; mais il y avait un grave inconvénient, celui de fatiguer considérablement les membres et même les organes essentiels d’un jeune animal, encore inaccoutumé au travail. De plus, comme l’a fort bien dit le comte d’Aure dans son Aperçu des diverses équitations, les chevaux du temps de Grison étaient lourds et apathiques, manquaient de sensibilité ; il fallait donc user de quelque violence pour réveiller leur ardeur ; mais les mêmes moyens employés aujourd’hui sur nos chevaux qui ont beaucoup plus de sang produiraient infailliblement de graves désordres et seraient désastreux. Les manèges clos constituent un immense progrès, puisqu’ils permettent de se rendre complètement maître du cheval qui ne reçoit aucune impression de l’extérieur, qui travaille sur un bon terrain et qui trouve dans les murs des obstacles dont un dresseur habile peut tirer le plus grand parti pour réduire toujours l’animal à l’obéissance sans avoir recours à la brutalité. C’est donc dans un manège que doit se faire le premier dressage ; on peut à la rigueur se servir d’un endroit clos et tranquille ; mais jamais on n’y obtiendra des résultats aussi certains ni aussi rapides que dans un manège bien construit et de bonnes dimensions.

Maintenant, faut-il, au début, employer le pilier, les deux piliers, la longe ou la cravache ? Il est certain que le dresseur doit, avant toutes choses, se rendre maître de la tête de l’animal de manière que celui-ci ne puisse en aucun cas s’échapper ; et qu’aussitôt ensuite il doit s’assurer les moyens d’obtenir le mouvement en avant.

Le cheval étant attaché au pilier par une longe solide, on est maître de sa tête ; en le faisant tourner à droite et à gauche à l’aide de petits coups donnés sur la cuisse ou sur le flanc, on devient aussitôt maître de l’arrière-main, c’est-à-dire de l’impulsion ; quand la croupe cédera aisément ainsi, il sera facile de faire exécuter les mêmes mouvemens à cheval, à l’aide de l’un ou de l’autre talon et, par suite, de déterminer l’animal en avant par l’action simultanée des deux talons. Le pilier oppose, en cas de besoin, une résistance toujours supérieure à celle du cheval, mais il a l’inconvénient, — comme tous les instrumens qui ne sont pas mis directement en action par l’homme, — de ne pas céder ou résister proportionnellement aux mouvements du cheval ; de plus, ainsi qu’on l’a fait remarquer à Pluvinel, on n’a pas toujours un pilier sous la main, et il faut dans la pratique diminuer le plus possible les difficultés et les embarras.

Les deux piliers, ne permettant pas de faire mouvoir la croupe aussi complètement que le pilier seul, préparent moins bien le cheval au mouvement en avant ; ils peuvent même le disposer à se retenir, à s’acculer et à se défendre. Pluvinel et ses successeurs avaient raison de s’en servir pour obtenir la pesade, la croupade, la courbette, la cabriole, en profitant de la première pétulance du jeune cheval ; mais aujourd’hui, les chevaux ainsi dressés ne pouvant être mis entre les mains de tous les cavaliers, il vaut mieux laisser de côté ces anciens airs de manège pour ne s’occuper que du dressage pratique et n’employer les deux piliers que dans quelques cas spéciaux vers la fin du dressage.

La longe, malgré son apparence débonnaire, a des inconvéniens encore plus graves. D’abord elle laisse trop de liberté à la tête et, quelque habile que soit le dresseur, un animal violent peut souvent se livrer à des bonds et à des défenses qui font naître de mauvaises habitudes et qu’on ne peut réprimer que par un emploi violent du caveçon dont les réactions sont désastreuses pour les reins et pour les jarrets ; elle dispose en outre le cheval à travailler avec la croupe en dehors du cercle et à se désunir au galop. Ces mauvais effets sont beaucoup moindres dans les cirques, — d’où nous vient probablement l’usage de la longe, — parce que l’animal se trouve là contenu sur la ligne circulaire par la balustrade qui entoure la piste. Le dressage à la cravache n’a aucun de ces désavantages et serait excellent si ceux qui le préconisent n’en abusaient pas en le faisant durer beaucoup trop longtemps et en lui demandant beaucoup plus qu’il n’est nécessaire. Des praticiens habiles comme le capitaine Raabe, le lieutenant-colonel Gerhardt, le capitaine Van den Hove en obtiennent certainement des résultats fort beaux et surtout très curieux. Mais la grande majorité des cavaliers, en voulant les imiter, ne réussiraient qu’à rendre leurs chevaux rétifs. Il faut, en effet, pour bien exécuter ce travail, une habileté spéciale acquise par une longue étude de ce que le capitaine Raabe lui-même appelait « l’escrime de la cravache ». J’ajouterai qu’on perd ainsi un temps considérable, car, quoi qu’en disent quelques enthousiastes, les chevaux dressés pendant des mois à la cravache, sans avoir jamais été montés, présentent presque autant de difficultés que les autres les premières fois qu’on les monte, la gymnastique qu’ils ont faite ne les ayant nullement préparés à porter le poids du cavalier qui leur cause la même fatigue et fait naître les mêmes désordres. Enfin, un vrai cavalier, pourvu qu’il soit valide, aura toujours plus de plaisir à monter le cheval dès que cela est possible, et à tout obtenir en selle, qu’à piétiner à côté de l’animal tenu en laisse.

Voici donc comment il me semble qu’on doit fondre en une seule toutes les différentes méthodes :

On mettra au jeune cheval un bridon et un caveçon ou, à défaut, un licol solide muni d’un anneau sur la muserolle, auquel anneau sera attachée une simple longe d’écurie, ce qui permet à tout homme adroit d’être parfaitement maître de la tête du cheval ; on le promènera ainsi quelques instans au pas et au petit trot, puis, touchant le liane ou la cuisse avec la cravache en proportionnant les coups à la sensibilité du cheval et en faisant agir en même temps le bridon ou le caveçon, on pourra toujours déplacer la croupe et faire tourner le cheval sur des cercles qu’on rétrécira de plus en plus, l’arrière-main décrivant un cercle plus grand que les épaules. Aucun cheval ne peut résister à ces moyens. C’est donc incontestablement par là qu’il faut commencer, d’autant plus que, connue l’a dit La Guérinière, le cheval qui tourne ainsi en cercle avec l’épaule en dedans « va toujours en avant ». Quand il exécute bien au pas et au petit trot ces voltes renversées de deux pistes, qu’on entremêle fréquemment de promenades en ligne droite, — c’est-à-dire après deux ou trois séances d’une demi-heure, — le dressage est déjà très avancé, car le cheval a pris l’habitude de céder à l’homme et se trouve presque dans l’impossibilité de résister aux premières exigences du cavalier adroit.

On peut commencer ce travail longtemps à l’avance, presque depuis le sevrage du poulain, ce qui le prépare lentement et sans aucun danger possible à tout ce qu’il devra faire plus tard ; lui mettre sur le dos d’abord un simple tapis, puis une selle, puis, dans des sacoches bien assujetties, des lames de plomb dont on augmente le nombre progressivement afin de l’habituer ainsi, sans fatigue pour ses reins ni pour ses membres, au poids du cavalier, qui est presque toujours la seule cause des premières résistances. S’il n’a pas été ainsi préparé de longue date, on fera durer les exercices dont je viens de parler pendant le temps qu’on jugera nécessaire pour que le poids du cavalier soit facilement supporté.

Alors le dresseur fera monter le cheval par un cavalier léger, adroit et obéissant, qui sera d’abord simplement un fardeau sur le dos de l’animal, et on répétera les mouvemens précédons, le cavalier se servant alternativement de chaque jambe pour déplacer l’arrière-main, le dresseur renforçant au besoin cette action de la jambe par le loucher de la cravache et faisant en même temps les oppositions de mains nécessaires pour que la croupe cède toujours.

Aussitôt cela obtenu, c’est-à-dire après une ou deux séances, le dresseur se mettra lui-même en selle, tenant les rênes du filet séparées, et désormais il fera seul, à cheval, tout le dressage.

La selle devra être placée sur le dos, non sur le rein ; le cavalier devra chasser les fesses en avant et descendre les cuisses sans efforts. Le cheval aura une bride ordinaire complète.

L’animal cédant bien à l’action isolée de chaque jambe et le cavalier étant ainsi maître de l’impulsion, rien ne sera plus facile que d’obtenir la marche en avant et les changemens de direction ; chaque fois qu’il y aurait une résistance, on reviendrait aux pas de côté, soit adroite, soit à gauche, sur des cercles, avec l’épaule en dedans ; on évitera ainsi toutes les défenses et en particulier l’acculement, et on triomphera facilement de toutes les résistances.

Pour les chevaux qui se montreraient impatiens au montoir, il ne faudra jamais insister au commencement de la séance, mais monter et descendre plusieurs fois chaque jour avant de les rentrer à l’écurie, lorsqu’ils sont calmés et un peu fatigués.

De bonne heure on accoutumera l’animal à l’éperon dont on commencera à se servir par petits coups, toujours pendant le mouvement et de préférence pendant les pas de côté, quand le cheval sera un peu échauffé par le travail ; s’il s’y montrait particulièrement sensible, on ferait bien de profiter, les premières fois, du moment de la défécation. Contrairement au comte de Montigny, je pense que tous les chevaux supportent bien l’éperon quand on sait les y habituer et que c’est une aide trop utile et trop puissante pour qu’on en néglige l’emploi. En cas de résistance, on devra toujours s’en servir, ainsi que de la cravache, par petits coups répétés, en insistant jusqu’à ce que le cheval cède. Quelquefois, lorsqu’on sent qu’il va hésiter, s’arrêter ou se dérober, les deux éperons ou la cravache énergiquement appliqués ont un plein succès ; si l’on n’a pas réussi du premier coup, il ne faut pas récidiver, mais faire faire quelques voltes renversées de deux pistes, soit adroite soit à gauche, puis reporter le cheval en avant.

Peu à peu on réglera les allures, on donnera une bonne position à l’encolure qui devra toujours être dans la direction de la ligne suivie, avec la tête plutôt haute ; et l’on assouplira toutes les parties du corps les unes par les autres, en faisant, s’il y a lieu, des flexions, mais toujours à cheval et en mouvement, comme faisaient les anciens écuyers. On fera beaucoup de pas de côté, d’abord avec l’épaule en dedans le long du muret sur les cercles, puis la croupe au mur avec un léger pli du côté du mouvement, et enfin la tête au mur. Il ne faut pas commencer par la tête au mur, parce qu’il est nécessaire d’avoir toujours le terrain libre devant soi ; il ne faut pas non plus s’attacher les premières fois à suivre exactement une ligne déterminée ; l’essentiel, l’indispensable, c’est que le cheval cède, même d’une façon peu appréciable, à la jambe et fasse son mouvement en avançant, afin qu’en obliquant à droite ses membres gauches puissent facilement passer devant les membres droits et vice versa. On fera aussi beaucoup de changemens de main, voltes et demi-voltes, pirouettes sur les épaules et sur les hanches, et l’on aura particulièrement soin défaire toujours agir les aides à l’instant précis prescrit par le capitaine Raabe, afin que le cheval puisse exécuter facilement ce qu’on veut ; on se conformera pour l’aide du corps aux excellentes recommandations de Lancosme-Brèves, mais de manière que les mouvemens du cavalier soient tout à fait imperceptibles pour les spectateurs.

On allongera et ralentira le trot et le pas, puis on répétera tous les mouvemens précédens au passage. On placera de mieux en mieux la tête et l’encolure selon la conformation et les allures, et l’on ne se préoccupera de la question d’équilibre qu’au point de vue de l’harmonie qui doit toujours exister entre les mouvemens de l’avant-main et ceux de l’arrière-main et qui est souvent détruite quand on exige trop. On fera de temps en temps quelques pas de reculer en exigeant davantage au fur et à mesure que le cheval s’assouplira. Pendant le reculer, la tête devra être plutôt basse.

En dernier lieu on travaillera le cheval au galop. On fera les premiers départs à faux, comme le voulait le comte de Montigny, en passant toujours du pas au galop et en exigeant un léger pli de la tête sur l’encolure du côté du mouvement.

Pour les sauts d’obstacles, on commencera autant que possible à faire sauter le cheval en liberté dans un couloir ; à défaut de couloir, le cavalier, en selle, fera d’abord passer au pas des obstacles insignifians ; il sera ainsi bien plus maître du cheval qu’en le tenant à la longe ; on élèvera très graduellement les obstacles en évitant de fatiguer et de rebuter les chevaux.

Telle est la méthode qui me paraît la plus rationnelle et la plus pratique ; on a pu voir qu’elle émane directement de toutes celles qui l'ont précédée ; mais elle laisse de côté les exagérations toujours inutiles et souvent dangereuses, rejette tous les engins bizarres auxquels on attribue faussement le pouvoir de suppléer au savoir-faire du cavalier, réduit au minimum possible le nombre des instrumens dont se sert le dresseur, et est, je crois, plus qu'aucune autre, à la portée de tous. C'est celle qui est actuellement suivie, — sauf pour l'emploi de la longe dans la préparation aux sauts d'obstacles, — à l'École d'équitation d'Ypres, que l'on peut considérer comme le conservatoire de notre belle équitation française. Cette Ecole, en publiant le Traité de dressage des chevaux de troupe adopté officiellement dans l'armée belge, m'a fait le très grand honneur de reproduire de nombreux passages de mes livres, notamment sur l'accord des aides, l'équilibre équestre, les principes tirés de la locomotion, les préliminaires du dressage, la position du cavalier à cheval, l'emploi de l'éperon, le travail à l'extérieur, le trot enlevé, la tenue des rênes, la mise en main, le travail au galop et les sauts d'obstacles. Il est facile de se rendre compte des excellens résultats qu'on obtient à Ypres, où l'instruction des cavaliers et le dressage des chevaux sont supérieurs à ce que j'ai vu partout ailleurs ; où les chevaux les plus rétifs sont promptement dressés et assouplis au point de ne plus présenter la moindre résistance, et cela sans avoir jamais recours à la brutalité.

Je terminerai en répétant une fois encore que l'équitation n'est pas une science, comme plusieurs auteurs l'ont dit, mais un art. Assurément cet art, comme tous les autres, repose sur des connaissances scientifiques plus ou moins certaines, physiologiques, anatomiques, mécaniques, etc., et sur la tradition ; mais l'équitation elle-même ne saurait être une science, par cette raison qu'il est impossible de dire exactement : Dans tel cas vous ferez ceci ou cela. En matière de dressage, on ne peut poser de règles que pour le début, qui est, il est vrai, la partie la plus importante ; une fois le cheval en bonne voie, il faut laisser l'application des principes à l'appréciation des cavaliers. Chacun obtiendra des résultats plus ou moins brillans en apportant dans l'exécution son sentiment et son habileté d'artiste.


F. MUSANY.


  1. Arrêter court.
  2. Air de manège dans lequel le cheval lève l’avant-main en tenant les pieds de derrière fixés à terre.
  3. Des manèges.
  4. Voyez la Revue du 1er octobre 1892 (l’Enseignement de l’Equitation en France).
  5. Exemples : Lever le pied d’un cheval pendant que le poids de son corps repose davantage sur ce pied ; tourner à droite pendant l’appui du membre antérieur droit, etc., etc.