Les Mémoires d’un veuf/La morte

Œuvres complètes - Tome IVVanier (Messein) (p. 221-222).

LA MORTE


Au temps jadis, hélas ! déjà, — qu’on vieillit donc sans s’assez vite rapprocher de la tombe ! — comme je faisais ma cour, bien classique et bien bourgeoise avec une pointe atroce, exquise, absurde, de sceptique enthousiasme, — il me souvient que j’écrivais les lignes drôles que voici à peu près :

« Elle sera petite, mince avec une crainte d’embonpoint, presque simple en sa toilette, un peu coquette seulement, mais très peu. Je la vois toujours en gris et en vert, vert tendre et gris sombre à cause de ses cheveux indécis, plutôt foncés dans le châtain clair, et de ses yeux dont on ne saurait dire la la couleur ni deviner l’instinct. Bonne peut-être, bien que vraisemblablement vindicative et susceptible de rancunes irrémédiables.

« Des mains toutes petites, un tout petit front que le baiser peut saluer vite pour passer à d’autres choses.

« À la tempe, une fleur bleue de veines faciles à gonfler par les colères préméditées pour des causes pardonnables après tout. Enfin, une femme digne de nous, tempétueuse sous l’orage comme la mer, mais douce et berceuse comme elle aussi, énergique et méritant qu’on lutte avec elle de câlineries et de courroux. »