Les Mémoires d’un veuf/Jeux d’enfants

Œuvres complètes - Tome IVVanier (Messein) (p. 255-257).

JEUX D’ENFANTS


I


Je me promenais rêveur à travers les champs pelés et blafards de l’extrême banlieue parisienne, lorsque mon attention fut attirée par des voix d’enfants chantant un air autrefois entendu, me semblait-il, et qui me remplit soudain de tristesse, d’inquiétude et presque d’angoisse. Je marchai dans la direction des voix, et ce que je vis, je ne veux pas le dire avant d’avoir prévenu le lecteur que je ne fais pas assez de cas de la vérité pour jamais me donner la fatigue de l’altérer ou même de l’inventer. Mes amis et mes connaissances peuvent au besoin me rendre ce témoignage.

Or, c’étaient des enfants de cinq à dix ans qui jouaient à « l’enterrement », un jeu comme un autre, après tout. L’un représentant le mort, couché par terre, la tête recouverte d’un mouchoir, ses bras en croix sur sa poitrine, ses jambes allongées et ses pieds joints, le tout remuant le moins possible, ne parodiait pas trop mal un petit cadavre. Autour bambins et bambines, qui mangeant une interminable tartine, qui se grattant la tête, qui renfonçant le pan de sa chemise à l’endroit sur lequel on est coutumier de s’asseoir, psalmodiaient de leur timbre frais et faux un De profundis puéril, tandis qu’un autre, assisté de deux autres, tous trois emmitoufflés de vieux châles octroyés par maman, officiait sur une pierre kilométrique.

Ce spectacle fit faire à mes lèvres un mouvement auquel mes pensées ne les ont guère habituées ; et vous saurez de quelle nature fut mon sourire, quand je vous aurai appris que mon sentiment à l’égard de « cet âge » est exactement celui professé par le fabuliste Jean de Lafontaine.


II


Pourquoi le Poète, qui n’est qu’un enfant en somme, un peu moins consciemment pervers que les autres peut-être, pourquoi le Poète, lui aussi, ne jouerait-il pas à « l’enterrement » ? Ou, si vous aimez mieux, pourquoi ne se distrairait-il pas à manier les choses funèbres de ses innocentes mains sacrilèges ? Pourquoi, en un mot, ne fût-ce qu’à ces fins de se conformer à l’esprit d’un siècle qui paraît avoir à jamais répudié la mélancolie, et ne songe plus qu’à rigoler (pour faire un emprunt au plantureux vocabulaire de Rabelais et de Gavroche), pourquoi ne prendrait-il pas des familiarités avec cette grande pince-sans-rire qu’on appelle l’Horreur, au risque d’évoquer, lui aussi, derrière lui, dans la Contingence, vers l’Inconnu, quelque méprisant rictus ?