Les Lois (trad. Cousin)/Livre premier

Œuvres de Platon,
traduites par Victor Cousin
Tome septième & huitième
Les Lois | Argument philosophique | Notes

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LES LOIS.
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Interlocuteurs.
UN ÉTRANGER ATHÉNIEN, qui est ici
Platon lui-même
 ; CLINIAS, CRÉTOIS ;
MEGILLE, LACÉDÉMONIEN.


La scène est en Crète, sur le chemin de Cnosse au temple
de Jupiter, où se rendent les trois interlocuteurs.
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LIVRE PREMIER.
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L’ATHÉNIEN.

Étrangers, quel est celui qui passe chez vous pour le premier auteur de vos lois ? Est-ce un Dieu ? est-ce un homme ?

CLINIAS.

Étranger, c’est un Dieu ; nous ne pouvons avec justice accorder ce titre à d’autre qu’à un Dieu. Ici, c’est Jupiter ; à Lacédémone, patrie de Mégille, on dit, je crois, que c’est Apollon[1]. N’est-il pas vrai, Mégille ?

MÉGILLE.

Oui.

L’ATHÉNIEN.

Racontes-tu la chose comme Homère, que tous les neuf ans Minos allait régulièrement s’entretenir avec son père, et que ce fut d’après ses réponses qu’il rédigea les lois des villes de Crète[2] ?

CLINIAS.

Telle est en effet la tradition reçue chez nous. On y dit aussi que Rhadamanthe, frère de Minos, dont le nom ne vous est pas sans doute inconnu, fut le plus juste des hommes ; et nous croyons, nous autres Crétois, qu’il a mérité cet éloge par son intégrité dans l’administration de la justice.

L’ATHÉNIEN.

C’est un éloge bien glorieux, et qui convient parfaitement à un fils de Jupiter. J’espère qu’ayant été élevés l’un et l’autre dans des États si bien policés, vous consentirez sans peine à ce que nous nous entretenions ensemble pendant la route sur les lois et la politique. D’ailleurs il y a une assez longue marche, à ce que j’ai ouï dire, de Cnosse à l’antre[3] et au temple de Jupiter. Les grands arbres qui sont sur le chemin nous offriront sous leur ombre des endroits pour nous reposer, et nous mettre à l’abri de la chaleur de la saison. Il sera très à propos, à notre âge, de nous y arrêter souvent pour reprendre haleine, et, nous soulageant mutuellement par le charme de la conversation, d’arriver ainsi sans fatigue au terme de notre voyage.

CLINIAS.
Étranger, en avançant, nous trouverons dans les bois consacrés à Jupiter, des cyprès d’une hauteur et d’une beauté admirables, et des prairies où nous pourrons nous arrêter et nous reposer.
L’ATHÉNIEN.

À merveille.

CLINIAS.

Oui, mais nous le dirons plus volontiers encore quand nous y serons. Allons sous les auspices de la fortune.

L’ATHÉNIEN.

Soit ; eh bien, dis-moi, je te prie, pourquoi la loi a-t-elle établi chez vous les repas en commun, les gymnases et l’espèce d’armes dont vous vous servez ?

CLINIAS.

Étranger, il est aisé, ce me semble, à tout homme d’apercevoir quelle a été chez nous la raison de ces institutions. Vous voyez quelle est dans toute la Crète la nature du terrain ; ce n’est point un pays de plaines comme la Thessalie. Aussi la course à cheval est-elle beaucoup plus en usage en Thessalie, et ici la course à pied : le terrain en effet, à raison de son inégalité, y est bien plus propre à ce genre d’exercice[4]. En ce cas il est nécessaire d’avoir des armes légères, qui ne nuisent point à la vitesse par leur pesanteur ; et on ne pouvait en imaginer de plus convenables à cet égard que l’arc et la flèche. Ces institutions au reste ont été faites en vue de la guerre ; il me paraît même que dans toutes les autres, notre législateur ne s’est point proposé d’autre fin que celle là. Car il semble que ce qui l’a déterminé à établir les repas en commun, c’est qu’il a remarqué que chez tous les peuples, lorsque les troupes sont en campagne, le soin de leur propre sûreté les oblige à prendre leurs repas en commun tout le temps que la guerre dure. Et en cela il a voulu condamner l’erreur de la plupart des hommes, qui ne voient pas qu’il y a entre tous les États une guerre toujours subsistante ; et qu’ainsi, puisqu’il est nécessaire pour la sûreté publique, en temps de guerre, que les citoyens prennent leur nourriture ensemble, et qu’il y ait des chefs et des soldats toujours occupés à veiller à la défense de la patrie, cela n’est pas moins indispensable durant la paix : qu’en effet ce qu’on appelle ordinairement paix n’est tel que de nom, et que, dans le fait, sans qu’il y ait aucune déclaration de guerre, chaque État est naturellement toujours armé contre tous ceux qui l’environnent. En considérant la chose sous ce point de vue, tu trouveras que le plan du législateur des Crétois, dans toutes ses institutions publiques et particulières, porte sur la supposition d’un état de guerre continuelle, et qu’en nous recommandant l’observation de ses lois, il a voulu nous faire sentir que ni les richesses, ni la culture des arts, ni aucun autre bien, ne nous serviraient de rien, si nous n’étions les plus forts à la guerre, la victoire transportant aux vainqueurs tous les avantages des vaincus.

L’ATHÉNIEN.

Je vois, étranger, que tu as fait une étude profonde des lois de ton pays. Mais explique-moi ceci encore plus clairement. Autant que j’en puis juger, tu ne regardes un État comme parfaitement bien policé, que quand sa constitution lui donne une supériorité marquée, à la guerre, sur les autres États. N’est-ce pas ?

CLINIAS.

Oui : et je pense que Mégille est en cela de mon avis.

MÉGILLE.

Comment, mon cher, un Lacédémonien pourrait-il être d’un autre avis ?

L’ATHÉNIEN.
Mais cette maxime, qui est bonne pour les États à l’égard des autres États, ne serait-elle pas mauvaise pour une bourgade à l’égard d’une autre bourgade ?
CLINIAS.

Point du tout.

L’ATHÉNIEN.

C’est donc la même chose ?

CLINIAS.

Oui.

L’ATHÉNIEN.

Mais quoi ? est-ce aussi la même chose pour chaque famille d’une bourgade par rapport aux autres familles, et pour chaque particulier à l’égard des autres particuliers ?

CLINIAS.

Oui.

L’ATHÉNIEN.

Et le particulier lui-même, faut-il qu’il se regarde comme son propre ennemi ? Que dirons-nous à cela ?

CLINIAS.

Étranger athénien (car je ne voudrais pas t’appeler habitant de l’Attique, et tu me parais mériter plutôt d’être appelé du nom même de la déesse[5]), tu as jeté sur notre discours une nouvelle clarté, en le ramenant à son principe : aussi te sera-t-il plus aisé maintenant de reconnaître si nous avons raison de dire que tous sont ennemis de tous, tant les États que les particuliers, et que chaque individu est en guerre avec lui-même.

L’ATHÉNIEN.

Comment cela, je te prie ?

CLINIAS.

Par rapport à chaque individu aussi, la première et la plus excellente des victoires est celle qu’on remporte sur soi-même ; comme aussi de toutes les défaites la plus honteuse et la plus funeste est d’être vaincu par soi-même ; ce qui suppose que chacun de nous éprouve une guerre intestine.

L’ATHÉNIEN.

Renversons donc l’ordre de notre discours. Puisque chacun de nous est supérieur ou inférieur à soi-même, dirons-nous que cela a également lieu à l’égard des familles, des bourgs et des États, ou ne le dirons-nous pas ?

CLINIAS.

Quoi ? que les uns sont supérieurs à eux-mêmes, les autres inférieurs ?

L’ATHÉNIEN.
Oui.
CLINIAS.

C’est encore avec beaucoup de raison que tu me fais cette demande ; oui, les États sont absolument à cet égard dans le même cas que les particuliers. En effet, partout où les bons citoyens ont l’avantage sur les méchants, qui font le grand nombre, on peut dire d’un tel État qu’il est supérieur à lui-même, et une pareille victoire mérite à juste titre les plus grands éloges : c’est le contraire partout où le contraire arrive.

L’ATHÉNIEN.

N’examinons pas, pour le présent, s’il se peut faire quelquefois que le mal soit supérieur au bien, cela nous mènerait trop loin. Je comprends ta pensée : tu veux dire que dans un État composé de citoyens formant entre eux une espèce de famille, il arrive quelquefois que la multitude des méchants, venant à se réunir, met la force en usage pour subjuguer le petit nombre des bons ; que, quand les méchants ont le dessus, on peut dire avec raison que l’État est inférieur à lui-même et mauvais ; qu’au contraire, lorsqu’ils ont le dessous, il est bon, et supérieur à lui-même.

CLINIAS.

Il est vrai qu’au premier abord cela paraît étrange à concevoir ; cependant il faut de toute nécessité convenir que la chose est ainsi.

L’ATHÉNIEN.

Soit ; maintenant examinons ceci. Supposons plusieurs frères nés du même père et de la même mère. Ce ne serait pas une chose extraordinaire que la plupart fussent méchants, et que le petit nombre fut celui des bons.

CLINIAS.

Non.

L’ATHÉNIEN.

Il ne serait pas séant, ni à vous, ni à moi, de rechercher si, les méchants étant les plus forts, toute la maison et la famille serait dite avec raison inférieure à elle-même, et supérieure, s’ils étaient les plus faibles ; car il ne s’agit point ici des mots, et nous n’examinons pas quelle expression convient ou non selon l’usage, mais ce qui est bien ou mal en matière de lois, selon la nature des choses.

CLINIAS.

Rien de plus vrai que ce que tu dis, étranger.

MÉGILLE.

Pour mon compte, je suis content jusqu’à présent de ce que je viens d’entendre.

L’ATHÉNIEN.

Considérons encore ce qui suit. Ne peut-on pas supposer que ces frères dont j’ai parlé tout à l’heure ont un juge ?

CLINIAS.

Sans doute.

L’ATHÉNIEN.

Quel serait le meilleur juge, celui qui ferait mourir tous ceux d’entre eux qui sont méchants, et ordonnerait aux bons de se gouverner eux-mêmes, ou celui qui, remettant toute l’autorité aux bons, laisserait la vie aux méchants, après les avoir engagés à se soumettre volontairement aux autres ? Et s’il s’en trouvait un troisième qui, se chargeant de remédier aux divisions d’une telle famille sans faire mourir personne, imaginât un moyen de réconcilier les esprits et de les rendre tous amis pour la suite, en leur faisant observer de certaines lois, ce dernier l’emporterait sans doute sur les deux autres.

CLINIAS.

Ce juge, ce législateur serait le meilleur sans comparaison.

L’ATHÉNIEN.

Cependant, dans les lois qu’il leur proposerait, il aurait en vue un objet directement opposé à celui de la guerre.

CLINIAS.
Cela est vrai.
L’ATHÉNIEN.

Mais quoi ? lorsqu’il s’agit d’un État, le législateur doit-il avoir en vue dans ses institutions la guerre du dehors, plutôt que cette guerre intestine, appelée sédition, qui se forme de temps en temps dans le sein d’un État, et que tout bon citoyen souhaiterait de ne voir jamais naître dans sa patrie, ou de la voir étouffée aussitôt après sa naissance ?

CLINIAS.

Il est évident qu’il doit avoir en vue cette seconde espèce de guerre.

L’ATHÉNIEN.

Et dans le cas d’une sédition, est-il quelqu’un qui préférât voir la paix achetée par la ruine d’un des partis et la victoire de l’autre, plutôt que l’union et l’amitié rétablies entre eux par un bon accord, et toute leur attention tournée vers les ennemis du dehors ?

CLINIAS.

Il n’est personne qui n’aimât mieux pour sa patrie cette seconde situation que la première.

L’ATHÉNIEN.

Le législateur ne doit-il pas souhaiter la même chose ?

CLINIAS.
Certainement.
L’ATHÉNIEN.

N’est-ce pas en vue du plus grand bien que tout législateur doit porter ses lois ?

CLINIAS.

Sans contredit.

L’ATHÉNIEN.

Or, le plus grand bien d’un État n’est ni la guerre ni la sédition ; au contraire, on doit faire des vœux pour n’en avoir jamais besoin, mais la paix et la bienveillance entre les citoyens. La victoire qu’un État remporte pour ainsi dire sur lui-même peut passer pour un remède nécessaire, mais non pas pour un bien. Ce serait comme si l’on croyait qu’un corps malade et purgé avec soin par le médecin est alors dans la meilleure situation possible, et qu’on ne fît nulle attention à cette autre situation où il n’aurait aucun besoin de remèdes. Quiconque sera dans les mêmes principes par rapport au bonheur des États et des particuliers, et aura pour objet unique et principal les guerres du dehors, ne sera jamais un bon politique ni un sage législateur ; mais il faut qu’il règle tout ce qui concerne la guerre en vue de la paix, plutôt que de subordonner la paix à la guerre.

CLINIAS.

Étranger, ce que tu viens de dire est fort sage ; cependant je m’étonne bien si nos lois, aussi bien que celles de Lacédémone, ne sont pas entièrement occupées de ce qui appartient à la guerre[6].

L’ATHÉNIEN.

Peut-être la chose est-elle ainsi ; mais ce n’est pas ici le lieu de chercher querelle à vos deux législateurs : interrogeons-nous plutôt paisiblement, comme si leur but et le nôtre étaient le même ; et poursuivons notre entretien. Faisons paraître ici le poète Tyrtée, né à Athènes, et reçu citoyen à Lacédémone, l’homme du monde qui a fait le plus d’estime des vertus guerrières, comme il paraît par les vers où il dit :

Je croirais indigne d’éloge et compterais pour rien


celui qui, fût-il d’ailleurs le plus riche, et possédât-il tous les avantages (et ici le poète les énumère presque tous), ne sait pas très bien faire la guerre toutes les fois qu’il le faut[7]. Sans doute, Clinias, tu as entendu réciter les poésies de Tyrtée ; pour Mégille, il en a, je pense, les oreilles rebattues.

MÉGILLE.

Tu dis vrai.

CLINIAS.

Elles ont aussi passé de Lacédémone chez nous.

L’ATHÉNIEN.
Interrogeons donc ce poète tous trois en commun, et disons-lui : Tyrtée, divin poète, tu as bien fait voir ton talent et ta vertu en comblant d’éloges ceux qui se sont distingués à la guerre. Nous convenons avec toi, Mégille, Clinias et moi, que ces éloges sont justes ; mais nous voudrions savoir si tes louanges et les nôtres tombent sur les mêmes personnes. Dis-nous donc : reconnais-tu comme nous qu’il y a deux sortes de guerre ? Je pense qu’il n’est pas besoin d’avoir l’esprit de Tyrtée pour répondre, ce qui est vrai, qu’il y en a deux, l’une que nous appelons tous sédition, et qui, comme nous le disions tout à l’heure, est de toutes les guerres la plus cruelle. Nous mettrons tous, je crois, pour la seconde espèce de guerre, celle que l’on fait aux ennemis du dehors et aux nations étrangères, laquelle est beaucoup plus douce que la première.
CLINIAS.

Sans contredit.

L’ATHÉNIEN.

De quelle guerre parlais-tu donc, Tyrtée, et quels hommes voulais-tu louer ou flétrir ? Tu parlais, ce semble, des guerres du dehors ; car tu dis dans tes poèmes que tu ne peux supporter ceux qui n’oseraient

Regarder en face la mort sanglante,
Et en venir aux mains avec l’ennemi[8].

Sur ces vers nous sommes autorisés à dire que tes louanges s’adressent à ceux qui se signalent dans les guerres du dehors et de nation à nation. Tyrtée ne sera-t-il pas obligé d’en convenir ?

CLINIAS.

Sans doute.

L’ATHÉNIEN.

Nous, au contraire, en rendant justice aux guerriers de Tyrtée, nous prétendons qu’on doit leur préférer, et de beaucoup, ceux qui se font honneur dans l’autre espèce de guerre, qui est la plus violente. Et nous en avons pour garant le poète Théognis, citoyen de Mégare, en Sicile, qui dit :

Il est plus précieux que l’argent et l’or
Celui qui est fidèle, Cyrnus, au jour de la sédition[9].

Nous soutenons que celui qui se distingue dans cette guerre, beaucoup plus périlleuse que l’autre, l’emporte autant sur le guerrier de Tyrtée, que la justice, la tempérance et la prudence jointes à la force l’emportent sur la force seule. Car, pour être fidèle et incorruptible dans la sédition, il faut réunir en soi toutes les vertus : au lieu que parmi des soldats mercenaires, presque tous, et à un très petit nombre près, insolents, injustes, sans mœurs, et les plus insensés de tous les hommes, il s’en trouve beaucoup qui, selon l’expression de Tyrtée, se présenteront au combat avec une contenance fière, et iront au devant de la mort.

À quoi aboutit tout ce discours, et quelle autre chose voulons-nous prouver par là, sinon que tout législateur un peu habile, et surtout celui de Crète, instruit qu’il était par Jupiter lui-même, ne se propose dans ses lois d’autre but que la plus excellente vertu, laquelle, selon Théognis, n’est autre qu’une fidélité à toute épreuve dans les circonstances difficiles ; fidélité qu’on peut nommer à bon droit justice parfaite. Pour la vertu que Tyrtée a tant vantée, elle a son prix, et ce poète a fort bien choisi son temps pour la chanter ; mais, après tout, elle ne doit être mise que la quatrième en ordre et en dignité.

CLINIAS.

Ainsi donc, étranger, nous rejetons Minos parmi les législateurs du dernier ordre ?

L’ATHÉNIEN.

Ce n’est pas lui, mon cher Clinias, que nous traitons de la sorte, mais nous-mêmes, quand nous croyons que Lycurgue et Minos ont eu principalement la guerre pour objet dans les lois qu’ils ont données, l’un à la Crète, l’autre à Lacédémone.

CLINIAS.

Eh bien, que fallait-il donc dire au sujet de Minos ?

L’ATHÉNIEN.

Ce que je crois conforme à la vérité, et ce qu’il est juste que nous disions d’une législation faite par un dieu, savoir, que Minos, en dressant le plan de ses lois, n’a point jeté les yeux sur une seule partie de la vertu, et encore la moins estimable ; mais qu’il a envisagé la vertu tout entière, et qu’il a puisé le détail de ses lois dans chacune des espèces qui la composent, en suivant néanmoins une route bien différente de celle des législateurs de nos jours, qui s’occupent uniquement du point qu’ils ont besoin de régler et de proposer pour le moment : celui-ci, des héritages et des héritières ; celui-là, des violences ; d’autres enfin d’une foule de choses de cette nature ; au lieu que, selon nous, la vraie manière de procéder en fait de lois, est de débuter par où nous avons débuté. Car je suis charmé de la façon dont tu es entré dans l’exposition des lois de ton pays. Il est juste en effet de commencer par la vertu, et de dire, comme tu as fait, que Minos ne s’est proposé qu’elle dans ses lois. Mais ce qui ne m’a plus paru juste, c’est que tu as borné ses vues à une seule partie de la vertu, et encore à la moins considérable ; et voilà ce qui m’a jeté dans la discussion où nous venons d’entrer. Veux-tu que je te dise comment j’aurais souhaité que tu m’eusses expliqué la chose, et ce que j’attendais de ta part ?

CLINIAS.

Je le veux bien.

L’ATHÉNIEN.

Étranger, m’aurais-tu dit, ce n’est pas sans raison que les lois de Crète sont singulièrement estimées dans toute la Grèce : elles ont l’avantage de rendre heureux ceux qui les observent, en leur procurant tous les biens. Or, il y a des biens de deux espèces, les uns humains, les autres divins. Les premiers sont attachés aux seconds ; de sorte qu’un État qui reçoit les plus grands, acquiert en même temps les moindres, et que ne les recevant pas, il est privé des uns et des autres. À la tête des biens de moindre valeur, est la santé ; après elle marche la beauté, ensuite la vigueur, soit à la course, soit dans tous les autres mouvements du corps. La richesse vient en quatrième lieu, mais non pas Plutus aveugle, mais Plutus clairvoyant et marchant à la suite de la prudence. Dans l’ordre des biens divins, le premier est la prudence ; après vient la tempérance ; et du mélange de ces deux vertus et de la force naît la justice, qui occupe la troisième place ; la force est à la quatrième. Ces derniers biens méritent par leur nature la préférence sur les premiers ; et il est du devoir du législateur de la leur conserver. Il faut enfin qu’il enseigne aux citoyens que toutes les dispositions des lois se rapportent à ces deux sortes de biens, parmi lesquels les biens humains se rapportent aux divins, et ceux-ci à la prudence, qui tient le premier rang. Sur ce plan, il réglera d’abord ce qui concerne les mariages, puis la naissance et l’éducation des enfants de l’un et l’autre sexe ; il les suivra depuis la jeunesse jusqu’à la vieillesse, marquant ce qui est digne d’estime ou de blâme dans toutes leurs relations, observant et étudiant soigneusement leurs peines, leurs plaisirs, leurs désirs et tous leurs penchants, les approuvant ou les condamnant dans ses lois, suivant la droite raison ; et de même, à l’égard de leurs colères, de leurs craintes, des troubles que l’adversité excite dans l’âme, et de l’ivresse que la prospérité y fait naître, et encore de tous les accidents auxquels les hommes sont sujets dans les maladies, les guerres, la pauvreté, et dans les situations contraires : il faut qu’il leur apprenne et qu’il détermine ce qu’il y a d’honnête ou de honteux dans la manière dont on se conduit en toutes ces rencontres. Après quoi, il est nécessaire qu’il porte son attention sur les fortunes, pour en régler l’acquisition et l’usage ; que dans toutes les sociétés et les pactes, soit libres soit involontaires, que le commerce mutuel occasionnera, il démêle le juste de l’injuste, et les conventions équitables de celles qui ne le sont pas ; qu’il décerne des récompenses aux fidèles observateurs des lois, et qu’il établisse des peines pour ceux qui les violeront. Après avoir ainsi réglé successivement toutes les parties de la législation, il finira par ordonner ce qui appartient à la sépulture des morts, et quels honneurs il convient de leur rendre. Ces lois une fois établies, il préposera, pour veiller à leur maintien, des magistrats, les uns qui en posséderont l’esprit et la pleine intelligence, et les autres qui n’iront pas au-delà de l’opinion vraie[10] : en sorte que ce corps d’institutions, lié et assorti dans toutes ses parties par la raison, paraisse marcher à la suite de la tempérance et de la justice, et non de la richesse et de l’ambition.

Telle est, étrangers, la manière dont je souhaitais, et dont je souhaite encore que vous vous y preniez pour me montrer comment tout cela se trouve dans les lois de Minos et de Lycurgue, attribuées à Jupiter et à Apollon Pythien ; et comment l’ordre même que je viens d’indiquer s’y découvre aux yeux d’un homme que l’étude ou la pratique ont rendu habile dans la législation, tandis qu’il échappe aux yeux de tous les autres.

CLINIAS.

Étranger, quelle méthode faut-il observer dans ce qui nous reste à dire après cela ?

L’ATHÉNIEN.

Je pense qu’il nous faut parcourir de nouveau tous les exercices qui appartiennent à la force, comme nous avons commencé à le faire ; de là nous passerons, si vous voulez, à une autre espèce de vertu, et de celle-ci à une troisième. La méthode que nous aurons tenue dans l’examen de la première nous servira de modèle pour la discussion des suivantes ; et en discourant de la sorte, nous adoucirons la fatigue du voyage. Enfin, après avoir ainsi considéré la vertu tout entière, nous montrerons, si Dieu le permet, quel est le centre auquel vient aboutir tout ce que nous avons dit tout à l’heure.

MÉGILLE.

Fort bien. Commence par l’avocat de Minos, notre compagnon Clinias.

L’ATHÉNIEN.

Soit ; mais il faudra aussi que toi et moi nous subissions la même épreuve : car ici nous sommes tous également intéressés. Répondez-moi donc. Nous convenons que le législateur a établi les repas en commun et les gymnases en vue de la guerre ?

MÉGILLE.
Oui.
L’ATHÉNIEN.

Et qu’a-t-il établi en troisième et quatrième lieu ? Permettez-moi cette énumération ; car il faudra peut-être bien l’employer aussi quand nous examinerons la vertu dans ses autres parties, si vous me passez ce mot, et vous pouvez prendre celui qui vous plaira, pourvu qu’il exprime ce que j’entends par là.

MÉGILLE.

Je dirais volontiers, et tout Lacédémonien en dira autant, que la troisième chose que le législateur a instituée, est la chasse[11].

L’ATHÉNIEN.

Essayons, si nous pouvons, de dire quelle est la quatrième ou la cinquième.

MÉGILLE.

Je mettrais pour la quatrième les exercices où l’on s’endurcit contre la douleur, exercices très fréquents chez nous, comme les combats de main, et certains vols, qu’on ne peut guère exécuter sans s’exposer à bien des coups[12]. Nous avons de plus un exercice nommé Cryptie, qui est d’un merveilleux usage pour accoutumer l’âme à la douleur[13]. J’en dis autant de l’habitude où nous sommes de marcher l’hiver nu-pieds, de dormir sans être couverts, de nous servir nous-mêmes sans recourir à des esclaves, et d’aller çà et là par tout le pays, soit de nuit, soit de jour. Les jeux où l’on s’exerce nu[14] sont encore admirables pour cet effet, par la nécessité où ils mettent de supporter l’excès de la chaleur. Je ne finirais pas, si je voulais parcourir tous les exercices qui tendent au même but.

L’ATHÉNIEN.

Tu as raison, étranger lacédémonien. Mais, dis-moi, ferons-nous consister la force uniquement dans la résistance qu’on oppose aux objets terribles et douloureux ? Ne s’exerce-t-elle pas aussi en luttant contre les désirs, les voluptés, et ces séductions qui, amollissant même le cœur de ceux qui se croient les plus fermes, les rendent souples comme la cire à toutes leurs impressions ?

MÉGILLE.

Je crois que la force s’exerce aussi sur tout cela.

L’ATHÉNIEN.

Si nous nous rappelons ce qui a été dit tout à l’heure, Clinias prétendait qu’il y a des États et des particuliers inférieurs à eux-mêmes. N’est-ce pas, étranger de Cnosse ?

CLINIAS.

Oui.

L’ATHÉNIEN.

Lequel des deux, à ton avis, mérite plutôt le nom de lâche, celui qui succombe à la douleur, ou celui qui se laisse vaincre par le plaisir ?

CLINIAS.

Il me paraît que c’est ce dernier ; et tout le monde s’accorde à dire que l’homme qui cède au plaisir est inférieur à lui-même d’une manière plus honteuse que celui qui cède à la douleur,

L’ATHÉNIEN

Hé quoi ! vos deux législateurs inspirés par Jupiter et par Apollon n’ont-ils établi qu’une force boiteuse qui ne peut se soutenir que du côté gauche, et penche du côté droit vers les objets agréables et flatteurs ? ou cette force peut-elle se soutenir de l’un et de l’autre côté ?

CLINIAS.

De l’un et de l’autre, je pense.

L’ATHÉNIEN.

Montrez-moi donc quelles sont, dans vos deux cités, les institutions qui vous apprennent à vaincre le plaisir, non en l’évitant, mais en le goûtant, comme vous venez de me montrer les institutions qui, loin de vous permettre de fuir la douleur, vous mettent aux prises avec elle, et vous engagent à en triompher par l’espoir des récompenses et la crainte des châtiments. Y a-t-il dans vos lois quelque chose de semblable par rapport au plaisir ? Dites moi ce qui vous rend également forts contre le plaisir et la douleur, et par là vous met à portée de vaincre tout ce qu’il faut vaincre, et de ne point céder à des ennemis redoutables et qui sont sans cesse à nos côtés.

MÉGILLE.

Il m’a été aisé de vous rapporter un grand nombre de lois qui nous donnent des armes contre la douleur ; mais il ne me sera pas également facile d’en produire touchant l’usage des plaisirs : j’entends des lois remarquables et sur des points importants : car j’en pourrais peut-être trouver sur de minces objets.

CLINIAS.

Je conviens aussi que je serais embarrassé à vous montrer quelque chose de semblable dans les lois de Crète.

L’ATHÉNIEN.

Ô les meilleurs des étrangers ! cela n’a rien qui m’étonne. Cependant, si quelqu’un de nous, cherchant le vrai et le plus parfait, trouve quelque chose à redire aux lois de notre patrie, ne nous en offensons pas, et prenons sa critique en bonne part.

CLINIAS.

Cette demande est juste, étranger athénien, et il faut y avoir égard

L’ATHÉNIEN.

D’autant plus, Clinias, qu’il ne serait pas séant à notre âge de nous piquer pour un pareil sujet.

CLINIAS.

Non, sans doute.

L’ATHÉNIEN.

Il ne s’agit pas ici de prononcer si c’est à tort ou avec raison que l’on critique le gouvernement de Lacédémone et de Crète ; mais peut-être suis-je plus à même que vous de savoir ce qu’on en dit dans les autres pays. En effet, quelque sages que puissent être vos autres lois, une des plus belles est celle qui interdit aux jeunes gens la recherche de ce qu’il pourrait y avoir dans les lois de bon ou de défectueux, et qui leur ordonne au contraire de dire tout d’une voix et de concert qu’elles sont parfaitement belles, ayant des Dieux pour auteurs, et de ne point écouter quiconque tiendrait en leur présence un autre langage, permettant aux vieillards seulement de proposer leurs réflexions aux magistrats et à ceux de leur âge, en l’absence des jeunes gens.

CLINIAS.

Tu as parfaitement raison, étranger. Malgré l’éloignement, tu as conjecturé à merveille, comme un devin habile, l’intention du législateur quand il fit cette loi ; et il me semble que tu n’en dis rien que de vrai.

L’ATHÉNIEN.
Puis donc qu’il n’y a point de jeune homme présent à cet entretien, et que notre âge nous donne droit d’user de la permission du législateur, nous ne pécherons point contre sa loi en nous communiquant seuls à seuls nos pensées sur cette matière.
CLINIAS.

Non. Ainsi blâme sans scrupule ce que tu trouveras à blâmer dans nos lois ; d’autant plus qu’il n’y a point de déshonneur à reconnaître qu’une chose est défectueuse, et qu’au contraire la censure met en état de réformer les abus celui qui la reçoit sans s’en fâcher, mais avec reconnaissance.

L’ATHÉNIEN.

Fort bien. Je vous déclare au reste que je ne me déterminerai à censurer vos lois, qu’après les avoir examinées avec toute l’attention possible ; ou plutôt je ne ferai que vous proposer mes doutes.

Vous êtes les seuls des Grecs, et des Barbares que nous connaissons, à qui le législateur ait interdit l’usage des divertissements et des plaisirs les plus vifs, tandis que, pour les fatigues, les dangers et la douleur, il a cru, comme nous le disions tout à l’heure, que si dès l’enfance on s’applique à les éviter, lorsque ensuite on y est exposé par nécessité, on fuit devant ceux qui s’y sont exercés et on devient leur esclave. Il me semble néanmoins que la même pensée devait lui venir à l’esprit par rapport aux plaisirs, et qu’il devait se dire à lui-même : Si mes citoyens ne font dès la jeunesse aucun essai des plus grands plaisirs, s’ils ne sont point exercés d’avance à les surmonter quand ils y seront exposés, en sorte que le penchant qui nous entraîne tous vers la volupté ne les contraigne jamais à commettre aucune action honteuse, il leur arrivera la même chose qu’à ceux que le danger abat ; ils tomberont d’une autre manière et avec plus de honte encore dans l’esclavage de ceux qui seront assez forts pour résister aux plaisirs, de ceux même qui s’en permettent librement la jouissance, et qui quelquefois sont tout-à-fait corrompus : leur âme sera en partie libre et en partie esclave ; ils ne mériteront pas le titre d’hommes vraiment courageux et vraiment libres. Voyez si ce que je dis vous semble raisonnable.

CLINIAS.

La chose nous paraît telle tandis que tu parles ; mais ne conviendrait-il pas à des jeunes gens et à des imprudents plutôt qu’à nous, de te croire sur-le-champ et à la légère, en des matières de cette conséquence ?

L’ATHÉNIEN.
Maintenant, Clinias, et toi étranger de Lacédémone, si nous passons, comme nous nous le sommes proposé, de la force à la tempérance, que trouverons-nous sur ce point, comme tout à l’heure sur la guerre, de mieux réglé dans vos deux États que dans les autres, qui se gouvernent au hasard ?
MÉGILLE.

C’est ce qu’il n’est pas aisé de dire.

CLINIAS.

Pour moi, je trouve que les repas en commun et les gymnases sont très bien imaginés pour le courage et la tempérance.

L’ATHÉNIEN.

Je vois bien, étrangers, qu’en fait de lois, il est rare de régler toutes choses, soit en théorie, soit en pratique, de manière que personne n’y trouve à redire ; et il me paraît qu’il en est de la politique comme de la médecine, à laquelle il est impossible de prescrire pour chaque tempérament un régime qui ne soit en même temps nuisible et salutaire à certains égards. En effet, vos gymnases et vos repas en commun sont avantageux aux États en bien des points ; mais ils ont de grands inconvénients par rapport aux séditions. Les Milésiens, les Béotiens et les Thuriens en fournissent la preuve[15]. Cet établissement a encore produit un très grand mal, en pervertissant l’antique loi instituée par la nature sur les plaisirs de l’amour, non seulement pour les hommes, mais aussi pour les animaux : et c’est à vos deux cités surtout, et aux autres États où les gymnases sont introduits, qu’il faut attribuer la cause de ce désordre. De quelque façon qu’on veuille envisager les plaisirs de l’amour, sérieusement ou en badinant, il paraît certain que la nature les a attachés à cette union des deux sexes qui a pour fin la génération ; et que toute autre union des mâles avec les mâles, ou des femelles avec les femelles, est un attentat contre la nature que l’excès de l’intempérance a pu seul inventer. Tout le monde accuse les Crétois d’avoir fabriqué la fable de Ganymède[16]. Jupiter passant pour l’auteur de leurs lois, ils ont imaginé cette fable sur son compte, afin de pouvoir goûter ce plaisir à l’exemple de leur dieu ; mais laissons-là cette fiction. Lorsque les hommes se proposent de faire des lois, presque toute leur attention doit rouler sur ces deux grands objets : le plaisir et la douleur, tant par rapport aux mœurs publiques qu’à celles des particuliers. Ce sont deux sources ouvertes par la nature, et qui coulent sans cesse. Tout État, tout homme, tout animal qui va y puiser dans l’endroit, dans le temps et dans la mesure convenables, est heureux ; quiconque au contraire y puise sans discernement et hors de propos, est malheureux.

MÉGILLE.

Étranger, tout cela est vrai sous un certain jour, et lorsque nous cherchons ce qu’on pourrait y opposer, nous sommes fort embarrassés. Cependant je pense que ce n’est pas sans raison que le législateur de Lacédémone nous a ordonné de fuir les plaisirs. Je laisse à Clinias le soin de défendre, s’il veut, les institutions de Cnosse ; pour celles de Sparte, il ne me paraît pas qu’on puisse rien prescrire de mieux touchant l’usage des plaisirs. La loi a banni de tout le pays ce qui donne le plus occasion aux hommes de se livrer à des excès de volupté, d’intempérance et de brutalité. Ni dans les campagnes ni dans les villes dépendantes de Sparte, tu ne verras pas de banquets, ni rien de ce qui les accompagne et excite en nous le sentiment de toute espèce de plaisirs. Il n’est personne qui, venant à rencontrer un citoyen qui eût poussé le divertissement jusqu’à l’ivresse, ne le châtiât sur-le-champ très sévèrement, eût-il beau alléguer pour excuse les fêtes de Bacchus. Ce n’est pas comme chez vous, où j’en ai vu ces jours-là dans des charrettes[17] ; ni comme à Tarente, une de nos colonies, où je vis toute la ville plongée dans l’ivresse le jour des Bacchanales. Il ne se passe rien de semblable chez nous.

L’ATHÉNIEN.

Étranger lacédémonien, ces sortes de divertissements n’ont rien que de louable lorsqu’on y apporte une certaine modération ; ils n’énervent que lorsqu’ils sont excessifs. D’ailleurs nos Athéniens pourraient vous rendre la pareille, en vous reprochant la licence où vous laissez vivre vos femmes[18]. Enfin, à Tarente, ainsi que chez nous et chez vous, une seule raison suffit pour justifier tous les usages semblables, et montrer qu’ils sont bien établis ; c’est que chacun ne manquera pas de répondre à l’étranger qui témoignerait sa surprise à la vue d’un usage auquel il n’est pas accoutumé : Étranger, ne t’étonne pas ; telle est la loi parmi nous ; peut-être en suivez-vous une autre. Mais dans cet entretien, mes chers amis, il ne s’agit pas des préjugés du vulgaire, mais de la sagesse et de l’ignorance des législateurs eux-mêmes. Entrons donc dans quelque détail au sujet des excès de la table en général. Ce point est de grande importance, et le bien régler n’est pas le fait d’un législateur ordinaire ; je ne parle point ici de l’usage du vin, s’il faut en boire ou non ; je parle de l’excès, de la débauche en ce genre, et je demande s’il est plus à propos d’en user à cet égard comme les Scythes, les Perses, les Carthaginois, les Celtes, les Ibères et les Thraces, toutes nations belliqueuses, ou comme vous. Chez vous on s’en abstient entièrement, à ce que tu dis : au contraire les Scythes et les Thraces boivent toujours pur, eux et leurs femmes ; ils vont même jusqu’à répandre le vin sur leurs habits[19], persuadés que cet usage n’a rien que d’honnête, et qu’en cela consiste le bonheur de la vie. Les Perses, quoique plus modérés, ont aussi leurs raffinements que vous rejetez.

MÉGILLE.
Aussi mettons-nous en fuite chacun de ces peuples, toutes les fois qu’ils en viennent aux mains avec nous.
L’ATHÉNIEN.

Crois-moi, mon ami, ne fais pas valoir cette raison-là. Car il y a eu et il y aura encore bien des défaites et des victoires dont il est difficile d’assigner la cause. Ne nous servons donc point des batailles gagnées ou perdues, comme d’une preuve décisive de la bonne ou de la mauvaise disposition des lois : c’en est une preuve fort douteuse. Dans la guerre, ce sont les grands États qui triomphent des petits et les subjuguent. Ainsi les Syracusains ont subjugué les Locriens, qui passent pour le peuple le mieux policé de cette contrée : ainsi les Athéniens ont soumis les habitants de Céos[20]. On pourrait citer mille exemples semblables. Voyons plutôt ce qu’il nous faut penser de chaque institution, en l’examinant en elle-même, et en mettant à part les défaites et les victoires. Disons de tel usage, qu’il est bon en soi ; de tel autre, qu’il est mauvais ; et avant toutes choses, écoutez-moi sur la manière dont je crois qu’il faut envisager ce qui est bon en ce genre et ce qui ne l’est pas.

MÉGILLE.

Comment doit-on donc s’y prendre ?

L’ATHÉNIEN.

Il me paraît que tous ceux qui, discourant sur quelque usage, commencent par le blâmer ou par l’approuver sitôt qu’on en a prononcé le nom, ne s’y prennent pas comme il faut. C’est précisément comme si quelqu’un disant que le fromage est une bonne nourriture, on se mettait à le contredire, sans s’être auparavant informé de ses effets ni de la manière dont on le prend comment, à qui, avec quoi, dans quel état tant de la chose que des personnes, il faut le donner. Or voilà ce que nous faisons vous et moi. Au seul mot d’excès de table, vous vous êtes récrié, et moi j’ai approuvé, le tout avec bien peu de jugement de part et d’autre. Car nous n’avons allégué chacun pour notre sentiment que des témoins et des autorités : j’ai cru dire quelque chose de péremptoire en faveur de cette pratique, en faisant voir qu’elle est en usage chez beaucoup de nations ; vous vous êtes appuyés au contraire sur ce que les peuples à qui elle est inconnue sont supérieurs aux autres dans les combats, preuve très équivoque, comme nous l’avons vu. Si nous suivons la même méthode dans l’examen des autres lois, notre entretien n’ira pas comme je souhaite. Je veux, sur la question qui nous occupe, vous proposer une autre méthode, qui est, à mon avis, celle qu’on doit suivre ; et j’essaierai par là de vous donner une idée de la vraie manière de traiter ces sortes de sujets : d’autant plus, qu’en suivant notre première route, nous trouverions une infinité de nations qui ne seraient nullement d’accord à cet égard avec vos deux cités.

MÉGILLE.

Si vous avez quelque manière plus sûre de traiter ces sujets, parlez, nous sommes disposés à écouter.

L’ATHÉNIEN.

Examinons la chose ainsi. Si quelqu’un disait qu’il est bon d’élever des chèvres, et qu’on tire un grand profit de cet animal, et qu’un autre pensât le contraire, parce qu’il aurait vu des chèvres paître sans gardien dans des endroits cultivés et y faire de grands dégâts, et qu’il portât le même jugement sur tout autre animal pour l’avoir vu sans berger, ou n’en ayant qu’un mauvais, croyons-nous qu’une pareille manière de blâmer pût avoir jamais, sur quoi que ce soit au monde, la moindre raison ?

MÉGILLE.

Non, assurément.

L’ATHÉNIEN.

Suffit-il pour être un bon pilote, d’avoir une connaissance exacte de la navigation, que d’ailleurs on soit sujet ou non au mal de mer ? Qu’en dirons-nous ?

MÉGILLE.

Point du tout : la science ne sert de rien au pilote qui serait sujet à cette maladie.

L’ATHÉNIEN.

Un général d’armée qui possède l’art de la guerre, sera-t-il en état de commander, s’il est timide dans le danger, et si la crainte lui trouble la tête ?

MÉGILLE.

Nullement.

L’ATHÉNIEN.

Et s’il était à la fois lâche et sans expérience ?

MÉGILLE.

Ce serait un fort mauvais général, plus digne de commander à des femmelettes qu’à des gens de cœur.

L’ATHÉNIEN.
Mais quoi ! si quelqu’un approuvait ou blâmait une assemblée quelconque, qui, par sa nature, devrait avoir un chef et pourrait être utile, étant bien gouvernée, et que d’ailleurs il ne l’eût jamais vue en ordre sous la direction d’un chef, mais ou abandonnée à elle-même ou mal conduite ; pensons-nous que le jugement d’un tel homme pût être de quelque poids ?
MÉGILLE.

Comment cela pourrait-il être, puisqu’il n’aurait jamais été à portée de voir aucune assemblée bien gouvernée, ni d’y assister ?

L’ATHÉNIEN.

Eh bien, les banquets et les convives qui les composent ne forment-ils pas une certaine espèce d’assemblée ?

MÉGILLE.

Sans doute.

L’ATHÉNIEN.

Or quelqu’un a-t-il jamais vu de la règle et de l’ordre dans ces banquets ? Il vous est aisé à tous deux de répondre que vous n’en avez jamais vu : cela n’est point d’usage chez vous, et la loi vous l’interdit. Pour moi, qui ai assisté à beaucoup de banquets en divers lieux, et qui me suis informé de presque tous, je puis vous assurer que je n’en ai ni vu ni entendu nommer un seul où tout se passât régulièrement. On y observe bien en certains lieux quelque ordre en un petit nombre de points peu importants ; mais l’essentiel, le tout, pour mieux dire, n’est nullement réglé.

CLINIAS.

Que dis-tu là, étranger ? explique toi plus clairement. Car, comme tu l’as dit, n’ayant nulle expérience de ces sortes d’assemblées, nous serions peut-être incapables, lors même que nous y assisterions, de reconnaître sur-le-champ ce qui s’y ferait de bien ou de mal.

L’ATHÉNIEN.

Cela doit être. Écoute-moi donc ; je vais te mettre au fait. Tu conçois que, dans toute assemblée, dans toute société, quel qu’en soit l’objet, il est selon l’ordre qu’il y ait un chef.

CLINIAS.

Oui.

L’ATHÉNIEN.

Nous venons de dire que le chef d’une armée doit être courageux.

CLINIAS.

Sans doute.

L’ATHÉNIEN.

L’homme courageux sera moins sujet que le lâche à se troubler à la vue du danger.

CLINIAS.

Cela est évident.

L’ATHÉNIEN.

S’il y avait quelque moyen de mettre à la tête d’une armée un homme qui ne craignît rien, qui ne se troublât de rien, ne ferions-nous pas tout au monde pour nous en servir ?

CLINIAS.
Sans contredit.
L’ATHÉNIEN.

Or, il ne s’agit point ici d’un chef qui commande une armée contre l’ennemi en temps de guerre, mais d’un chef qui, au sein de la paix, préside à des amis rassemblés pour passer quelques moments dans une allégresse commune.

CLINIAS.

Fort bien.

L’ATHÉNIEN.

Une pareille assemblée ne se tiendra pas sans quelque tumulte, si les excès de table y entrent pour quelque chose. N’est-ce pas ?

CLINIAS.

Non, certes : elle doit même être fort tumultueuse.

L’ATHÉNIEN.

Donc, la première chose dont une pareille assemblée a besoin, c’est un chef.

CLINIAS.

Oui ; et rien au monde n’en a plus besoin.

L’ATHÉNIEN.

Ne faut-il pas, si la chose est possible, lui procurer un chef ennemi du tumulte ?

CLINIAS.

Assurément.

L’ATHÉNIEN.

Il est encore nécessaire qu’il soit bien au fait des lois d’une telle assemblée, puisque son devoir est non seulement de veiller à entretenir l’amitié entre les convives, mais encore de faire servir leur réunion à en resserrer les nœuds de plus en plus.

CLINIAS.

Rien de plus vrai.

L’ATHÉNIEN.

Ainsi, il faut mettre à la tête de cette troupe échauffée par le vin un chef sobre et sage ; car s’il a les qualités contraires, s’il est jeune, peu sage, et qu’il fasse la débauche avec eux, il aura bien du bonheur, s’il n’en résulte quelque grand mal.

CLINIAS.

J’en conviens.

L’ATHÉNIEN.

Que si, même en supposant ces assemblées aussi parfaitement réglées dans les États qu’elles peuvent l’être, on les condamne, et on trouve à redire au fond même de la chose, il se peut faire que cette censure soit fondée en raison. Mais si on ne les blâme que parce qu’on en a vu remplies des plus grands désordres, il est évident, premièrement qu’on ignore que les choses ne se passent point comme elles doivent se passer ; en second lieu, que toute autre chose paraîtra sujette aux mêmes inconvénients, faute d’un maître et d’un chef sobre. Ne remarquez-vous pas en effet qu’un pilote ou tout autre chef renverse tout, s’il est ivre, vaisseau, char, armée, en un mot tout ce qui est confié à sa conduite ?

CLINIAS.

Ce que tu viens de dire, étranger, est parfaitement vrai. Mais je voudrais savoir encore quel avantage il en reviendrait, au cas qu’on observât dans les banquets les règles que tu as marquées. Et pour me servir des exemples qu’on vient de citer, un bon général à la tête d’une armée est pour elle un gage assuré de la victoire, laquelle n’est pas un bien médiocre : il en est de même de tout le reste. Quel avantage pareil retireraient dans les États ou les particuliers d’un banquet réglé avec tout l’ordre possible ?

L’ATHÉNIEN.

Quel grand bien croyez-vous qu’il résultât pour un État de la bonne éducation d’un enfant, ou même d’un chœur d’enfants ? Si l’on nous faisait une semblable question, ne répondrions-nous pas qu’un seul enfant bien élevé est un petit objet pour tout l’État ? Mais si tu me demandais en quoi l’éducation de toute la jeunesse intéresse le bien public, il ne serait pas difficile de répondre, que les jeunes gens bien élevés seront un jour de bons citoyens ; qu’étant tels, ils se comporteront bien en toutes rencontres, et qu’en particulier ils remporteront à la guerre la victoire sur l’ennemi. Ainsi la bonne éducation amène après soi la victoire : mais la victoire à son tour pervertit quelquefois l’éducation. Car souvent on a vu les succès militaires engendrer l’insolence, et celle ci produire ensuite les plus grands malheurs. Jamais une bonne éducation n’a tourné contre elle-même ; au lieu que les victoires ont été et seront plus d’une fois encore funestes aux vainqueurs.

CLINIAS.

Tu me parais persuadé que les banquets, pourvu qu’ils se passent dans l’ordre, soit d’une grande conséquence pour l’éducation.

L’ATHÉNIEN.

Je n’en doute point.

CLINIAS.

Et pourrais-tu prouver la vérité de ce que tu dis ?

L’ATHÉNIEN.

Comme bien des gens sont en cela d’un avis différent du mien, il n’y a qu’un Dieu qui puisse assurer que la chose est en effet telle que je dis. Mais si vous voulez savoir ma pensée là-dessus, je vous en ferai part avec plaisir, puisque aussi bien nous sommes en train de parler de lois et de politique.

CLINIAS.

C’est aussi ta façon de penser que nous voulons connaître, dans un sujet où les sentiments sont si partagés.

L’ATHÉNIEN.

Veuillez donc me donner toute votre attention ; et, de mon côté, je vais redoubler mes efforts pour vous expliquer nettement ma pensée. Mais avant tout, il est bon de vous prévenir d’une chose. Les Athéniens passent dans toute la Grèce pour aimer à parler et pour parler beaucoup. Les Lacédémoniens au contraire ont la réputation de parler peu ; et les Crétois, de s’appliquer beaucoup plus à penser qu’à parler. Je crains donc que vous ne me preniez pour un vain discoureur, lorsque vous me verrez entamer un long propos sur un objet aussi mince que les banquets. Mais il m’est impossible de vous expliquer clairement et suffisamment comment ils doivent être réglés, sans vous dire quelque chose touchant la vraie nature de la musique ; et je ne puis parler de musique sans embrasser toutes les parties de l’éducation : ce qui m’engagera nécessairement dans de longues discussions. Ainsi délibérez sur le parti que nous avons à prendre, et si, laissant cet objet pour le présent, nous passerons à quelque autre considération sur les lois.

MEGILLE.

Étranger athénien, tu ne sais peut-être pas que ma famille est chargée à Lacédémone de l’hospitalité publique envers Athènes[21]. C’est apparemment une chose ordinaire à tous les enfants, lorsqu’ils viennent à apprendre qu’ils sont les hôtes d’une ville, de se sentir de l’inclination pour elle, et de la regarder comme une seconde patrie, après celle qui leur a donné le jour. C’est un sentiment que j’ai éprouvé. Dès ma plus tendre jeunesse, quand j’entendais les Lacédémoniens louer ou blâmer les Athéniens, et quand on me disait : Mégille, votre ville nous a bien ou mal servis en cette rencontre ; je prenais sur-le-champ le parti de vos concitoyens contre ceux qui en parlaient mal ; et j’ai toujours conservé pour Athènes toute sorte de bienveillance. Votre accent me charme ; et ce qu’on dit communément des Athéniens, que quand ils sont bons, ils le sont au plus haut degré, m’a toujours paru véritable. Ce sont en effet les seuls qui ne doivent point leur vertu à une éducation forcée ; elle naît en quelque sorte avec eux ; ils la tiennent des Dieux en présent ; elle est franche, et n’a rien de fardé. Ainsi pour ce qui me regarde, dis avec confiance tout ce que tu jugeras à propos.

CLINIAS.

Étranger, lorsque tu auras entendu et reçu favorablement ce que j’ai à te dire de mon côté, j’espère que tu ne te croiras pas gêné en parlant devant moi. Tu connais sans doute de réputation Épiménide, cet homme divin. Il était de Cnosse, et de notre famille. Dix ans[22] avant la guerre des Perses, étant allé à Athènes par ordre de l’oracle, il y fit certains sacrifices que le Dieu lui avait prescrits ; et comme les Athéniens étaient dans l’attente de l’invasion des Perses, il leur prédit que les Perses ne viendraient pas de dix ans, et qu’après avoir vu échouer leur entreprise, ils s’en retourneraient, ayant fait moins de mal aux Grecs qu’ils n’en auraient reçu d’eux. Alors vos ancêtres accordèrent à ma famille le droit d’hospitalité ; et depuis ce temps-là de père en fils, elle a toujours été très attachée aux Athéniens.

L’ATHÉNIEN.

De votre part, tout me paraît bien disposé pour m’entendre : de la mienne, je puis répondre de ma bonne volonté ; mais je crains que le pouvoir ne la seconde point. Essayons cependant. Commençons par définir ce que c’est que l’éducation, et quelle est sa vertu. Nous ne pouvons nous dispenser d’entamer par là le discours qui est entre nos mains, jusqu’à ce qu’il nous conduise par degrés au Dieu du vin.

CLINIAS.

Entrons donc par là en matière, si tu le trouves bon.

L’ATHÉNIEN.

Voyez si l’idée que je me forme de l’éducation est de votre goût.

CLINIAS.

Quelle est-elle ?

L’ATHÉNIEN.

La voici. Je dis que pour devenir un homme excellent en quelque profession que ce soit, il faut s’exercer dès l’enfance dans tout ce qui peut y avoir rapport, pendant ses divertissements comme dans les moments sérieux : par exemple, il faut que celui qui veut être un jour un bon laboureur ou un bon architecte, s’amuse dès ses premiers ans, celui-ci à bâtir de petits châteaux d’enfant, celui-là à remuer la terre ; que le maître qui les élève fournisse à l’un et à l’autre de petits outils, sur le modèle des outils véritables ; qu’il leur fasse apprendre d’avance ce qu’il est nécessaire qu’ils sachent, avant que d’exercer leur profession, comme au charpentier, à mesurer et à niveler, au guerrier, à aller à cheval, ou quelque autre exercice semblable, par forme de passe-temps ; en un mot, il faut qu’au moyen des jeux il tourne le goût et l’inclination de l’enfant vers le but qu’il doit atteindre pour remplir sa destinée. Je dis donc que toute la force de l’éducation est dans une discipline bien entendue qui, par voie d’amusement, conduise l’âme d’un enfant à aimer ce qui, lorsqu’il sera devenu grand, doit le rendre accompli dans le genre qu’il a embrassé. Voyez, comme je vous ai dit, si ce commencement vous plaît.

CLINIAS.

Oui, sans doute.

L’ATHÉNIEN.

Cependant ne laissons pas à ce que nous appelons éducation une signification vague. Souvent, par forme de louange ou de mépris, nous disons de certaines gens qu’ils ont de l’éducation ou qu’ils n’en ont pas, alors même qu’ils en ont reçu une très bonne dans le trafic, dans le commerce de mer, et en d’autres professions semblables. C’est qu’apparemment ce n’est pas là ce que nous appelons éducation, et que pour nous l’éducation proprement dite est celle qui a pour but de nous former à la vertu dès notre enfance, et qui nous inspire le désir ardent d’être des citoyens accomplis, instruits à commander et à obéir selon la justice. C’est celle-là que nous cherchons à définir, et qui, ce me semble, mérite seule le nom d’éducation. Quant à celle qui est dirigée vers les richesses, la vigueur du corps, et quelque talent que ce soit, où la sagesse et la justice n’entrent pour rien, c’est une éducation basse et servile, ou plutôt elle est indigne de porter ce nom. Mais ne disputons pas sur les termes avec le vulgaire. Tenons seulement pour constant ce qui vient d’être reconnu, que ceux qui ont été bien élevés deviennent d’ordinaire des hommes estimables ; qu’ainsi on ne doit jamais mépriser l’éducation, car de tous les avantages c’est le premier pour la vertu ; et que si elle manque, et qu’on puisse réparer ce malheur, il faut y faire tous ses efforts pendant toute la vie.

CLINIAS.

Tu as raison, et nous convenons de tout cela.

L’ATHÉNIEN.

Mais nous sommes aussi convenus précédemment que les gens de bien sont ceux qui ont un empire absolu sur eux-mêmes, et les méchants, ceux qui n’en ont aucun.

CLINIAS.

Cela est vrai.

L’ATHÉNIEN.

Reprenons et développons ce que nous entendons par là ; et permettez-moi d’essayer si, avec le secours d’un emblème, je pourrai vous mieux expliquer la chose.

CLINIAS.

Très volontiers.

L’ATHÉNIEN.

N’admettons-nous pas que chaque homme est un ?

CLINIAS.

Oui.

L’ATHÉNIEN.

Et qu’il a au dedans de soi deux conseillers insensés, opposés l’un à l’autre, qu’on appelle le plaisir et la douleur ?

CLINIAS.

La chose est ainsi.

L’ATHÉNIEN.

Il y faut ajouter le pressentiment du plaisir et de la douleur à venir, auquel on donne le nom commun d’attente : l’attente de la douleur se nomme proprement crainte, et celle du plaisir, espérance. À toutes ces passions préside la raison, qui prononce sur ce qu’elles ont de bon ou de mauvais : et lorsque le jugement de la raison devient la décision commune d’un État, il prend le nom de loi.

CLINIAS.

J’ai quelque peine à te suivre. Ne laisse pas cependant de continuer.

MÉGILLE.

Je suis dans le même cas que Clinias.

L’ATHÉNIEN.

Formons-nous maintenant de tout cela l’idée suivante. Figurons nous que chacun de nous est une machine animée sortie de la main des Dieux, soit qu’ils l’aient faite pour s’amuser, ou qu’ils aient eu quelque dessein sérieux : car nous n’en savons rien. Ce que nous savons, c’est que les passions dont nous venons de parler sont comme autant de cordes ou de fils qui nous tirent chacun de leur côté, et qui, par l’opposition de leurs mouvements, nous entraînent vers des actions opposées, ce qui fait la différence du vice et de la vertu. En effet le bon sens nous dit qu’il est de notre devoir de n’obéir qu’à un de ces fils, d’en suivre toujours la direction, et de résister fortement à tous les autres. Ce fil est le fil d’or et sacré de la raison, appelé la loi commune de l’État. Les autres sont de fer et roides : celui-là est souple, parce qu’il est d’or ; il n’a qu’une seule forme, tandis que les autres ont des formes de toute espèce. Et il faut rattacher et soumettre tous ces fils à la direction parfaite du fil de la loi ; car la raison, quoique excellente de sa nature, étant douce et éloignée de toute violence, a besoin d’aides afin que le fil d’or gouverne les autres. Cette manière de nous représenter chacun de nous comme une machine animée établit en quoi consiste la vertu, explique ce que veut dire être supérieur ou inférieur à soi-même, et fait voir, par rapport aux États et aux particuliers, que tout particulier qui sait comment ces divers fils doivent se mouvoir, doit conformer sa conduite à cette connaissance ; et que tout État, qu’il soit redevable à un Dieu de cette connaissance, ou qu’il la tienne d’un sage qui l’ait acquise par lui-même, doit en faire la loi de son administration tant intérieure qu’extérieure ; elle nous donne des notions plus claires du vice et de la vertu ; et ces notions, à leur tour, nous feront peut-être mieux connaître ce que c’est que l’éducation et les autres institutions humaines ; et pour les banquets, que l’on pourrait être tenté de regarder comme un objet trop peu important pour qu’on s’en entretienne si longtemps…

CLINIAS.

Non pas ; ils méritent bien, au contraire, que nous nous y soyons ainsi arrêtés.

L’ATHÉNIEN.

Fort bien. Tâchons enfin d’en venir à quelque conclusion digne d’un si long discours.

CLINIAS.

Parle donc.

L’ATHÉNIEN.

Qu’arriverait-il à cette machine, si on lui faisait boire beaucoup de vin ?

CLINIAS.

À quel dessein me fais-tu cette question ?

L’ATHÉNIEN.

Il ne s’agit pas encore de l’expliquer. Je demande seulement en général quel effet la boisson produira sur elle ? Et pour te faire mieux entendre le sens de ma question, je te prie de me dire si l’effet du vin n’est pas de donner un nouveau degré de vivacité à nos plaisirs et à nos peines, à nos colères et à nos amours ?

CLINIAS.

Sans contredit.

L’ATHÉNIEN.

Donne-t-il pareillement une nouvelle activité à nos sens, à notre mémoire, à nos pensées et à nos raisonnements ? Ou plutôt le vin, lorsqu’on en boit jusqu’à s’enivrer, n’éteint-il pas en nous tout cela ?

CLINIAS.

Il l’éteint entièrement.

L’ATHÉNIEN.

L’ivresse remet donc l’homme au même état quant à l’âme, que lorsqu’il était enfant ?

CLINIAS.

Précisément.

L’ATHÉNIEN.

Il s’en faut de beaucoup sans doute qu’on soit alors maître de soi-même.

CLlNIAS.
Oui, certes.
L’ATHÉNIEN.

La disposition d’un homme en pareil état n’est-elle pas très mauvaise ?

CLINIAS.

Très mauvaise.

L’ATHÉNIEN.

Ainsi le vieillard n’est point, à ce qu’il paraît, le seul qui redevienne enfant ; il en arrive autant à quiconque s’enivre.

CLINIAS.

Tu as raison, étranger.

L’ATHÉNIEN.

Après cela, crois-tu que quelqu’un fût assez hardi pour entreprendre de prouver, non seulement qu’il ne faut pas fuir, autant qu’on le peut, la débauche, mais qu’il est même à propos d’en goûter quelquefois ?

CLINIAS.

Il le faut bien, puisque c’est à quoi tu t’es engagé.

L’ATHÉNIEN.

Je m’y suis engagé, il est vrai ; et je suis prêt à tenir parole, vu la grande envie que vous m’avez témoignée l’un et l’autre de m’entendre.

CLINIAS.

Comment n’en serions nous point curieux, quand ce ne serait qu’à cause de ce qu’il y a de surprenant et d’étrange à dire qu’un homme doit, de gaieté de cœur, se mettre dans l’état le plus honteux ?

L’ATHÉNIEN.

C’est de l’état de l’âme que tu parles sans doute ?

CLINlAS.

Oui.

L’ATHÉNIEN.

Mais quoi ! par rapport au corps, trouverais-tu extraordinaire que l’on consentît à le réduire à un état de maigreur, de difformité et de faiblesse qui ferait pitié ?

CLINIAS.

Certainement.

L’ATHÉNIEN.

Quoi donc ! croirons-nous que ceux qui vont chez les médecins prendre des breuvages, ignorent que ces remèdes, dès qu’ils les auront pris, les mettront pour plusieurs jours dans une situation si fâcheuse, que si elle devait durer toujours ils aimeraient mieux mourir ? Ne savons-nous pas aussi combien ceux qu’on dresse aux pénibles exercices du gymnase sont d’abord accablés de faiblesse ?

CLINIAS.
Nous savons tous cela.
L’ATHÉNIEN.

Et de plus, qu’ils prennent d’eux-mêmes ce parti, à cause de l’utilité qui doit leur en revenir ?

CLINIAS.

Cela est vrai.

L’ATHÉNIEN.

Ne faut-il pas porter le même jugement sur toutes les autres choses de la vie ?

CLINIAS.

Oui.

L’ATHÉNIEN.

Et conséquemment aussi sur l’usage des banquets, s’il est vrai qu’il ait pareillement ses avantages ?

CLINIAS.

J’en conviens.

L’ATHÉNIEN.

Si donc nous trouvons que cet usage renferme autant d’utilité que la gymnastique, il sera bien naturel de lui donner la préférence sur celle-ci, en ce que l’une est accompagnée de douleurs, et que l’autre en est exempt.

CLINIAS.
Tu as raison, mais je m’étonnerais beaucoup si tu trouves en l’usage des banquets l’utilité que tu prétends.
L’ATHÉNIEN.

Voilà ce qu’il faut que je tâche de démontrer maintenant. Réponds-moi. Peut-on apercevoir en nous deux sortes de craintes tout-à-fait opposées ?

CLINIAS.

Quelles sont-elles ?

L’ATHÉNIEN.

Les voici. D’abord nous craignons les maux dont nous sommes menacés.

CLINIAS.

Oui.

L’ATHÉNIEN.

Et de plus nous craignons en plusieurs rencontres l’opinion désavantageuse qu’on pourrait concevoir de nous, quand nous y donnons occasion par des actions ou des discours peu honnêtes. Nous appelons cette crainte pudeur, et c’est, je pense, le nom qu’on lui donne partout.

CLINIAS.

Nul doute.

L’ATHÉNIEN.
Telles sont les deux sortes de craintes dont je voulais parler. La seconde combat en nous l’impression de la douleur et des autres objets terribles ; elle n’est pas moins opposée à la plupart des plaisirs, et surtout aux plus grands.
CLINIAS.

Tu as raison.

L’ATHÉNIEN.

N’est-il pas vrai qu’un législateur, et tout homme de sens, a pour cette crainte les plus grands égards, et que, la revêtant du nom de pudeur, il qualifie d’impudence la confiance qui lui est opposée, la regardant comme le plus grand mal que puissent éprouver les États et les particuliers ?

CLINIAS.

Tu dis vrai.

L’ATHÉNIEN.

C’est encore cette crainte qui fait notre sûreté dans je ne sais combien d’occasions importantes ; à la guerre, c’est à elle plus qu’à nulle autre chose, qu’on doit son salut et la victoire. Deux choses en effet contribuent à la victoire, la confiance à la vue de l’ennemi et la crainte de se déshonorer devant ses amis.

CLINIAS.

Cela est certain.

L’ATHÉNIEN.
Il faut donc que chacun de nous soit à la fois sans crainte et craintif ; et nous avons dit pourquoi l’un et l’autre.
CLINIAS.

Oui.

L’ATHÉNIEN.

Lorsqu’on veut apprendre à quelqu’un à ne pas craindre, n’en vient-on point à bout en l’exposant avec discrétion à toutes sortes de craintes ?

CLINIAS.

Sans contredit.

L’ATHÉNIEN.

Et quand il s’agit d’inspirer à quelqu’un la crainte de ce qu’il doit craindre, n’est-ce pas en le mettant aux prises avec l’impudence, et en l’exerçant contre elle, qu’il faut lui apprendre à se combattre lui-même et à triompher des plaisirs ? N’est-ce pas en luttant sans cesse contre ses penchants habituels, et en les réprimant, qu’il faut qu’il acquière la perfection de la force, tandis que sans l’expérience et l’usage de ce genre de combat, on ne sera pas même vertueux à demi ? Sera-t-il jamais parfaitement tempérant, celui qui n’a point été aux prises avec une foule de sentiments voluptueux et de désirs qui le portent à ne rougir de rien et à commettre toutes sortes d’injustices ; qui n’a pas appris à les vaincre par la réflexion, et à pratiquer une méthode suivie dans ses amusements comme dans ses occupations sérieuses, et qui au contraire n’a jamais éprouvé les atteintes des passions ?

CLINIAS.

Il n’y a guère d’apparence.

L’ATHÉNIEN.

Mais quoi ! quelque Dieu a-t-il donné aux hommes un breuvage propre à inspirer la crainte, en sorte que plus on en boive, plus on se croie malheureux, plus on sente augmenter sa frayeur sur le présent et sur l’avenir, et qu’à la fin l’homme le plus intrépide soit glacé d’effroi, et que cependant on revienne à son premier état dès qu’on s’endort et qu’on cesse de boire ?

CLINIAS.

Étranger, y a-t-il sur la terre un breuvage de cette nature ?

L’ATHÉNIEN.
Aucun. Mais s’il y en avait un, quel qu’il fût, un législateur ne s’en servirait-il pas utilement pour exercer au courage ? Par exemple, n’aurions-nous pas sujet de lui dire là-dessus : Législateur, quel que soit le peuple à qui tu donnes des lois, Crétois ou autre, le principal objet de tes souhaits ne serait-il pas de connaître par une épreuve certaine ses dispositions par rapport au courage et à la lâcheté ?
CLINIAS.

Il n’est personne qui ne répondit que oui.

L’ATHÉNIEN.

Ne désirerais-tu pas aussi que cette épreuve se pût faire sans aucun risque ni danger considérable, plutôt que d’une autre façon ?

CLINIAS.

Tout législateur aimera mieux qu’elle se puisse faire sans risque.

L’ATHÉNIEN.

Et tu te servirais de ce breuvage pour éprouver l’âme de tes citoyens, t’assurant de leurs dispositions, employant les encouragements, les avis et les récompenses, pour les élever au-dessus de toute crainte ; couvrant au contraire d’opprobre quiconque ne s’efforcerait pas d’être en tout tel que tu veux qu’il soit ; et si dans ces exercices on montrait de la bonne volonté et du courage, on n’aurait rien à craindre de ta part ; sinon, on n’aurait que des châtiments à attendre. Ou bien refuserais-tu absolument de te servir de ce breuvage, quoiqu’il ne fût sujet d’ailleurs à aucun inconvénient ?

CLINIAS.
Et pour quelle raison, étranger, un législateur ne s’en servirait-il pas ?
L’ATHÉNIEN.

Cette sorte d’épreuve, mon cher ami, serait d’une merveilleuse facilité en comparaison de celles d’aujourd’hui, pour quiconque voudrait s’exercer seul vis-à-vis de soi-même, ou avec d’autres, en grand ou en petit nombre. Et si par pudeur, dans la crainte d’être aperçu en cet état avant que d’être suffisamment aguerri, on choisissait de s’exercer dans la solitude ; au lieu de mille autres choses on n’aurait qu’à se procurer ce breuvage et on serait sûr du succès. Il en serait de même si, comptant assez sur ses dispositions naturelles et les essais précédents, on ne craignait point de s’exercer avec d’autres, et de montrer en leur présence sa force à surmonter les impressions fâcheuses et inévitables de ce breuvage, de sorte qu’on ne laissât échapper aucune action indécente, et qu’on eût assez de vertu pour se préserver de toute altération, pourvu encore qu’on se retirât avant que d’avoir bu à l’excès, par une juste défiance de ce breuvage, capable à la fin de terrasser tous les hommes.

CLINIAS.

Oui, ce serait là une excellente école de tempérance.

L’ATHÉNIEN.

Revenons à notre législateur. Il est vrai, lui dirons-nous, que les Dieux n’ont point fait présent aux hommes d’un semblable remède contre la crainte, et que nous n’en avons pas imaginé nous-mêmes (car je ne mets pas les enchanteurs de la partie) ; mais n’avons-nous pas un breuvage dont l’effet est d’inspirer une sécurité et une confiance téméraire et hors de propos ? Qu’en dis-tu ?

CLINIAS.

Nous en avons un, répondra-t-il, et c’est le vin.

L’ATHÉNIEN.

Cette boisson n’a-t-elle pas une vertu tout opposée à celle dont nous venons de parler, rendant d’abord l’homme plus gai qu’auparavant ; ensuite, à mesure qu’il en boit, le remplissant de mille belles espérances, et lui donnant une idée plus avantageuse de sa puissance ; à la fin lui inspirant une pleine assurance de parler de tout, comme s’il n’ignorait de rien, et le rendant tellement libre, tellement supérieur à toute crainte, qu’il dit et fait sans balancer tout ce qui lui vient dans l’esprit ?

CLINIAS.

Tout le monde en conviendra avec toi.

MÉGILLE.
Sans contredit.
L’ATHÉNIEN.

Rappelons-nous maintenant ce qui a été dit tout à l’heure, qu’il y a deux choses auxquelles il faut aguerrir notre âme : l’une, à ne rien craindre en certaines occasions, l’autre, à tout craindre en d’autres.

CLINIAS.

Tu donnais, ce me semble, à cette seconde crainte le nom de pudeur ?

L’ATHÉNIEN.

Justement. Puis donc que la force et l’intrépidité ne peuvent s’acquérir qu’en s’exerçant à affronter les objets terribles, voyons si, pour parvenir au but opposé, il n’est pas besoin d’employer les moyens contraires.

CLINIAS.

Selon toute apparence.

L’ATHÉNIEN.

Ainsi c’est dans les choses qui ont la vertu de nous remplir d’une confiance et d’une hardiesse extraordinaire qu’il nous faut chercher un remède à l’impudence et à l’effronterie, apprenant à devenir timides et circonspects, pour ne rien dire, ne rien faire, ne rien souffrir dont nous ayons à rougir.

CLINIAS.
Cela doit être.
L’ATHÉNIEN.

Qu’est-ce qui nous expose à tomber en de pareilles fautes ? N’est-ce point la colère, l’amour, l’intempérance, l’ignorance, l’avidité, la lâcheté, et encore les richesses, la beauté, la vigueur du corps, enfin tout ce qui nous enivre par le plaisir, et nous fait perdre la raison ? Or, pour faire d’abord l’essai de ces passions, et s’exercer ensuite à les vaincre, est-il une épreuve plus aisée, plus innocente que celle du vin ? Et lorsqu’on y apporte les précautions convenables, est-il un divertissement plus propre à cet effet que celui des banquets ? Examinons la chose de plus près. Pour reconnaître un caractère difficile et farouche, capable de mille injustices, n’est-il pas plus dangereux de traiter avec lui à nos risques et périls, que de l’examiner dans l’abandon d’une fête bachique ? Pour nous assurer si un homme est esclave des plaisirs de l’amour, lui confierons-nous nos filles, nos fils et nos femmes, et ferons-nous un essai de ses mœurs au risque de ce que nous avons de plus cher ? Je ne finirais pas si je voulais rapporter toutes les raisons qui montrent combien il est plus avantageux de prendre connaissance des divers caractères à la faveur d’un divertissement, sans paraître le vouloir, sans courir aucun danger ; et je suis persuadé qu’il n’est personne, ni Crétois ni autre, qui ne reconnaisse que cette manière de sonder l’âme d’autrui est très convenable, et de toutes les épreuves la moins coûteuse, la plus sûre et la plus courte.

CLINIAS.

Cela est vrai.

L’ATHÉNIEN.

Or ce qui fait connaître le caractère et la disposition des hommes est sans doute ce qu’il y a de plus utile à l’art dont l’objet est de les rendre meilleurs ; et c’est là, je pense, l’objet de la politique : n’est-ce pas ?

CLINIAS.

Assurément.




Notes modifier

  1. C’est en effet Minos, inspiré par Jupiter, qui donna des lois à la Crète, Cicéron, Tuscul. II ; et Lycurgue fit confirmer ses lois par l’autorité d’Apollon Delphien, Cicéron, de Divinat. 1, 43 ; Hérodote, Clio, 65 ; Polybe, X, 2.
  2. Odyss. XIX. V. 178.
  3. L’antre où Jupiter fut élevé par des abeilles : Dictœo cœli regem pavere sub antro. Virg. Georg. IV. Le Scholiaste : C’est là que se célébraient les grands mystères de Jupiter et des Curètes.
  4. Les Thessaliens fournissaient les meilleurs cavaliers, et les Crétois les meilleurs archers de la Grèce.
  5. Ἀθήνη, Minerve, déesse de la sagesse, qui a donné son nom à la ville d’Athènes, de sorte qu’Athénien est ici synonyme de sage.
  6. Aristote, Polit. II, 7, 8, remarque, comme Platon, qu’à Sparte et en Crète, presque toute l’éducation et la plus grande partie des lois n’avaient d’autre but que la guerre.
  7. Voyez les fragments de Tyrtée, Pœtæ Græci minores, édit. de Th. Gaisford, t. I, p. 435.
  8. Voyez les fragments de Tyrtée, Poetæ græci minores, édit. de Th. Gaisford, t. I, p. 435.
  9. Théognis, v. 78.
  10. Voyez, dans le Théétète et le Ménon, la différence de la science et de l’opinion vraie.
  11. Xénophon, de la République de Lacédémone ; Manso, Sparta, t. I, p. 152.
  12. On permettait aux enfants de dérober ; mais lorsqu’ils étaient pris sur le fait, on les fouettait, pour les endurcir. Voyez Xénophon, Héraclide et Plutarque, Vie de Lycurgue.
  13. Héraclide et Plutarque disent que la Cryptie consistait en une embuscade de jeunes gens, auxquels on permettait de se répandre dans la campagne, et qui se cachaient le jour et ne paraissaient que la nuit pour surprendre et tuer des Ilotes. — Le Scholiaste donne de la Cryptie une explication beaucoup plus conforme à cet endroit de Platon. Un parti de jeunes gens était lancé dans la campagne pour un certain temps, par exemple pour une année, avec l’ordre, sous peine des plus sévères châtiments, de ne pas se laisser surprendre. Chacun d’eux devait pourvoir à sa sûreté comme il pouvait, se jeter dans les montagnes, se cacher le jour, ne paraître que la nuit, et mener une vie d’embuscades et de fatigues qui les préparait à la guerre.
  14. Manso, ibid, p. 210.
  15. Il y eut souvent des troubles en Béotie et à Thèbes. Pour ceux qui eurent lieu à Milet, voyez Diodore de Sicile, XIII, 104. Le même Diodore parle d’une sédition à Thurium, XIII, 11 ; et Aristote, Polit., V, 17, dépeint la jeunesse de Thurium comme turbulente et trop excitée à la guerre par ses exercices.
  16. Sur la fable de Ganymède, voyez Pindare, Olympic, I, 69.
  17. À Athènes, durant les Bacchanales, des gens barbouillés de lie allaient par les rues dans des charrettes, et disaient des injures aux passants. Ils représentaient aussi des farces, et c’est à ce grossier divertissement qu’on doit l’origine du plus noble des spectacles.
  18. Voyez, Aristote, Polit., II, 9.
  19. Xénophon, Retraite, VII, 3. Suidas, κατασκεδάζειν.
  20. Voyez le Protagoras, t. III, p. 81, et la note.
  21. Πρόξενος, Proxène, espèce d’agent consulaire chargé de recevoir et d’aider les étrangers de telle ou telle ville. Voyez Hésychius, Suidas, Ammonius, avec les notes de Walkenaer.
  22. Voyez Thucydide, I, 126. Plutarque, Vie de Solon. Diogène de Laerte, I, 110.