Texte établi par Marie-France Blanquet, Université Bordeaux 3 - Michel de Montaigne - IUT B (p. 6-22).

=I Quelles raisons d’adopter le logiciel libre ?=

Définitions et situation récente modifier

Le logiciel modifier

Un logiciel peut se présenter sous deux formes différentes : un code source ou un exécutable. Un exécutable consiste en un fichier unique, qui lorsqu’on clique dessus lance l’application, à l’aide d’éventuelles bibliothèques logicielles extérieures. Le code source consiste en un ensemble de fichiers rédigés dans un des langages informatiques (il en existe 76 différents, du COBOL au C++), que le programmeur compile ensuite afin d’obtenir les fichiers en langage binaire. Le HTML est un langage de description de documents. Il existe diverses méthodes de programmation : nous y reviendrons plus tard. Toute erreur dans le code source peut se manifester sous forme de bogue dans l’exécutable. Ces bogues peuvent ne jamais se produire, ou aller jusqu’à empêcher le fonctionnement de l’application (plantage, ou même refus de se lancer). Pour corriger ces erreurs, il faut avoir accès au code source, ce qui n’est en général possible qu’à l’auteur.

Les licences libres ou open source modifier

En 1984, Richard Stallman fonde la fsf (Free Software Fondation, Fondation du logiciel libre), afin de soutenir la diffusion de logiciels à code source ouvert. Jusqu’alors, les logiciels étaient tous fermés, c’est-à-dire qu’ils n’étaient distribués que sous leur forme exécutable et que leur code source n’était accessible qu’à leurs auteurs ; on parle de logiciels propriétaires. Richard Stallman créa un nouveau type de licence, la GNU GPL (la GNU’s not Unix General Public License : Licence publique générale GNU, GNU n’est pas un Unix ; la seconde partie est un acronyme récursif, voir Annexe A pour sa traduction française) licence sous laquelle il publia divers programmes, autorisant tout utilisateur de ceux-ci à en inspecter le code source, à le modifier pour l’adapter à son usage, en supprimer les bogues, ou l’améliorer, à le copier et à le distribuer librement. Les seules conditions posées sont la publication de ces modifications, et la diffusion sous les mêmes conditions du code ainsi obtenu, avec une mention de la licence. Depuis 1984, de nombreuses licences de logiciel libre ont été créées, avec des particularités et des restrictions plus ou moins grandes. Nathalie Cornée ayant listé les différentes licences, je n’en citerai que quelques unes à titre d’exemple. Ainsi la BSD (Berkeley Software License) est moins restrictive que la GNU GPL et autorise l’utilisateur à inclure le code sous licence BSD dans un logiciel propriétaire, ce qui a permis à Apple Computers d’utiliser des éléments du système d’exploitation libre Open BSD dans son propre OS (Operating system, système d’exploitation) propriétaire. Elle a ensuite à son tour publié les sources de la base de son OS, Darwin, et fait divers autres gestes envers la communauté du logiciel libre (notamment avec les améliorations apportées au navigateur Konqueror, dont elle a repris le moteur pour son navigateur Safari). De son coté, la NPL (Netscape Public License) autorise son auteur, la société Netscape, à inclure les améliorations apportées bénévolement aux logiciels serveurs qu’elle commercialise. Une nouvelle licence est apparue en France au mois de juin 2004, un collectif regroupant le CEA (Commissariat à l’énergie atomique), le CNRS (Centre national de la recherche scientifique) et l’INRIA (Institut national de recherche en informatique et en automatique) a décidé de créer une licence de logiciels libres française, la CeCILL (CEA, CNRS, INRIA Logiciel libre).

La belle histoire du libre modifier

Le logiciel libre constitue un aspect complet dans l’industrie informatique. Il possède ses propres outils, principes de développement, et ses personnalités emblématiques. Du coté des principales réussites applicatives, on peut citer :

  • les outils du programmeur gcc, créés par Richard Stallman ;
  • Apache, le serveur web, de plus en plus présent (50 % des serveurs web en 1998, 70 % actuellement) ;
  • le système d’exploitation Linux.

Des méthodes de gestion de projet ont été inventées par des programmeurs de logiciel libre : il s’agit notamment des méthodes agiles. Leur inventeur est Ward Cunningham, également inventeur du wikiwikiweb. Ces méthodes sont tournées vers le client, qui est fortement impliqué dans le développement du projet. Elles mettent en place des projets flexibles, qui évoluent tout au long du projet en fonction des demandes. Ces demandes sont elles-mêmes provoquées par des livraisons fréquentes d’éléments de l’application : ainsi les utilisateurs finaux se découvrent de nouveaux besoins au fur et à mesure que des réponses à leurs demandes sont apportées. Enfin, la simplicité est un des principes des méthodes agiles : équipes auto-organisées, réduction du code inutile (en réévaluant régulièrement le projet).

Plus proches des besoins des documentalistes, les langages de programmation spécialisés dans la gestion de base de données SQL (Structured query language, langage d'interrogation structuré) et PHP (Personal Home Page, Page d’accueil personnelle) rencontrent le même succès qu’Apache ; à ce propos PHP est désormais un projet pris en charge par Apache Software foundation.

Depuis quelques années, le mouvement du libre s’étend à d’autres domaines que le logiciel, et notamment à la connaissance :

  • par des mises à disposition du public des travaux d’universitaires ;
  • par la création d‘un format de description de documents : XML (thème abordé par Jérôme Bill dans son mémoire L’indexation XML des documents numérisés) ;
  • par la création d’encyclopédies libres disponibles en ligne (Nupedia, Wikipedia) ;
  • le mouvement est encadré juridiquement par une licence spécifique : la GFDL (General Free Documentation License), équivalente de la GNU GPL pour les textes.

Ce dernier point intéresse plus particulièrement les documentalistes :

  • pour la source d’informations supplémentaire et gratuite que cela peut éventuellement représenter, mais avec aussi des difficultés de validation de l’information ;
  • pour les outils utilisés, sur lesquels nous reviendrons (cf. infra).

On peut également noter que pour la première fois, une architecture d’un matériel de pointe, le microprocesseur de type RISC (Reduced instruction set computer : Microprocesseur à jeu d’instructions réduit) PowerPC, a été ouverte par son concepteur, l’étatsunien International Business Machine (IBM).

Valeur juridique des licences de logiciels libres modifier

Tant que les logiciels sont protégés par le droit d’auteur (ce qui est le cas en France), la licence GNU GPL et ses consœurs doivent théoriquement prendre tout leur effet, le droit moral d’un auteur sur son œuvre étant imprescriptible.

En France, cette licence peut prendre appui sur le principe d’œuvre première (au sens d’œuvre intellectuelle) et d’œuvre dérivée. On peut reprendre et modifier une œuvre préexistante si l’auteur le permet, comme par exemple Cent mille milliards de poèmes de Raymond Queneau. La nouvelle œuvre sera une œuvre dérivée, mais les droits de l’auteur de l’œuvre première doivent être respectés, à la fois sur l’œuvre première et sur la nouvelle œuvre.

Il existe en droit français deux limitations à la validité pleine et entière de cette licence. D’abord l’absence totale de responsabilité des auteurs : il semble nécessaire qu’ils doivent en accepter une a minima, comme le remboursement du prix du CD (quand un CD est fourni) par exemple. Cette absence totale de responsabilité est également contraire à la directive européenne du 25 juillet 1985, qui concerne la protection du consommateur.

Une autre dérogation au droit français de cette licence est l’absence de délimitation des droits cédés. En effet, les droits moraux sur l’œuvre de l’esprit étant inaliénables, leur cession impose une délimitation précise des droits cédés (article L131-3 du Code de la propriété intellectuelle), c’est à dire la mention expresse de tous les cas où ils sont cédés. Si une utilisation n’est pas mentionnée dans la licence, l’auteur peut en effet s’opposer à ce qu’elle soit faite.

C’est ce qui a poussé, entre autres, à la création de la licence CeCILL. Créée par plusieurs organes de recherche français, le CEA, le CNRS et l’INRIA, elle a comme différences principales avec la GNU GPL :

  • de préciser la responsabilité de l'auteur (le code français de la consommation l’impose, et est en contradiction avec la GNU GPL, qui s'exonère de responsabilité et de garantie) ;
  • précise l'étendue du droit cédé : elle est valable dans le monde entier ;
  • pour lui permettre de vivre, elle précise également que si du code GNU GPL est intégré à un logiciel sous licence CeCILL, le nouveau logiciel sera sous licence GNU GPL.

Cependant, comme le signalent de nombreux juristes, le droit n’est rien sans la sanction de la pratique. En effet, devant des cas pratiques et nouveaux, il arrive souvent que les juges prennent des décisions inattendues.

Le petit monde du libre attend donc avec impatience les premiers jugements. Le premier a été rendu récemment par un tribunal de Munich, qui condamne la société néerlandaise Sitecom à se plier aux termes de la licence GNU GPL, car elle a intégré le logiciel Netfilter/Iptable, distribué sous licence GNU GPL, à son logiciel propriétaire. La diffusion du logiciel propriétaire a été suspendue jusqu’à la publication de ses sources. L’affaire est en cours, mais il s’agit d’une première étape vers la confirmation de la validité de ce type de licence.

Validité des solutions libres : atouts techniques modifier

Quelles pourraient être les raisons d’opter pour un logiciel libre, lorsqu’on est à la tête d’une unité documentaire ? Actuellement, les centres de documentation sont presque tous informatisés, et ne vont donc pas a priori envisager subitement l’utilisation d’un nouveau logiciel. Deux raisons vont toutefois à l’encontre de ce raisonnement :

  • régulièrement, tous les cinq à six ans environ (selon M. Pouyllau), la question du renouvellement du logiciel documentaire se pose, soit parce que son éditeur a disparu ou ne le fait plus évoluer, soit parce qu’il ne convient pas ou plus aux besoins du centre ;
  • les centres documentaires n’ont pas un mode de fonctionnement statique : au fur et à mesure des innovations technologiques, ils ont vocation à les utiliser lorsqu’elles peuvent apporter de la valeur ajoutée à leur travail.

Il est justement plusieurs domaines où les logiciels libres excellent. Partis des infrastructures réseaux (serveurs, protocoles de communication), les logiciels libres ont progressivement occupé le réseau lui-même, d’abord pour l’infrastructure, serveurs de mails, serveurs web, bases de données, puis pour le contenu, la gestion de la mise en ligne elle-même.

Enfin, le mode de développement même des logiciels libres, qui est un travail collaboratif utilisant les réseaux, a provoqué l’apparition d’outils spécialisés. Dans ces domaines d’excellence du logiciel libre, bases de données, communication de données en ligne, travail collaboratif, nous tenterons de voir quels sont les outils pouvant intéresser le documentaliste. Et en dehors de ces logiciels qui ne touchent pas au cœur du métier de documentaliste, quels sont ceux qui permettent de gérer un fonds documentaire.

Le web comme moteur de modernisation modifier

Ainsi, la volonté d’utiliser des technologies nouvelles a poussé certains éditeurs à inclure la possibilité d’éditer sur le Web à partir d’outils qui n’étaient pas prévus pour cela : pour rester généralistes, citons Microsoft Word, qui exporte désormais les documents dans un format proche du HTML, et Microsoft Access qui permet la consultation en ligne des bases de données conçues avec ce logiciel. Cependant, bien des sociétés ne se sont pas contentées de ces outils hybrides et rudimentaires, et ont opté pour des solutions plus évoluées : une suite HTML complète (Dreamweaver, et les modules additionnels édités par Macromedia), ou des solutions encore plus coûteuses, mais intégrant la base de données au Web dès sa conception de la base (Cindoc par exemple le permet). Il existe des logiciels libres particulièrement performants dans le domaine des bases de données et de la mise en ligne de contenu. Certains sont intégrés à des suites logicielles propriétaires (comme le serveur Apache, dans Loris v 3.5.1 d’Ever Team SA). De nombreux mettent en œuvre le langage SQL, à la base de nombreux logiciels de gestion de bases de données. Il en existe plusieurs qui ne nécessitent pas l’utilisation d’Unix ou de Linux pour leur installation. Enfin, des éditeurs ont décidé d’intégrer une part de logiciel libre dans leurs produits. C’est le cas de Dipmaker, commercialisé par la société DIP comme module additionnel de son logiciel documentaire propriétaire, dont les sources sont accessibles à l’utilisateur. Celui-ci n’est donc pas prisonnier d’un logiciel, les données saisies avec l’un sont récupérables et exportables pour leur utilisation vers un autre logiciel, en faisant appel aux services d’un informaticien, même si DIP disparaît. Pour la mise en ligne de contenus, le mémoire de Nathalie Cornée cite plusieurs solutions, adoptées par des entreprises : Zope (sous licence particulière, la ZPL : Zope public license), qui a été mise en place cette année dans plusieurs structures (comme la CNCC [Compagnie nationale des commissaires aux comptes], ou la chambre des Métiers du Nord-Pas-de-Calais), et SPIP (Système de publication pour l’Internet), utilisé par l’Université de Rennes, mais aussi par Sud-Ouest pour la mise en ligne de contenu : on parle de Content Management System, (CMS, Système de gestion de contenu). Ces structures ont fait le choix du libre à un moment où, ayant déjà un service de diffusion d’information informatisé, elles ont voulu utiliser les opportunités offertes par le Web pour accroître leur efficacité. Dans le cas de l’adoption de Zope, il est clairement avancé par les responsables du choix dans les cas cités que la solution libre leur semblait supérieure techniquement et fonctionnellement. Pour SPIP, c’est la simplicité de mise en ligne de contenu, accessible au néophyte, qui a convaincu (voir aussi Annexe D). Zope peut être associé à Collaborative portal server (CPS, serveur de portail collaboratif). Ce logiciel est un exemple d’outil de travail collaboratif. Les wikiwikiwebs en sont un autre. Ils sont prévus pour éditer facilement le contenu, afin de permettre une mise à jour perpétuelle du contenu. Il existe plusieurs logiciels de wiki, dont MediaWiki et Xwiki.

L’adaptabilité des logiciels libres modifier

Le facteur de supériorité qui est assez souvent avancé est la possibilité d’adapter réellement le logiciel à l’usage qui en sera fait, c’est à dire aux besoins définis au moment de choisir un logiciel, avant que le choix du libre ait été fait. Le code du logiciel étant ouvert, l’organisme utilisateur peut tout à fait ajouter la fonction ou le module qui lui manque. Bien évidemment, ces raisons ne valent pratiquement que pour des grosses structures qui ont les moyens de modifier le code du logiciel, soit parce qu’elles disposent du personnel compétent en interne, soit parce qu’elles ont les moyens financiers pour faire réaliser ces modifications par un prestataire externe. Le logiciel libre convient donc plus particulièrement aux grosses structures. Quant à elles, les plus petites n’adopteront un logiciel libre que s’il remplit tous les besoins du service de documentation, ou la plupart d’entre eux, puisqu’il est peu probable qu’elles puissent programmer elles-mêmes les fonctions complémentaires. Mais de toute façon, une petite structure ne peut pas s’offrir la plupart du temps un logiciel dédié à la documentation, car ils sont vendus à des prix bien trop élevés. Ce qu’elles peuvent par contre faire avec un logiciel libre, c’est soit en adopter un qui a déjà été modifié pour un usage similaire au leur, ou demander leurs propres modifications à la communauté des développeurs (sans certitude d’obtenir ces modifications). Elles peuvent également en adopter plusieurs incomplets séparément mais qui utilisés ensemble constituent une solution complète, pour le même coût de licence qu’un seul logiciel libre (c’est-à-dire rien la plupart du temps). Un autre facteur avantageant les logiciels libres est leur architecture bien pensée dès le départ, ce qui leur donne une plus grande souplesse de fonctionnement, une plus grande portabilité, et plus de légèreté : ils ont besoin de moins de ressources pour fonctionner (ainsi Greenstone fonctionne sur de vieilles machines équipées de Windows 3.1, ou inférieur). Une fois écrit, un programme libre pourra ne pas évoluer pendant des années ; c’est d’ailleurs le propre d’un standard : une fois fixé, il n’évolue plus (voir la taille des boulons de 12 qui n’a pas varié depuis le XIXe siècle). C’est ainsi que la syntaxe du XML version 1.0 a été diffusée le 1er février 1998. Cette syntaxe n’a pas connue d’évolution depuis, elle n’est même pas passée à la version 1.1. Ces architectures stables sont par contre plus longues à concevoir, et font parfois qu’il est plus long de finaliser un logiciel libre en version 1.0. L’ajout de nouvelles fonctions en est en contrepartie par la suite facilité. Les logiciels libres sont donc assez souvent choisis pour répondre à de nouveaux besoins dans des entreprises ou des administrations de grande taille. Les raisons qui poussent à l’adoption de ces logiciels sont :

  • le respect des standards ;
  • la pérennité et la qualité des produits ;
  • et le prix.

Ces solutions à base ou autour du libre sont choisies par des organisations qui soit ont de nouveaux besoins, soit ne peuvent plus utiliser leur logiciel (trop insuffisant, ou par cause d’un éditeur défaillant).

Le bouche-à-oreille, ou la propagation de proche en proche modifier

Enfin, je classe dans les raisons techniques l’effet boule-de-neige qui accompagne le succès de toute nouvelle technologie. L’effet boule-de-neige ou l’effet fax concerne les biens immatériels : à l’opposé des biens matériels, ce qui fait la valeur des services (et logiciels) c’est leur plus grande diffusion. Si un propriétaire de Ferrari ne veut absolument pas que le nombre de propriétaires de Ferrari augmente (ce qui diminuerait la valeur de sa Ferrari), c’est tout le contraire pour un possesseur de fax. Pour qu’on puisse l’utiliser, il faut que beaucoup de personnes en possèdent, et plus elles sont nombreuses, plus le fax est utile. Le même principe s’applique au monde des logiciels : pour que l’utilisation d’un programme soit intéressante pour moi, il faut que de nombreuses autres personnes l’utilisent. Ces personnes, d’après leur expérience me conseilleront de porter ou non mon choix sur ce produit ; elles feront du bug reporting auprès des programmeurs, et donc l’efficacité et la fiabilité du logiciel s’en trouveront augmentées (soyons optimistes !) ; elles m’aideront par les forums ou les listes de diffusion dans mes problèmes quotidiens d’utilisation du logiciel ; enfin, nous pourrons échanger des données au format du logiciel. Si peu de personnes utilisent un logiciel, il risque fort de ne pas être abouti, d’être peu fiable, et en cas de problème je devrais me débrouiller seul. Dans le cas de la documentation, je ne pourrais pas obtenir de notices déjà faites au format utilisé par mon logiciel (ce qui signifie plus de travail). Enfin, en général, une plus grande diffusion signifie également un prix moins élevé (bien que pour les systèmes d’exploitation ou les suites bureautiques, ce ne soit pas le cas).

La viabilité des solutions libres et les infrastructures de support modifier

Nous avons vu que, techniquement parlant, les solutions libres sont à la hauteur des solutions propriétaires. Pour certaines, elles sont même supérieures : ainsi, le temps a montré que le serveur web libre Apache est supérieur à tous les autres produits disponibles dans son secteur, que ce soit IIS de Microsoft, ou Samba, un autre logiciel libre, plus facilement configurable mais moins puissant.

Cependant, la crainte souvent évoquée à propos des logiciels libres est celui de leur pérennité. Comment faire dans trois ou quatre ans, lorsque j’aurai besoin de faire évoluer mon logiciel ? Que m’arrivera t’il si, dans un an, je rencontre un problème grave ? Y aura t’il quelqu’un pour y répondre ? La question est bien sur plus souvent évoquée dans un secteur de peu d’importance auquel peu de programmeurs s’intéressent.

Quelques exemples peuvent répondre à ces questions. Lorsqu’il s’agit d’expliquer son choix, la CNCC avance que le couple Zope + CPS (Collaborative Portal System) offre autant voire plus de garanties de pérennité que la concurrence. Cet organisme a sûrement considéré que :

  • que les sociétés éditrices ne sont pas éternelles,
  • qu’elles peuvent décider d’arrêter à tout moment le développement ou le support d’un logiciel,
  • et que les sociétés impliquées dans le logiciel libre se multiplient.

Ce mouvement se constate à tous les niveaux. On a d’abord de grosses sociétés comme Sun Microsystems, Novell, Hewlett-Packard, IBM (International Business Machine) qui incluent le logiciel libre dans leur offre de services et de logiciels. Mais ceci concerne les logiciels extrêmement répandus. Nous allons maintenant évoquer tous les aspects qui assurent une viabilité certaine au logiciel libre.

La communauté des développeurs modifier

Celle-ci est primordiale : c’est son importance qui peut constituer un argument contre le nombre de programmeurs disponibles à plein temps d’une société éditrice. Elle assure la correction des bugs et l’évolution du produit (ajout de nouvelles fonctions, respect des standards).

Le nombre de programmeurs connaissant les outils du monde libre ne cesse d’ailleurs de s’accroître, les écoles spécialisées les privilégiant à la fois pour des raisons de coût et d’adaptabilité de ces logiciels, également parce que de nombreux professeurs sont convaincus de l’intérêt des solutions libres, d’un point de vue éthique, et enfin parce que leur utilisation est formatrice. Il est donc assuré que ce type de développement pourra se maintenir dans un avenir proche (les vingt prochaines années).

La Foire aux questions (FAQ) modifier

C’est un élément intéressant, aussi bien au moment du choix du logiciel que lors de son utilisation. Elle permet, lorsqu’elle est bien conçue et complète, de mieux appréhender le logiciel, de mieux en explorer les possibilités et le mode de fonctionnement avant de faire son choix. Elle sert aussi au dépannage léger. Le site de Greenstone offre ainsi une FAQ de 37 questions, dans un langage courant (en anglais). Il répond aux questions pouvant se poser au moment du choix (10 questions-réponses), de l’installation (2 questions-réponses), de l’utilisation (22 questions), et à deux autres questions relatives aux modules annexes (plug-ins).

===La documentation=== Ce point est très variable selon les logiciels. Les logiciels commerciaux sont évidemment les mieux pourvus, puisque les éditeurs font généralement rédiger un manuel qui fait parfois plus de cent pages, en plusieurs langues. Ils distribuent également, selon des conditions variables, un second type de documentation à destination des développeurs désirant programmer dans l’environnement du logiciel. Avec les logiciels libres, rien de tel. C’est l’équipe de programmeurs qui doit rédiger les deux types de documentation, et lorsque le logiciel est encore en cours de développement, souvent la première peut manquer (cas d’Avanti) ou est rudimentaire. Le choix de standards à tous les niveaux, et notamment pour l’interface, facilite la prise en main des logiciels, néanmoins l’absence de documentation est un handicap qui peut empêcher le choix d’un logiciel libre.

Les logiciels libres répandus se rattrapent avec la documentation commerciale, publiée par des éditeurs de livres spécialisés dans cette littérature technique. Ceux-ci ne négligent bien évidemment pas un lectorat potentiel en croissance forte, et les bibles du PHP, d’Apache et autres se trouvent assez facilement dans les grandes surfaces. Cependant, les logiciels testés ne bénéficient pas d’une popularité telle qu’un éditeur se soit intéressé à l’édition d’un manuel.

Pour Greenstone, le logiciel le mieux pourvu en documentation, il y a toute une documentation en cinq langues (anglais, français, russe, espagnol et kazakh). Elle comprend un guide de l’installateur, un guide de l’utilisateur, un guide du développeur, un guide de numérisation. Les anglophones disposent de plus d’un guide de la personnalisation de l’interface, et d’un tutorial avec présentation du logiciel, exercices, et fichiers tests.

Les listes de diffusion modifier

Ces abonnements à la diffusion de nouvelles par courrier électronique permettent de se tenir informé des évolutions du logiciel. La liste de diffusion possède une plus-value venant de la participation des utilisateurs du logiciel, avec un aspect entraide et mutualisation des expériences personnelles. Tous les logiciels documentaires, même les plus rustiques, comme Avanti, en proposent. Greenstone, qui bénéficie du soutien de l’Unesco, (United Nations educational, scientific and cultural Organization, Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture) possède en plus de sa liste de diffusion, d’un blog en langue française. Tous les articles en sont archivés, ce qui fournit donc une espèce de FAQ correspondant à des cas concrets, différente de la FAQ fournie par les programmeurs.

Les forums modifier

Les forums sont des lieux de rencontre entre des utilisateurs qui ont une difficulté avec un logiciel ou un matériel, et d’autres personnes, utilisateurs ou programmeurs par exemple. Cette rencontre se fait sur la base de la volonté des seconds d’aider les premiers, la situation pouvant s’inverser plus tard, sur une question différente. Pour qu’un forum vive (que les réponses ne mettent pas plusieurs jours à arriver, que l’activité soit quotidienne, etc.), il faut donc qu’il y ait un nombre suffisant d’utilisateurs des mêmes outils pour que parmi eux, ils s’en trouvent qui fréquentent régulièrement le forum et répondent utilement aux questions posées. Un logiciel répandu comme Access dispose ainsi de forums (le terme maison est communauté) hébergés par son éditeur, dont un en français.

Lorsqu’un logiciel est peu répandu, un forum plus généraliste pourra en général prendre en charge l’utilisateur : soit un forum dédié à une plateforme spécifique (par exemple les utilisateurs des systèmes d’Apple sont très solidaires), ou un forum dédié à un type d’usage spécifique (le jeu en ligne). La communauté du logiciel libre a, bien évidemment, ses propres forums, sur les sites généralistes (Freshmeat ou Sourceforge). Par contre, aucun des logiciels testés ne propose de forum sur son site, ce qui oblige à faire appel soit directement aux programmeurs, soit à des forums plus généralistes, avec le risque d’être mal compris (à cause de la double barrière du langage technique celle de la langue utilisée). Évidemment, il devient compliqué d’obtenir une réponse satisfaisante lorsque la question n’est pas comprise.

Les entreprises spécialisées : SSLL (Sociétés de service en logiciel libre) modifier

Pour une société ou une administration, l’élément déterminant dans le support d’un logiciel est toutefois la Société de service en ingénierie informatique (SSII). Elles emploient en effet du personnel compétent, capable d’intervenir pour résoudre tout type de problème informatique. Ces sociétés proposent des solutions serveurs et réseaux incluant des logiciels libres ou open source depuis plusieurs années. À coté de ces structures anciennes, sont apparues depuis peu des entreprises semblables, mais spécialisées dans le logiciel libre : les Sociétés de service en logiciel libre (SSLL). Leur expertise ne se limite pas à l’installation et à la configuration ‘’sans bogue’’ ; opérant dans le logiciel libre, elles interviennent directement sur le code source, adaptent le logiciel à la demande, corrigent les bogues quand le client en découvre. Ces sociétés représentent environ 1,5 % des SSII en France (70 sociétés sur 4000). Bien que marginales, elles sont assez nombreuses pour réaliser un maillage du territoire, au moins sur les principaux centres économiques. De plus, les étudiants en ingénierie informatique sont souvent formés sur des logiciels libres. Recrutés dans une SSII classique, ils peuvent intervenir sur ce type de logiciels. Donc l’offre de services en support payant et professionnel est désormais réelle et disponible en France. Le contrat passé avec une SSLL permet d’obtenir un support composé :

  • d’un conseil lors du choix du logiciel ;
  • d’une adaptation du logiciel aux besoins du service de documentation, si nécessaire par l’ajout de modules que la SSLL programme, chose impossible avec un logiciel propriétaire ;
  • de la résolution de problèmes (bogues ou plantages) : Hervé Lardin, dans son intervention à la journée découverte des logiciels libres, citait deux exemples d’incompatibilité s’étant produit sur une base de données de l’Aérospatiale : l’une impliquait la base de données Oracle et le serveur Hewlett-Packard sur lequel elle était installée ; survenue en 2000, elle n’était toujours pas résolue en juin 2004, les deux sociétés se souciant peu de la résoudre ; l’autre impliquait le même type de machine et une base de données open source ; l’accès au code source a permis aux informaticiens maison de résoudre le problème en moins d’une heure.

Support des logiciels propriétaires modifier

Les sociétés commerciales telles que Microsoft et Filemaker proposent toute une gamme de services en ligne : FAQ peu fournies (respectivement six et sept questions-réponses), compensées par une base de connaissances (ou K-bases, Knowledge bases, bases de connaissances), un support téléphonique et une liste de diffusion pour les deux logiciels, un assistant de mise à jour en ligne et une section du site destinées aux programmeurs pour Filemaker. Access possède également les Groupes utilisateurs, animés par des passionnés du logiciel, qui rappellent le fonctionnement des forums. Tout cela peut donner une impression de support efficace, la variété des sources assurant de trouver une solution, si elle existe. Si elle n’existe pas, il est par contre peu probable que la société mobilise un programmeur pour écrire ou corriger les lignes de code en cause. On a vu que les logiciels libres peuvent être maintenus pratiquement sans limite de durée, puisque le code source est accessible. Il n’en est pas de même pour les logiciels propriétaires. Trois raisons peuvent faire qu’un logiciel n’est plus maintenu par son éditeur :

  • celui-ci disparaît : sa faillite entraîne la disparition de son capital de connaissances ; tous les utilisateurs de ses produits se retrouvent avec des données inutilisables à terme ; Pierre Jarillon cite ainsi le cas des bibliothèques africaines qui possèdent des quantités importantes de données sur bandes magnétiques, mais qui n’ont pas fait migrer ces données sur des supports modernes ; les machines étant en panne, les logiciels de lecture (intégrés aux machines) étant fermés et l’éditeur ayant disparu, ces données sont perdues ;
  • l’éditeur ne disparaît pas, mais est racheté : c’est le cas de Compaq, racheté par Hewlett-Packard, et qui a d’ores et déjà décidé d’abandonner le support de certains logiciels ;
  • l’éditeur continue d’exister de manière indépendante, mais décide d’abandonner le support du produit ; c’est le cas de tous les logiciels propriétaires, au bout d’un certain délai ; ainsi Microsoft n’assure une maintenance de ses produits pour grandes entreprises que pour un maximum de dix ans (maximum qui vient d’être relevé récemment). Les logiciels pour PME sont maintenus encore moins longtemps par cette société.

Mais l’élément déterminant n’est bien sur pas l’affirmation du maintien d’un support par une société, mais la qualité de ce support. Le logiciel de Microsoft le plus exposé est bien sur Internet Explorer : non seulement ses failles sont très nombreuses, mais les délais de publications des correctifs, par la plus grosse société informatique du monde, celle qui dispose du plus grand nombre de programmeurs, sont souvent pointés du doigt. Inversement, le navigateur libre Mozilla possédait une telle faille de sécurité. Rendue publique le 7 juillet, elle était corrigée le 8 sur les versions disponibles au téléchargement. Les correctifs étaient disponibles pour les anciennes versions dans les mêmes délais. Ce travail n’a été fait que par des bénévoles.

Formation modifier

Enfin, une fois qu’on a l’assurance d’être dépanné dans de multiples cas de figure, il importe d’apprendre à se servir d’un logiciel. On trouve maintenant de très nombreux organismes qui proposent une formation aux outils logiciels. Du club informatique de quartier, où le spécialiste local vous enseigne les rudiments de l’informatique, voire plus, jusqu’aux cours intégrés aux formations universitaires et aux cabinets de formation spécialisés qui dispensent (fort cher d’ailleurs) des sessions de quelques jours, l’offre est abondante.

Pour ce qui est du logiciel libre, l’offre est beaucoup plus limitée. La formation sera uniquement dispensée par la SSLL qui installera le logiciel dans la structure. Il y a fort à parier que, ne faisant qu’installer un logiciel et le paramétrer, ou au mieux programmer une fonction, elle n’aura pas suffisamment d’expérience de l’application pour former des clients à son utilisation. C’est le principal point faible du logiciel libre, partiellement compensé par la simplicité voulue des logiciels libres. Cependant, si la SSLL pratique de manière avancée les méthodes de développement agile, qui impliquent une communication poussée avec le client et une connaissance approfondie du logiciel, il est possible qu’elle puisse dispenser une formation adéquate.

Raisons économiques modifier

Nous avons donc vu que les logiciels libres complètent l’offre logicielle déjà proposée par les éditeurs traditionnels de façon pertinente, puisque les produits à code source ouvert sont à la fois performants, adaptables, fiables et peu coûteux. De plus, ils commencent à être répandus, donc leur popularité devrait assurer un remplacement rapide des solutions propriétaires. Or, même si on observe une progression de leur diffusion, nous sommes loin d’assister à un raz-de-marée.

La principale raison, outre un effet d’inertie certain et inévitable, est probablement ce qu’on appelle le coût de migration. En effet, pour un service qui doit changer de logiciel, il existe tout un ensemble de coûts à envisager. Le coût de migration doit absolument être équilibré par les économies apportées par le nouveau logiciel. Ce coût de migration, ou coût de sortie est encore augmenté par la fermeture des logiciels propriétaires, qui empêchent l’export des données, ou d’outils propres à un logiciel (tels que les scripts). Ce coût se décompose en :

  • coûts liés à l’indisponibilité ou à la production moindre de l’unité documentaire :
    • pendant le transfert de la base ancienne vers la nouvelle (souvent impossible directement, du fait du format de données fermé de l’application (qu’on adopte ou non un logiciel libre) : il faut alors tout ressaisir) ;
    • les documentalistes doivent être formés au nouveau logiciel, ce qui entraîne forcément une baisse de la production pendant ce temps ;
    • la productivité moindre le temps que les documentalistes formés s’adaptent à leur nouvel outil ;
  • coûts liés à la préparation de la migration :
    • l’étude de besoins pour le choix du nouveau logiciel ;
    • les essais du nouveau logiciel ;
    • les démarches d’appel d’offre et de suivi ;
  • coûts éventuels de mise à jour du matériel.

Ce coût de sortie, et les désagréments, voire les difficultés de la migration d’un logiciel à l’autre, freinent la migration effective. Mais à terme, ces désagréments devraient favoriser les logiciels à code source ouvert. En effet, le plus grand obstacle est la difficulté de transfert de la base d’un format de logiciel à un autre format. Avec un logiciel ouvert, le format du fichier contenant la base est aisément exportable vers un autre format. Il est raisonnable de penser que, quelque soit le logiciel utilisé, les utilisateurs se lasseront de ces coûts annexes, voire de la perte de données, qui surviennent lors d’une migration ou même lors d’une simple mise à jour. C’est d’ailleurs ce qu’a bien compris l’éditeur de logiciels documentaires Dip-systèmes, qui ouvre une partie du code de ses applications : ainsi les clients savent qu’ils ne sont pas liés irrémédiablement à leur fournisseur, et que leurs données leur resteront accessibles quoiqu’il arrive à cet éditeur.

Nous avons vu que, lorsque la question du renouvellement d’un logiciel avec de nouvelles fonctions se pose, divers coûts sont à envisager, et que la licence n’est qu’un des éléments du coût du passage à ce nouveau service. Il en va de même lorsqu’on veut se doter d’un outil supplémentaire.

On voit donc que lorsqu’une unité documentaire fait le choix d’un logiciel, elle le fait entre des solutions plus ou moins bancales et limitées, car généralistes et ne prenant pas en compte ses besoins précis, ou des solutions adaptées et performantes, mais coûteuses, et comportant des fonctions qui resteront inutilisées. C’est alors que le mouvement open source peut proposer une alternative intéressante, d’abord par l’absence de paiement d’une licence, ensuite par leur adaptabilité. Les économies réalisées sur le prix de la licence, sur les périodes d’indisponibilité et la maintenance, et sur la période de migration, permettent d’investir dans le logiciel libre, une adaptation à ses besoins au moment du choix du logiciel.

Autre argument à long terme : le coût des mises à jour est lui aussi minoré : il n’y a pas de nouvelle licence à payer à chaque mise à jour. Les coûts de mise à jour, liés à la migration des documents et à l’installation proprement dite de la mise à jour, sont eux aussi minorés, puisque les formats de données sont basés sur des standards et restent compatibles de façon ascendante et descendante, ou sont convertis aisément par un script. En tout cas, les développeurs n’ont aucun intérêt à rendre difficile cette migration, et le format ouvert la facilite dans les cas les plus ardus.

Enfin, le coût total de possession (CTP) est minoré. De nombreuses études sont parues, mais les commanditaires n’étant pas toujours nommés, il est difficile de s’y fier. On ne peut que citer quelques exemples d’évaluation faites par des entreprises, qui chiffrent les économies réalisées sur la licence, l’installation et la maintenance dans une fourchette entre 30 et 80 % du coût d’un logiciel propriétaire. La diminution du CTP se fait d’ailleurs plus sur la maintenance et la diminution des périodes d’indisponibilité, c’est à dire des coûts cachés, que sur le coût d’achat.

Arguments stratégiques modifier

Accès à l’information modifier

Pour une administration, les raisons de préférer les standards libres à ceux des éditeurs propriétaires ne se résument pas à un simple comparatif entre solutions concurrentes. En effet, un État, surtout s’il est démocratique se doit d’adopter une politique concernant sa documentation qui en assure le libre accès, et la pérennité. Cet accès doit être assuré :

  • à tous les citoyens : le format des documents ne doit pas nécessiter un logiciel particulier pour être consulté, de la même manière que les codes législatifs sont écrits en français (le français qui était courant lors de la rédaction du Code Napoléon), pour être compréhensibles par tous, et sont disponibles dans toutes les mairies ;
  • de façon pérenne, c’est-à-dire à tous les citoyens à venir : le format informatique de consultation des documents doit permettre l’utilisation des données indéfiniment dans le temps. La pérennité de l’éditeur ne suffit pas (et de plus, quelle sociétés dureront cent ans ?), il faut aussi que les documents anciens soient accessibles avec une version future du logiciel, et qu’une version raisonnablement ancienne du logiciel puisse permettre la consultation des documents récents ;
  • et enfin, mais ce n’est pas la moindre des raisons, l’omniprésence de l’informatique fait que la sécurité des États peut être mise en jeu si un logiciel connaît des failles de sécurité (mais cela concerne moins les documentalistes dans leur ensemble, exceptés ceux qui travaillent dans des domaines sensibles). Il est cependant nécessaire que les données collectées de façon obligatoire par l’État et ses représentants demeurent confidentielles.

Actuellement, le seul format répandu qui répond aux deux premiers critères est l’HTML, le langage servant à écrire les pages web : une version du navigateur Lynx de 1996 peut interpréter l’essentiel du code HTML actuel, et un navigateur moderne peut lire le code HTML d’alors. De plus, le format est défini de façon ouverte, par un consortium international, ce qui garantit que les évolutions du langage HTML pourront être prises en compte par les administrations sans avoir à payer une surtaxe. Mais le HTML n’est pas, loin de là, le format le plus utilisé pour la production et l’enregistrement de données dans les services documentaires.

Dépendance à l’égard d’un fournisseur, étranger le plus souvent modifier

Outre le problème de compatibilité ascendante et descendante, les États commencent à se soucier de leur dépendance vis-à-vis d’un fournisseur exclusif de logiciels (ou quasi-exclusif). Se trouvant en situation de seul fournisseur de systèmes d’exploitation pour postes personnels, Microsoft a tendance à négliger les clientèles particulières. Ainsi les pays qui ont des alphabets ésotériques, mal pris en compte, ou tardivement par rapport au reste du monde, sont parmi les premiers à se dégager de son emprise. Les articles de presse illustrant mes propos se trouvent en annexe B.

On peut citer Israël : en 2004, aucune des licences de Microsoft Office ne sera renouvelée par le gouvernement israélien. Celui-ci s’est tourné vers les logiciels libres. Outre les arguments économiques, les représentants du gouvernement israélien avancent des motifs d’ordre démocratique : selon Inon Elroy, chef du département des affaires commerciales à l'ambassade d'Israël à Paris « Le gouvernement israélien veut donner à chaque citoyen les moyens de s'équiper gratuitement en logiciels ». Une distribution de CD de la suite a été faite à tous les écoliers du pays.

Toujours semble-t’il pour des raisons de spécificité culturelle, mais également pour se défaire de l’emprise d’un fournisseur par trop exclusif, la Chine, la Corée du Sud et le Japon ont décidé de créer un système d’exploitation destiné à leurs administrations, basé sur Linux, et nommé Asianux. Développé par les sociétés chinoise Red Flag et japonaise Miracle Linux, la première version a été présentée trois mois après l’annonce commune des trois gouvernements.

Aux États-Unis même, l’État du Massachusetts se tourne vers les logiciels libres et leurs standards ouverts. L’administration de cet État a ainsi décidé de privilégier les solutions fonctionnant avec le XML (eXtensible Markup Language) et SSL (Secure Sockets Layer).

La Thaïlande, la Norvège, la Corée du Sud, Taï-Wan, des collectivités locales allemandes ont aussi, à des degrés divers, remis en cause l’omniprésence des produits Microsoft. Il semble toutefois qu’il ne s’agissait dans certains cas que d’une tactique pour obtenir des rabais.

Dans les pays en voie de développement, ces logiciels au coût d’acquisition nul et demandant des ressources matérielles limitées représentent une opportunité très intéressante. C’est pourquoi l’Unesco soutient le développement de certains logiciels libres, dont Greenstone.

Au Pérou, le député Villanueva Nuñez est l’auteur d’une lettre destinée au Directeur général de Microsoft Pérou qui résume parfaitement les enjeux du choix de tel ou tel type de licence logiciel pour un État. Seule l’utilisation de formats ouverts et standards permet l’accès de tous aux informations publiques ; seule l’utilisation de logiciels à code source ouvert permet à un État de garantir que l’évolution de ceux-ci ne compromet pas la pérennité de la lisibilité des données ; seul l’accès au code source des logiciels permet de garantir qu’aucune fuite d’information sensible ou prise de contrôle à distance n’est possible. Ainsi le logiciel libre, mieux que le logiciel propriétaire, permet de lutter contre l’exclusion et de protéger le patrimoine public.

En Europe, la Commission européenne encourage depuis plusieurs années les logiciels libres. Elle finance certains projets, s’équipe en logiciels libres, et recommande leur usage aux pays membres, enquête (et condamne) sur les pratiques déloyales d’un des principaux éditeurs de logiciels. Le rapport « Créer des parcs de logiciels ouvert », publié en 2002, recommandait la mise en commun au niveau européen d’applications spécifiques aux administrations publiques, en utilisant les briques logicielles du libre. Ce rapport mettait en avant les économies réalisées, outre les recommandations de Bruxelles, la France étudie depuis plusieurs années l’opportunité de s’équiper en logiciels libres. On peut toutefois regretter que les financements de la Commission aillent à des projets de logiciels qui n’ont de libre que le nom, et qu’elle-même diffuse certains documents au format .doc, nécessitant la dernière version de Word pour être ouverts.

En France modifier

Actuellement, l’administration française, souvent décriée pour sa lourdeur et son manque de réactivité, est en pointe dans l’utilisation des nouvelles technologies. Elle mène depuis 1997 une réflexion sur l’usage qu’elle peut faire de l’informatique afin de mieux répondre aux besoins et aux attentes des usagers, notamment en matière d’information.

Successivement l’ATICA (Agence pour les technologies de l’information et de la communication dans l’administration) et l’ADAE (Agence pour le développement de l’administration électronique) ont été chargées de conduire la réflexion et de produire la documentation nécessaire. L’ATICA a ainsi publié le Guide de choix et d’usage des licences des logiciels libres pour les administrations en 2002. L’ADAE a lancé le projet d’Adéle (Administration électronique).

Parmi les réalisations à mettre à l’actif de cette politique, le numéro unique de renseignement de l’administration, le 3939. En expérimentation depuis novembre 2003 dans 10 % de la France, il a nécessité l’interconnexion de tous les services d’information des différentes administrations, avec l’utilisation du XML afin de permettre un échange des données. Le ministère des Finances vient d’annoncer qu’il allait faire migrer l’ensemble de ses systèmes informatiques, utilisant actuellement des systèmes propriétaires hétérogènes, vers des logiciels libres dans les cinq prochaines années.

La gendarmerie a annoncé début juillet qu’elle remplacerait la suite propriétaire Office par la suite open source OOo (OpenOffice.org).

Et maintenant les futures élites du pays, les élèves de l’École Polytechnique, se forment à la saisie de rapports avec la suite bureautique libre Applixware.

Des associations se sont constituées : l’ADULLACT (Associations des utilisateurs de logiciels libres dans l’administration et les collectivités locales), ou l’ABUL (Association bordelaise des utilisateurs de logiciels libres) qui promeuvent l’usage des logiciels libres, fournissent un support à leur utilisation, voire développent elles-mêmes des logiciels.

Cependant, l’utilisation de logiciels libres suscite bien des résistances. Qu’elles soient liées aux nécessaires remises en cause des compétences, à l’hostilité face au changement, ou à une expérience concrète, il devient difficile dès qu’on sort du cercle restreint des technophiles chevronnés de convaincre tout le monde de la nécessité ou du bien fondé d’un tel bouleversement. Assez souvent, dès qu’un inconvénient de la solution nouvelle apparaît, on le monte en épingle, en laissant de coté les avantages. Les détracteurs de cette nouveauté font valoir que l’inconvénient n’existait pas auparavant, et que la solution précédente, malgré ses défauts, ne possédait pas celui-ci. Dans un article débat, Michèle Monteil, du Centre départemental de la documentation pédagogique (CDDP) ( Michèle Monteil Le militantisme du libre entrave l’innovation pédagogique, 2003) avance plusieurs arguments contre l’adoption du libre dans l’éducation nationale :

  • le débat entre partisans et opposants du logiciel libre ressemble à celui entre utilisateurs de PC et utilisateurs de Macintosh : les uns sont ignorants des avantages de l’autre, et les partisans du libre ne le sont souvent que par souci d’une attitude politiquement correcte ;
  • le logiciel libre, soi-disant gratuit, demande beaucoup d’investissement humain (ce qui a nécessairement un coût financier) ; elle cite aussi le cas où le logiciel libre Samba 2 ne fonctionnant pas avec Windows XP, des machines neuves ont du être reconfigurées avec Windows 98, d’où gaspillage des licences de XP, et temps perdu ;
  • certains logiciels libres rendent inutilisables les ordinateurs, soit pour raisons de sécurité, soit pour manque d’évolution ;
  • les systèmes d’exploitation libres manquent de compatibilité (ses argument sont peu précis, elle évoque surtout la multiplicité des distributions).

Les équipes de programmation du SLIS répondent point par point à ces arguments. En résumé, il apparaît que les difficultés évoquées par Michèle Monteil proviennent plus de l’ignorance et d’un manque de compétence de ces partisans-ci du logiciel libre, qui les ont mis en avant, que de réels défauts. Ainsi, la version de Samba 3 est tout à fait compatible avec Windows XP. L’origine des problèmes survenus avec les versions de logiciels trop anciennes est la même : là encore, la personne qui les a installé ne s’est pas tenue à niveau. En fait, l’inconvénient ne provient pas des insuffisances de la solution retenue, mais d’un manque de formation de l’informaticien l’ayant installé. Il manque probablement à cet informaticien une documentation à jour sur les évolutions du logiciel libre.

On en revient donc aux coûts annexes du logiciel libre, à savoir l’installation, la formation et la maintenance. Et dans le domaine du logiciel libre comme dans le domaine du logiciel propriétaire, il faut avoir à sa disposition un professionnel à même d’assurer la maintenance, et ne surtout pas la confier à des amateurs, même éclairés. Les défenseurs zélés des solutions libres ne peuvent pas permettre de passer outre ces considérations, même en investissant énormément de temps pour les résoudre.