Les Littératures de l’Inde/Partie II

Les Littératures de l’Inde : sanscrit, pâli, prâcrit
Hachette (p. 125-127).

DEUXIÈME PARTIE

LITTÉRATURE ÉPIQUE

La poésie épique de l’Inde est tout entière en sanscrit. Moins archaïque de langue que le Véda, elle l’est à peine plus que la littérature postérieure, et, par ses caractères généraux, tient à la fois de l’une et de l’autre. On a déjà vu que les Purânas font partie du canon sacré, et que le Mahâbhàrata passe pour avoir été dicté par un dieu au propre compilateur des Védas, le légendaire Vyâsa. En revanche, le Râmâyana est l’œuvre d’un simple mortel, dont la vie au surplus est aussi légendaire qu’historique, le poète Vâlmîki. De ce chef, exclusivement dominés par le point de vue religieux, les Hindous établissent entre leurs épopées des distinctions fort subtiles et leur imposent une nomenclature technique dont il nous est permis de n’avoir point cure : pour nous, qu’un poème de ce genre soit qualifié par eux purâna, itihâsa ou simple kâvya, qu’il narre les aventures des héros ou des dieux, il n’est qu’une œuvre humaine, encore que l’auteur ou les auteurs nous en soient inconnus, et il rentre dans la définition large que nous nous sommes faite du poème épique d’après le modèle que nous donnent l’Iliade et l’Odyssée. Seules les dimensions diffèrent : le Râmâyana n’enferme guère moins de 24000 stances de 4 vers de 8 syllabes au moins chacun ; le Mahâbhârata, lui, en a 110000 ! Les deux épopées homériques tout entières se logeraient à l’aise, comme un simple épisode, dans les flancs de ce colosse.

Il est difficile de se faire une idée précise de la genèse de semblables poèmes : l’Inde, dans ses fêtes, en récitait de longs fragments, comme elle aime à y exhiber des idoles gigantesques et des éléphants caparaçonnés de pierreries ; il est probable que les stances ont foisonné sur les lèvres de ses rhapsodes, et que les passages qu’on goûtait le plus furent aussi ceux que l’interpolation respecta le moins. Il est des morceaux de grande étendue, et non toujours des moins remarquables, où elle se dénonce à première vue : telle cette admirable Bhagavad-Gitâ (p. 74 et 119), sur laquelle nous ne reviendrons plus ; tels les deux livres du Mahâbhârata, où Bhîsma agonisant, plus criblé de flèches qu’une pelote d’épingles, trouve encore le temps et la force de réciter à ses compagnons 20000 stances morales de teneur variée. Mais c’est affaire à la critique de texte, quand la publication des diverses recensions l’en aura mise en mesure, de faire le départ de ces successives couches de rédaction. Notre tâche est plus simple : nous n’avons qu’à les envisager d’ensemble. Aussi bien, — tant le pastiche et le cliché sont de l’essence de l’esthétique littéraire hindoue, le même esprit et le même style ne cessent-ils de régner d’un bout à l’autre de ces immenses compositions.