Les Lettres de Jeanne d’Arc et la prétendue abjuration de Saint-Ouen

LES LETTRES


DE


JEANNE D'ARC


ET


LA PRETENDUE ABJURATION DE SAINT-OUEN




I. — EXAMEN DES SIGNATURES

Des nombreuses lettres qu’écrivit la Pucelle, cinq seulement nous sont parvenues en original. Si toutes les autres ont disparu dans le naufrage général de ce qui se rattache à Jehanne d’Arc, l’histoire, heureusement, nous a transmis le texte d’un grand nombre d’autres où se peint admirablement l’esprit vif, alerte, de Jehanne, son caractère plein d’énergie et de décision ; toutes accusent une personnalité très marquée. Des cinq lettres qui nous ont été conservées, trois sont signées, deux ne le sont pas. Voici quelques indications sur elles : nous suivons l’ordre chronologique.

1° Lettre de Jehanne au Duc de Bourgoigne, écrite à Reims le jour du sacre du Roi, le 17 juillet 1429[1].

Cette lettre ne porte aucune signature. Sur le verso, on lit comme suscription : « Au Duc de Bourgoigne » et des annotations historiques de la main d’un des Godefroy, archivistes de père en fils à Lille pendant deux siècles. Elle est admirable de dignité, de jugement politique et fait ressortir la haute conception de la Pucelle sur la royauté pour sauvegarder l’unité française. Jeanne y supplie le Duc, « à mains jointes, » d’entendre sa requête et son conseil. « Quant au noble roi de France, dit-elle, il est prêt à faire la paix avec vous, sauf son honneur, si vous ne vous y refusez. Et je vous fais savoir de par le roi du Ciel… que vous n’y gagnerez pas de bataille… » C’était en quelque sorte prédire l’avenir, car les Bourguignons échouèrent devant Compiègne. »

2° Lettre de Jehanne aux loyaux Français, bourgeois habitans de la ville de Reims, du 6 août 1429 ; lettre datée tout militairement : « emprès Provins en Logis sur champs ou chemin de Paris[2]. »

Cette lettre, écrite dix-neuf jours après celle qui fut adressée %u Duc de Bourgogne, ne porte non plus aucune signature. La Pucelle commence à ouvrir les yeux : c’est le moment où elle exhale ses premières plaintes à ses amis de Reims qui craignent d’être abandonnés. Comme le fait remarquer M. Hanotaux, cette lettre exprime avec une netteté absolue l’opinion de Jehanne sur les trêves et sur la politique du Roi et de ses conseillers : « Preuve incomparable, dit-il, du génie divinatoire de Jeanne d’Arc ; dans ces circonstances où ses voix ne la guident pas, elle découvre mieux que les plus fins limiers la tactique décevante et les avances illusoires du Bourguignon[3]. »

3° Lettre de Jehanne : « A mes chers et bons amis les gens d’église, bourgois et habitans de la ville de Rion, » écrite de Molins le 9 novembre 1429[4]. Elle fut découverte en 1844 parmi les papiers de l’Hôtel de Ville par M. Tailhand, président à la Cour royale de Riom.

Voici la description que nous en donne M. le chanoine Cochard : « A la lettre de Jeanne adressée aux habitans de Riom (9 novembre 1429)… est appendu un cachet de cire rouge dont l’avers est détruit. Le revers seul est conservé : on y voit la marque d’un doigt et le reste d’un cheveu noir[5]qui paraît avoir été mis originairement dans la cire. Le docte, mais toujours circonspect M. Quicherat n’a pas osé écrire : intentionnellement, quoique ce mot fût dans sa pensée. Il a peut-être craint qu’on ne s’en servît pour en tirer une conclusion trop rigoureuse.

« Pour le prouver, il est vrai, on objecte une coutume usitée au moyen âge, qui consistait, de la part de celui qui écrivait une lettre, à insérer un de ses cheveux dans la cire encore molle du sceau. Jeanne a-t-elle observé cet usage ? L’a-t-elle fait observer par le clerc qui libellait et scellait ses lettres ? A la rigueur, on peut le présumer, mais non l’affirmer. »

Le sceau a malheureusement disparu, et, depuis cette époque, les mesures les plus sévères ont été prises pour assurer la conservation de cette lettre. La pièce est écrite sur du papier portant un gantelet en filigrane. Elle a été envoyée trois mois après la lettre aux habitans de Reims et porte la signature de la Pucelle. C’est l’époque des sièges de Saint-Pierre-le-Moustier et de la Charité. Mal soutenue par le Roi et par ses conseillers qui ne voulaient que la paix, Jehanne substitue son action personnelle à l’inertie royale. Elle se montre chef de guerre et s’occupe à réclamer tous les approvisionnemens nécessaires. Elle s’adresse à nombre de villes, entre autres à Riom pour en obtenir des secours. Une missive de Charles d’Albret, lieutenant du Roi en Berry, écrite aussi de Moulins le 9 novembre, accompagnait la lettre de Jehanne. A Clermont, les registres du temps attestent que cette ville a également reçu une lettre de « Jehanne la Pucelle et messaige de Dieu » faisant les mêmes demandes.

On remarquera la signature de Jehanne qui est encore d’une main novice, peu exercée. Pour plus de clarté, nous reproduisons ici les fac-similés des trois signatures de la Pucelle, avec leurs dates : le lecteur, en les voyant les unes à côté des autres, comprendra mieux les observations qu’elles suggèrent. Dans cette première signature, le premier « n, » par suite d’une surcharge, a trois jambages, au lieu de deux, et, le second jambage du second « n, » visiblement tracé à deux reprises, descend trop bas. Les trois premières lettres, au contraire, sont remarquablement fermes, sans liaison entre elles, mais bien formées. On les croirait tracées par un débutant qui s’applique et réussit certains jambages mieux que d’autres. Tout y indique une main libre et non tenue. Il ne paraît donc pas douteux que Jehanne ne savait pas signer, ou du moins hésitait à le faire en juillet et août 1429, ce qui explique que les deux premières missives ne soient pas signées. Trois mois après, elle avait appris à signer ou s’y était perfectionnée, et désormais nous ne trouverons plus aucune lettre sans sa signature.

4° Lettre de Jehanne : « A mes très chiers et bons amis gens d’église, bourgois et aultres habitans de la ville de Raimz (Reims) » écrite de Sulli, le 16 mars 1430[6].

Cette lettre porte la signature de la Pucelle. On peut y constater les progrès accomplis depuis quatre mois. Jehanne n’a plus d’hésitation pour tracer son nom ; les caractères sont liés ensemble ; c’est maintenant une signature facile et courante.

L’hiver s’était passé en vaines négociations. L’expiration des trêves avait été reportée de Noël jusqu’au 15 mars, puis jusqu’au 15 avril. Le Duc de Bourgogne réunissait cependant des troupes nombreuses ; aussi les habitans de Reims écrivaient-ils à la Pucelle pour lui dire toutes leurs inquiétudes. Combien, dans sa réponse, Jehanne se peint elle-même en leur disant : « Je serai bientôt près de vous… et leur ferai chausser leurs éperons en telle hâte qu’ils ne sauront par où les prendre !… » Elle ajoutait : « Je vous manderais encore quelques nouvelles dont vous seriez bien joyeux ; mais je craindrais que les lettres ne fussent prises en chemin et que l’on ne vît les dites nouvelles. » Une conjuration était ourdie dans Paris pour livrer la capitale à Charles VII, et c’est à cette bonne nouvelle que Jehanne faisait allusion, conjuration qui fut malheureusement découverte ; six conjurés furent exécutés par les Anglais le 8 avril 1430, parmi lesquels un procureur au Châtelet et un clerc de la Cour des Comptes. Les détails du complot nous sont fournis par la lettre de rémission accordée à l’un des conjurés.

Sur la suscription de la lettre de Jehanne aux habitans de Reims, on peut voir en travers l’indication : « Jehanne la Pucelle. » Quicherat y reconnut la main de Jean Rogier, prévôt à l’échevinage de Reims en 1625. La même inscription « Jehanne la Pucelle, » et de la main de Jean Rogier, se retrouve sur la lettre du 28 mars 1430, tandis que pour celle du 6 août 1429, non signée, aucune indication n’a été mise. On voit donc l’importance que, dès cette époque, on attachait à la signature et la différence que Rogier faisait entre les trois lettres.

Comme sur les autres suscriptions, le sceau est disposé en croix ; aucune empreinte ne se reconnaît sur la cire, et l’on peut se demander si cette forme de croix adoptée par la Pucelle ne constituait pas le seul emblème qu’elle acceptât. Il faut y voir l’expression des mêmes sentimens qui avaient empêché Jehanne, ainsi qu’elle nous le dit au Procès, de prendre les armoiries données à sa famille ; elle n’était rien par elle-même, elle était seulement l’envoyée de Dieu.

Au milieu du sceau se trouve une petite ligne brisée. Serait-ce l’endroit où était un cheveu de Jehanne, comme le veut une tradition ?… Tout ce que je puis affirmer, c’est que dès 1867, époque où je me suis livré à un examen très attentif de ces lettres (sauf la petite ligne brisée) le sceau était alors intact, et aucun cheveu ne s’y trouvait. Si nous remontons à des dates plus éloignées, mon père, né en 1804, m’a bien souvent dit n’en avoir jamais vu, et que cependant telle était la tradition[7].

5° Lettre de Jehanne : « A mes très chiers et bons amis les gens d’église, eschevins, bourgeois, habitans et maistres de la bonne ville de Reims[8], » écrite de Sully, le 28 mars 1430. Sur la suscription, la cire du cachet a presque entièrement disparu, et nous appelons encore l’attention sur les mots « Jehanne la Pucelle » de la main de Jean Rogier.

Douze jours seulement s’étaient écoulés depuis que Jehanne avait écrit aux habitans de Reims, et de nouveau elle leur envoie une longue lettre de bonne amitié. Elle sait qu’il y a un parti bourguignon qui veut livrer la ville ; aussi cherche-t-elle à confirmer leur fidélité. L’âme de cette conjuration était un certain Labbé, membre du Chapitre, dont les projets furent heureusement déjoués. Pour montrer que le Roi aura les troupes nécessaires, elle leur dit que toute la Bretagne est française et que le Duc doit envoyer au Roi trois mille combattans payés pour deux mois.

La signature de cette lettre confirme les précédentes observations. Les caractères très fermes, bien reliés ensemble, indiquent que Jehanne les trace facilement, d’une main tantôt plus ferme comme à celle-ci, tantôt plus faible comme à celle du 16 mars, ce qui indique une personne écrivant couramment.


II. — LES PREUVES

Cette question de la signature avait tellement éveillé mon attention que je peux dire avoir, en toute occasion et pendant plus de quarante ans, cherché à l’éclaircir sur le document humain. L’homme ne change pas, et Jehanne n’a pas eu plus de difficulté pour apprendre à écrire que les illettrés de nos jours. C’est donc avec curiosité que j’ai toujours suivi l’évolution, aussi bien de l’enfant qui commence à écrire, que de l’homme fait qui s’applique à mettre sa signature. Nombre de fois, j’ai vu de braves gens, complètement illettrés, devenir conseillers municipaux et mettre alors leur amour-propre à ne pas être, au moins à cet égard, au-dessous de leurs collègues. Très promptement, ils apprenaient à signer et jamais je n’ai vu d’exception. Je constatais seulement qu’aucun n’arrivait à une signature courante ; les caractères restaient tremblans, les jambages non liés, et il leur était à peu près impossible d’écrire d’une manière rectiligne. Chez Jehanne, grâce à ses lettres, nous suivons cette évolution. Ces mêmes études sur le document humain m’ont amené à constater qu’une signature, aussi courante que celle du 16 mars, indique quelqu’un qui ne s’est pas simplement borné à apprendre à signer. Les personnes qui ont une écriture aussi déliée savent toutes lire et écrire. Oserais-je le dire pour Jehanne ? Sans pouvoir la résoudre par l’affirmative, cette question s’impose à notre attention.

Tout concourt donc à établir une opinion très ferme au sujet des signatures que nous avons reproduites. Faute d’avoir rapproché les dates, on pouvait croire que parfois Jehanne signait, et que d’autres fois elle négligeait de le faire, sans qu’on pût s’en expliquer le motif. Telles que nous présentons les lettres, par ordre de date, ce motif ressort bien évident. Le 17 juillet 1429, lorsque Jehanne écrivait au Duc de Bourgogne le jour du sacre du Roi, elle ne savait pas signer, et dix-neuf jours après, le 6 août 1429, elle ne le savait pas davantage (première lettre aux habitans de Reims). Trois mois s’écoulent, et le 9 novembre 1429, nous trouvons dans la lettre de Riom une première signature, encore peu exercée. Elle a donc appris pendant cet intervalle, et cela s’explique d’autant plus que les trêves lui ont imposé un repos relatif. Ce repos, elle l’a employé à s’instruire. Elle était adroite, elle était intelligente, entourée de nombreux clercs pour lesquels l’instruction était chose capitale. N’étaient-ils pas tout indiqués pour lui en donner les premiers élémens ? et l’on ne peut supposer que Jehanne n’ait pas cherché à en profiter. Quatre mois passent : le 16 mars 1430, nous nous trouvons en présence d’une écriture tellement facile et courante qu’elle semble n’avoir été tracée que par une main habituée non seulement à signer, mais encore à écrire.

Les armistices avaient été prolongés. « Très marrie de ce que le Roi n’entreprenait de conquester de ses places sur ses ennemis, » que pouvait-elle faire de mieux que de s’instruire pour occuper ses loisirs ? Elle s’instruisit donc, dans une mesure qu’il sera toujours difficile de préciser exactement ; mais il suffit de voir ses signatures successives pour dire d’une manière certaine qu’elle avait appris à signer, et d’une manière très probable qu’elle avait appris à lire et à écrire. Ce second point n’est encore qu’une hypothèse, mais des faits nouveaux viendront bientôt la confirmer.

Pour compléter cet exposé, à qui pouvons-nous mieux nous adresser qu’à Jehanne elle-même ? Au début de sa mission, à Poitiers, l’examen auquel on avait tenu à la soumettre se prolongeait depuis trois semaines. Elle en témoignait parfois son impatience. S’adressant un jour à Pierre de Versailles : « Je crois bien, dit-elle, que vous êtes venu pour m’interroger ; je ne sais ni A ni B, mais je viens de la part du Roi des cieux pour y faire lever le siège d’Orléans et mener le Roi à Reims, afin qu’il y soit couronné et sacré. » Et passant de la parole aux actes : « Avez-vous du papier, de l’encre ?… dit-elle à Jean Erault. Écrivez ce que je vous dirai : « Roi d’Angleterre et vous, Duc de Bedford, qui vous dites régent du royaume de France ; vous Guillaume de la Poule, Comte de Suffolk ; Jean sire de Talbot ; et vous Thomas sire d’Escale, etc., je vous somme de par le Roi des cieux que vous vous en alliez en Angleterre… etc. » La lettre, écrite le 22 mars, ne fut envoyée qu’un mois plus tard de Blois, lorsque, sa mission reconnue, Jehanne eut enfin le droit de la faire parvenir aux Anglais.

Ces détails nous ont été conservés par Cousinot, maître des requêtes, auteur de la Chronique de la Pucelle, les procès-verbaux des séances de Poitiers ayant malheureusement disparu. Pour Rouen, au contraire, le résumé de toutes les séances a été conservé. Quelle que soit la partialité et souvent la mauvaise foi qu’on y trouve, les déclarations qu’on y relève restent la source où il faut toujours puiser pour mieux connaître Jehanne.

Le signe qu’elle avait donné au Dauphin était une des questions qui revenaient constamment dans les interrogatoires. Or, c’était le point sur lequel elle avait dit maintes fois ne devoir jamais rien révéler. Le mercredi, 2 mai, eut lieu la séance solennelle dans la « Salle des Paremens. » Le tribunal était entouré de 67 assesseurs. Jean de Châtillon, docteur en théologie, archidiacre d’Evreux, fut chargé de faire, à Jehanne, ce qu’ils appelaient « une monition charitable » et de l’interroger ensuite sur tous les articles à elle reprochés. C’est donc en cette séance solennelle que Jean de Châtillon lui dit : « Au sujet du signe remis à votre Roi, voulez-vous vous en rapporter à l’archevêque de Reims, au sire de Boussac, à Charles de Bourbon. La Trémoille, La Hire, etc. ? » Et Jehanne de répondre très finement : « Je veux bien qu’on leur envoie un messager, mais c’est moi qui leur écrirai ce que c’est que ce procès ; autrement, inutile. » Tous les termes de cette réponse sont à peser. Impossible de ne pas y trouver dans la bouche de Jehanne la confirmation de ce que ses signatures nous avaient fait supposer, qu’elle avait appris à écrire. C’est moi qui leur écrirai. Ce n’est plus comme à Poitiers où, dix-neuf mois auparavant, elle disait à Jean Erault : Ecrivez ce que je vous dirai. Ce moi n’est-il pas la négation de tout recours à un secrétaire en qui elle n’aurait aucune confiance, car elle se sait entourée d’hommes résolus à la perdre.

On avait compté sur un refus de sa part, et sa réponse déjoue toutes les manœuvres. Cependant, ni les juges, ni les 67 assesseurs ne relèvent cette déclaration. Leur silence est un acquiescement, et indique bien que personne n’ignorait qu’elle pût écrire comme elle se disait décidée à le faire.

Si on se reporte à la séance du samedi 24 février, Jehanne avait déjà donné une affirmation non moins positive. A diverses questions qui lui étaient posées, elle avait répondu ne pouvoir rien dire sans en avoir obtenu la permission de ses voix ; et à une dernière question de Jean Beaupère, elle ajoutait : « Je ne suis pas tenue de vous répondre à ce sujet. Je demande que l’on me donne par écrit les points sur lesquels je ne réponds pas en ce moment. » Elle seule pourra lire et relire cet écrit en demandant à ses « voix » de l’inspirer, car, abandonnée dans sa prison, à qui pourrait-elle avoir recours ? Il faut donc croire qu’elle savait lire ?…

Un autre témoignage nous est encore apporté par les réponses de Jehanne à la séance du 1er mars. Le comte d’Armagnac, qui avait été excommunié par le pape Martin V comme un des plus fougueux partisans de Benoît XIII et de Clément VIII, songeait à rentrer dans le sein de l’Eglise. Dans ces conjonctures, il écrivit à la Pucelle. La lettre lui parvint le 22 août 1429, au moment où elle s’apprêtait à quitter Compiègne pour marcher sur Paris. Compiègne venait de faire sa soumission ; le Roi s’y était rendu et paraissait s’y oublier. C’est là en effet qu’il décida la trêve désastreuse où il se laissait berner par le Duc de Bourgogne. Jehanne appelle alors le Duc d’Alençon et lui dit : « Mon beau Duc, faites apprêter vos gens et ceux des autres capitaines… par mons Martin, je veux aller voir Paris de plus près que je ne l’ai vu. » Or, à la séance du 1er mars, on lui posa les questions suivantes : « Que dites-vous de Notre Saint-Père le Pape, et quel est celui que vous croyez être le vrai Pape ? » — Jehanne : « Est-ce qu’il y en a deux ? » — L’assesseur : « N’avez-vous pas reçu des lettres du comte d’Armagnac qui voulait savoir auquel des trois papes il devait obéir ? » — Jehanne : « Le comte, en effet, m’a écrit certaine lettre à ce sujet ; dans ma réponse, je lui disais que, quand je serais à Paris, ou de loisir en tout autre lieu, je lui ferais réponse ; je me disposais à monter à cheval quand je lui fis cette réponse. » On lut à l’accusée la lettre du comte d’Armagnac et la réponse donnée, et après la lecture, il fut dit à Jehanne : « Avez-vous écrit la réponse dont la copie vient de vous être lue[9] ? » Jehanne : « Je pense avoir fait en partie cette réponse, mais pas dans son entier. » — L’assesseur : « Avez-vous dit que vous sauriez, par le conseil du Roi des Rois, ce que le dit comte devait tenir sur ce point ? » — Jehanne : « Je ne sais rien sur cela. » — L’assesseur : « Est-ce que vous vous doutiez à qui devait obéir le comte susdit ? » — Jehanne : « Pour ce qui est de moi, je tiens et je crois que nous devons obéir au Pape qui est à Rome. » — L’assesseur : « Pourquoi donc, puisque vous croyiez au Pape qui est à-Rome, écriviez-vous au comte que vous lui donneriez conseil ailleurs ? » — « Jehanne : « La réponse donnée par moi portait sur une autre matière que sur le fait des trois papes. » — L’assesseur : « Est-ce sur le fait des trois papes que vous disiez que vous auriez conseil ? » — Jehanne : « Je n’ai jamais écrit ni fait écrire sur le compte des trois papes. J’affirme sous la foi du serment que jamais je n’ai écrit ni fait écrire à ce sujet. »

L’accusateur d’Estivet étaya sur cet incident les articles 27, 28, 29 et 30 de son réquisitoire. Jehanne avait vu le péril et sentant sur quel terrain dangereux on voulait l’engager, ce fut par deux affirmations faites sous la foi du serment qu’elle déclara : « Je n’ai jamais écrit ni fait écrire à ce sujet. »

Cette déclaration solennelle de Jehanne nous apporte, sur le point qui nous occupe, une lumière que l’on ne saurait demander plus éclatante, car Jehanne y précise sans ambiguïté que, si elle faisait écrire des lettres, il lui arrivait aussi d’en écrire elle-même. Savoir écrire implique nécessairement de savoir lire ; mais pour écrire facilement, il faut un exercice constant que la vie active de Jehanne ne put évidemment lui permettre. — Il n’en est pas de même pour la lecture, et Jehanne devait s’y appliquer d’autant plus qu’elle tenait à vérifier ce qu’elle dictait. Les ratures et mots ajoutés qu’on remarque dans ses lettres le prouvent surabondamment.

En constatant dans les interrogatoires combien tout ce qui regarde les lettres de Jehanne fut l’objet de minutieuses recherches, et quelle place elles y occupèrent, ne devons-nous pas y attacher la même importance, et par les réponses de la Pucelle nous éclairer à leur sujet ?

Le 22 février, séance dans laquelle l’accusée donnait un bref sommaire de sa vie, Jehanne disait : « J’envoyai aux Anglais qui étaient devant Orléans une lettre dans laquelle je leur intimais de se retirer. C’est celle qui m’a été lue dans cette ville de Rouen, excepté deux ou trois mots qui ne sont pas dans l’original. Ainsi, on voit dans la copie : rendez à la Pucelle, on doit écrire : rendez au Roi. On y lit : corps pour corps, et chef de guerre ; ce qui ne se trouve pas dans les lettres expédiées. »

Nous avons déjà parlé de cette lettre dictée à Poitiers à Jean Erault. D’après les réponses de Jehanne, cette missive, qui blessait si profondément les Anglais, lui fut lue à Rouen au moins trois fois, et chaque fois elle protesta contre trois mois seulement, en avouant tout le reste. L’avoir écrite, c’était d’après d’Estivet présomption et témérité. Jehanne répondit : « Quant à la lettre, je ne l’ai point faite par orgueil ou présomption, mais par le commandement de Notre-Seigneur ; je confesse bien le contenu de cette lettre, excepté trois mots. Si les Anglais eussent cru ma lettre, ils n’eussent fait (été) que sages ; avant qu’il soit sept ans, ils s’apercevront de ce que je leur écrivais. Je m’en rapporte sur cela à la réponse déjà faite… Pour ce qui est d’être chef de guerre, j’en ai autrefois répondu ; et si j’étais chef de guerre, c’était pour battre les Anglais. »

On l’interroge sur tous les détails de ses lettres : « A quoi servait le signe que vous mettiez sur vos lettres et ces mots Jhesus-Maria ?… » lui demande-t-on le samedi 17 mars (deuxième séance dans l’après-midi). — Jehanne : « Les clercs qui écrivaient mes lettres l’y mettaient et quelques-uns me disaient qu’il était convenable que je misse ces deux mots : « Jhesus-Maria. » A la séance du 1er mars, cette même question lui avait été posée : « N’aviez-vous pas coutume d’écrire ces noms : « Jhesus-Maria » dans vos lettres avec une croix ? — Je les mettais quelquefois et quelquefois je ne les mettais pas. » C’était d’ailleurs un usage fréquent à cette époque, car la lettre de Jacques de Bourbon retrouvée dernièrement à Vienne (Autriche) et rendant compte du sacre de Charles VII débutait de la même manière : « Jhesus-Maria. » D’après la réponse de Jehanne, les mots « Jhesus-Maria » et la croix mise en tête de ses lettres étaient plutôt l’œuvre de ses secrétaires que la sienne.

Il faut remarquer que lorsqu’elle employait ces signes, c’était toujours comme en-tête. Nulle part, on ne les trouve sous forme de signature. Toutes ses paroles, toutes les pièces qui nous sont parvenues établissent en effet que jamais elle ne se servait d’une croix comme signature, même à l’époque où elle ne savait pas écrire ; aussi ne peut-on comprendre comment de nombreux historiens ont pu dire qu’une croix fut sa signature habituelle. Jehanne y oppose au contraire un démenti absolu. N’a-t-elle pas dit à la séance du 1er mars : « Quelquefois je mettais une croix comme un signe à celui de mon parti à qui j’écrivais de ne pas faire ce que je lui écrivais. »

Cette déclaration de Jehanne fut considérée comme ayant une telle gravité qu’elle devint un des motifs invoqués pour sa condamnation. Nous en tirerons à notre tour quelques déductions importantes.

Dans les douze articles envoyés à l’Université de Paris, et qui sont le résumé du Procès, l’article VI est entièrement consacré à cette question : « Ladite femme avoue avoir fait écrire de nombreuses lettres… elle mettait parfois une croix et c’était une marque qu’il ne fallait pas exécuter ce qu’elle ordonnait. » Du moment que Jehanne prit le parti de se servir d’une croix comme désaveu, il paraît certain qu’elle empêcha ses clercs de mettre ce signe, même comme en-tête, afin d’éviter toute confusion. La preuve nous en est donnée par l’absence de croix sur les quatre dernières lettres que nous possédons et qui se rapportent à des époques de combats. On doit conclure de cette déclaration faite au Procès qu’elle s’arrangeait pour faire tomber certaines lettres entre les mains des Anglais, afin de les induire en erreur sur ses projets, et qu’à ces lettres seulement, elle mettait une croix comme signature. Personne ne contestera l’autorité du savant P. Ayroles qui nous dit à ce sujet : « Lorsqu’elle avouait qu’une croix apposée dans ses lettres signifiait qu’il ne fallait tenir nul compte de ce qu’elle exposait, cela pouvait être une ruse de guerre fort permise, ou même une manière de se débarrasser d’importuns sollicitant des recommandations. »

Il résulte de toutes ces déclarations de Jehanne, que jamais elle n’a employé une croix comme signature, mais que parfois elle en mettait une à titre de ruse de guerre, comme désaveu de ce que comportait sa lettre.

Ce point bien établi, nous pouvons maintenant parler de la prétendue abjuration de Jehanne au cimetière de Saint-Ouen, et des circonstances au milieu desquelles, avec un sourire ironique qui a frappé tous les assistans, elle traça une croix sur la cédule qu’on lui avait donnée à signer. Jamais elle n’a été plus sublime que dans ce moment tragique ; et il a fallu des mensonges accumulés au-delà de l’invraisemblable, pour transformer en un jour de déshonneur celui où elle a montré le plus de courage, de fermeté et de mépris de la mort.


III. — LES MOTIFS SECRETS

La scène du cimetière Saint-Ouen n’avait, on peut le dire, de raison d’être que parce que Jehanne savait signer. Cette scène ne fut préparée, organisée par Cauchon que pour obtenir une signature qu’il voulait à tout prix, dût-on l’extorquer par terreur ou par force ; et si Jehanne, toujours fidèle à elle-même, faisait échouer ce dessein, Cauchon n’en était pas moins résolu à prétendre qu’elle avait cédé. Pour arriver à ce but, ni le mensonge, ni la substitution des pièces ne devaient l’arrêter.

A tous les efforts de ses adversaires, Jehanne avait jusqu’à ce jour opposé une fermeté admirable, sans jamais rien rétracter de sa mission : depuis un an qu’elle était prisonnière, et depuis trois mois que se déroulait le procès, les enquêtes tournaient à sa gloire, et les interrogatoires à la confusion de ses juges, Bedford, Warwick, etc, s’impatientaient de ces lenteurs, car une crainte superstitieuse continuait à planer sur leurs soldats. Pour leur rendre courage, il fallait que Jehanne ne restât pas l’héroïne sans tache, l’envoyée de Dieu. Une signature surprise, fût-ce de force ou par ruse, c’était Jehanne elle-même qui désavouait sa mission divine et tombait alors au rang d’une aventurière, c’était son prestige détruit et la confiance rendue aux soldats anglais. La déshonorer était plus nécessaire que de la faire périr. De là, un intérêt capital à dénaturer la scène du cimetière Saint-Ouen.

Par la maladie, Jehanne avait déjà failli leur échapper, et nous voyons à cet instant Cauchon, escorté de sept assesseurs, vouloir profiter des plus saints désirs de la prisonnière pour l’amener à une rétractation. Mourante, elle ne recevrait son Dieu que si elle se rétractait ! En face de la mort, privée de tous les secours de la religion, elle répond encore : « Quelque chose qu’il m’en doive advenir, je n’en ferai ou dirai autre chose que ce que j’ai dit au procès. »

Quels moyens cependant n’avait-on pas employés ? Au médecin Jean Tiphaine qui lui demande la cause de son mal, Jehanne répond simplement : « L’évêque de Beauvais m’a envoyé une carpe ; j’attribue ma rechute à ce que j’ai mangé de ce poisson. » D’où venait cette attention subite de son plus mortel ennemi, qui provoque d’elle cette parole : « Il me semble, vu le mal que j’ai, que je suis en grand danger de mort… » Et c’est précisément le moment où Cauchon se présente avec ses affidés pour inquiéter son âme et obtenir d’elle une soumission.

A peine remise, les interrogatoires furent repris. Jehanne restait toujours inébranlable et, comme nous l’avons vu à la séance du 2 mai, savait déjouer les projets de ses juges lorsqu’elle leur déclarait que ce serait elle-même qui écrirait et dirait ce qu’était ce procès.

Les ordres des Anglais devenaient cependant de plus en plus pressans ; il fallait en finir.

Le 24 mai, elle fut donc amenée au cimetière Saint-Ouen où-deux estrades avaient été dressées : l’une de peu d’importance où se trouvaient, à côté de Jehanne, le prédicateur Guillaume Erard, l’huissier Massieu, les deux greffiers Manchon et Guillaume Colles (dit Boisguillaume) ; l’autre estrade beaucoup plus grande et très richement ornée où prirent place le cardinal de Winchester, grand-oncle du roi d’Angleterre ; Louis de Luxembourg, évêque de Thérouanne, chancelier de France pour Henri VI Jean de Mailly, évêque de Noyon, pair de France, membre du conseil privé du roi d’Angleterre ; William Andwick, évêque de Nordwick, garde du sceau privé du roi d’Angleterre ; Cauchon, évêque de Beauvais ; les abbés de Fécamp, de Saint-Ouen, de Jumièges, du Bec, de Corneilles, de Mortemer, de Préaux et Robert Jolivet, abbé du Mont Saint-Michel qui avait voulu livrer sa forteresse aux Anglais. Puis venaient les prieurs de Longueville et de Saint-Lô, 28 maîtres et docteurs en théologie ; enfin les secrétaires et clercs de tous ces personnages.

Pourquoi cette séance en plein air, avec tout un appareil qu’on ne vit jamais dans aucun procès criminel ou religieux ? On appelait en quelque sorte le peuple entier à venir assister à la déchéance de Jehanne. Il ne s’agissait pas de l’exécution, l’heure n’était pas encore venue. L’arrivée du bourreau avec son char n’était que l’apparition sensationnelle, la mise en scène qui devait, pour les contemporains et devant l’histoire, expliquer comment Jehanne avait pu subitement se contredire et ne plus être elle-même. Si, armé de critique historique, on étudie cette heure sombre du cimetière Saint-Ouen, la vérité ne tarde pas à apparaître. En cherchant l’explication de tous les actes de Cauchon, on découvre la trame bien ourdie qui devait donner une apparence de réalité à une abjuration supposée. Plus Cauchon sentait l’odieux du crime qu’il allait commettre, plus il mit d’artifice à le réaliser. Le peuple accouru, les hauts personnages convoqués n’étaient là que pour couvrir de leur présence et de l’autorité de leurs noms la fourberie qui se préparait.

Toute cette scène du cimetière Saint-Ouen n’avait d’autre but que d’obtenir de Jehanne sa signature. Les cédules avaient été préparées d’avance, les rôles assignés à chacun. Guillaume Erard et Laurent Calot étaient les deux complices que Cauchon avait désignés pour arriver à ce dénouement. À mesure que le drame se déroule, un seul mot retentit autour de Jehanne : « Signez, signez. » Il lui est dit par ses ennemis qui veulent la déshonorer, et, dans la foule accourue, il lui est répété par des amis qui croient la sauver du bûcher. Indifférente à tous ces appels, et n’entendant que ses voix, Jehanne n’a pas signé. Alors les deux principaux affidés de Cauchon, chargés de lui arracher par force ou par ruse sa signature, se trouvent dans la nécessité, pour expliquer leur déconvenue, de chercher à faire croire qu’elle aurait dit ne pas savoir signer. L’histoire se trouvait alors écrite comme le voulait Cauchon. Mais, grâce à la lumière nouvelle que nous apportent les lettres de Jehanne, la fourberie se découvre. Deux témoignages apportés au procès de réhabilitation : celui d’Aymond de Macy et celui de l’huissier Massieu ont contribué à répandre la légende que Jehanne ne savait pas signer. Il nous faut donc les examiner d’une manière toute particulière.


IV. — EXAMEN DES TÉMOIGNAGES

Aymond, seigneur de Macy, était un gentilhomme au service du comte de Ligny, Jean de Luxembourg. Il avait connu Jehanne, lorsqu’elle avait été amenée prisonnière au château de Beaurevoir ; il l’avait revue à la forteresse du Crotoy, puis à Rouen.

Voici d’ailleurs le procès-verbal de sa déposition lors de l’enquête de 1456 : « Sire Aymond, seigneur de Macy, chevalier, âgé de cinquante-six ans environ, a été présenté et admis comme témoin, et a été interrogé par nous, archevêque susdit (de Reims)[10], en présence de frère Thomas Verel (Dominicain sous-inquisiteur), l’année et le jour susdits (7 mai 1456). Interrogé, il a répondu sous la foi du serment de la manière suivante : « Jehanne fut ensuite conduite dans le château de Rouen, et renfermée dans une prison du côté des champs (versus campos). Pendant qu’elle était détenue dans cette même prison, le seigneur comte de Ligny vint à Rouen ; et moi qui vous parle, j’étais en sa compagnie. Un jour, le comte de Ligny voulut voir Jehanne ; il vint vers elle en compagnie des seigneurs comtes de Warwick et de Stafford. Le chancelier d’Angleterre (de la France anglaise), alors évêque de Thérouenne, son frère, était présent ; je l’étais aussi. Le comte de Ligny l’aborda par ces paroles : « Jehanne, je suis venu ici pour vous mettre à rançon, à condition que vous promettrez de ne jamais vous armer contre nous. » Elle répondit : « En nom Dé, vous vous moquez de moi, car je sais bien que vous n’en avez ni le vouloir, ni le pouvoir. » Elle répéta plusieurs fois ces paroles, parce que le seigneur comte persistait dans son dire, et elle ajouta : « Je sais bien que ces Anglais me feront mourir, dans la créance qu’après ma mort, ils gagneront le royaume de France ; mais quand ils seraient cent mille godons de plus qu’ils ne sont maintenant, ils n’auront pas le royaume. » Ces paroles indignèrent le comte de Stafford, qui tira sa dague à moitié pour la frapper, mais le comte de Warwick l’en empêcha. « A quelque temps de là, continue Macy, pendant que j’étais encore à Rouen, Jehanne fut conduite sur la place qui est devant Saint-Ouen. Là fut faite une prédication par Nicolas Midi (erreur ; c’était Guillaume Erard). Entre autres choses, je l’ai entendu dire : « Jehanne, nous avons la plus grande pitié de vous ; il faut que vous rétractiez ce que vous avez dit, ou que nous vous abandonnions à la justice séculière. » Jehanne répondit qu’elle n’avait fait aucun mal ; qu’elle croyait les douze articles de ta foi et les dix commandemens de Dieu ; elle ajoutait qu’elle s’en rapportait à la cour de Rome, et qu’elle voulait croire tout ce que croyait la sainte Eglise. Malgré toutes ces paroles, on la pressait fortement de se rétracter. Elle répondait : « Vous vous donnez beaucoup de peine pour me séduire. » Pour éviter le péril, elle dit qu’elle était contente de faire tout ce qu’on voudrait.

« Alors, un secrétaire du roi d’Angleterre, là présent, son nom était Laurent Calot, tira de sa manche une petite feuille écrite, et la donna à Jehanne pour qu’elle la signât. Jehanne répondait qu’elle ne savait ni lire, ni signer. Nonobstant cette réponse, le secrétaire Laurent Calot lui présentait la feuille et la plume pour qu’elle signât ; et Jehanne, en se moquant, fit un rond. Laurent Calot prit alors la main de Jehanne avec la plume et lui fit faire un signe dont je n’ai pas souvenance.

« Je crois Jehanne en paradis. »

Autant Aymond de Macy est précis dans la scène de la prison, autant il est incomplet pour ce qui se rapporte à Saint-Ouen. Il se trompe sur le nom du prédicateur, il omet beaucoup de détails et n’a pu entendre les paroles qu’il rapporte puisqu’il n’était pas sur l’estrade près de Jehanne. C’est cependant par lui que nous connaissons le nom du personnage qui prit la main de Jehanne pour la forcer à signer.

Manchon dit : « un Anglais ; » l’évêque de Noyon : « un secrétaire du Roi ; » seul Macy le désigne par son nom : Laurent Calot.

Il faut d’ailleurs expliquer comment Laurent Calot put s’approcher de Jehanne. Il n’avait aucun titre à le faire. C’est au moment du tumulte, sur un signe fait évidemment par Cauchon, qu’il exécute la mission qu’il en avait reçue, monte précipitamment sur l’estrade et veut forcer Jehanne à signer. Ce seul acte indique qu’il n’ignorait nullement que Jehanne savait signer puisqu’il voulait de force lui faire tracer son nom. Le fait était de notoriété publique : la signature de Jehanne était vraisemblablement connue.

Il y a tout lieu de croire que la pièce apportée par Calot était l’abjuration dont plus tard se servit Cauchon pour la faire condamner comme relapse, pièce que ne virent jamais ni les juges, ni les greffiers et dont on trouve seulement une copie jointe au procès sur laquelle fut inscrit : « Jehanne + ; » mais jamais on ne connut l’original.

Aucun des témoins les plus rapprochés ne relate les soi-disant paroles de Jehanne : « Je ne sais ni lire ni signer. » Ni Manchon, le principal greffier, ni Guillaume Colles, ni Massieu ; tous trois sur l’estrade près de Jehanne ne les ont entendues. Sur les trente-cinq témoins appelés au procès de réhabilitation, Aymond de Macy est le seul à rapporter ces paroles. Tout fait ressortir qu’il n’est que l’écho d’un mensonge habilement répandu par Laurent Calot, sur l’ordre de Cauchon.

Le second témoignage dont il faut nous occuper est celui de Massieu. Jean Massieu nous dit que, chargé par Erard d’expliquer à Jehanne la cédule, elle lui aurait répondu : « Je ne sais pas signer. » A peine quelques instans s’écoulent, le même Massieu prétend que Jehanne lui aurait dit : « J’aime mieux signer que d’être brûlée. » Les deux déclarations se contredisent. L’une ou l’autre est fausse : nous allons voir qu’elles le sont toutes deux.

Qui donc était ce Massieu ? Un homme d’une inconduite notoire, à tel point qu’à une époque où l’on n’était pas sévère pour la moralité, même à l’égard des prêtres, le scandale de sa vie était si grand qu’il fut relevé de son titre de doyen de la chrétienté ; à plusieurs reprises, le chapitre ou l’officialité durent lui adresser des admonestations sur ses mœurs scandaleuses. Lors de la première enquête de 1450, Massieu était alors curé de la paroisse Saint-Candé-le-Vieux à Rouen, il se dit âgé de cinquante ans ; appelé de nouveau en 1452, il se donne cinquante-cinq ans, et en 1456, à sa troisième déposition, il n’a plus que cinquante ans. A l’époque du procès, c’était donc un homme de trente-trois ans environ. Choisi par Cauchon comme huissier ou appariteur, il ne pouvait que lui être entièrement dévoué. Il avait la charge d’amener Jehanne devant ses juges et de la reconduire dans son cachot.

D’après ses dépositions, Massieu cherche à faire croire qu’il aurait témoigné à Jehanne une certaine bienveillance, au point de se compromettre vis-à-vis de l’évêque de Beauvais. Il voudrait disposer par là ses auditeurs à ajouter foi à ce qu’il rapporte. Il n’était en réalité, au cimetière de Saint-Ouen, que le porte-paroles d’Erard et de Cauchon.

Voici d’ailleurs ce qu’il dit de son rôle : « A la première prédication, j’étais sur l’estrade avec Jehanne… Erard, à la fin du prêchement, lut une cédule contenant les articles de quoi il la causait d’abjurer et révoquer. A quoi ladite Jehanne lui répondit qu’elle n’entendait point ce que c’était qu’abjurer, et que sur ce elle demandait conseil. Et alors, fut dit par Erard ù celui qui parle qu’il la conseillât sur cela… Le prédicateur, maître Guillaume Erard, me demanda ce que je lui disais : « Je lui lis la formule, et lui dis de la signer, et elle me répond qu’elle ne sait pas signer. » Je me rappelle bien que dans cette cédule il était spécifié que désormais elle ne porterait ni armes, ni habit d’homme, ni cheveux taillés, et beaucoup d’autres choses que j’ai oubliées. Je sais bien que cette cédule contenait huit lignes environ, et pas davantage. Je sais à n’en pas douter que ce n’est pas celle qui est mentionnée au Procès. Différente de celle qui est au Procès est celle que j’ai lue et que Jehanne a signée. Pendant que l’on requérait Jehanne de signer la dite cédule, un grand murmure se produisit dans l’Assemblée. J’entendis l’évêque dire à quelqu’un : « Vous me ferez réparation. » Il disait qu’on lui avait fait injure, et qu’il ne procéderait plus outre avant cette réparation. Pendant ce temps, j’avisais Jehanne chi péril qui la menaçait à propos de la signature de ladite cédule ; je voyais bien qu’elle ne comprenait ni la cédule, ni le péril. Jehanne, alors pressée de signer, répondit : « Que la cédule soit examinée par les clercs et l’Eglise entre les mains desquels je dois être remise, et s’ils me disent qu’il est de mon devoir de la signer et de faire ce que l’on me dit, je le ferai volontiers. » Maître Guillaume Erard lui dit alors : « Signe maintenant, sans quoi aujourd’hui même tu finiras tes jours par le feu. » Jehanne répondit qu’elle aimait mieux signer que d’être-brûlée.

« Il y eut en ce moment un grand tumulte dans la multitude, beaucoup de pierres furent jetées, je ne sais par qui.

« La cédule signée, Jehanne demanda au promoteur si elle ne serait pas mise dans les mains de l’Eglise, et dans quel lieu elle devait être ramenée. Le promoteur répondit : « Dans le château de Rouen. » Elle y fut conduite et vêtue d’habits de femme. »

La mentalité qui nous a été révélée chez Massieu permet-elle d’accepter sans contrôle ni vérification tout ce qu’il avarice ? Non certes. Voyons donc les dépositions de ceux qui étaient comme lui près de la Pucelle au moment de la prétendue abjuration.

Manchon, premier greffier, nous dit que, le 24 mai, Loyseleur avait été donné comme conseil à Jehanne. Après le sermon d’Erard, Loyseleur vint sur l’estrade, et Manchon nous cite ses avis cauteleux.

Nicolas Taquel, troisième greffier, mais qui n’était pas sur l’estrade, déclare que Massieu lut à Jehanne la formule. A cela se réduirait peut-être son intervention.

L’émotion, la crainte, s’emparèrent-elles de Jehanne à la vue du bourreau et de son char ? Massieu lui-même constate le contraire. Le calme de la martyre l’étonné à tel point qu’il en déduit qu’elle ne comprenait pas le danger. Lorsqu’il met dans sa bouche : « Je ne sais pas signer » et : « J’aime mieux signer que d’être brûlée, » il est évident qu’il lui prête des paroles qu’elle n’a pas prononcées. Il ment dans le premier cas, puisque nous avons des lettres de Jeanne revêtues de sa signature ; il ment encore dans le second, puisqu’il fait dire à Jehanne. « Mieux vaut signer, » et qu’elle ne signe pas.

Un troisième témoin, très autorisé, donne d’ailleurs un démenti absolu aux assertions d’Aymond de Macy et de Massieu sur le point qui nous occupe, Guillaume de la Chambre nous dit en termes formels que Jehanne lut elle-même la formule.

Voici d’ailleurs sa déposition : « Vénérable personne, maître Guillaume de la Chambre, maître es arts, maître en médecine, a été produit et accepté comme témoin, etc. » Il nous raconte comment il connut Jehanne : « Le cardinal d’Angleterre et le comte de Warwick m’envoyèrent chercher ; je comparus en leur présence avec maître Guillaume Desjardins, maître en médecine, et d’autres médecins. Le comte de Warwick nous dit que Jehanne était tombée malade, ainsi qu’on le lui avait rapporté, et qu’il nous avait mandés pour que nous en délibérions, car pour rien au monde le Roi ne voulait qu’elle mourût de mort naturelle ; elle était d’un grand prix pour le Roi, car il l’avait achetée cher ; il voulait qu’elle ne mourût que par voie de justice et dans les flammes ; de faire si bien, de la visiter avec tant de soin, qu’elle recouvrât la santé. Nous allâmes vers la malade, moi Guillaume Desjardins et d’autres… etc.

« J’étais au sermon fait par maître Guillaume Erard, bien que je n’aie pas souvenir de ce qui fut dit. Ce que je me rappelle bien, c’est que Jehanne fit une abjuration, encore qu’elle ait mis beaucoup de temps à s’y décider. Elle fut déterminée à la faire par Guillaume Erard, qui lui promettait que, si elle faisait ce qui lui était conseillé, elle serait délivrée de prison. Elle la fit à cette condition et non autrement, lisant[11]ensuite une petite formule de six ou sept lignes, sur le revers d’une feuille de papier doublé. J’étais si rapproché, moi qui dépose, que vraisemblablement j’aurais pu voir les lignes, et la manière dont elles étaient tracées. »

Au lieu des dépositions si sèches de la plupart des témoins, on sent dans celle-ci l’intérêt très vif avec lequel La Chambre a suivi le procès. Les moindres détails l’ont frappé. Il nous dit que la formule lue par Jehanne était sur une feuille de papier doublé. Pour qu’on ne puisse douter de ce qu’il avance, il prend soin de préciser : « J’étais si rapproché, moi qui dépose… etc. » Sa déclaration se trouve contrôlée, confirmée par tout ce que nous avons établi précédemment, et ce témoignage lui-même apporte une preuve nouvelle que Jehanne savait lire.

La Chambre est un homme respectable, indépendant puisqu’il n’est pas compromis dans le procès. Par habitude professionnelle, ayant une chaire de médecine à l’Université de Paris, il relate, analyse tout ce qui peut aider à établir un diagnostic. D’après lui, Jehanne est très calme : elle lit la cédule non pas à haute voix, mais pour elle-même, ne voulant pas s’en rapporter à la lecture qu’Erard et Massieu lui en ont déjà faite. Elle met ses conditions, et après avoir constaté que cette cédule ne ; rétracte rien, elle prend la plume que lui tend Massieu ; mais toujours prudente et avisée, elle refuse encore sa signature et ne met qu’une croix, signe de dénégation, pour le cas où toute la portée de cet écrit aurait pu lui échapper. Alors, la conscience tranquille, satisfaite de se débarrasser par cette ruse de toutes les sollicitations et d’échapper peut-être au bûcher, un sourire lui monte aux lèvres. C’est ce que constate dans sa déposition Manchon, qui en parlant de cet instant dit : Ce que je sais c’est qu’elle souriait. Le sourire, « subridebat, » qui avait frappé Manchon, s’accentue et devient une moquerie quand par dérision Jehanne fait un rond sur le papier que lui apporte Laurent Calot. À ce moment, l’impression unanime est que Jehanne n’a agi que par dérision « modum derisionis. » Ce sentiment se manifestait même sur l’estrade des juges, ou un docteur l’exprimait à Cauchon en termes si violens que le cardinal de Winchester dut lui imposer silence.

Pour bien saisir la situation, c’est au témoignage de l’évêque de Noyon, Jean de Mailly, qu’il faut nous reporter. Ce haut personnage, dans sa brève déposition, résume la question d’une manière très nette en nous disant que la plupart des assistans attachaient peu d’importance à cette espèce d’abjuration, que ce n’était qu’une moquerie. « Jehanne elle-même, dit-il, à ce qu’il me parut, n’en faisait pas grand cas et n’en tenait pas compte. » Quod non erat nisi truffa. C’est le mot (truffa, farce) qu’on entend sur l’estrade pour caractériser l’incident. Ce sentiment, est alors si général qu’un docteur anglais croit à la trahison de Cauchon et l’injurie. Il venait d’entendre Jehanne, par trois fois mise en demeure de s’en rapporter à ses juges de ses dits et faits, répondre par trois fois : « C’est à Dieu que je m’en rapporte et à notre Saint-Père le Pape. » Comment aurait-il pu admettre que, subitement, sur une simple parole d’Erard que personne n’avait entendue, Jehanne se serait soumise ? Cauchon l’assure pourtant ; il poursuit son œuvre de perfidie. Le tumulte organisé pour éclater à cet instant, les pierres jetées, etc., n’avaient qu’un but : détourner l’attention, et empocher les assistans de bien entendre, empêcher Jehanne elle-même de se rendre compte des paroles qu’on lui attribuait. Au milieu de ce tumulte, on a pu prétendre que Jehanne avait déclaré ne pas savoir signer.

En réalité, Cauchon n’avait entre les mains qu’une croix, signe de dénégation, et un rond, signe de moquerie ; aussi n’a-t-on jamais osé produire ces deux pièces. Personne ne les a vues.


V. — LA VÉRITÉ HISTORIQUE

Après avoir analysé tous les détails de la scène du cimetière Saint-Ouen, nous serions incomplet si, par le récit de la séance de la veille, nous ne montrions dans quel état d’esprit Jehanne arrivait à cette séance publique où elle devait entendre sa condamnation. La maîtrise d’elle-même, le calme si extraordinaire de Jehanne ne peuvent plus surprendre après les déclarations qu’elle avait faites la veille.

Le 23 mai, mercredi de la semaine de la Pentecôte, pour la première fois, les évêques avaient été convoqués. La séance se tint dans une salle voisine de la prison. Cauchon ordonna à Pierre Maurice, docteur en théologie, chanoine de Rouen, d’exposer en français les erreurs condamnées par l’Université de Paris dans les paroles et les actes de l’accusée et de dire après chacun des douze articles le jugement porté par la faculté de théologie. Maurice prononça son factum tout d’un trait, sans qu’on eût permis à Jehanne, si ce n’est à la fin, d’interposer une réponse.

Pierre Maurice, qui avait entendu Jehanne en confession et qui, d’après la déposition de Guillaume de la Chambre, assurait n’avoir jamais entendu ni religieux, ni docteur lui faire confession aussi parfaite, semble avoir eu un sincère désir de la sauver comme le prouve la touchante péroraison de son exhortation. Mais pour lui, être soumis à l’Eglise, c’était manifestement être soumis à l’enseignement de l’Université de Paris, « lumière de toute science, extirpatrice des hérésies. » A tout cet étalage, à tout ce bagage caritatif, Jehanne se contenta de répondre : « Quant à mes dits et à mes fait, ceux que j’ai déclarés au procès, je m’y rapporte et veux les soutenir. » — « Ne pensez-vous pas, ne croyez-vous pas que vous êtes tenue de soumettra vos dits et vos faits à l’Eglise militante, ou à d’autres qu’à Dieu ? » — « Je veux en ce maintenir la manière que j’ai toujours dite et tenue au procès. Si j’étais en jugement, si je voyais le feu allumé, les bourrées flamber, le bourreau prêt à bouter le feu, si j’étais dans le feu, je n’en dirais pas autre chose, et jusqu’à la mort je soutiendrais ce que j’ai dit au procès. » Cauchon demanda au promoteur et à l’accusée s’ils avaient quelque chose à ajouter. Sur leur réponse négative, il conclut que la cause était entendue et lut la formule écrite qu’il tenait en mains et qui se terminait ainsi : « Nous assignons la journée de demain pour entendre la juste sentence que nous prononcerons. »

Quatorze jours auparavant, le 9 mai, Jehanne avait déjà tenu le même langage, et sa décision pleine de fermeté avait produit sur Cauchon une si vive impression qu’il ne lui fit pas appliquer la torture, convaincu que les plus grands tourmens ne pourraient l’ébranler. Cauchon et le vice-inquisiteur s’étaient rendus dans la grosse tour du château, accompagnés de Châtillon, Erard, Loyseleur, Massieu, les greffiers, etc. Les instrumens de torture avaient été préparés et étalés ; les deux appariteurs chargés d’en faire l’application étaient là. Jehanne fut alors amenée. Il lui fut dit que, si elle ne confessait pas la vérité, ces instrumens la lui feraient avouer. Sans se troubler, elle répondit : « Vraiment, si vous deviez me faire disloquer les membres et faire partir l’âme du corps, je ne vous en dirais pas pour cela autre chose ; et si je vous en disais quelque autre chose, après je vous dirais toujours que vous me l’avez fait dire par force. » Et pour attester que son refus venait de Dieu, elle ajouta : « A la dernière fête de Sainte-Croix, j’ai eu confort de saint Gabriel… J’ai demandé conseil à mes voix pour savoir si je me soumettrais à l’Église, parce que les gens d’église me pressaient fort de me soumettre à l’Eglise. Elles m’ont dit que si je voulais que Notre-Seigneur me fût en aide, je m’en attende à lui de tous mes faits… J’ai demandé à mes voix si je serai brûlée, elles m’ont répondu de m’en attendre à Notre-Seigneur, et qu’il m’aidera. »

Aux argumens terrestres, Jehanne apporte la réponse des voix du ciel, et quelle admirable réponse ! Par la calomnie et le mensonge joints à la fourberie la plus éhontée, les ennemis de Jehanne avaient voulu jeter un voile sur les derniers jours de son agonie. Il a fallu que, pendant tant de siècles, ses lettres fussent conservées d’une manière presque miraculeuse pour que le voile fût enfin déchiré d’une manière complète et qu’au nom de la critique historique, on pût enfin glorifier Jehanne dans cette journée de Saint-Ouen. Résumons maintenant les événemens tels qu’ils se sont déroulés.

Guillaume Erard, docteur en théologie, chanoine des églises de Langues et de Laon, chargé de faire l’admonestation publique, avait pris pour texte de son discours cette parole de l’Evangile : « La branche ne peut pas porter de fruit par elle-même, il faut qu’elle reste attachée au cep de la vigne. » A entendre Erard, Jehanne n’appartenait plus à la foi catholique : aussi se laisse-t-il entraîner aux plus violens emportemens, l’appelant sorcière, hérétique, schismatique. Il va jusqu’à s’écrier : « Charles, qui se dit ton Roi et ton gouverneur, a adhéré comme hérétique et schismatique, — car il est tel, — aux paroles et actes d’une femme inutile, diffamée, pleine de tout déshonneur ; et non pas lui seulement, mais encore tout le clergé de son obéissance et seigneurie. »

À ces mots, Jehanne l’interrompt : « Parlez de moi et non du Roi. »

Plus ardent encore, Erard insiste : « Oui, je te le dis à toi, Jehanne, et le répète, ton roi, puisqu’il t’a écoutée, est schismatique et hérétique. » — « Par ma foi, réplique la Pucelle, révérence gardée, j’ose bien vous dire et jurer, sous peine de ma vie, que mon Roi est le plus noble chrétien de tous les chrétiens, et qui mieux aime la foi et l’Église. »

Cette apostrophe si calme et si énergique arrête Erard ; aussi l’évêque de Beauvais intervient-il en s’écriant : « Faites-la taire ! »

Erard reprend alors son sermon et sous des apparences plus modérées veut l’amener à se soumettre : « Voici Messeigneurs les Juges qui plusieurs fois vous ont sommée et requise de vouloir soumettre tous vos faits et dits à notre Mère Sainte l’Eglise, et que, en ces dits et faits, étaient plusieurs choses, lesquelles n’étaient pas bonnes à dire, ni à soutenir. » — « Je vous répondrai, » repartit Jehanne : « Pour ce qui est de la soumission à l’Eglise, je leur ai dit, sur ce point, que toutes les œuvres que j’ai faites, que tous mes dits soient envoyés à Rome devers notre Saint-Père le Pape, auquel et à Dieu premier, je me rapporte. Mes dits, les faits que j’ai faits, je les ai faits de par Dieu. De mes dits, de mes faits, je ne charge personne au monde, ni mon Roi, ni tout autre ; s’il y a quelque faute, c’est à moi et non à un autre qu’il faut l’attribuer. — Dans vos faits et dans vos dits, ce qui est réprouvé, voulez-vous le révoquer ?… — Je m’en rapporte à Dieu et à notre Saint-Père le Pape. — Cela ne suffit pas. On ne peut aller quérir le Pape si loin. Il faut que vous teniez ce que les clercs et gens en ce connaissant disent et ont déterminé de vos dits et faits.

« Et de ce, fut admonestée jusqu’à la tierce monition. »

Nous venons de voir l’énergie et la fermeté de Jehanne, non pas grandir, car elles sont restées toujours égales, mais se manifester de plus en plus à mesure que s’approche l’heure du sacrifice. La veille, elle n’avait pas interrompu Pierre Maurice dans sa prédication ; le 24, au contraire, elle ne craint pas d’apostropher vivement Erard. Ses voix lui disaient : « Réponds I » et Jehanne refuse hardiment de rétracter aucun de ses actes. La séance se terminait par un triomphe pour elle : loin de se rétracter, elle avait porté l’attaque au camp de ses adversaires. C’est alors que, voulant obtenir la signature à tout prix, l’évêque de Beauvais, par l’intermédiaire d’Erard, paraît vouloir tout céder et promet à Jehanne même la liberté, si elle consent à abandonner le costume viril. N’avait-elle pas dit le 24 mars : « Donnez-moi un habit de femme pour aller à la maison de ma mère, et je le prendrai. C’est pour être hors de prison, et, une fois hors de prison, je prendrai conseil sur ce que j’ai à faire. » Jehanne refuserait-elle sa signature à une cédule où on ne lui demanderait plus autre chose que ce qu’elle avait déjà accepté ? Mais elle se défie. Elle redoute un piège. Erard lui lit la cédule, Massieu lui en donne une seconde lecture ; elle refuse de s’en rapporter à eux ; c’est elle-même qui prend cette cédule et qui la lit, dépose Guillaume de la Chambre. Elle met ses conditions, nous dit le même témoin. Cependant, elle doute toujours de la bonne foi de ses ennemis ; ce n’est donc pas sa signature qu’elle appose, mais simplement une croix, qui, comme nous l’avons vu, était pour elle un signe de dénégation.

Un tumulte se produit alors ; Cauchon interrompt la lecture de son jugement, demande au cardinal de Winchester de recevoir Jehanne à pénitence, car il prétend qu’elle vient de se soumettre : et Jehanne, qui, par ses paroles, venait en public d’opposer à une triple monition un triple refus, est reconduite en prison sans qu’on ait osé affronter un nouvel interrogatoire où elle aurait confondu la fourberie de ses juges.

Après avoir rétabli, d’après les témoignages, cette scène telle qu’elle s’est passée, il faut affirmer avec le promoteur du procès de réhabilitation, dans son article 24 : « Dans leur malice, ils en sont venus à une abjuration machinée par avance, imposée à celle qui en rien, ainsi qu’il a été dit, n’avait porté la moindre atteinte à la foi. »

Il faut avec l’évêque de Noyon dire que « ce n’était qu’une espèce d’abjuration, une dérision et que Jehanne n’avait fait que se moquer et n’en tenait pas compte. »

Avec les Anglais : Plures dicebant quod non erat nisi truffa, et quod non faciebat nisi deridere.

Enfin Manchon, premier greffier, toujours le mieux placé pour tout voir et tout entendre, nous résume cette dernière partie de la scène de Saint-Ouen en nous apportant le témoignage de Jehanne elle-même : « Ce que je sais, c’est qu’elle souriait. »

Mieux encore que tous ces témoins Cauchon savait qu’aucune abjuration n’était entre ses mains ; il avait vu Jehanne le 24 mai non moins énergique, non moins admirable que dans toutes les autres séances, s’opposer à toute rétractation, mais il n’en est que plus résolu à transformer pour la postérité ce jour d’héroïsme en un jour de faiblesse. Il annexe au dossier une pièce fausse, une abjuration qu’il compose à sa guise, que personne n’a jamais vue, ni entendue, que Jehanne n’a jamais connue. Il ne met pas la pièce elle-même, puisqu’elle n’existait pas ; c’est « une copie, » dit le procès-verbal. La cédule de six à sept lignes que Massieu avait lue, que Guillaume de la Chambre avait vue de si près qu’il aurait pu la lire, qui dura le temps d’un Pater noster, nous dit Miget, prieur de Longueville, formule d’environ six lignes de grosse écriture, ajoute Taquel, ne paraît nulle part dans les procès-verbaux. Or, la cédule annexée et où Cauchon avait inscrit le nom de « Jehanne » (aveu qu’elle savait signer) contient non pas 6 lignes de grosse écriture, mais plus de 500 mots en menus caractères. Tout est changé, truqué, falsifié.

Durant le procès, Jehanne avait déjà dit : « Vous écrivez ce qui est contre moi et non ce qui est pour moi. » Elle protestait alors, elle ne pourra plus le faire ; désormais elle ne paraîtra plus en public, elle ne sera plus amenée devant ses juges. Cauchon seul nous apportera de ses paroles un écho défiguré, où il s’appliquera à rendre vraisemblable l’abjuration qu’il a simulée à Saint-Ouen. Il n’avait pas obtenu ce qu’il cherchait, mais on avait vu Jehanne tracer un signe ; sans montrer les pièces, il prétendra que ce signe était une signature. Cet escamotage de fin de séance, si on ose employer ce mot, n’aurait pas été possible dans une salle d’audience ; et c’est pourquoi Cauchon avait voulu une séance en plein air, où un tumulte organisé à propos, des pierres jetées, etc., amenèrent un désordre propice au brigandage judiciaire le plus éhonté qu’ait jamais enregistré l’histoire.

Jehanne n’avait pas signé ; elle n’avait mis qu’une croix, qui, en certaines occasions, constituait pour elle un désaveu, ainsi qu’elle l’avait dit à ses juges. Voilà le fait nouveau qui domine tout le procès et donne aux paroles de la Pucelle, dans les événemens qui vont suivre, leur valeur positive et réelle.

Lorsque Cauchon, le 28 mai, lui dira : « Vous aviez promis et juré de ne pas reprendre l’habit d’homme. — Oncques, répondit Jehanne, je n’ai compris faire serment de ne pas le prendre. » C’est bien l’affirmation que la croix tracée au bas de la cédule ne constituait pour elle aucun engagement. Cauchon le sait mieux que tout autre ; aussi n’ose-t-il pas relever cette déclaration.

La scène de Saint-Ouen avait eu lieu dans la matinée du 24. Aussitôt terminée : « Or ça, gens d’église, dit Jehanne, menez-moi en vos prisons et que je ne sois plus entre les mains de ces Anglais. » Cauchon, consulté, répondit : « Menez-la où vous l’avez prise. » Cette interpellation de Jehanne est très caractéristique ; ce n’est pas une prière, mais un ordre qu’elle donne. On y découvre les promesses faites et le doute de Jehanne quant à leur réalisation : « Or ça, gens d’église ?… »

Le même jour de jeudi, après-midi, Jean Le Maître, vice-inquisiteur, assisté de Thomas de Courcelles (celui qui avait réclamé la torture), Nicolas Midi, Loyseleur, etc., tous les ennemis les plus acharnés de Jehanne, se rendirent à sa prison. Quoique son nom ne soit pas porté au procès-verbal, Cauchon nous dira le 28 avoir assisté à cette séance. C’était le moment décisif ; il savait que la cédule n’engageait pas Jehanne et, pour la décider à quitter le costume viril[12], n’a-t-il pas fallu que lui-même renouvelât les engagemens pris en son nom par Erard, en lui disant qu’elle ne serait conduite dans les prisons ecclésiastiques qu’après avoir revêtu les habits de femme ?

Les réticences du procès-verbal nous montrent une fois de plus que la crainte dominait tellement le timide Manchon, qu’il n’hésitait pas à supprimer demandes ou réponses quand elles accablaient les juges.

Le 28 mai, lorsqu’on demandera à Jehanne : « Pourquoi avez-vous repris l’habit d’homme ? » elle répondra : « Je l’ai repris, parce qu’on n’a pas tenu ce que l’on m’avait promis, à savoir que j’irais à la messe, recevrais mon Sauveur et que l’on me mettrait hors des fers. » Et lors du procès de révision, Manchon déposera en ces termes : « On demanda à Jehanne en ma présence pourquoi elle avait repris l’habit d’homme. Elle dit que les juges lui avaient promis qu’elle serait entre les mains et dans les prisons de l’Eglise et qu’elle aurait une femme avec elle… » Manchon complète ainsi ce qu’il n’a pas osé écrire dans le procès-verbal du 24.

En nous reportant à la séance du 17 mars, nous voyons Jehanne annoncer par avance quelle serait sa conduite en pareille circonstance. On l’interroge : « Vous avez dit que vous prendriez l’habit de femme si l’on vous laissait aller ; est-ce que cela plairait à Dieu ? » Elle répond : « Si l’on me donnait congé en habit de femme, je me mettrais aussitôt en habit d’homme et je ferais ce qui m’est commandé par Notre-Seigneur. C’est ce que j’ai répondu précédemment ; pour rien au monde, je ne ferais le serment de ne point m’armer et de ne pas me mettre en habit d’homme, et cela pour faire le plaisir de Notre-Seigneur. »

Jehanne avait donc prévu, et à plusieurs reprises, qu’elle pourrait momentanément quitter l’habit viril sans manquer aux ordres de ses voix. Si le 24 mai, elle accepte l’habit de femme ; c’est dans les conditions qu’elle a déjà posées. Elle n’a pas mis sa signature et par conséquent a refusé tout engagement : « Oncques, je n’ai compris faire serment. » Ne croirait-on pas que nous lisons écrit de sa main le récit de ce qui s’est passé au jour de la prétendue abjuration de Saint-Ouen ?

Pour Jehanne, en effet, l’habit et les armes qu’elle porte sont les emblèmes de sa mission.

Quand on lui avait demandé le 27 février : « Est-ce Notre-Seigneur qui vous a dit de prendre le vêtement d’homme ? — Le vêtement est peu de chose, c’est un point de peu d’importance Ce n’est pas sur le conseil d’homme du monde que j’ai pris le vêtement d’homme. Je n’ai pris le vêtement, je n’ai fait quoi que ce soit que par l’ordre de Dieu et des anges. » Et le 28 mars : « Je ne le laisserai pas sans l’ordre de Notre-Seigneur, quand on devrait m’en trancher la tête ; mais si cela plaît à Notre-Seigneur, il sera aussitôt mis bas. »


VI. — LA CONDAMNATION

Le dimanche de la Trinité, 27 mai, se répandait dans la ville de Rouen le bruit que Jehanne avait repris le costume viril. Que s’était-il passé pendant ces deux jours ?… Aucun témoignage précis ne peut nous renseigner. Jehanne avait-elle conservé à sa portée ses vêtemens masculins, comme le raconte un chroniqueur ? Lui furent-ils au contraire rendus sur sa demande ? Jehanne, qui avait pu affronter impunément un tête-à-tête continuel avec des soudards, auxquels elle apparaissait moins comme une femme que comme un ange, eut-elle à redouter les outrages de Warwick et de sa soldatesque, ainsi qu’en ont déposé Isambart de la Pierre et Martin Ladvenu ? Tout ce que nous savons, c’est que, dans sa détresse, ses voix lui firent encore entendre leur appel : « Jehanne la Pucelle, fille de Dieu… » Sainte Catherine et sainte Marguerite lui donnèrent une claire vision des dangers qu’elle courait, et lui recommandèrent d’affirmer de plus en plus sa mission. Elles durent aussi lui rappeler la promesse tant de fois répétée : « Ne te chaille pas de ton martyre, tu t’en viendras enfin au royaume du paradis. » Aussi, quand, le lundi 28, elle fut amenée devant Cauchon, avec quelle tranquille assurance ne lui dit-elle pas, au sujet de l’habit d’homme : « Je l’ai pris de ma volonté et sans nulle contrainte. »

L’évêque de Beauvais qui, en certaines séances, avait convoqué jusqu’à cinquante et soixante assesseurs, n’en fit venir qu’un fort petit nombre à cet interrogatoire. Sur sept assesseurs, trois paraissent pour la première et unique fois. Le procès-verbal de cette séance n’a qu’un but : faire croire qu’à Saint-Ouen Jehanne a abjuré.

Pour mieux caractériser l’acceptation soi-disant donnée, on prend soin de relater que les saintes auraient adressé à Jehanne des paroles de reproche ; et passant par la bouche de la martyre, elles prennent la forme d’un aveu.

Manchon terrifié avait refusé de venir et Warwick lui-même dut aller le chercher. Que pouvait le pauvre greffier qui tremblait à ce point et comment s’étonner des infidélités de son procès-verbal ? Il fourmille de contradictions, de lacunes et de mensonges. Lors de la réhabilitation, Manchon, mis en présence de textes falsifiés, avoua qu’il n’avait pas osé se mettre en opposition avec des hommes si haut placés : non fuisset ausus tantos viros redarguere.

Combien Jehanne, au contraire, dut être sublime en cette séance, lorsqu’en termes plus énergiques que jamais, par une double affirmation, elle proclame encore sa mission : « Si je disais que Dieu ne m’a pas envoyée, je me damnerais, moi-même, car en toute vérité c’est Dieu qui m’a envoyée. » Elle ose jeter à la face de ses juges qu’Erard n’est qu’un faux prêcheur, et qu’eux-mêmes ont menti, car jamais elle n’a prêté serment. Ses accens ont été tels que, le lendemain, Cauchon ne voudra pas la faire paraître devant ceux qui doivent la condamner.

Le 29 mai, plus de quarante assesseurs étaient convoqués pour juger de la rechute. L’invraisemblance des récits de Cauchon et la fausseté des pièces apportées réveillèrent-elles chez les membres du tribunal un tardif sentiment de justice ? Pour la première fois, les juges se séparent de l’évêque de Beau vais. Il avait tenu à rendre compte lui-même de l’interrogatoire de la veille, et lecture fut donnée de la formule d’abjuration que, d’après lui, Jehanne avait signée, pièce fausse qu’elle n’a jamais connue et que tous les témoins affirment ne pas être celle qui lui fut présentée.

Gilles Duremort, abbé de la Sainte-Trinité de Fécamp, fut appelé le second à donner son avis. Le brigandage de la fin de séance de Saint-Ouen était-il trop présent à son esprit ? Il osa demander que Jehanne fût entendue et qu’on lui lût de nouveau la formule d’abjuration. Sur quarante et un votans, trente-huit voix suivirent l’abbé de Fécamp. Qui croirait que Cauchon ne dût pas s’incliner devant ce vote du tribunal ? Mais la présence de Jehanne, les réponses qu’elle eût faites, auraient mis à nu trop d’infâmes machinations. Le soir même, l’évêque prescrit à Massieu d’avoir à citer la femme appelée vulgairement la Pucelle à comparaître le 30 mai à huit heures du matin, sur la place du Vieux-Marché où le crime sera consommé.

Que Jehanne ait su lire, écrire, ou qu’au contraire elle n’ait même pas su signer, peu importe dans une vie aussi merveilleuse, cela appartiendrait à peine aux miettes de l’histoire ; mais tout ce qui doit projeter plus de clarté sur une gloire aussi pure ne saurait être négligé.

L’habileté de ses ennemis avait su jeter une ombre qui longtemps a plané sur sa mémoire. On se demandait si Jehanne n’avait pas connu un instant de faiblesse. Ses lettres ont été le fil conducteur sans lequel on ne pouvait se reconnaître dans le drame de Saint-Ouen. Du moment que Jehanne savait écrire, et que, le 24 mai, elle a refusé d’apposer sa signature, toute ombre se dissipe, et cette question qui semblait secondaire : « Jehanne savait-elle signer ? » acquiert une importance capitale. Une défaillance passagère n’aurait pas terni sa gloire, mais elle n’a pas eu cette défaillance. L’unité de sa vie n’a pas été rompue. Les secours qui lui venaient d’en haut ne l’ont jamais abandonnée. Destinée à sauver la France et le monde catholique, Jehanne fut, jusqu’à la mort, fidèle à sa mission. Rien ne l’ébranla, ni séduction, ni crainte, et son âme s’échappa dans un cri d’amour : « Jhésus, Jhésus ! »

Toutes les merveilles de la vie de Jehanne ne pouvaient suffire pour que l’Eglise la mît sur les autels, si l’héroïcité de ses vertus avait faibli, ne fût-ce qu’un seul jour !… Le cardinal Parocchi, ponent de la cause, avait déclaré à l’évêque d’Orléans que, s’il ne trouvait pas un historien en mesure de prouver par les documens que cette prétendue abjuration canonique de la Pucelle était un faux inventé par Cauchon, il fallait renoncer à voir Jehanne d’Arc béatifiée.

A toute tentative future de canonisation, l’évêque de Beauvais avait en effet dressé un obstacle insurmontable par le seul fait de la présence au procès de cette abominable cédule comme pièce soi-disant officielle et authentique. Ce ne fut qu’en 1901 qu’une étude critique de M. l’abbé Dunand établissait la thèse précisée par le cardinal Parocchi.

Si complète que fût cette étude, nous apportons aujourd’hui, grâce aux Lettres, et en établissant que Jehanne savait signer, la preuve matérielle du faux commis par l’évêque de Beauvais. Les intérêts coalisés de tous ceux qui s’étaient attachés à la fortune de l’Angleterre et de tous ceux qui, dans le parti royal, avaient abandonné Jehanne, la poursuivirent même après sa mort, en cherchant à étouffer sa mémoire dans le silence et l’oubli. Pour ne pas reconnaître la main de Dieu dans les victoires de Jehanne qui avaient eu un tel retentissement, le XVIIIe siècle, dans son scepticisme, voulut prolonger cet oubli ; mais le souvenir de la Pucelle n’en était pas moins resté dans l’âme du peuple comme un mythe glorieux qui dominait toute notre histoire.

Il était réservé à notre siècle de critique et de positivisme de vouloir approfondir la mission de Jehanne. Or, plus on examine sa vie et plus on l’analyse ; plus on étudie ses pensées et plus on scrute son âme ; plus on arrive à trouver que sa hauteur morale l’élève encore au-dessus des grandes choses qu’elle a faites. « Le temps qui la vit, les siècles qui suivirent s’épuisent à l’expliquer[13]. »


Comte C. DE MALEISSYE.

  1. Archives du Nord, à Lille.
  2. Archives du marquis de Maleissye.
  3. Voyez la Revue du 1er juillet 1910.
  4. Archives de la ville de Riom.
  5. Selon Philippe de Bergame, Jeanne avait les cheveux noirs : « Erat… nigro capillo. »
  6. Archives du marquis de Maleissye.
  7. François Pérot, Jeanne d’Arc en Bourbonnais, p. 13.
  8. Archives du marquis de Maleissye.
  9. Comment les Anglais ont-ils pu avoir copie de ces lettres ?… Nous voyons là un indice trop certain que, même dans le parti de Charles VII, Jehanne avait des ennemis qui cherchaient à la perdre.
  10. Jean Juvénal des Ursins.
  11. Le texte latin porte : « Et sub hac conditione et non alias hoc fecit, legendo post aliam (alium ? ) quandam parvam schedulam. » Ce texte est formel. C’est bien Jehanne qui lit elle-même.
  12. Nous devons nous étendre assez longuement sur la question de l’habit viril, parce que bien des auteurs ont considéré l’abandon de ce costume comme le signe de l’abjuration faite par la Pucelle ; et que tout en l’excusant de l’avoir repris pour la défense de sa vertu, elle aurait par cet acte manqué à son serment.
  13. G. Hanotaux.